Erreur et improvisation
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Erreur et improvisation
Cefedem Bretagne - Pays de la Loire Diplôme d’état de professeur de musique Erreur et improvisation Une réflexion sur le statut de l’erreur dans le jazz et les musiques improvisées Nom : Loucif Formation continue 2009-2011 Prénom : Mourad Référent mémoire : Marc Clérivet Spécialité : Jazz saxophone Enseignant en musique, chant et danse traditionnels aux CRR de Rennes et de Brest. 2 Sommaire Introduction………………………………………………………………………………………….P4 I - A propos de l’improvisation...………………………………….…………………….P5 A. Histoire et improvisation…………………………………………….……………….……..P5 B. Le geste improvisé …………………………………………………….…….........................P7 II - L’improvisation et l’erreur………………………...…………………………….…P13 A. Définir l’erreur……………………………….……………………………….………...….…P13 B. Les visages de l’erreur dans la performance de l’interprétation………………....…P14 C. L’erreur dans la pratique de l’improvisation de l’idiome du jazz………………....P16 D. L’erreur dans la pratique de l’improvisation non idiomatique ………….……..…..P19 III - Une expérience pédagogique de l’erreur…………………………...….…..P22 A. L’expérience menée (en 3 phases)……………………..……………………….........................P22 B. Le bilan (en 3 phases)………………………………………………..……………….…...…..…..P24 C. L’interprétation (en 3 phases)………….………………………….…………..…….…………...P25 D. La généralisation et les remarques…..…………………………….....…...…..……...........P27 Conclusion ……………………………………………………………………...…………….…..….P28 Bibliographie……………………………………………………………………….……...……......P29 Introduction « A quoi travaillez vous ? » demanda-t-on à Monsieur K. Monsieur K répondit : « j’ai bien du mal, je prépare ma prochaine erreur. »1 Berthold Brecht Après 12 années de pratique de la clarinette au conservatoire municipal de Montrouge et au conservatoire municipal du centre de Paris, je trouvais davantage de plaisir et d’intérêt à explorer cet instrument sans partition qu’à travailler inlassablement des exercices et des études dans l’espoir de pouvoir un jour jouer correctement le répertoire classique (et dans la peur de ne pouvoir y parvenir). Parallèlement, l’énergie de présence, de créativité et de spontanéité ressentie quand j’écoutais des musiciens de jazz -tels que Bill Evans, Stan Getz ou John Coltrane- improviser, a fait naître un désir intérieur de me rapprocher du jazz et de la pratique de l’improvisation. Ayant temporairement laissé de côté la clarinette au profit du saxophone, certains des premiers cours que j’ai suivi présentaient l’improvisation à travers la pratique d’un nombre incalculable d’exercices préalables. Exercices présentés comme nécessaires pour atteindre le « niveau » d’un musicien de référence et être digne du titre d’improvisateur. Cette présentation et ces pratiques de l’improvisation m’ont à nouveau plongé dans la même peur inhibante de « faire des erreurs » et de « ne pas y arriver » que j’avais ressentie antérieurement. Cependant, des ateliers de pratique d’improvisation -proposés par une école de jazz- que je pourrais rétrospectivement nommer, « improvisation libre », « improvisation non idiomatique » ou « free jazz », m’ont permis de sentir un espace où il était possible d’expérimenter, et où la notion d’erreur ne semblait plus exister. Au sein de cet espace, la peur que j’avais de « faire des erreurs » se dissipait ; le plaisir et l’intérêt que j’éprouvais ressemblait à celui évoqué dans mes pratiques personnelles d’exploration de la clarinette. Ces ateliers m’ont permis de renouer avec mes précédentes pratiques ancrées dans un idiome (jazz, musique classique) en étant libéré de la peur de l’erreur. De ces expériences est né le questionnement que je souhaite traiter dans le cadre de ce travail : Qu’est ce qu’improviser et à quels éléments cette action fait-elle appel ? Si l’erreur existe au sein du geste improvisé, quel est son statut ? Quelle place pour l’erreur dans l’improvisation et comment l’appréhender dans un contexte pédagogique ? Après avoir présenté l’improvisation à la lumière du contexte historique et esquissé une définition du geste improvisé dans un premier temps, je définirais la notion d’erreur dans un second temps, puis tenterai d’en observer ses modes d’expression dans les contextes de l’interprétation, de l’improvisation idiomatique du jazz et de l’improvisation non idiomatique. Enfin je présenterai une expérience pédagogique de l’erreur. 1 Berthold BRECHT dans L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire de J.FIARD et E.AURIAC, p.234. 4 I - A propos de l’improvisation A. Histoire et improvisation L’improvisation n’est pas l’apanage du domaine musical. D’autres arts comme le théâtre, la danse ou la poésie ont recours à cette pratique. La commedia dell’ arte, genre de théâtre populaire italien né au XVIème siècle d’une comédie en prose, Ruzzante, d’Angelo Beolco, a pour principe fondateur de jeu, l’improvisation. Le tango, genre musical argentin né à la fin du XIXème siècle est aussi une danse de bal d’improvisation, au sens où les pas ne sont pas prévus à l’avance pour être répétés séquentiellement. Le Bertsularis, forme poétique épique du Pays basque dont l’art remonte au XVIIIème siècle est un chant d’improvisation rimé et strophé. A l’origine de la musique, il y a nécessairement improvisation : le musicien tâtonne, cherche, explore. L’homme va progressivement apprivoiser et accorder les premières vibrations sonores en façonnant les instruments (lutherie) et en structurant des langages musicaux (modes, rythmes, harmonie). Sauf en Occident, pendant quelques décennies des XIXème et XXème siècle, où la notation musicale prétend tout régenter et tout prévoir, l’improvisation partielle a toujours été et demeure une pratique musicale constante et universelle. L’ouvrage L’improvisation durant neuf siècles de musique occidentale, rappelle cette place centrale de l’improvisation : « Dans l’histoire de la musique, cette joie d’improviser en chantant et en jouant transparaît à presque toutes les époques. L’improvisation a toujours entrainé, avec une force considérable la création de genres nouveaux, et toute étude historique se limitant aux sources pratiques ou théoriques (manuscrites ou imprimées) sans prendre en considération l’improvisation vivante présente nécessairement une image incomplète voire même déformée. Il n’existe en effet pratiquement aucun domaine musical qui n’ait été affecté par le domaine de l’improvisation, aucune technique musicale ou aucun style de composition qui n’en découle ou n’ait été profondément influencé par elle. Toute l’histoire de la musique témoigne du désir passionné et universel d’improviser. »2 Au Moyen âge, troubadours et trouvères (dont les termes signifient « inventeurs de texte et de mélodie ») pratiquaient l’improvisation, se laissant guider par l’inventivité de l’instant. Ces poètesmusiciens chantaient souvent seuls mais pouvaient être accompagnés par des instrumentistes (à la vièle au luth ou à la harpe) qui improvisaient l’accompagnement. Du Moyen âge à la Renaissance, les langages monodiques et polyphoniques de la musique liturgique ont fait place à l’improvisation3. Sur la monodie 2 3 E.T Ferand cité Derek Bailey dans L’improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, p.12. Du chant grégorien aux polyphonies, l’improvisation était d’ailleurs une des bases fondamentales de la pédagogie musicale. 5 du chant grégorien, le chanteur improvisait des quintes et des octaves. Les ornementations mélismatiques du plain-chant de l’école de Notre Dame (monodies ou organum à deux voix) étaient aussi improvisées. Dans la faux bourdon de Guillaume Dufay (1430), la voix intermédiaire entre une basse et un soprano pouvait être improvisée. A partir du XVème siècle, l’aria, schéma de basse cadentielle répété permettait l’improvisation. Au XVIème siècle, la virtuosité des instrumentistes et chanteurs italiens était telle qu’ils pouvaient improviser à quatre voix en contrepoint. Les transcriptions d’œuvres vocales pour instruments polyphoniques (luth, orgue) qui ont donné naissance à la basse continue ont contribué à la réalisation d’œuvres qui laissaient place à l’improvisation tant dans la réalisation de la basse chiffrée que dans la liberté de jeu des parties supérieures (style concertant). A la période baroque, l’improvisation a aussi toujours existé. Etait musicien celui qui savait orner, compléter, embellir, améliorer. L’orchestre baroque composé du groupe des instruments de basse continue (violoncelle, basson, luth, clavecin, orgue etc.) et du groupe des instruments mélodiques (violon, flûte, hautbois etc.) laissait une place importante à l’improvisation notamment au niveau de l’ornementation. Chanteurs et instrumentistes italiens déployaient une telle virtuosité dans ce domaine qu’une mélodie toute simple était parfois à peine reconnaissable. La notation musicale, plus précise et rigoureuse à l’époque classique et romantique, laisse moins de liberté à l’interprète. La plupart des ornements disparaissent au cours du XVIIIème siècle et les séquences improvisées sont plus rares. Elles peuvent intervenir aux moments des cadences, dans les concertos par exemple. Les solistes de concerto en font usage au XVIIIème et jusqu’à Chopin, Liszt, Paganini et Schumann. Même si l’improvisation partielle est une constante des différentes périodes de l’histoire de la musique, certains éminents musiciens pouvaient faire preuve d’improvisation totale en interprétant l’œuvre dans le même temps de sa conception. C’est le cas de Bach, Haendel, ou Rameau pour la période baroque mais aussi celui de Mozart, Beethoven, Chopin ou Liszt pour la période classique et romantique. Dans la deuxième partie du XIXème, le développement du statut de compositeur, du concept d’œuvre d’art, et de la notation musicale, contribue à laisser de moins en moins de place aux séquences improvisées. La création du dodécaphonisme par le groupe des trois de l’école de Viennes au début du XXème siècle (Schoenberg, Berg, Webern) exclut, par le système de la série, toute possibilité d’improvisation. Avec l’apparition du concept de musique aléatoire dans les années 50, le compositeur tend à solliciter l’interprète de manière à ce qu’il joue à nouveau un rôle inventif dans l’interprétation même de l’œuvre. Celui-ci peut choisir le mode de jeu, le timbre ou même l’ordre dans lequel il va jouer les fragments proposés par le compositeur : dans les Sequenza de Berio, l’instrumentiste est libre de prendre le temps qui lui convient, de choisir le timbre et le mode de jeu qu’il souhaite utiliser. Les dixneuf structures musicales autonomes mises en place par Stockhausen dans Klavierstuck XI sont agencées dans leur réalisation à la guise de l’interprète. La liberté dont dispose celui-ci dans ces nouvelles formes 6 compositionnelles dites ouvertes, où la place de l’aléa y est envisagée, peut être qualifiée d’improvisation de la forme. La naissance du jazz au début du XXème siècle et son développement jusqu’à ce jour témoignent à mon sens de la nécessité, de la puissance et de la véracité de l’improvisation dans le domaine musical, et contribue à lui donner à nouveau sa juste place dans les différents univers musicaux d’aujourd’hui. B. Le geste improvisé IL semble tout aussi irréaliste de prétendre définir l’acte d’improviser avec des mots qu’il est utopique de vouloir donner une définition du son, ou même de la musique avec le moyen limitatif du langage qu’est le verbe. En revanche, peut-être pouvons nous nous approcher d’une définition du geste improvisé en faisant appel aux paramètres dont il se sert ? De même, peut être est il possible de s’approcher de ce qu’il est intrinsèquement en essayant d’entrevoir ce qu’il n’est pas ? 1. La question du temps Derek Bailey nous parle dans son ouvrage de la rencontre entre Rzewski et Steve Lacy, en 1968, dans une rue de Rome. Rzewski sort un enregistreur et demande à Lacy de définir en quinze secondes la différence qui existe entre composition et improvisation : « La différence entre la composition et l’improvisation est que dans la composition, on a tout le temps qu’on veut pour décider quoi dire en quinze secondes, tandis que dans l’improvisation on a quinze secondes. »4 Sa réponse dura paraît-il exactement quinze secondes. J’ai eu la chance de voir Steve Lacy pratiquer l’improvisation au cours d’un de ses concerts solo et j’ai également pu pratiquer avec lui lors d’une Master Class. C’est aussi une raison pour laquelle cette définition fait particulièrement sens pour moi. a. L’irréversibilité du continuum du temps Le discernement explicite qu’évoque Steve Lacy entre composition et improvisation nous invite à réfléchir sur la question du temps. Lacy ne nous dit pas que la composition ne fait pas appel au geste improvisé. Il oppose composition et improvisation sur la question du traitement du temps. Comme tout acte, celui d’improviser s’inscrit dans le déroulement du continuum du temps. Cela se passe dans l’instant, ici et maintenant. Pourquoi l’acte d’improviser est-il si souvent associé à un caractère d’urgence de l’instant ? 4 Derek BAILEY, L’improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, p.151. 7 Jacques Siron lie le geste improvisé à l’urgence de l’instant de la manière suivante : « Quelle est la qualité du geste improvisé (…) ? Une première idée est celle de l’urgence. Quand on improvise, « on y va ». On est incapable de revenir en arrière (…). Pas de possibilité de se relire, pas de place, ni au remord, ni au doute. Pas de résidu pour le musicien (hormis les éventuelles traces enregistrées). » 5 Par déduction, selon les définitions de Jacques Siron et de Steve Lacy, s’autoriser à revenir en arrière en ne laissant pas ce qui s’est produit dans son temps écoulé, place le sujet responsable du geste improvisé au rang de compositeur. Le compositeur peut légitimement selon son statut re-traiter ce qu’il a produit. N’est-ce pas aussi le cas du musicien de jazz lorsqu’il travaille l’improvisation ? En ce sens, à l’inverse de la définition donnée par Steve Lacy, le musicien improvisateur dispose lui aussi de tout son temps pour parfaire la qualité du geste improvisé et préparer sa performance. N’est-ce donc pas la performance, celle de ne pas s’autoriser à revenir sur ce qui vient d’être produit, qui confère au geste son caractère pleinement improvisé, s’inscrivant alors dans une réelle urgence de l’instant ? b. La performance ou le caractère urgent de l’instant Ne pas s’autoriser à revenir sur ce qui vient d’être produit définit le caractère urgent de l’instant. Modifier la production de l’instant n’est pas une spécificité du compositeur puisque le musicien improvisateur s’y autorise en phase de travail (exercices de transposition, gammes, pattern). A l’inverse, le compositeur peut lui aussi s’imposer comme paramètre de composition de ne pas remanier ce qu’il vient d’écrire. L’écrivain Sylvie Germain6 travaille en deux temps : une phase de silence où elle attend un déclencheur à l’écriture et une phase d’écriture. Elle dit ne jamais revenir sur sa première production, à l’instar de la performance improvisée. Le geste ne prend donc son caractère pleinement improvisé que lorsqu’il s’inscrit dans la performance liée à l’irréversibilité du continuum du temps, qu’il s’agisse d’improvisation ou de composition. 2. L’inconnu, l’inattendu : terreau du geste improvisé Steve Lacy, cité par Derek Bailey donne des raisons de son attrait pour l’improvisation : « Je suis attiré par l’improvisation en raison d’une qualité que j’apprécie : la fraîcheur (...). Cela a avoir avec cette idée du « fil du rasoir » (...), avec l’idée d’être toujours au bord du gouffre et prêt à y sauter. Quand on s’y lance, on a beau avoir des années de préparation, une certaine sensibilité et une certaine expérience, cela n’en reste pas moins un saut dans l’inconnu. On peut, en effectuant ce saut, découvrir des choses intéressantes qu’on ne parviendrait pas, je crois, à découvrir autrement. J’accorde plus de valeur à cela qu’à ce que l’on peut préparer. Mais je crois aussi fortement aux vertus Jacques SIRON, La partition intérieure, p.86. 6 Essayiste et romancière (Prix Femina 1989), Les échos du silence et Songes du temps sont les deux ouvrages qui me l’ont fait connaître. 5 8 du travail, surtout dans la mesure où il peut justement amener à être sur le fil du rasoir. Ce que j’écris nous mène au bord de ce gouffre inconnu et nous permet d’y trouver d’autres idées. Ce sont véritablement ces autres idées qui m’intéressent et qui selon moi, constituent l’essence même du jazz. »7 L’imprévu, élément ou événement qui n’est pas attendu, peut être considéré comme un aspect de l’inconnu : il nous invite à y « répondre » en empruntant des chemins qui ne nous sont pas nécessairement familiers, même s’ils peuvent faire appel à du matériel connu, voir travaillé. La définition du verbe improviser du dictionnaire Le Grand Larousse en 5 volumes s’appuie sur le terme imprévu : « Improviser : (de l’Italien Improvvisare et du Latin Improvisus, imprévu) produire, élaborer un discours, un texte, un morceau de musique directement, sans préparation. »8 Le Dictionnaire Culturel donne les précisions suivantes : « Improviser : emprunté à l’italien improvvisare « qui arrive de manière imprévue ». Le mot italien est emprunté au latin improvisus « imprévu » (participe passé du verbe providere : prévoir). »9 Miles Davis cité par Jacques Siron dans La Partition Intérieure définit le verbe improviser de cette manière : « Improviser c’est jouer au delà de ce que l’on sait. »10 Ces définitions et témoignages font toutes état du caractère imprévu et inconnu lié à l’acte d’improviser. a. A la recherche de l’inconnu L’improvisateur semble rechercher le contact d’un nouveau chemin, celui qu’il ne connaît pas. Peut être pour tester sa capacité et sa manière d’y répondre : comme un apprentissage à ne pas céder à la peur de l’inconnu, comme une soif de découvrir des chemins encore inexplorés ou comme de nouveaux obstacles à franchir pour repousser ses propres limites. Le geste semble n’être pleinement improvisé qu’au sein de cet espace fait d’inconnu et d’imprévu. Il n’est par conséquent pas anormal que le musicien improvisateur soit intimement lié à cette quête de risquer l’inconnu, de provoquer l’inattendu. Steve Lacy dans son témoignage semble être à l’affût de cet espace fragile, comme une précieuse occasion de « découvrir des choses intéressantes qu’on ne parviendrait pas à découvrir autrement ». L’imprévu, l’inconnu comme une sorte de professeur qui n’existerait qu’au sein de cette expérience quasi initiatique d’être au « bord du gouffre » et sur « le fil du rasoir ». En dépit de la préparation, de l’expérience et du travail, le geste improvisé lié au caractère imprévu de la situation semble ne pouvoir s’apprendre qu’au travers de l’expérience. A propos de l’apprentissage de l’improvisation Jacques Siron précise : « Il est important de garder à l’idée qu’il existe un pédagogue idéal, c’est la vie et l’expérience elle même. »11 Derek BAILEY, L’improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, p.73 et p.74. Le Grand Larousse en 5 volumes, vol 3, p.1598. 9 Dictionnaire Culturel en 4 volumes, vol 2, p.1878. 10 Miles DAVIS, cité par Jacques SIRON dans La Partition Intérieure, p.15. 11 Jacques SIRON, La partition intérieure, p.37. 7 8 9 b. L’imprévu, une certitude L’inattendu, l’imprévu se provoquent-t-ils ? Ne font-ils tout simplement pas partie du déroulement de la vie ? Malgré tous ses aspects prévisibles et tous les efforts que l’être humain investit à vouloir la contrôler, celle-ci, par les imprévus qu’elle nous fait vivre au quotidien - des plus anodins aux plus dramatiques en passant par les plus merveilleux - reprend souvent ses droits, nous invitant à lâcher prise et à composer avec le réel. En un sens, la performance improvisée est une illustration de la vie. Elle en est aussi souvent une célébration. Quant bien même l’homme s’attacherait-il à tenter de vouloir tout prévoir, l’inattendu ne finirait-il pas par se produire inexorablement ? La seule certitude qu’il semble possible d’entretenir à propos de l’imprévu est sa tendance à toujours se manifester. Néanmoins, la forme de son expression semble échapper à toute prévisibilité, toute tangibilité, toute tentative de contrôle. C’est ce qui lui confère d’ailleurs son caractère inattendu. Cependant, l’imprévu et l’inconnu n’ont qu’une valeur relative à ce qui est connu, et bien que l’improvisateur soit en quête de ce nouvel espace, il semble avoir besoin d’éléments stables sur lesquels s’appuyer pour assouvir sa soif de découverte et d’aventure. Le travail, l’apprentissage, la connaissance et le savoir ne seraient donc pas en contradiction avec le geste improvisé. c. Travail et improvisation : entre contrôle et lâcher prise A l’instar des imprévus de la vie, l’improvisateur, malgré un travail de préparation incommensurable ne saurait braver l’inattendu, éviter l’inconnu. Si le travail ne sert qu’à se protéger de l’inconnu pour tenter « d’éviter l’imprévisible », il desservira le caractère improvisé du geste, au profit d’un exercice de style, d’une « interprétation dans le style jazz » par exemple. Le travail peut au contraire servir de support au geste improvisé, comme un partenaire indispensable et indissociable, qui permettrait à l’improvisateur d’oser plus facilement le risque de l’instant ; ceci lui permettrait, non plus de proposer des gestes improvisés éparses au sein d’une dite improvisation, mais d’être dans le « continuum improvisé ». L’improvisateur n’est-il pas amené à tendre vers le geste improvisé de chaque instant ? Une improvisation n’est elle pas digne de ce nom que si les gestes qui la constituent sont à chaque instant pleinement improvisés ? Est-il possible d’être dans «l’absolu improvisé » ? D’après le témoignage de Steve Lacy le travail est intéressant dans la mesure où il peut, justement, nous permettre d’aller à la rencontre de l’inconnu pour pouvoir produire un geste au caractère réellement improvisé : « J’accorde plus de valeur à cela (au saut dans l’inconnu) qu’à ce que l’on peut préparer. Mais je crois aussi fortement aux vertus du travail, surtout dans la mesure où il peut justement amener à être sur le fil du rasoir. »12 12 Derek BAILEY, L’improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, p.73 et p.74. 10 Une analyse paradigmatique de onze grilles d’improvisation effectuées par John Coltrane sur le thème Giant Steps montre que les phrases jouées y sont le plus souvent différentes mais que le matériel musical utilisé reste sensiblement toujours le même13. Figure n°1 : Analyse paradigmatique de 3 improvisations de John Coltrane sur les 5 premières mesures du thème Giant Steps. C’est à mon sens une manière de montrer que le travail, la connaissance et la maîtrise d’un matériel musical, ne s’opposent pas à l’acte de création et d’invention de l’improvisation mais tendent au contraire à faciliter l’exploration de nouveaux chemins et à favoriser la prise de risque. Cependant, comment être certain que ces onze improvisations n’ont pas été pratiquées, apprises par Coltrane lui- même à la manière d’un concerto qui n’a plus aucun mystère pour son interprète ? La partition intérieure de l’improvisateur est elle utilisée de la même manière que celle du musicien classique qui restitue, et interprète, le concerto qu’il maitrise parfaitement ? 3. L’Ambivalence du geste improvisé a. Paradoxe Les définitions et témoignages donnés préalablement à propos de l’improvisation (Steve Lacy, Miles Davis, Dictionnaires) font toutes état de l’existence de deux parties ambivalentes au sein du geste improvisé ; un état d’équilibre semble s’opérer entre du matériel préparé, travaillé, connu et des éléments imprévus, inconnus, inattendus. La définition de Thierry Maucci dans la revue Marsyas insiste sur l’existence simultanée de ces deux parties : « Improviser : lier l’anticipation et le spontané, utiliser la source sonore dont on dispose, placer de l’inconnu sur du connu, laisser passer de l’inattendu dans le prévu. »14 L’étude des improvisations de John Coltrane illustre cette dimension inventive de l’improvisation : chacune des onze improvisations est différente mais utilise le même matériel musical. A moins que -mais cela est peu probable- ces improvisations ne soient qu’une « interprétation » réalisée à partir de la « partition intérieure » de John Coltrane. De quoi peut être constitué cet aspect créatif inhérent au geste improvisé, qui allie spontanéité, invention dans l’instant, et matériel connu ? 13 http://www.music.sc.edu/ea/jazz/Transcriptions/GIANTSTEPSscore.pdf 14 Thierry MAUCCI, « Improvisation et pédagogie : quelques points qui me tiennent à cœur » in Marsyas n° 12, décembre 1989, p.55. 11 b. Schème et improvisation Jean pierre Astolfi, en définissant le schème, peut nous aider à mieux comprendre la nature du geste improvisé : « Le schème (au contraire du schéma) n’est qu’une virtualité et ne désigne pas l’action ellemême mais la structure générale commune à un ensemble d’actions. Les schèmes ne sont donc pas les actions ni les opérations en elles-mêmes mais ce qu’il y a de transposable de généralisable ou de différenciable d’une situation à la suivante. Les schèmes correspondent à une « stylisation » des actions et opérations qui se schématisent par répétition, autrement dit à la structure générale commune aux diverses répliques ou applications de la même action. Nous dirons (…) qu’ils se caractérisent par le fait qu’ils se conservent dans leur répétition se consolident par l’exercice et tendent à se généraliser au contact du milieu donnant alors lieu à des « différenciations » et des « coordinations » variées. D’où l’apparition de nouvelles conduites qui s’élaborent à partir de schèmes initiaux et de leurs interactions adaptatives avec le milieu (Legendre–Bergeron, 1980). N’oublions pas, de plus, que le schème constitue une totalité, c’est à dire un ensemble cohérent d’éléments qui s’impliquent mutuellement et assurent la signification globale de l’acte. C’est ainsi qu’ils se distinguent d’un simple automatisme ou d’un conditionnement. »15 L’improvisateur ne peut créer ex nihilo, vu qu’à partir de rien, l’imagination ne crée rien. Ce qui jaillit dans l’instant fait nécessairement appel à quelque chose de connu même si l’émergence et l’agencement de ces éléments semblent se faire à chaque fois de manière nouvelle. Il est donc conditionnel que ces éléments aient été appris au préalable. Mais là où l’interprète se contraint à la restitution fidèle du texte, l’improvisateur semble libre de pouvoir produire du « nouveau » à partir de ce qu’il sait. Cela semble être une capacité adaptative propre à la nature humaine : « D’où l’apparition de nouvelles conduites qui s’élaborent à partir de schèmes initiaux et de leurs interactions adaptatives avec le milieu » nous disent JP Astolfi et MF Legendre Bergeron. Le travail et la préparation, pouvant aller à l’encontre de la représentation de l’improvisation, semblent au contraire, à la lumière de la définition du schème, favoriser le caractère créatif et inventif du geste improvisé. Ces schèmes qui « se conservent dans leur répétition, se consolident par l’exercice » et tendent à se manifester de manière différenciée et coordonnée en s’adaptant au milieu dans lequel ils évoluent, font du travail un élément propice au développement de l’improvisation. J’ajouterais : à la seule condition de confronter le travail à la performance improvisée (milieu - situation - contexte). De manière à ce que les schèmes, issus du travail puissent s’exprimer dans leur « différenciation » et « coordination » en s’adaptant à la situation de l’instant. Les exercices mécaniques, les gammes, les études peuvent être considérés comme un travail de « schèmes » que l’interprète de l’esthétique dite « classique » n’utilisera pas ou peu comme du matériel connu pour faire du « nouveau ». Simplement parce que celui-ci ne va pas 15 Jean Pierre ASTOLFI, L’erreur, un outil pour enseigner, p.45-46. 12 (ou peu) confronter les éléments de son travail à « l’inconnu ». Ces éléments sous forme de schèmes sont rarement destinés à être explorés en gestes improvisés dans l’espace de la virginité de l’instant présent, mais, ont pour devenir, la constitution d’un matériel permettant au musicien d’interpréter l’œuvre du compositeur. En revanche, en confrontant les éléments de son travail à la pratique de la performance improvisée, l’improvisateur se donne la possibilité de découvrir de nouveaux schèmes à partir de ceux qu’il connaît et qu’il a déjà expérimenté dans un milieu donné. Voilà à mon sens la raison pour laquelle il est souvent recommandé aux musiciens improvisateurs de fréquemment confronter les éléments de leur travail à des situations expérientielles différentes. Celles-ci étant l’opportunité de voir apparaître de nouveaux schèmes qui pourront être à leur tour utilisés et développés dans le travail personnel, puis réinvestis, ou expérimentés dans de nouvelles situations de performance. Les onzes chorus de John Coltrane sur Giant Steps font état du même matériel mais de onzes improvisations différentes : c’est la confrontation du matériel connu à l’espace vierge de l’instant présent pour une performance improvisée qui semble favoriser l’apparition de nouveaux schèmes et ainsi développer la qualité propre du geste improvisé. L’adage selon lequel « c’est en improvisant qu’on apprend à improviser » peut trouver une explication à la lumière du concept de schème. Vladimir Jankélévitch fait état de cet aspect dynamique, inhérent à l’improvisation ainsi qu’au concept de schème : « L’improvisation est comme l’intellection bergsonienne qui comprend non point à partir du vide mais dans la plénitude préalable d’un schéma dynamique. »16 Si le geste improvisé se nourrit aussi bien d’éléments stables consolidés par le travail, que d’éléments inopinés avec lesquels il est difficile de spéculer, quand et comment l’erreur va t-elle s’exprimer ? II – L’improvisation et l’erreur A. Définir l’erreur Comment définir l’erreur ? Celle-ci semble revêtir plusieurs aspects et apparaître sous différentes formes. Elle peut être associée au jugement, à la faute, à l’imposture, à la terreur, à la loi, à l’institution. L’erreur peut s’opposer à la notion de bien, de bon, de vérité et de perfection. Elle génère fréquemment de la culpabilité mais est souvent justifiée par son caractère humain bien que ses conséquences puissent être d’une profonde inhumanité. Elle peut être considérée comme un produit de l’interdit, de l’échec, du désordre, ou bien comme un partenaire du progrès, comme une alliée sur le chemin de l’apprentissage, comme un outil pédagogique. Nous l’observerons à la lumière de notre propos qu’est l’improvisation 16 Vladimir JANKELEVITCH, LISZT, Rhapsodie et Improvisation, p.123. 13 musicale (jazz et musiques improvisées). En lien avec celui-ci, nous porterons également un regard sur son utilisation dans le domaine des « pédagogies de l’apprentissage »17. Le dictionnaire Le Grand Robert en 6 volumes définit le sens objectif de l’erreur de la manière suivante : « Erreur : Chose fausse, erronée par rapport à une norme. Différence par rapport au modèle ou au réel. »18 Jacques Fiard et Emmanuelle Auriac développent : « L’erreur se mesure apparemment à ses conséquences comme une « discordance » entre ce qui était prévu et ce qui s’est réellement produit. C’est la conjugaison des attentes et des conséquences qui permet d’attribuer à l’action un degré plus ou moins élevé d’erreur. (…). Le « zut » (…) est déjà l’indice émotionnel saillant que l’erreur est un hiatus entre une intention (celle du sujet) et une action (à la fois effective et évaluée pas le sujet). »19 Ces deux définitions font état d’un écart entre ce qui se produit et ce qui est attendu. Ce qui est attendu peut probablement s’exprimer de multiples manières. Dans le cadre de cette réflexion, nous considérerons que ce qui est attendu peut s’exprimer sous la forme de la normativité publique20 ou personnelle (intention)21. Que serait l’erreur si le prévisible et l’attendu n’existaient pas ? La disjonction entre le réel produit de l’action et l’intention lui étant affectée ne serait plus. Dans cet hypothétique contexte, ce qui se produirait -n’étant plus relié au caractère prévu ou attendu d’une situation- n’aurait plus lieu d’être en déphasage avec le réel. Il n’y aurait donc plus d’erreur. En ce sens nous pourrions considérer l’erreur en tant qu’objet conceptuel s’exprimant à travers « l’imprévu, l’inattendu » qui lui-même se définit relativement à « l’attendu, le prévu ». Néanmoins, s’il est possible qu’une action se produise hors d’un contexte normatif public, est-il possible d’envisager que celle-ci puisse être totalement dépourvue d’un caractère intentionnel ? L’attente « zéro » est elle humaine ? Une situation, telle qu’elle soit, ne revêt-elle pas un caractère officieusement normé ? B. Les visages de l’erreur dans la performance de l’interprétation Comme nous venons de le présenter, nous considérerons, dans le cadre de ce travail, deux contextes : L’erreur dans un contexte normatif publique En confrontant à l’interprétation les définitions que nous avons données de l’erreur, il est simple de visualiser l’interprète dérogeant au texte imposé par le compositeur au moment de l’exécution performative. Plus ce qui est attendu est rigoureusement normé, plus l’erreur pourra s’évaluer précisément en fonction du caractère plus ou moins respectueux de la norme. 17 Marguerite ALTET, Les pédagogies de l’apprentissage, Titre. Dictionnaire Le Grand Robert en 6 volumes, vol 3, p.157-159. Jacques FIARD & Emmanuèle AURIAC, L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire, p.95 et p.99. 20 La normativité publique fait référence à une œuvre musicale normée par un compositeur (type : sonate, concerto, thème be-bop, grille harmonique). 21 La normativité personnelle fait référence à l’intention du musicien ou à une norme officieuse que se donne un musicien ou un groupe de musiciens (interprète ou improvisateur). 18 19 14 L’erreur dans un contexte normatif personnel (intention) La présupposition d’atteindre un objectif, une cible, une réalisation est inhérente à l’intention. Celle-ci induit l’attente, la prévisibilité. Si le résultat de l’action n’est pas conforme à l’intention qui lui a donnée naissance, nous pouvons considérer qu’au moins une erreur s’est produite22. Néanmoins, il peut s’agir d’une expression plus subtile, moins «quantifiable» et plus difficile à évaluer que celle produite en lien avec le contexte normatif public23. Le degré plus ou moins élevé de l’erreur pourra s’évaluer en fonction des paramètres pouvant tenter de mesurer la disjonction entre l’intenté et le réel. Jacques Fiard l’exprime de cette manière : « C’est la conjugaison des attentes et des conséquences qui permet d’attribuer à l’action un degré plus ou moins élevé d’erreur. »24 Clément Canonne se positionne à propos de l’interprétation de la manière suivante : « Quand l’interprète est en situation de performance (le concert en constituant le paradigme), il exécute donc deux types : le type donné par la partition de l’œuvre exécutée ; et le type qu’il a élaboré lors de sa lecture de l’œuvre exécutée. Il faut noter toutefois que la lecture est un type second, car elle n’est type qu’en vertu de l’existence d’un type antérieur, l’œuvre lue. (…). En effet, on peut distinguer le type-œuvre du type-lecture par la publicité de leur normativité. La normativité de l’un (le type-œuvre) est inscrite dans un système de signes public (la partition) tandis que la normativité de l’autre est strictement privée. »25 Clément Canonne fait état de deux types d’interprétation dans le même temps de l’exécution performative de l’œuvre : l’exécution du « type œuvre » se rapportant à l’aspect normatif du texte du compositeur et l’exécution du « type-lecture » se rapportant à la manière qu’a l’interprète d’exécuter l’œuvre26. L’intention qu’a l’interprète d’exécuter l’œuvre selon la lecture qu’il en a faîte n’est pas nécessairement ce qui va se produire. Ce déphasage pouvant s’exprimer entre l’élaboration de sa lecture et son exécution peut en elle même constituer une erreur : le produit de la réalisation de l’action pouvant ne pas être en phase avec l’intention de celle-ci. Au cours de la même exécution, bien que le « typeœuvre » puisse être respecté, le « type lecture » peut ne pas l’être et révéler quelques erreurs. La qualité plus ou moins conforme, entre l’intention de réaliser la lecture que l’interprète s’est donnée de faire de l’œuvre, et l’exécution de cette lecture même, permettra d’évaluer le degré d’erreur de l’interprétation du « type-lecture ». Si au sein de l’exécution, l’interprète ne respecte pas le tempo ou le phrasé qu’il s’est intenté dans sa lecture, il pourra les considérer comme des erreurs. Néanmoins, Clément Canonne les nomme « accidents »27 car contrairement aux erreurs rédhibitoires de « type-œuvre », les accidents ont potentiellement un devenir. Elles peuvent être de qualité supérieure aux intentions de la lecture et 22 Au sens où il y déphasage entre ce qui est attendu et ce qui se produit réellement. En prenant comme référence de texte normatif publique l’aspect figé de la partition (lied, sonate, concerto). 24 Jacques FIARD & Emmanuèle AURIAC, L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire, p.95 et p.99. 25 Clément CANONNE, «Quelques réflexions sur Improvisation et Accident», Agôn [En ligne], Dossier N°2 : L'accident, L'Aléatoire, mis à jour le : 14/12/2009, 23 URL : http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=1041 26 27 Contexte normatif personnel. Clément CANONNE, idem note 23 15 constituer de nouveaux schèmes réutilisables au cours d’ultérieures exécutions musicales28. Dans le temps irréversible de la performance et à la lumière de la définition de départ, les termes d’« accidents » et d’« erreurs créatives »29 peuvent être assimilés. Nous réserverons le terme d’erreur à la situation normative publique rigoureuse (notation précise de la partition, texte). Il est intéressant de comparer la nature des « accidents » qui se produisent dans cet espace d’exécution de « type lecture » et les onze improvisations de John Coltrane sur Giant Steps faisant état de phrases différentes avec/sur le même matériel musical. L’imprévu30 semble prendre une place systématique dans la dimension performative de l’acte musical. Néanmoins, celui-ci s’exprimerait davantage sur des éléments prévus et connus pour l’exécution de l’interprétation. Dans le cadre de la performance improvisée de John Coltrane, il s’exprimerait davantage avec du matériel connu. L’imprévisibilité dans le contexte de l’improvisation idiomatique de Coltrane s’exprime dans la conception même du geste improvisé tandis que celle de la performance interprétative sur la manière d’exprimer l’agencement du texte, qui lui, est fixe. Notons que les expériences « accidentelles» de l’interprétation de « type lecture » pourraient s’apparenter à une « improvisation de l’interprétation » presque au même titre que les onze improvisations de Coltrane utilisant le même matériel musical. A propos des fluctuations interprétatives du « type-lecture » et en s’appuyant sur la définition du terme « accident » donné par Clément Canonne, il serait possible d’affecter à l’interprétation même de l’œuvre, un caractère inventif et improvisé. C. L’erreur dans la pratique de l’improvisation de l’idiome du jazz Si l’erreur, dans le contexte de l’interprétation est rédhibitoire et n’a pas de devenir31, a t-elle son équivalent dans la performance improvisée de l’esthétique jazz ? En aparté, notons que la liberté d’interprétation dépend aussi de l’œuvre elle-même. Le thème Be Bop, Donna Lee, de Charlie Parker construit sur un débit de croche à un tempo rapide permet moins de liberté d’interprétation qu’un standard comme All the things you are, de Jérôme Kern construit sur des valeurs longues à un tempo medium. Dans la musique savante occidentale, la comparaison du concerto pour clarinette de Mozart avec les Sequenza de Berio permet de constater cette même variabilité de liberté interprétative. Qu’en est-il de l’improvisation ? Figure n°2 : Comparaison du début des thèmes, Donna lee et All the things you are 28 Ce qui n’est pas envisageable pour une erreur de « type-œuvre ». Plus précisément : erreur potentiellement créative. 30 Conceptualisé en accident ou erreur et qui n’existe que relativement au prévu. 31 Contrairement à l’« accident » ou « erreur créative ». 29 16 1. Quels types d’erreurs ? Quels types d’erreurs peut on rencontrer au sein d’une improvisation ancrée dans l’idiome du jazz ? A l’instar de l’erreur normative publique du musicien interprète, les erreurs rédhibitoires du musicien de jazz improvisateur existent. Rappelons que la forme temporelle et la trame harmonique de la grille sont les deux éléments qui, dans l’idiome du jazz, sont le plus souvent fixes. En ce sens ils peuvent se comparer à l’œuvre du compositeur fixée sur la partition. Une mauvaise connaissance de ces éléments peut être considérée comme une erreur de type rédhibitoire. Un musicien qui ne connaît pas la grille, cela s’entend. Le déphasage rythmique par rapport au tempo central du collectif32, ainsi que les phrasés inappropriés peuvent également être considérés comme des erreurs du même type. Cependant, en improvisation, l’erreur est souvent d’une autre nature que celle commise par l’interprète. Elle se situe sur un autre plan. Il s’agit plutôt d’un manque de cohérence dans l’articulation des idées du discours improvisé, d’un manque de propositions musicales suscitant l’interaction avec les musiciens de l’orchestre, d’un solo qui s’épuise par trop de bavardage ou manque de consistance émotionnelle, d’une absence de swing et de danse intérieure, d’un manque de fraicheur et de spontanéité dans les idées, d’une faible prise de risque. 2. « Do not fear mistakes.There are none »33 Christian Béthune, dans l’émission de radio Les nouveaux chemins de la connaissance cite le trompettiste Dizzy Gillespie qui donne son point de vue sur la question de l’erreur : « Quand tu fais une erreur, répète la plusieurs fois. Tout le monde pensera que c’était intentionnel. Elle ne s’entendra pas en tant que telle. »34 Il cite également le pianiste Art Tatum à propos de la même question et dont le point de vu résume une attitude très courante parmi les improvisateurs : « Une fausse note, en fait, cela n’existe pas ; tout dépend de ce qui vient après. Si tu continues de jouer tu retomberas nécessairement sur une note de l’accord. »35 Ces deux citations font écho à ce que disait Miles Davis à propos de l’erreur (cf. titre du paragraphe). La contrainte normative du musicien improvisateur dans le cadre de l’idiome du jazz peut s’avérer être parfois aussi stricte et rigoureuse que celle de l’interprète36. L’erreur selon notre définition de départ se produira lorsque la production ne sera pas en phase avec l’intention de l’improvisateur. Peu en importe la raison, qu’il s’agisse d’un geste incontrôlé ou bien d’une distraction. Néanmoins, si cet écart que Clément Canonne nomme « accident »37 n’altère pas le texte du compositeur dans le cadre de 32 Etre en phase avec le tempo central du collectif constitue un point névralgique dans le fait que la musique swing ou pas. Citation attribuée à Miles DAVIS, source originelle non renseignée. 34 Dizzy GILLESPIE, cité par Christian BETHUNE, Les Nouveaux Chemin de la connaissance, animé par Raphael ENTHOVEN (France culture, jeudi 9 février 2011, 33 citation à 4 minutes et 30 secondes). 35 Art TATUM, cité par Christian BETHUNE, Les Nouveaux Chemin de la connaissance, animé par Raphael ENTHOVEN (France culture, jeudi 9 février 2011, citation à 4 minutes et 42 secondes). 36 37 Contrainte harmo-rythmique de la grille en référence à un style précis (grille de Body and Soul par exemple, fréquence harmonique de 2 accords par mesure). Erreur de « type-lecture ». 17 l’interprétation, l’interprète dispose d’une marge d’erreur plus restreinte que celle de l’improvisateur. Ce dernier, ayant le plus souvent à respecter un texte38 plus souple que celui de l’interprète, dispose d’un espace plus vaste pour « l’accident »39. Le texte de la grille harmonique est plus permissif que celui du concerto. Aussi, une note hors de l’harmonie qui pourrait se comparer à une erreur rédhibitoire de « type œuvre » chez l’interprète, n’est qu’un « accident » ou une « erreur créative » pour le musicien improvisateur. L’écart au texte harmonique de la grille n’est pas nécessairement vécu par le musicien improvisateur comme une erreur. Comme si le réel de la production de l’instant primait sur le reste. Pour illustrer ce propos, notons en exemple que l’interprétation du mouvement lent du concerto pour clarinette de Mozart, ne supportera pas d’écart au texte, tandis qu’une note hors de l’harmonie sur la grille du standard Body and Soul, dans le cadre d’un discours improvisé ne sera pas nécessairement considérée comme une erreur. Les témoignages cités ci-dessus nous invitent d’ailleurs à considérer ces écarts comme des « erreurs créatives » ayant de toutes façons un devenir heureux. De plus, même si ce qui n’est pas nécessairement voulu peut être à chaque fois bien résolu, ce qui se produit peut s’avérer être d’une plus grande justesse que l’intention de départ. C’est là une grande force de l’improvisation, et de l’erreur. En schématisant nous avons trois cas de figure : l’intention de l’improvisateur est en phase avec la production réelle. Il n’y a donc pas d’erreur. La deuxième configuration est la suivante : l’intention n’est pas en phase avec la production réelle de l’improvisateur mais la résolution est heureuse40, même si la qualité globale du rendu est inférieure à l’intention de départ de l’improvisateur. Enfin, l’intention n’est pas en phase avec la production, la résolution toujours heureuse mais de qualité supérieure à l’intention de départ de l’improvisateur. En référence aux cas de figure cités ci-dessus, T.Carl Whitmer illustre l’erreur dans sa positivité à l’oeuvre : « Une erreur peut toujours involontairement se révéler positive. »41 La position de Jacques Siron abonde en ce sens, en conférant à l’erreur son caractère toujours juste : « Une erreur ne peut être qu’une justesse non intentionnée ; ce qui apparaît comme faux n’est peut être que quelque chose de juste qui n’a pas été décidé. »42 En tant qu’improvisateur, ces erreurs sont pour ma part des occasions de se dépasser, de produire quelque chose au-delà de ce que je présuppose pouvoir jouer et de faire des découvertes qui n’auraient pas lieu autrement. Plus que positives, je qualifie ces erreurs de précieuses. 38 La grille harmo-rythmique. Que je nomme aussi « erreur créative ». 40 cf. citations Miles Davis, Art Tatum, Dizzy Gillespie. 41 T.Carl WHITMER cité par Derek BAILEY, L’improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, p.151. 42 Jacques SIRON, La partition intérieure, p.87. 39 18 D. L’erreur dans la pratique collective de l’improvisation non idiomatique C’est plus particulièrement à partir de la rencontre avec quatre musiciens qui pratiquent l’improvisation non idiomatique43 que j’aborderais la question de l’erreur dans ce contexte spécifique. Les musiciens sont Noel Ackchoté guitariste, Jean Luc Cappozzo trompettiste, Soizic Lebrat et Didier Petit violoncellistes. Les rencontres ont chacune duré en moyenne 1h15. Elles se sont toutes déroulées sous la forme d’un entretien à partir d’un questionnaire ouvert. J’ai posé la question44, écouté les témoignages et expériences, et, le cas échéant, recadré le propos lorsque celui-ci faisait l’objet de digressions trop éloignées de la question. Je présenterai deux types de situations liées à la pratique collective de l’improvisation libre : la pratique de l’improvisation au service de l’écriture plurielle, d’une part, et la pratique de l’improvisation comme rencontre à travers la performance, d’autre part. 1. La pratique de l’improvisation au service de l’écriture plurielle La pratique de l’improvisation peut être un outil au service de la composition collective. A la manière dont on donne une tâche à faire à un danseur dans une pratique improvisée (balayer, offrir un bouquet de fleur, nager) chacun des protagonistes de la composition collective peut explorer à tâtons, par la pratique de l’improvisation un thème constituant un des axes du projet de création. Les erreurs se présenteront rétrospectivement en fonction des attentes de chacun (ou de l’attente globale qui émerge du collectif) et de la production de la pratique improvisée en question. L’erreur, selon notre définition, sera l’écart entre ce que produit l’improvisateur et l’attente collective émergente à propos du thème. Ces écarts permettent aux membres du projet de se rapprocher à tâtons des attentes compositionnelles de la création. Cette pratique peut s’effectuer au sein d’une même ou de différentes disciplines (danse, musique, théâtre, peinture). Soizic Lebrat l’évoque en tant que « Pratique de l’improvisation au service de l’écriture plurielle »45. Cette pratique présente de l’intérêt dans la rencontre de plusieurs disciplines. Via l’improvisation, et en dépassant les langages spécialisés de chacune d’elle, un échange créatif devient possible. Chaque protagoniste de chaque discipline investit ses compétences au service d’un choix artistique commun. Pratiquer l’improvisation à propos d’un thème (l’amour, le feu, l’eau, la violence) pour construire une création dans sa totalité ou bien l’articulation de certaines scènes partiellement fixées, est un excellent outil. Pour avoir composé à plusieurs reprises pour le théâtre46, cette méthode s’est avérée à chaque fois être opérante. 43 Souvent qualifiée d’improvisation libre, l’improvisation non idiomatique ne s’inscrit dans aucun langage ou idiome stylistique. Quel statut pour l’erreur dans la pratique collective de l’improvisation libre ? 45 Rencontre avec Soizic Lebrat, 13 juillet 2011, Nantes. 46 La Maison de Bernarda Alba de Federico GARCIA LORCA, Saint Augustin de Rabah LOUCIF, ou d’autres contes pour enfants. 44 19 2. La pratique de l’improvisation libre, comme rencontre à travers la performance a. Généralités Cette pratique prend forme à partir de l’instant où au moins deux sujets, issus de la même discipline ou non, se rencontrent pour une performance improvisée. Il s’agit de rencontrer des personnes, dont on n’appréhende pas bien le discours artistique, de manière à expérimenter l’improvisation par le biais de la performance. Sans se détourner de sa propre discipline, l’intérêt de performer avec un artiste d’une autre discipline crée des situations qui dépassent nos cadres mentaux habituels et nous poussent à être dans une réelle dynamique d’improvisation : « Qu’est-ce que je fais avec ce que j’ai, ici et maintenant, dans cette situation non préparée ? ». Soizic Lebrat attribue à cette pratique une qualité relationnelle : « La performance nous permet de tester la rencontre, à laquelle nous avons donné un espace et un temps. »47 Pour illustrer partiellement ce type de rencontre non préparée, j’ai eu l’occasion de performer en duo piano/saxophone avec des danseurs de claquettes dans un café parisien du quartier de Montmartre. Qu’advient-il de l’erreur à la lumière des performances exemptes de tout formalisme ? Ce dernier permet d’évaluer la réussite de la performance notamment en fonction des erreurs normatives qui lui sont associées. Denis Levaillant relève l’impasse du formalisme dans le cadre de la performance improvisée : « Cette forme d’improvisation vue sous l’angle de la performance aide à mieux comprendre l’impasse du formalisme. »48 Le fait de performer en dehors de tout formalisme exclut la question de l’erreur liée à la dimension normative du formalisme donné. L’erreur ne se réduirait donc plus qu’à la disjonction entre l’intention de l’action et le résultat de celle-ci. Cependant, même si ces erreurs existent de fait, elles ne sont plus des références sur lesquelles s’appuyer pour qualifier et évaluer la réussite de la performance : un musicien peut ne faire qu’une suite d’erreurs et convaincre par la qualité de sa performance ; à l’inverse il peut n’en commettre aucune et laisser son auditoire indifférent. Jusqu’à quel point formalisme et improvisation peuvent-ils être compatibles ? L’improvisation est-elle, au sein d’un formalisme qui s’est établi, un jeu grammatical incommensurable mais qui au fond ne crée rien49, ou bien est-elle viscéralement destinée à ne s’exprimer qu’en rupture avec l’aspect normatif du formalisme en question ? A la lumière de l’improvisation et de la créativité, toute rupture avec un système établi ne tend-elle pas à entrer à posteriori dans un nouveau formalisme ? Charlie Parker et les autres pionniers du jazz des années 40 sont « allés ailleurs » avant que ne s’établisse le système de l’esthétique du Be Bop ; Cecil Taylor, Ornette Coleman sont « allés ailleurs » avant que leur style ne soit référencé en tant que Free Jazz ; Webern, Berg et Schoenberg sont « allés ailleurs » avant que leur système ne se définisse en tant que musique sérielle et dodécaphonisme. Tous les nouveaux systèmes se sont créés en rupture avec la normativité du formalisme antérieur. En tant que disjonction ou rupture avec la normativité d’un système, il est possible de considérer la naissance d’un nouveau système comme provenant de l’erreur. A l’instar 47 Rencontre avec Soizic Lebrat, 13 juillet 2011, Nantes. Denis LEVAILLANT, L’improvisation musicale, p.187. 49 Les onze chorus de John Coltrane sur Giant Steps. 48 20 de ce qu’affirme Steve Lacy dans l’ouvrage de Denis Levaillant, le système s’écrit toujours a postériori : « Il faut habiter tous les systèmes pour aller ailleurs, les bons musiciens indiens connaissent tous les secrets les plus délicats, les rythmes les plus complexes, mais quand ils jouent, ils vont ailleurs, hors de tous les systèmes, autrement ce ne sont pas de bons musiciens. La bonne musique est toujours ailleurs : le système, on l’écrit toujours après.»50 En ce sens l’improvisation n’est qu’erreur, son essence étant d’ « aller ailleurs » donc d’être nécessairement en rupture avec toute normativité, tout formalisme, tout système. Aller ailleurs pour découvrir et construire un nouveau système et perpétrer ce cycle interminable de rupture et de création. b. La question de l’énergie et de l’engagement. L’engagement du musicien, qui peut s’évaluer en fonction du flux énergétique que celui-ci dégage à travers ce qu’il joue est un point central de l’acte musical dans sa dimension performative. Même si cette question se pose pour l’interprète, elle reste primordiale chez le musicien improvisateur qui n’est pas -ou moins- contraint par le texte. La manière de faire devient au moins aussi importante que ce qui est fait, d’autant plus si ce qui est produit n’est pas prédéfini : l’acteur et l’objet de l’action se confondent davantage dans le cas de l’improvisation que dans celui de l’interprétation, où l’objet de l’action est défini par le compositeur. Dans l’improvisation musicale libre, le flux énergétique individuel et collectif est un paramètre à considérer pour évaluer la qualité de la performance. Une note fausse, jouée hors du diapason, peut être perçue comme une erreur moindre qu’un manque de présence et d’engagement. c. La question du choix : une responsabilité individuelle au service du collectif ? Quelle attitude adopter ? Comment évaluer la validité et la qualité de la performance dans ce cadre particulier où rien n’est vraiment prédéfini ? Quels peuvent être les types d’erreur ? Didier Petit lors de notre rencontre a insisté sur ce constat : « Dans la musique improvisée c’est l’expérience qui prime. »51 L’expérience, le réel, ce qui se produit a la primauté sur tout autre élément (les attentes du publique, les attentes des musiciens, les éléments éventuellement prédéfinis comme axes autour desquels se pratique l’improvisation collective). L’expérience prime, comme une sélection naturelle qui laisserait émerger ce qui doit être, qui ferait place à ce qui doit être joué. « La question qui se pose est celle de l’attente »52, ajoute Didier Petit. Comment se placer en fonction de ce qui se passe et de ces attentes ? S’agit-il de jouer avec l’autre, contre l’autre, à côté de l’autre ? Doit-on être dans la réaction, l’indifférence ou la neutralité ? Tous ces cas de figure semblent possibles. Soizic Lebrat dit ne pas se poser la question de la politesse quand elle est en situation de performance. Elle joue ce qui pour elle doit être joué indépendamment du degré de contentement des co-improvisateurs. Au contraire, Jean Luc Cappozzo dit être soucieux de l’état des partenaires avec lesquels il joue et des conséquences de sa production sonore Steve LACY, cité par Denis LEVAILLANT dans L’improvisation musicale p.268. Rencontre ave Didier Petit, 17 mai 2011, Paris. 52 Idem note 47. 50 51 21 sur les autres musiciens53. La bonne attitude, le bon ou mauvais placement, l’erreur semblent être des considérations qui n’ont pas lieu d’être pour Noel Ackchoté qui place l’improvisation d’abord et seulement en tant que pratique : « Avant tout, l’improvisation est une pratique ; chacun fait des choix et les assume. La pratique de l’improvisation n’est pas destinée à une quelconque réflexivité. C’est avant tout une pratique. »54 A propos de l’ensemble ARFI55 dont fit parti Jean Luc Cappozzo, Louis Sclavis56 se positionne sur la question du choix : « En concert, momentanément, il peut y avoir leadership mais nous comptons la plupart du temps sur la concentration commune. Si des choix différents sont proposés, la musique devient le résultat de ces discours parallèles. S’il y a une censure des uns par rapport aux autres, elle est là pour conserver le plaisir, la fraîcheur. »57 Après avoir présenté le geste improvisé et l’erreur en s’appuyant sur des témoignages, des définitions théoriques et du matériel musical, nous observerons des expressions de l’erreur dans le contexte de l’improvisation à partir d’une expérience pédagogique. III - Une expérience pédagogique de l’erreur A. L’expérience menée (en 3 phases) Cette année, avec une même élève, j’ai mené sur plusieurs semaines une expérience pédagogique en lien avec la question de l’erreur, dans trois situations différentes : une situation de mémorisation et de restitution sans partition d’une musique écrite ; une situation de pratique de l’improvisation non idiomatique ; enfin, une situation d’improvisation ancrée dans l’idiome du jazz. L’élève est une femme de 48 ans. La clarinette est son deuxième instrument. L’élève a pratiqué le piano pendant sept années au cours de son enfance. C’est la troisième année que j’accompagne l’élève pédagogiquement 1. Phase 1 : Mémorisation d’un thème Nous avons travaillé pendant trois semaines l’étude n° 4 du recueil Jazz Attitude58 avec la partition : travail de lecture, de mise en place Figure n°3 : 8 premières mesures de l’étude n°4 du recueil Jazz Attitude rythmique, de phrasé, d’accélération du tempo. Il s’agit d’une structure de 24 mesuresA1BA2. Au bout de quelques semaines l’élève étant à l’aise dans la restitution musicale avec partition, je lui propose d’essayer de jouer cette musique sans partition. Nous construisons ensemble ce travail de mémorisation. Le travail s’effectue à tâtons à partir d’un élément du 53 Rencontre avec Jean-Luc Cappozzo, 30 juin 2011, Tours. Rencontre avec Noel Ackchote, 17 mai 2011, Paris. 55 Association à la recherche d’un folklore imaginaire, fondée par une vingtaine de musicien lyonnais désireux de promouvoir l’expression improvisée. 56 Louis Sclavis est clarinettiste, saxophoniste, compositeur de jazz et improvisateur français de renommée internationale. J’ai eu l’occasion d’étudier et de pratiquer avec lui lors d’une Master Class à l’école nationale de musique d’Evry (91) en 2002. 57 Louis SCLAVIS, cité par Denis LEVAILLANT dans L’improvisation musicale, p.214. 58 Jean-Marc ALLERME, Jazz Attitude, 40 études jazz faciles et progressives, H.Lemoine, étude n°4, p.7. 54 22 début de l’étude que peut restituer l’élève sans la partition. Tout au long de ce travail de mémorisation, je joue l’accompagnement de l’étude au piano. Nous procédons par séquences de deux mesures. Notons que chaque séquence de deux mesures du A possède un élément musical récurrent, ce qui facilite probablement le processus de mémorisation. Nous nous arrêtons aux endroits où l’élève ne parvient pas à restituer de mémoire. L’élève regarde sur la partition, photographie l’élément qui lui manque avant de réinitialiser la restitution de mémoire. Ces moments d’arrêts sont l’occasion pour moi de lui rappeler que le thème est construit sur des éléments identiques récurrents sur lesquels elle doit s’appuyer pour faciliter le processus de mémorisation en identifiant les zones de différenciation. 2. Phase 2 : Jouer sans partition une musique à inventer (pratique collective de l’improvisation non idiomatique) En tant qu’enseignant je propose à l’élève une pratique collective d’improvisation libre : l’élève joue de la clarinette, l’enseignant joue du piano. Voici le déroulement de l’expérience : L’enseignant : « Je te propose une pratique musicale où la seule consigne est qu’il n’y a pas de contrainte particulière : pas de contrainte formelle, rythmique, de tempo, de tonalité, de modalité… La seule consigne est qu’il n’y a aucun paramètre contraignant si ce n’est de faire ce que tu veux, ce que tu choisis de jouer. Il se peut que je joue aussi et que je te rejoigne à un moment dans ce que tu es en train de jouer, ou bien que ce soit l’inverse. » Silence L’élève : «…Oui je veux bien essayer mais qu’est ce que je fais ? » Je lui rappelle la consigne. L’enseignant : « Tu joues ce que tu veux, c’est toi qui choisi. » L’élève devient très gênée, ne semble pas du tout à l’aise. Elle commence par jouer un son puis reste bloquée sur ce son. Elle s’arrête de jouer et… L’élève (ne pouvant plus contenir sa gêne) : « Ah vraiment, je ne comprends pas du tout ce que je dois faire, ça me déstabilise complètement…non je ne comprends pas ! » Voyant que la situation la paralyse, je lui propose par l’exemple, des manières de faire. Je ramène la pratique libre à une situation davantage porteuse de sens, en la délimitant à une échelle finie (mode de sol mineur). Je joue et chante des motifs simples sur ce mode. Je lui propose alors de les répéter puis lui demande d’en proposer un à son tour. Ce jeu prend forme, avec l’aspect ludique qu’il comporte, et met fin à la situation bloquante. Un lâcher prise s’opère et l’élève réussit à avoir accès à des schèmes qu’elle ne parvenait pas à utiliser auparavant. 23 3. Phase 3 : Pratique de l’improvisation ancrée dans l’idiome du jazz La pratique de l’improvisation non idiomatique permet à mon sens d’éveiller et de développer l’inventivité et la créativité. Elle peut être une pratique en soi, en tant qu’esthétique propre (free jazz par exemple), mais peut aussi être un excellent outil pour développer l’aspect inventif du geste improvisé au service d’un idiome. Pratiquer l’improvisation libre, seul, en en faisant varier différents paramètres est une excellente préparation à la performance improvisée ancrée dans l’idiome du jazz. C’est pourquoi, après ce travail de mémorisation et de pratique d’improvisation libre, nous abordons l’improvisation idiomatique sur une composition de George Gershwin : Summertime. L’objet du travail est d’appréhender l’improvisation dans un cadre formel strict. De la même manière que pour la mémorisation et la pratique de l’improvisation non idiomatique, le travail se fait par tâtonnement (essai et erreur). La contrainte supplémentaire étant d’inscrire la musique dans un cadre harmo-rythmique précis. Dans ce cas, après avoir ensemble exploré librement différentes échelles avec lesquelles il est possible d’improviser sur ce thème59, et avoir proposé personnellement à l’élève des modèles de phrases dont elle pouvait s’inspirer, je lui demande d’essayer d’inventer des cellules musicales au sein de l’élément « mesure », et de construire une improvisation sur l’ensemble de la grille en suivant ce principe. Nous débutons le travail ensemble puis l’élève le continue chez elle. La première semaine, l’élève apporte un travail sur 4 mesures où les phrases ne s’inscrivent pas correctement dans la carrure de la mesure. Après quelques conseils, apports personnels, et de nouveaux essais en cours, l’élève apporte la semaine suivante un chorus écrit de 12 mesures qui fonctionne et qu’elle joue de mémoire. L’élève semble prendre plaisir à pratiquer cet exercice créatif. La semaine suivante, elle joue de mémoire une autre grille de chorus qu’elle a écrite. Elle me confie quelque temps après que ce travail de mémorisation et d’inventivité lui donne le sentiment d’être davantage musicienne que quand elle joue sur partition. Elle surenchérit, en précisant que, ce qui lui reste d’ailleurs de son apprentissage du piano au cours de son enfance -au sens où elle est capable de le restituer aujourd’hui est la musique qu’elle a mémorisée à l’époque. B. Le bilan (en 3 phases) 1. Phase 1 : Mémorisation La mémorisation s’est faite à tâtons (essais et erreurs) à partir de l’élément connu du début du thème. Celle-ci a été beaucoup plus rapide que je ne le pensais et que l’élève ne le supposait. L’élève connaissait la majorité des phrases. Sa mémoire faisait défaut en fin de phrase, souvent au niveau des éléments correspondant à la différenciation (mesure 4 et 8). La mémorisation des A a été plus rapide que celle du 59 Les différents modes mineurs de sol et la gamme de sol blues. 24 B. En 25 minutes l’élève a restitué l’étude qu’elle croyait devoir apprendre en un temps plus long, comme je le pensais aussi. 2. Phase 2 : Improvisation non idiomatique Le fait de placer l’élève dans une situation totalement inconnue, a généré un blocage. Il a fallu revenir à une situation connue et limitée pour que l’expérience devienne fertile. L’expérience nous montre que c’est très probablement le caractère nouveau de la situation qui est bloquant dans un premier temps, plus que l’incapacité présupposée de l’élève à produire ce qui lui est demandé. Par tâtonnement (essai et erreur) aussi bien de la part de l’élève que de la mienne (ajuster les exigences de l’expérience à la situation concrète), l’enjeu majeur de placer l’élève dans une situation de pratique collective d’improvisation non idiomatique est devenu opérant. 3. Phase 3 : Improvisation idiomatique Malgré une difficulté au départ à inventer dans un cadre formel strict et précis, l’élève s’y habitue et y parvient, par tâtonnement (essai et erreur), et ce, de plus en plus rapidement. De plus, elle y prend plaisir jusqu’à développer une autonomie et une production inattendue, de sa part comme de la mienne. C. L’Interprétation (de l’expérience en 3 phases) 1. Phase 1 : Mémorisation La raison pour laquelle la mémorisation totale a été plus rapide que prévue est à mon sens parce que celle-ci s’est en partie faite au fil du travail sur partition, sans que l’élève n’en soit pleinement consciente. En lui ôtant le texte des yeux, l’élève s’est remémorée l’élément travaillé, et s’est aperçue qu’elle en savait davantage qu’elle ne le présupposait. La mémorisation des A a été plus rapide que celle du B, probablement dû à la présence d’éléments musicaux récurrents sur les A, qui sont moins évidents sur le B. Il est intéressant de constater, à l’instar de cette situation que nous savons souvent davantage que ce que nous croyons savoir. C’est un point important dans l’improvisation, lié à la confiance en notre capacité d’accès à nos schèmes et d’adaptation à la situation de l’instant. Développer la capacité d’accès aux informations que nous possédons est au moins aussi important que l’information elle-même. Si cette capacité peut s’appliquer à des cadres dépassant notre propos, elle reste prépondérante dans la performance improvisée et débute par le processus de mémorisation. 2. Phase 2 : Improvisation non idiomatique La situation n’est pas porteuse de sens pour l’élève, et pour cause, elle lui est inconnue. En effet, l’élève ne s’est jamais trouvée dans cette configuration ; aussi elle ne semble pas réussir à trouver de réponse adaptée à cette situation. En lien avec le bilan de cette expérience, Jacques Fiard exprime une des 25 manières de formuler la genèse de l’erreur en référence à l’école piagétienne : « L’accès en mémoire des outils cognitifs ou des réponses engrammées, qui, d’ordinaire est d’autant plus aisée que les réponses sont fréquentes ou opérantes, ne se fait pas ou se fait mal. L’erreur guette alors et surprend le sujet. »60 D’une part, « l’accès en mémoire des outils cognitifs » de l’élève « ne se fait pas ». Par manque de confrontation à ce genre de situation, l’élève ne parvient pas à utiliser des schèmes antérieurement appris en les différenciant et/ou les coordonnant à la situation présente. Ayant toujours été habituée à produire ce que le texte lui imposait, même si elle dispose d’un matériel musical potentiellement présent, elle ne parvient pas à l’utiliser dans la situation de l’instant. S’il est possible de parler d’erreur, il s’agirait de son caractère le plus élémentaire : rien n’est produit par l’élève par manque total d’accès en mémoire des outils cognitifs. D’autre part, « l’accès en mémoire des outils cognitifs » de l’élève « se fait mal ». En réitérant la pratique plusieurs fois, l’accès aux schèmes de l’élève se fait, des idées musicales récurrentes sont jouées, de nouveaux schèmes apparaissent. Néanmoins, l’élève ne gère pas bien les situations critiques, les changements de climat et de rythme que je lui propose par le jeu au piano. Ayant été peu confrontée à ce genre de pratique, des erreurs sous formes d’hésitations, de manque d’engagement, de choix, de vocabulaire, s’entendent. Même si chacun peut se trouver en situation d’être surpris, perdu ou hésitant, le musicien expérimenté saura gérer ces erreurs sans que cela ne s’entende en tant que tel. Pour la simple raison d’avoir été maintes et maintes fois confronté à ces situations expérientielles d’improvisation libre et d’avoir appris à s’y adapter plus qu’à y répondre de manière conditionnée. 3. Phase 3 : Improvisation idiomatique Dans cette construction de nouveaux schèmes, si l’équilibre tend à se faire lentement au début de cette nouvelle pratique (construire une cellule musicale au sein de l’élément « mesure ») celle-ci s’accélère au fil des semaines, ce qui est signe que le nouveau paramètre est en phase d’intégration. Nous avons donc joué dans sa globalité le thème ainsi que les deux grilles que l’élève avait mémorisées. Néanmoins, la confrontation de ce que l’élève a écrit à la situation expérientielle fait état de quelques obstacles. Des erreurs qui s’expriment par manque de coordination ou différenciation des schèmes en adaptation avec la situation, se produisent. Ces erreurs sont de type : arrêt de la performance, blocage sur une note, perte dans la forme. La pratique de l’improvisation ancrée dans l’idiome du jazz ne permet pas de « placer » à tout prix une phrase musicale apprise. Ces erreurs de différenciation et de coordination avec la situation expérientielle montrent que l’élève n’a pas encore développé cette capacité adaptative du schème à la situation. Probablement par manque de matériel et de confrontation à l’expérience. Néanmoins ces erreurs 60 Jacques FIARD & Emmanuelle AURIAC, L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire, p.118. 26 sont primordiales, car ce sont elles qui permettent progressivement de développer une capacité adaptative de plus en plus rapide à la situation. Dave Liebmann61que j’ai rencontré lors de plusieurs Master Class reconnait se perdre fréquemment dans la forme. A l’inverse des musiciens moins expérimentés, il se recale rapidement de sorte que cela ne s’entend pas. De la même manière, il reconnait ne pas réussir à produire systématiquement dans l’instant ce qu’il entend. Il commet donc des erreurs : des écarts entre son intention et sa production. Néanmoins, comme beaucoup d’improvisateurs expérimentés, il s’est habitué et entrainé à ce que tout puisse s’élever, n’importe quand. L’imprévu et l’erreur ne posent plus réellement de difficultés. L’adaptation à la situation est telle que l’imprévu fait pleinement partie de la pratique et du jeu. D. Généralisation et remarques La manière dont se sont articulées ces expériences pédagogiques, par essais successifs, peut se formuler, à la lumière des apports pédagogiques de Jean Piaget, de la façon suivante : « Il est évident que tous les apprentissages par essais et erreurs (ou tâtonnements) supposent des régulations en boucle telles que le résultat de chaque essai réagisse sur les suivants par action en retour sur leur point d’origine, et avec anticipation progressive des succès ou des échecs. (…). L’apprentissage par tâtonnement ou essais et erreurs n’est pas autre chose que la construction progressive d’un schème mais par étapes ou régulations successives telles que le résultat de chaque action modifie la suivante en sens positif ou négatif. »62 C’est souvent davantage la peur de l’erreur, plus que l’erreur elle-même, qui est redoutée et sujette à évitement. Ce sont les affects tels que la peur, le jugement, la honte ou la culpabilité, qui lui sont, trop souvent à tort associés, et qui en font un objet à éviter. Pratiquer avec l’erreur au sein du cours permet à mon sens d’en amoindrir son caractère négatif et de s’y habituer, avec l’élève, comme faisant pleinement partie du processus d’apprentissage. Libérer l’erreur de l’affect bloquant qui lui est associé est le meilleur moyen d’en apprécier sa véritable nature, une alliée sur le chemin de l’apprentissage. A la lumière de notre propos pédagogique, il est également intéressant de la dissocier de la faute, qui elle, peut être définie comme une erreur dans le contexte précis de l’évaluation. Dans tout processus d’apprentissage, l’erreur devrait pouvoir disposer d’un espace incommensurable pour pouvoir se produire, de manière à ce que celle-ci, soumise au jugement dans le cadre de l’évaluation, puisse le plus souvent être évitée. 61 62 David Liebmann est un saxophoniste américain de renom international, d’influence coltranienne, et ayant joué aux côtés de Miles Davis. Jean PIAGET cité par J.FIARD et E.AURIAC dans L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire, p.117. 27 Conclusion Bien que notre étude ait plus spécifiquement investi le domaine musical, nous avons tenté de définir l’improvisation en utilisant le terme de geste improvisé de manière à ce que les définitions puissent trouver un caractère généralisable et transposable à toute discipline. Le premier élément indissociable du geste improvisé est bel et bien la virginité de l’instant présent au sein de l’irréversibilité du temps qui passe. C’est dans cet intervalle circonscrit par un passé immédiat et un avenir imminent que s’inscrit la performance du geste. L’autre élément qui lui confère son caractère réellement improvisé est lié à l’imprévu. Le geste est improvisé aussi parcequ’il possède cette faculté de jouer avec l’imprévu, de l’insérer pleinement dans la production de l’objet sonore. De ce fait, travail et improvisation ne sont donc pas en opposition, mais plutôt complémentaires. L’imprévu, cette disjonction entre le réel et ce qui a été prévu est une des définitions que nous avons données de l’erreur. Nous pouvons donc affirmer qu’elle n’est pas dissociable du geste réellement improvisé puisque celui-ci compose avec l’imprévu. Par ailleurs, en tentant de définir le geste improvisé et en confrontant l’erreur à différents contextes (interprétation et improvisation), celui-ci semble dépasser les clivages représentés par les statuts de compositeur, d’interprète et d’improvisateur. Nous avons pu remarquer que « le compositeur » et « l’interprète » pouvaient faire preuve de gestes au caractère improvisé et que « l’improvisateur » pouvait presque les éviter. D’un point de vue pédagogique, l’expérience menée a mis en exergue le fait que l’apprentissage, se faisant souvent par tâtonnement -c’est à dire par une régulation cyclique de l’essai et de l’erreur- était intimement lié à l’erreur. Si le geste improvisé n’est pas dissociable de l’imprévu et donc de l’erreur, et si apprendre est difficilement conciliable sans envisager la notion même d’erreur, comment les pédagogies de l’apprentissage pourraient-elle se passer du geste improvisé ? Bien que l’erreur soit, sur le fond, conceptuelle, sa légitimité demeure dans sa production même. Que ce soit d’un point de vu artistique ou bien pédagogique, plutôt que de la stigmatiser ou de la juger, nous : élèves, enseignants, musiciens, artistes, humains et peut être encore plus spécifiquement professeurs et assistants spécialisés d’enseignement artistique, devrions l’accueillir, la voir, la considérer et la reconnaître, à chaque fois, comme une précieuse occasion de découvrir, d’explorer et d’apprendre. Et même si l’erreur est indissociable du processus d’apprentissage, distinguer les moments où se tromper est envisageable, de ceux où cette possibilité y est proscrite, est un subtil discernement qui pourrait faire l’objet d’une didactique plus précise de l’erreur et qui pourrait s’appliquer d’une manière dynamique, à tout un chacun, dans l’exercice de sa fonction. Et si humblement nous parvenions à renoncer au formalisme, à la théorie ou au concept, nous pourrions reconnaître l’erreur comme une simple illusion et commencer par se détendre dans l’essentiel plaisir de jouer. 28 Bibliographie ALTET Marguerite, Les pédagogies de l’apprentissage, Puf, Paris, 1997, 128 pages. ASTOLFI Jean Pierre, L’erreur, un outil pour enseigner, Collection pratiques et enjeux pédagogiques (cahier n°8), ESF, Paris, 2008, 117 pages. BAILEY Derek, L’improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, Outre Mesure, Paris, 1999, 158 pages. FIARD Jacques, L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire, L’harmattan, Paris, 2005, 239 pages. JANKELEVITCH Vladimir, LISZT, Rhapsodie et improvisation, Flammarion, Paris, 1998, 173 pages. LEVAILLANT Denis, L’improvisation musicale, essai sur la puissance du jeu, Actes Sud, Arles, 1996, 302 pages. SIRON Jacques La partition intérieure, jazz, musiques improvisées, Outre Mesure, Paris, 1992, 765 pages. Dictionnaires Le Grand Robert en 6 volumes, volume 3, Dictionnaires Le Robert 2ème édition, Paris, 2001, 2230 pages. Le Grand Larousse en 5 volumes, Librairie Larousse, Paris, 1987. Dictionnaire Culturel en 4 volumes, volume 2, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2005, 2396 pages. Articles CANONNE Clément, «Quelques réflexions sur Improvisation et Accident», Agôn [En ligne], Dossier N°2 : L'accident, L'Aléatoire, mis à jour le : 14/12/2009, URL : http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=1041. MAUCCI Thierry, «Improvisation et pédagogie : quelques points qui me tiennent à cœur» in Marsyas, revue de pédagogie musicale et chorégraphique, n°12, décembre 1989, pages 54 à 57. Transcription http://www.music.sc.edu/ea/jazz/Transcriptions/GIANTSTEPSscore.pdf Emission de radio ENTHOVEN Raphael, Les nouveaux chemins de la connaissance, France Culture, émission du Jeudi 9 février 2011. 29 30