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Égypte : révolution et contre-révolution Laure Guirguis Égypte : révolution et contre-révolution Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Mise en pages : In Situ Maquette de couverture : Laurie Patry ISBN 978-2-7637-2211-5 PDF 9782763722122 © Les Presses de l’Université Laval 2014 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 4e trimestre 2014 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Table des matières Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .IX Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV Yuhka enna [on raconte que..] (chanson), Eskanderella . . . . . . . XVI Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 Moubarak fin de règne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1.1 Le régime égyptien : divisions, rivalités, échecs . . . . . . . . . . . 8 « Comment Gamal a ruiné la maison Moubarak » . . . . . . . . 8 L’Armée contre le scénario de la succession . . . . . . . . . . . . . 20 1.2 « Laissez-les s’amuser » (Hosni Moubarak) Militances politiques dans les années 2000 : limites, enjeux, acteurs . . . . . . . . . . . 26 Le militantisme de plaidoyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Le renouveau contestataire et la jeunesse 2000-2011 . . . . . . 29 Les ouvriers et le 25 janvier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 1.3 « Nous sommes tous Khaled Saïd » (Kullînâ Khaled Saïd) : la révolution du 25 janvier contre la torture . . . . . . . . . . . . 40 La banalisation de la torture et la sectarisation d’une police omnipotente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Khaled Saïd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 VII Égypte : révolution et contre-révolution 2 « Maintenant notre cauchemar prend fin, maintenant il est temps de rêver » (Wael Ghoneim) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 3 Les procédures démocratiques contre la révolution . . . . . . . . . . 67 3.2 La dynamique révolutionnaire contre la transition ? . . . . . . . 73 3.3 Les scrutins législatif et présidentiel de 2012 . . . . . . . . . . . . 90 4 De Morsi à al-Sissi : réactivation et renversement de la dynamique révolutionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 4.1 Les Frères, les centres de pouvoir et le dispositif sécuritaire : alliances et inimités 1928-2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Les années d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Mésalliances contre-révolutionnaires après le 25 janvier . . . .119 4.2 Radicalisations révolutionnaires sous influence contrerévolutionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 La déclaration constitutionnelle du 22 novembre 2012 . . . . 130 L’échec des Frères musulmans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Tamarrod . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 La légitimation du coup d’État du 3 juillet 2013 . . . . . . . . . 152 « Où sont passés les militants ? » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 VIII Préface L e « printemps arabe » a été une surprise pour tout le monde, y compris pour ses principaux protagonistes. Certes, certains disaient que la situation n’était pas tenable et que cela devait exploser, mais ils le répétaient depuis tellement longtemps que l’on peut plutôt parler d’une coïncidence entre leurs prédictions et les événements. Des esprits plus modérés s’interrogeaient sur le devenir arabe en particulier à partir des rapports du PNUD, soit sur l’ensemble de la zone arabe, soit par pays. Les indications statistiques étaient fort intéressantes, mais pouvaient être lues de façon très différentes : elles marquaient tout aussi bien les progrès enregistrés ces dernières décennies en matière d’espérance de vie, d’éducation, d’accès aux médias de communication les plus modernes que les nombreuses déficiences de ce développement arabe dans plusieurs domaines, les renvoyant en général à la question de l’autoritarisme, de la faiblesse de l’état de droit et à une économie de la rente plus que de la production. On arrivait bien à lire dans ces données l’émergence d’un nouveau monde arabe, mais on la prévoyait plutôt vers l’horizon 2030 et on n’avait pas d’idées précises sur les conditions de l’inévitable transition. Le modèle dominant d’interprétation était la consolidation des autoritarismes, avec une moindre brutalité et une plus grande discrimination dans la répression. Ils pouvaient conclure des compromis avec des fractions de la société. Ainsi, en Égypte, l’opposition était tolérée et avait le droit de s’exprimer, mais il était bien entendu qu’elle ne pouvait pas se mettre en position d’accéder au pouvoir. Toute violation de cet accord implicite était immédiatement et durement sanctionnée. IX Égypte : révolution et contre-révolution Parmi les nombreuses définitions possibles du printemps arabe, on pourrait isoler la suivante : une révolte des objets d’étude contre leurs analystes. Cela permet de saisir la force de cette irruption de l’imprévu, cette commotion d’autant plus forte qu’elle était impensable quelque temps auparavant. C’est souvent le cas des révolutions qui sont imprévisibles avant qu’elles ne se produisent et que l’on ne leur attribue ensuite de multiples origines. Les historiens disent souvent en plaisantant qu’ils ne peuvent pas prédire le futur, parce qu’ils ont déjà beaucoup de mal à prédire le passé. Cette dernière expression, au contenu paradoxal, exprime une profonde vérité : les historiens fouillent dans les présents révolus pour trouver les cheminements conduisant à la suite des événements. Ils doivent à la fois tenir compte de toutes les virtualités à venir d’un moment isolé, mais aussi, sans tenir compte de l’accusation d’avoir une perspective téléologique, isoler la chaîne événementielle aboutissant à l’explosion inattendue, puis suivre les acteurs, anciens et nouveaux, dans leurs jeux d’interaction. Toute la difficulté de l’histoire immédiate se trouve là : produire une mise en narration des antécédents puis suivre les acteurs dans le déroulement de la suite des événements alors que la fin de l’histoire n’est pas encore connue. On ne dispose pas là du recul considéré comme nécessaire par rapport aux passions du moment. Puisqu’il ne peut être question de s’exprimer du point de vue de Sirius, c’est-à-dire de très loin, on bénéficie en revanche de la proximité. C’est parce que l’on partage les émotions des acteurs, que l’on n’a pas besoin de faire la difficile recherche d’empathie que requiert par exemple une recherche sur le siècle d’Auguste ou celui de Louis XIV. En fait, on inverse les perspectives : au lieu de vouloir se rapprocher comme dans ces derniers, on recherche plutôt à prendre de l’éloignement, c’est-à-dire travailler sur soi-même pour être le moins affecté possible par ses propres partis pris. C’est là la réussite de ce livre de Laure Guirguis, l’une des premières mises en intrigue de la révolution égyptienne et l’une des plus achevées. Elle montre l’enchevêtrement des causalités, __Paul Veyne parlerait de la concaténation fatale des causes multiples, __conduisant au 2011 égyptien. Elle insiste sur l’importance des dynamiques en cours, les successions d’alliances et de renversement d’alliances entre les forces qu’elle définit comme révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Saint-Just, sous la X Préface Révolution française, s’était interrogée sur la liberté des acteurs par rapport aux déterminations qui les ont faits : « la force des choses conduit peutêtre à des résultats auxquels nous n’avons point pensé ». Beaucoup d’Égyptiens pourraient dire la même chose aujourd’hui. L’anecdote prend toute sa place, non pour célébrer le détail mais donner à voir et à ressentir au lecteur, les conditions matérielles et les mentalités croisées des acteurs et spectateurs des événements. La limpidité de l’écriture discute et questionne les enjeux majeurs du moment (le statut de la police, l’attitude à l’égard des pratiques de répression…) tout en restituant les données contextuelles indispensables. Sans nul doute, ce récit incarné des bouleversements égyptiens contemporains laisse entrevoir les conséquences possibles. Malraux aurait jadis posé la question à Zhou En Lai de savoir quelles étaient les conséquences de la Révolution française et l’homme d’État chinois aurait répondu qu’il était encore trop tôt pour se prononcer (certains disent qu’il y aurait eu une faute de traduction et que Zhou pensait être interrogé sur mai 1968). Cela nous rappelle que les grands événements sont inépuisables et exercent leur influence dans une longue traîne de temps. Les jeunes gens qui ont accédé à la vie politique en 2011 en Égypte ont encore un demi-siècle d’action devant eux. Leurs revers actuels n’interdisent pas de nouveaux retournements de situation. Le parti de l’ordre actuellement au pouvoir devra pour se maintenir engager l’Égypte dans de nouvelles voies. Il ne peut y avoir de retour au passé, mais il y a bien actuellement une sombre conjoncture liée à l’ensemble des bouleversements géopolitiques que connaît la région. Ce livre est déjà en soi un tour de force puisqu’il donne un récit clair et construit des antécédents de la révolution et des trois années tumultueuses qui l’ont suivi. Que l’auteur en soit félicité et remercié. Henry Laurens XI Avant-propos L e livre de Mme Laure Guirguis se particularise d’emblée par sa grande érudition, son approche transdisciplinaire qui prend largement en compte la dimension historique et sa construction. S’il suit à l’évidence une démarche chronologique, il adopte aussi une lecture constamment problématisante de chaque phase de la révolution égyptienne, de la chute de Moubarak au coup d’État d’al-Sissi. La lecture du règne finissant de Moubarak, avec la mise en place d’une ingénierie politique assez habile à ses débuts, mais aussi l’essoufflement du régime sous les effets de ses contradictions structurelles et conjoncturelles, n’est pas seulement fascinante, mais jette aussi les jalons d’une sociologie politique du monde arabe des décennies 1990-2000. Il en va de même de l’analyse proposée de la révolution comme configuration particulière et mise en branle d’une mécanique contestataire ne gagnant d’efficacité que par sa propre construction, voire son improvisation, sa capacité à se doter de symboles et de rituels et de se tailler une place dans l’histoire égyptienne. Le contexte immédiatement postrévolutionnaire, marqué par le règne du malfamé CSFA, l’émergence des jeux triangulaires entre l’armée, les Frères musulmans et la « gauche » est également analysé avec beaucoup de finesse et à la lumière des éléments neufs (comme sur la communauté copte ou les stratégies de la mouvance salafiste). Enfin, l’auteure montre combien la présidence de Morsi, tenté par un despotisme sans en avoir les moyens, s’était condamnée à une impasse, mais une impasse qui demeure largement intacte sous le régime d’al-Sissi. Si ce dernier a introduit massivement la cruauté au cœur de la cité, il n’a pas été en mesure de produire une XIII Égypte : révolution et contre-révolution légitimité plébiscitaire, n’ayant d’autres matrices que celles de l’« Ancien régime ». L’ouvrage proposé constitue sans le moindre doute une grande contribution à l’histoire en cours de l’Égypte mais aussi aux études sur le monde arabe depuis 2011. Hamit Bozarslan, Directeur d’études à l’EHESS, Paris XIV Remerciements J e remercie Chaymaa Hassabo, Tewfick Aclimandos, Hamit Bozarslan, Clément Steuer, Henry Laurens, Nabil Abd al-Fattah, Joel Beinin... pour leur lecture de ce texte, leurs conseils, leurs travaux. Je remercie le Département de science politique de l’Université de Montréal, le CÉRIUM, et le CEPSI qui m’accueillent depuis deux années. Je remercie l’éditeur de ce livre, Denis Dion, les collègues et amis montréalais de m’avoir encouragée et écoutée. XV Yuhka enna [on raconte que..] (chanson), Eskanderella On raconte que Ils ont pillé notre pays, ces fils de … On raconte que… Jadis, ils ont pillé notre pays les Américains Génération après génération, ils ont occupé la Palestine, les Israéliens, On raconte que… Les Américains ont envahi Bagdad On raconte que Ils cognent, abrutis, les Américains, À midi ils entrent dans Bagdad, Le soir ils pénètrent en Égypte (…) On raconte que.. Nous nous sommes tus Que raconte-t-on ? Notre peuple a tenu la lumière dans les mains On raconte que… Jadis, ce que voulait le peuple a été accompli On raconte que… Génération après génération, l’Égypte est née à Tahrir Les martyrs sont le soleil de la révolution, On raconte, ô Liberté Notre révolution est une révolution arabe À l’aube, le matin, au couchant Tunisie Libye Syrie Égypte On raconte que… Notre soleil se lève Les fleurs poussent dans les rues On raconte que… La lumière Introduction L e 25 janvier 2011, des milliers d’Égyptiens prennent les rues en scandant « Karâma, huriyya, al-‘adl al-ijtimâ‘iyya » (« Dignité, liberté et justice sociale »). Dix-huit jours plus tard, Hosni Moubarak abandonne la présidence. Dès le 28 janvier, les protagonistes nomment « thawra » (révolution/révolte)1 la dynamique dans laquelle ils se trouvent embarqués sous l’influx de la thawra tunisienne. L’usage de « thawra » signale explicitement que l’ébranlement produit ne se limite pas au renversement du clan présidentiel, ni ne ressort simplement d’une crise de l’État et du parti régnant. « Tûnîs hiyya al-hall » (« Tunis est la solution »), « thawretna thawra ‘arabiyya » (« notre révolution est une révolution arabe »), répètent les manifestants égyptiens, inscrivant la thawra nationale dans l’histoire de luttes arabes. Les arabités contemporaines marquent l’émergence récente d’un espace arabe strié, hétérogène, mais spécifié par la diffusion de codes, de symboles, et de références communs, grâce à l’essor des médias sociaux et des chaînes satellitaires arabes, et grâce à la circulation accrue des individus d’un pays à l’autre depuis les années 19802. Les « ennemis objectifs » subsistent. Les intrusions renouvelées d’Israël et des États-Unis dans le monde arabe depuis 2001 stimulent le regain de l’activisme politique en Égypte, et la question palestinienne 1. Sur le terme de thawra : Azmi Bishara, Fî al-thawra wa al-qâbiliyya li al-thawra [De la révolution et du potentiel pour une révolution] ; Angela Giordani, « Keywords : Revolution/ Coup d’état ». 2. Yves Gonzales-Quijano (dir.), Arabités numériques. Le printemps du Web arabe ; Tourya Guaaybess (dir.), National Broadcasting and State Policy in Arab Countries. 1 Égypte : révolution et contre-révolution joue le rôle de déclencheur dans de nombreuses trajectoires militantes. Dirigées contre les gouvernements nationaux, les thawra arabes dénoncent leur soumission aux intérêts économiques et stratégiques nord-américains, israéliens, et européens. Cependant, elles sont aussi l’indice « d’une nouvelle expérience du monde, intellectuelle, morale, religieuse ou métaphysique3 » qui implique une transformation de la représentation du pouvoir, de l’autorité, et du politique4. La révolution du 25 janvier met en cause un mode de légitimation et d’exercice de l’autorité étatique, tel qu’institué par le coup d’État des Officiers libres sous l’égide de Nasser le 23 juillet 19525. En Syrie, en Libye, et en Tunisie également, la thawra expose la faillite de l’État. Détourné par une ou plusieurs cliques, il fait peser une menace constante sur un nombre croissant de citoyens, les soumettant arbitrairement à des traitements humiliants, à la torture et à l’emprisonnement. Dans ces quatre pays, la banalisation de la brutalité et de la cruauté policières se conjugue à l’emballement des mesures économiques néolibérales au profit d’un clan restreint. Le premier chapitre du présent ouvrage rend compte des différents processus qui se télescopent et produisent l’événement révolutionnaire égyptien. Pour expliciter le mécanisme de changement révolutionnaire, Tilly « utilise l’image de l’embouteillage qui se forme lorsque différents flux de circulation, dotés chacun de causes distinctes, convergent pour créer un grand encombrement. Les révolutions se produisent lorsque convergent plusieurs lignes de causalités « normale ». (économique, démographique, constitutionnelle, internationale)6 ». L’examen de ces « lignes de causalités », souvent tortueuses et enchevêtrées, exige de prendre en compte l’historicité et la temporalité spécifiques à chacun de ces processus. La révolution ne surprend pas simplement par sa soudaineté. Elle accélère et révèle ces processus. Elle consiste en un précipité temporel : le long, le moyen et le court terme brusquement se télescopent. 3. Claude Lefort, « Penser la révolution dans la Révolution française ». 4. À titre indicatif : Sari Hanafi, « The Arab Revolutions : the Emergence of a New Political Subjectivity ». Sur la dimension transnationale de la vague contestataire arabe, pour ne citer qu’un article : Muriam Saleh Davis, « From Cairo to Madison : the New Internationalism and the Re-Mystification of the Middle East ». 5. Sherif Younes, « Révolution égyptienne et crise de légitimité ». 6. Martin Malia, Histoire des révolutions, p. 409. 2 Introduction Cependant, aucune analyse ne permet de prédire, ni d’expliquer, le passage de la multiplication des mobilisations de toutes sortes à l’événement révolutionnaire, quand bien même ces signes de mécontentement croissant se combinent au délitement du gouvernement et à une scission au sein des élites dirigeantes, à un état de crise économique structurelle (voire structurante) aux échelles nationale et internationale, à une vague contestataire régionale et transnationale, mais différenciée. Il importe de prendre en compte l’impondérable en tant que tel et, surtout, d’en analyser les implications. L’immolation du tunisien Mohamed Bouazizi et le meurtre de Khaled Saïd par des agents de police en Égypte auraient pu rester des « incidents », méconnus. Ils font événement dans la mesure où, catalysant les « passions révolutionnaires7 », ils enclenchent un processus de symbolisation d’émotions et d’expériences transindividuelles. Très vite, la guerre froide opposant l’Iran et l’Arabie Saoudite et la répression féroce du président syrien, Bashar al-Assad, vident la dynamique révolutionnaire syrienne. Le soutien logistique extérieur et l’afflux de combattants étrangers annulent l’effet des défections au sein du clan Assad. Le pays est dévasté, morcelé. L’Iran et l’Arabie Saoudite y mènent une lutte sans merci en vue d’accroître leur influence idéologique et politique par l’intermédiaire d’acteurs non étatiques. Le régime reste en place. Moyennant un redécoupage des frontières, l’État failli lui-même pourrait perdurer, tant qu’il demeure une instance incontournable de l’accès aux biens et aux ressources, et de l’administration d’une partie de la population régionale. En Égypte et en Tunisie, par contre, les thawra renversent le chef de l’État, sans ingérence extérieure, car la pression de la rue accélère une rupture à la tête de l’État et se double d’une révolution de palais. Or l’acteur étatique, l’armée dans le cas égyptien, qui se retourne contre le gouvernement et se range du côté de la révolution, ne consent au changement que pour mieux préserver le statu quo. Au contraire, l’enjeu de la révolution réside dans la reconfiguration de la structure du pouvoir et de l’autorité. D’une part, l’événement révolutionnaire produit d’emblée une situation de dépendance et de confrontation entre forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires. D’autre part, il modifie les règles du jeu 7. Hamit Bozarslan et coll., Passions révolutionnaires […]. 3 Égypte : révolution et contre-révolution politique : désormais, « la rue » ou « le peuple » s’imposent, qui ne sont ni foncièrement contre-révolutionnaires, ni forcément révolutionnaires. Les adjectifs et substantifs « révolutionnaire » et « contre-révolutionnaire » se réfèrent à des acteurs, individuels ou collectifs, mais surtout à des dynamiques. Certes, schématiquement, cinq groupes peuvent être qualifiés de contre-révolutionnaires : l’armée, la police, les Frères musulmans, la plupart des formations islamistes, et les fulûl, « résidus » ; le terme désigne les anciens cadres du Parti National Démocrate, le parti régnant et, de manière extensive, tous ceux qui l’ont soutenu, incluant la plupart des hommes d’affaires. « Révolutionnaire » s’appliquerait en revanche à la nébuleuse activiste : le Mouvement du 6 avril, Kifâya, les socialistes révolutionnaires, les militants de plaidoyer, de nombreux intellectuels et artistes, une partie des acteurs politiques de l’opposition traditionnelle auparavant cooptée par le régime, et les ouvriers. Cependant, la diversité sociale des quatre premiers groupes contrerévolutionnaires génère des dissensions qui menacent la cohésion de chacun d’entre eux. Fréquemment, des membres de ces groupes rejoignent la révolution. Une multiplicité d’acteurs fluctuent entre révolution et contre-révolution, c’est le cas des partis, anciens ou nouveaux, et de la plupart des Égyptiens qui parfois entrent en insurrection, parfois optent pour le statu quo. Or si les militants ont préparé l’événement révolutionnaire dans la mesure où ils ont renouvelé les pratiques contestataires depuis une dizaine d’années, ils ne l’ont ni prévu ni déclenché. Ils ne s’accordent ni sur un projet social et politique commun, ni sur les moyens de réaliser leurs objectifs. Aucun groupe ne représente une majorité, mais seules les institutions contre-révolutionnaires disposent d’une organisation et d’une forte capacité de mobilisation. En revanche, dans cette configuration inédite, les contre-révolutionnaires ne peuvent puiser leur légitimité que dans ce au nom de quoi la révolution se produit. En provoquant une rupture, l’événement révolutionnaire ouvre un « horizon d’attente », pose une norme, et instaure un nouveau vecteur de sens, mais comporte d’emblée le risque de légitimer un monisme politicide. La dynamique révolutionnaire se définit par le fait que les discours, les mobilisations et les revendications, nationales, corporatives ou individuelles, s’articulent en fonction de ces nouvelles références normatives, même en l’absence de coordination sur le terrain. 4 Introduction Schématiquement, l’histoire des trois années consécutives à la chute de Hosni Moubarak est celle d’une confrontation entre une dynamique révolutionnaire et une dynamique contre-révolutionnaire, compliquée par la rivalité, puis par la lutte à mort, entre les deux principaux groupes contre-révolutionnaires, l’appareil sécuritaire et les Frères musulmans. Le premier épisode (janvier 2011-juillet 2013), et peut-être l’ultime, du processus révolutionnaire égyptien se clôt avec la victoire de la contre-révolution et la « mise en veille8 » de la révolution (chapitres 3 et 4). Une première séquence (février 2011-novembre 2012) se définit par l’alliance houleuse des groupes contre-révolutionnaires (chapitre 3). Confisquant le processus électoral, les Frères et le CSFA (Conseil supérieur des forces armées), d’abord alliés malgré eux, le présentent comme la voie de la transition démocratique par opposition à la dynamique révolutionnaire. La voie de la transition démocratique élaborée par les groupes hégémoniques prétend réaliser les objectifs de la révolution du 25 janvier contre la dynamique révolutionnaire qui, dans cette perspective, est stigmatisée comme hubris (démesure). Or, les procédures électorales écartent les courants révolutionnaires et ne satisfont guère les revendications révolutionnaires, au premier rang desquelles : le procès des responsables de la mort des manifestants au cours des journées insurrectionnelles et des éléments corrompus de l’ « ancien régime », ainsi que la refonte de l’appareil sécuritaire. La seconde séquence (chapitre 4) est marquée par l’emballement des mesures contre-révolutionnaires et la relance de la dynamique révolutionnaire. À la fin de l’automne 2012, le gouvernement du président élu au mois de juin 2012, le Frère musulman Mohamed Morsi, s’est aliéné le camp révolutionnaire, qui avait majoritairement appelé à voter pour lui, se privant de ce fait du soutien contraint que lui accordait l’armée. Au mois de juillet 2013, Morsi est renversé par une mobilisation populaire forte de l’appui de l’appareil sécuritaire, police inclue, et de la plupart des partis et formations politiques. 8. Chaymaa Hassabo, « Égypte, les illusions perdues des ‘‘jeunes’’ de la Révolution ». 5 Égypte : révolution et contre-révolution Investie par les forces et la rhétorique contre-révolutionnaires, la dynamique révolutionnaire à son apogée se renverse en son contraire et pave la voie de la contre-révolution. La troisième séquence (juillet 2013-) se définit par la légitimation populaire de la contre-révolution et la suspension de la dynamique révolutionnaire. 6 1 Moubarak fin de règne L a révolution du 25 janvier advient à la convergence de plusieurs processus qui se sont développés suivant des temporalités distinctes. Une crise de légitimité politique touche le dispositif étaticogouvernemental, c’est-à-dire principalement le Parti National Démocrate (PND) et les services de sécurité. Fin 2010, les dissensions internes au PND exacerbées par l’ascension de Gamal Moubarak et de ses alliés accélèrent la rupture du fragile équilibre de la scène politique régie par un système informel de cooptation des formations de l’opposition. Cet échec politique et la délégitimation du clan présidentiel s’articulent à la rivalité entre une police alliée au clan du fils du président, et une élite militaire opposée à la transmission du pouvoir du père au fils. L’emballement des mesures de libéralisation économique, à partir de 2004, date de la nomination du Cabinet Nazif, stimule l’extension et la diversification des mobilisations corporatives et, en particulier, ouvrières. Parallèlement, les politiques américaine et israélienne d’intervention dans le monde arabe, conjuguées au délitement du système politique national et à la formation de mouvements contestataires transnationaux, réactivent l’activisme politique en Égypte au cours des années 2000. Surtout, le 25 janvier exprime le refus de l’arbitraire policier doué d’un pouvoir illimité sur les vies et sur les corps. La révolte contre la torture unifie momentanément les Égyptiens autour d’un objectif précis, la chute du Raïs, la chute d’un régime, dans la mesure où elle canalise les dynamiques passionnelles et met en jeu une revendication d’ordre éthique 7 Égypte : révolution et contre-révolution qui fonde toutes autres : la revendication de dignité (karâma). En catalysant ces dynamiques et en leur donnant une figure visible, l’image de Khaled Saïd assassiné par la police, en écho immédiat à celle du tunisien Mohamed Bouazizi, précipite les temporalités et les chaînes causales qui se télescopent en déclenchant l’événement révolutionnaire, le 25 janvier. 1.1 Le régime égyptien : divisions, rivalités, échecs « Comment Gamal a ruiné la maison Moubarak1 » Excroissance de l’Union socialiste arabe (al-ittihâd al-ishtirâkî al-‘arabî) et extension du régime, le Parti National Démocrate (al-hizb al-watanî al-dîmuqrâtî) naquit en 1978 sur décision du président Anouar el-Sadate (1971-1981). Au mois de décembre 1962, le président Gamal Abdel Nasser (1954-1970) avait formé l’Union socialiste arabe, plateforme politique unique, strictement hiérarchisée, contrôlée par les Officiers libres (al-zubbât al-ahrâr), et principalement destinée à mobiliser la population en vue de la réalisation des projets de réformes nassériens2. Au lendemain de la défaite de 1967 contre Israël, l’activisme de gauche et islamiste se réorganisait en Égypte. Parvenu à la tête de l’exécutif en 1970, Sadate se débarrassa de la faction de Ali Sabri, ses adversaires dans l’appareil gouvernemental, en déclenchant la « révolution corrective » (al-thawra al-tashîhiyya, en mai 1971), puis favorisa l’essor des courants islamistes sur les campus pour contrecarrer l’influence des formations nassériennes et marxistes. Au cours des années 1970-1971, ces dernières exigeaient de manière de plus en plus pressante la revanche guerrière promise par Sadate. En cette période de dégel des relations Est-Ouest, la « victoire » de 1973 contre l’État hébreu et la manne financière qui s’ensuivit ont facilité la reconfiguration des alliances régionales et internationales de l’Égypte. La stratégie de rapprochement avec la droite religieuse et l’adoption concomitante d’un idiome islamique visaient à assurer le succès du principal objectif de Sadate : faire la paix avec Israël 1. Gamal Essam El-Din, « How Gamal brought the whole Mubarak House down ». 2. Sur le mouvement des Officiers libres : Tewfick Aclimandos, Les activistes politiques au sein de l’armée égyptienne […]. Sur l’ère nassérienne : Anouar Abdel Malek, Égypte, société militaire ; Said K. Aburish, Nasser, the Last Arab ; Kirk J. Beattie, Egypt during the Nasser Years […] ; Alain Roussillon (dir.), Nasser-25 ans […]. 8 1 – Moubarak fin de règne et, corrélativement, promouvoir la politique d’ouverture (infitâh), rompant de la sorte avec l’attitude nassérienne, et la figure de Nasser : Pourquoi l’infitâh ? Avant 1974 nous nous sommes repliés sur nousmêmes, au nom de lois que nous nous sommes imposées et d’un rideau de fer que nous avons dressé autour de nous, nous coupant du monde, de son progrès, de sa civilisation, et de sa modernité. Nous avons été privés de tout cela parce que nous avons restreint nos relations à un seul camp, celui de l’Union soviétique qui, comme nous, est en quête de technologie, et parce que certains ont voulu sacraliser une idole, le socialisme3. Par cet acte d’ouverture économique, Sadate prétendait révoquer le dirigisme étatique hérité de l’ère nassérienne, en réhabilitant le secteur et le capital privés, notamment étrangers. En réalité, malgré l’essor d’une classe d’entrepreneurs et l’enrichissement de segments des classes moyennes durant la seconde moitié des années 1970, la majeure partie des revenus demeurait contrôlée par l’État-gouvernement et déversée dans les caisses du trésor national, tandis que les dépenses d’État augmentaient. Au terme de la lutte armée contre Israël, l’Égypte disposait à nouveau des bénéfices provenant du canal de Suez, ainsi que d’aides financières occidentales. Ces revenus rentiers équilibraient le déficit dû à la faible imposition et représentaient au début des années 1980 la moitié du revenu public4. Sur le plan politique, en 1975 l’Union socialiste arabe reconnut en son sein trois tribunes qui, en 1976, se transformèrent en partis : Égypte arabe socialiste (centre), dirigé par le premier ministre Mamdouh Mohamed Salim, Les Libéraux socialistes (droite), et Le Rassemblement national progressiste unioniste, ou Tajammu‘ (gauche), présidé par Khaled Mohye al-Din. La loi du 29 juin 1977 régit le retour au pluripartisme et une quatrième formation apparut, le (néo-) Wafd (4 février 1978), qui se présente comme l’héritier du Wafd, le parti nationaliste et libéral fondé par Saad Zaghloul, en 1919. Puis, le 2 juillet 1978, Sadate annonça la création officielle du Parti National Démocrate, issu de la tribune du centre et initialement nommé Égypte arabe socialiste. 3. 4. Al-akhbar, 9 novembre 1977. Samer Soliman, « The Political Economy […] ». 9 Égypte : révolution et contre-révolution En dépit de la rhétorique démocratique adoptée par Sadate, puis par Moubarak, et de la pluralisation contrôlée de la scène électorale égyptienne entre 1978 et 2011, le PND est demeuré le parti hégémonique, le pilier du régime autoritaire, et le principal instrument de cooptation des élites politiques et économiques. Sa structure et son mode de fonctionnement ont d’emblée été déterminés par sa relation organique avec le régime et l’État, et par l’objectif de servir la politique présidentielle. La cohésion des élites politiques constituant un facteur clé de la consolidation des régimes autoritaires, le PND jouait le rôle d’« opérateur essentiel de l’ajustement des policies, de la coalition et du Régime5 », jusqu’au moment où l’ascension fulgurante d’une nouvelle faction a enrayé les rouages de l’appareil. À la fin des années 1990, les milieux d’affaires estimaient indispensable d’entreprendre une restructuration de l’économie égyptienne impliquant des privatisations accrues. Après avoir accédé à la présidence, Moubarak avait limité la relative libéralisation engagée par son prédécesseur et réinstauré une planification économique quinquennale. La baisse draconienne des revenus de la rente à la fin de la décennie, conjuguée au boom démographique, contraignit le gouvernement à revoir cette politique et à accepter les ajustements préconisés par le FMI (Fonds monétaire international) et la banque centrale en 1991. En revanche, l’aide apportée par l’Égypte à la croisade américaine en Irak avait été récompensée et la moitié de la dette annulée. Le gouvernement ne fut par conséquent pas conduit à opérer des coupes massives dans le budget destiné à subventionner les produits de première nécessité, le pain et l’essence. Malgré cela, le pays continua à s’endetter. Les diverses dévaluations et autres tentatives de taxation plus ou moins directes ont principalement contribué à aliéner au régime de nombreux soutiens au sein de la population. Cette nouvelle génération d’hommes d’affaires, formée dans les universités nord-américaines ou anglaises, souhaitait entrer en politique. Le cadet du président, Gamal Moubarak, serait leur intermédiaire. Il saurait convaincre son père de les intégrer à la scène politique et d’adopter une politique économique résolument néolibérale. Au milieu des années 1990, l’homme d’affaires et membre du Conseil présidentiel Ibrahim 5. 10 Michel Camau, Le syndrome autoritaire […]. 1 – Moubarak fin de règne Kamel rencontra Gamal Moubarak à Londres, où il travaillait à la banque américaine. À l’automne 1999, Moubarak fils devint membre du Secrétariat général du PND. Quelques mois plus tard, Alaa al-Din Hilal, Ibrahim Kamel, Ahmed Ezz6 et Yusouf Butrus Ghali (ministre des Finances 20042011) le rejoignirent. Tenu au moment où plusieurs affaires de corruption mettaient en cause des collaborateurs de leaders du PND, notamment Kamal al-Shazli, le 8e Congrès du PND (15-17 septembre 2002) afficha la formule « Une nouvelle pensée » (al-fikr al-jadîd) en guise de mot d’ordre, énonçant de la sorte l’enjeu de ce rassemblement : la réforme du parti et l’intégration de la jeune génération. On annonça la création d’un nouveau comité, le Secrétariat des politiques, présidé par Gamal et chargé d’élaborer les lignes directrices du programme et de la politique générale du parti7. « Ce 8e congrès du parti sera un véritable test pour évaluer la force de ce nouveau courant », observait alors Nabil Abd al-Fattah. Néanmoins, « cette ancienne garde forme un lobby puissant. Il n’est pas envisageable de les éloigner complètement. Ce processus se déroulera en plusieurs étapes ». Le diagnostic était juste. Le gouvernement dirigé par Ahmed Nazif à partir de juillet 2004 incluait sept membres du comité des politiques : La nouveauté de ce gouvernement réside dans le fait qu’une grande partie des dix-sept nouveaux ministres provient de la « jeune génération » formée à l’étranger. Nombre des nouveaux entrants sont issus du Haut Comité des politiques du PND dirigé par Gamal Moubarak. Sur ce point, deux interprétations majeures s’affrontent : d’une part, l’opposition y voit la confirmation de ses craintes de voir cette nouvelle formation ministérielle servir de catalyseur à la succession de Gamal. D’autre part, la presse progouvernementale, y voit, au contraire, une illustration du succès de la politique réformatrice et du dialogue interne au sein du parti8. Les principaux affidés de Gamal provenaient des milieux d’affaires. Dès 2004, Rashid Mohamed Rashid, Tarek Kamel et Anas al-Fiqqi obte6. Tewfick Aclimandos, « « On ne prête qu’aux riches » : hommes d’affaire et politique ». 7. Sur l’organisation et la structure du PND : Umru Hisham Rabi, Al-hizb al-watanî al-dîmuqrâtî […]. 8. Chaymaa Hassabo, « Gamal Moubarak au centre du pouvoir […]. ». 11 Égypte : révolution et contre-révolution naient, respectivement, le portefeuille ministériel du commerce et de l’industrie, celui des communications, et celui de l’information, tandis que Mahmoud Mohye al-Din décrochait le ministère des Finances. Un an plus tard, Mohamed Zuhayr Mohamed Wahid Garana intégrait le Cabinet à titre de ministre du Tourisme, suivi par un ancien fonctionnaire des Services de renseignements, le général Mohamed Abdou al-Salam Mahgoub, nommé ministre du Développement local. Malgré les rivalités et les dissensions internes au parti, en particulier durant les élections législatives de 20059, le second gouvernement Nazif (décembre 2005) puis la reconfiguration du secrétariat du PND (février 2006) entérinèrent la montée en puissance des hommes d’affaires proches de Gamal Moubarak, tout en brouillant la distinction entre vieille garde et jeunes réformateurs qui avait souvent dominé les débats médiatiques au sujet du PND. En effet, trois figures de la vieille garde et sympathisants de Gamal accédèrent à des postes clés dans le parti et feront partie du cercle des décideurs présents autour du président lors de l’insurrection révolutionnaire de l’hiver 2011. Officier militaire, Zakariyya Azmi, homme de confiance de Hosni Moubarak, avait dirigé le Cabinet présidentiel sous la présidence de Sadate à partir de 1975, puis sous celle de Moubarak depuis 1989. Membre du Secrétariat général du PND dès 1993, il a ensuite été nommé secrétaire en charge des Affaires financières (2001), puis secrétaire général adjoint du parti en 2006. À l’instar de Azmi, Safwat al-Sherif est membre fondateur du PND et devint le secrétaire général de son Bureau politique en 2002. Après plus de quinze années passées dans les services de renseignement, il gravit les échelons du ministère de l’Information, à la tête duquel il fut nommé en 1982. Avec ces alliés, le clan Moubarak assurait à Gamal le soutien de deux hommes qui, connaissant parfaitement les rouages de l’appareil, étaient en mesure d’exercer leur influence sur les principaux acteurs de la scène médiatique et politique. Enfin, Moufid Shehab, né en 1936, a selon toute vraisemblance été coopté pour ses compétences juridiques. Nommé en 2005 ministre des Affaires juridiques et des Assemblées législatives (un poste taillé sur mesure né de la fusion du ministère des Affaires de l’Assemblée du peuple et de celui de l’Assemblée consultative), il assura, à partir du mois de janvier 2006, la fonction de secrétaire général 9. 12 Chaymaa Hassabo, « Gamal Moubarak sous les projecteurs […]. ». 1 – Moubarak fin de règne adjoint pour les Affaires juridiques au sein du PND. En 2007, les amendements de trente-quatre articles de la Constitution ont pavé la voie à la succession, confirmant aux yeux des égyptiens que ce scénario se réalisait sous leurs yeux, malgré les dénégations du père et du fils10. Si la nouvelle génération affairiste escomptait utiliser Gamal en le propulsant sur la scène politique, ce fut lui qui, fort de ce soutien des milieux d’affaires, mena ensuite le jeu pour parvenir à ses fins. Bien qu’ils aient embrassé une rhétorique réformatrice, ni Gamal et ses alliés, ni Hosni Moubarak, n’entreprirent de réformes d’envergure. Sur les plans économique, politique, et partisan, ils se contentèrent d’opérer les changements indispensables en vue de réussir la passation de pouvoir du père au fils, d’assouvir l’insatiable soif d’argent de leur clan et de rogner sur l’empire économique des militaires. Ils s’attachèrent, dès 2002, à promouvoir la croissance. Le gouvernement Nazif lança une vague de privatisations supposées attirer les bailleurs de fonds étrangers et stimuler de la sorte l’économie égyptienne. En 2006-2007, le taux de croissance atteignait 7 %, mais seule une infime proportion de la population égyptienne en absorbait les bénéfices11. En revanche, même les classes moyennes aisées éprouvaient des difficultés grandissantes à équilibrer les budgets familiaux, tandis que l’écrasante majorité de la population rurale et urbaine se voyait appauvrie et précarisée 12. Pour autant, aucune politique sociale n’a préconisé de redistribution plus équitable des richesses, bien que le gouvernement ait pris quelques mesures d’urgence à l’intention des plus pauvres. Or, les bénéfices de la croissance se répercutaient d’autant moins sur les classes moyennes et défavorisées que les maîtres du jeu les orientaient sans vergogne vers leurs comptes en banque, le plus souvent à l’étranger, ou vers la construction d’ensembles résidentiels clos (gated communities13), 10. Nathalie Bernard-Maugiron, « Moderniser la Constitution ou renforcer l’autoritarisme de l’État ? […] ». 11. Sur la situation économique égyptienne, en particulier au cours des dix dernières années de la présidence de Hosni Moubarak : Kamel el-Sayyed, « Économie politique de la croissance […] » et Samer Soliman « The Political Economy […] ». 12. Sur la précarisation dans le monde rural : François Ireton, « Économie politique de l’agriculture […] » et « La petite paysannerie dans la tourmente néolibérale ». 13. Sur les transformations urbaines et l’essor des gated communities : Éric Denis, « Cairo as a Neoliberal Capital […] ». 13 Égypte : révolution et contre-révolution d’écoles et d’hôpitaux privés. Les transactions frauduleuses de terres et de biens immobiliers se multipliaient, orchestrées dans les ministères, entre autres par les cousins Garana, Mansour, et Maghrabi, respectivement ministres du Tourisme, des Transports, et du Logement. La corruption devenait ostensible. Les puissants affichaient leur mépris de la plèbe et des lois plus insolemment que jamais14. Le pouvoir de Gamal et de ses hommes demeurait limité par le jeu des factions rivales au sein du parti et par la nécessité de ne pas empiéter sur la chasse-gardée des militaires. Des officiers hostiles au scénario de la succession conservaient les portefeuilles ministériels de la Défense (Tantawi), de l’Aviation civile (Shafik), de l’Industrie militaire (Sayyid Mishaal), ainsi que la direction des services de renseignements (Omar Suleiman) et de nombreux postes dans l’appareil d’État. Par contre, Gamal Moubarak pouvait compter sur le soutien de la police. Dans les cercles policiers, Habib al-Adli, ministre de l’Intérieur (1997-2011), était surnommé le PDG du projet de transmission héréditaire15. Sur la scène politique, aux échelles nationale et partisane, le discours réformateur ne suscita guère l’enthousiasme. Son objectif apparaissait clairement aux yeux de la plupart des acteurs politiques : personne ne peut « nier que [le PND] n’est rien de plus qu’un instrument pour la succession », déclarait à un journaliste du New York Times16 l’universitaire et membre du PND Hala Mustafa. Le parti une fois réformé aurait dû permettre à Gamal de l’emporter dans le cadre d’élections démocratiques. Seule la voie des urnes permettrait d’assurer la succession dès lors que la majorité des officiers militaires s’opposait à l’intronisation de Gamal et que l’exigence de démocratisation se faisait plus pressante. Dans cette perspective, il importait de transformer le PND en un véritable parti, en phase avec une façade électorale démocratique. Il fallait le doter d’une ligne idéologique susceptible de rivaliser avec le seul discours 14. Sur la corruption : Ahmed El-Sayed El-Naggar, « Economic Policy […]. » 15.Entretien avec le brigadier Husayn Hammouda, qui avait travaillé dans les services de la Sûreté de l’État, Al-shurûq, 8 avril 2011. 16. Al-Ahram Weekly, 16-22 mars 2006. 14 1 – Moubarak fin de règne politique concurrentiel : le discours islamique17. À cet égard, le PND a souvent opté pour la surenchère18. À défaut de réformer, l’inqilâb (coup d’État) de Gamal a modifié les modes de distribution des fonctions partisanes et gouvernementales. Le degré de proximité avec l’héritier devint progressivement un critère décisif de cooptation et de promotion, créant de nouvelles dissensions au sein du parti et stimulant de nombreuses défections. « Nous, les membres fondateurs, étions marginalisés » témoignait Mohamed Abdallah19. Même des partisans initialement proches de Gamal Moubarak quittaient le parti. Oussama Ghazali Harb, le plus célèbre d’entre eux, livra publiquement quelques-unes des raisons ayant motivé son départ et fonda ensuite son propre parti20. Surtout, lors des élections législatives de 2010, Gamal et ses alliés commirent plusieurs erreurs qui accélérèrent le délitement du système clientéliste du PND : ils ont sous-estimé le poids des notabilités provinciales, méconnu les dynamiques politiques locales, et négligé une opposition que quelques sièges au Parlement suffisaient à domestiquer. Or, les élections devaient répondre à plusieurs exigences en vue de maintenir un statuo quo qui reposait sur le « consentement sans consensus21 » de la population au règne du PND et sur la docilité des partis d’opposition. Tout candidat briguant un mandat électoral doit mobiliser une vaste clientèle susceptible d’amener les Égyptiens jusqu’aux urnes, le vote étant rarement, en Égypte, une affaire individuelle. L’employeur, l’Église, le parti, ou un notable local, pourvoient souvent au transport d’électeurs, en groupe. Le candidat a également besoin d’un service d’ordre. La supervision du processus électoral par les juges a induit un changement des pratiques frauduleuses. Bourrer les urnes devenant moins aisé, d’autres tactiques prévalent en amont et en aval des bureaux de vote. Empêcher les « mauvais » électeurs d’atteindre le lieu du scrutin et ouvrir la voie aux « bons » électeurs, cela se joue masse contre masse, et fréquemment à force de coups. La violence fait partie du processus 17.Virginie Collombier, « Quand le PND se transforme en parti…Bilan d’étape ». 18. Laure Guirguis, Les coptes […]. 19. Interview avec Mohamed Abdallah, cité par Hannah Allam, Mc Clatchy Newspaper, 13 février 2011. 20. Lisa Blaydes et Safinaz El-Tarouty, « La concurrence interne au Parti national démocrate égyptien ». 21.Expression empruntée à Jean-Noël Ferrié. 15 Égypte : révolution et contre-révolution é lectoral22. L’intensité et les modalités de violence dépendent des spécificités locales, de même que les diverses tactiques de fraude. Les candidats et leurs partisans, mais aussi les autorités locales, jouent un rôle dans cette bataille. Le gouverneur, en particulier, dispose de nombreux atouts pour favoriser ou discréditer un candidat ou un élu, pendant son mandat et durant l’élection : Deux exemples : l’on sait que le gouverneur d’Alexandrie n’approuvait pas le choix des candidats par les instances officielles du Parti au pouvoir. Il n’avait pas été écouté. Conséquence : il n’« aida pas » lesdits candidats (rendre des services à leurs électeurs ou effectuer des travaux dans leur circonscription) et, selon certains, il favorisa discrètement certains de leurs ennemis. Par contre, celui du Nord Sinaï avait été écouté lors du processus d’investiture. Il se battit jusqu’au bout pour les faire élire, exerçant des pressions incroyables (même en tenant compte des normes égyptiennes) sur les chefs de tribus, les notables, etc.23 En cas de victoire, l’élu est supposé tenir ses promesses, rendre des services et fournir des prestations. Or, les requêtes des électeurs avaient changé au fur et à mesure que les conditions économiques se dégradaient. Des biens et des services pour la collectivité, des crédits, ou un emploi, ne suffisaient plus nécessairement. En intégrant des hommes d’affaires, le PND escomptait augmenter les ressources mobilisables pour financer ses campagnes et sa clientèle de plus en plus exigeante. « Mais c’est plus grave, des emplois, je pourrais en trouver, j’ai un bon carnet d’adresse, question hommes d’affaires. Le problème est qu’ils veulent des emplois dans la fonction publique [qui offre une sécurité bien que les salaires soient très bas], et ça, c’est devenu impossible24 », témoignait, en 2004, un député de la région du Delta, anciennement officier de police. Depuis 2005, certains réseaux clientélistes se sont affaiblis, notamment celui du PND et d’autres semblent se renforcer. En 2010, l’achat massif de voix marque le scrutin. Or, observait Aclimandos, « l’achat de voix n’est pas le stade suprême du clientélisme, mais le signe le plus sûr de sa déréliction. La « transaction » se substitue, au moins partiellement, au « lien », aussi 22. Tewfick Aclimandos, « Comment les législatives se négocient […] », p. 5 et Iman Farag, « Corrompre, fidéliser […] ». 23. Tewfick Aclimandos, « Splendeurs et misères […]. » 24. Ibidem. 16 1 – Moubarak fin de règne intéressé que ce dernier ait pu être25 ». Ainsi « délié », l’électeur peut ne pas voter en faveur de celui qui l’a payé26. Autre signe de la crise interne au PND, les candidats dits « indépendants » se sont multipliés depuis 2000. Cette catégorie devait permettre à des individus non affiliés à un parti de présenter leurs candidatures et, partant, d’élargir le spectre des candidats possibles. De fait, la plupart des indépendants étaient soit des candidats des Frères musulmans27, soit des « dissidents (temporaires) » du PND, que le parti n’avait pas inscrit dans les listes électorales officielles, et qui décidaient de se présenter tout de même28. Dans certaines circonscriptions, deux, voire trois, candidats PND rivalisaient entre eux en plus du candidat officiel du PND. Lorsqu’un candidat PND indépendant remportait la majorité des voix, le PND l’accueillait à nouveau dans le parti, puisqu’il lui fallait une majorité de 2/3 des sièges pour gouverner. Or, depuis 2000, le PND n’obtenait une majorité confortable qu’en incluant ces membres qui avaient fait défection. Les élections égyptiennes, aimait à dire Alain Roussillon, servent à coopter l’opposition. Certes. Elles servent également à redistribuer les rôles au sein du parti. Il n’existe pas de profil type de l’indépendant du PND, car les rapports de force politiques diffèrent grandement d’une localité à l’autre, mais un trait saillant des élections législatives de 2005 et, surtout, de 2010, indique le décalage entre les notabilités locales et les instances centrales chargées de dresser les listes électorales du parti. Conscients de ce risque de décalage et de conflit, en 2005 les cadres du parti n’avaient pas confié la direction de la campagne à Gamal Moubarak et à Ahmed Ezz, qui avaient par contre mené la campagne présidentielle deux mois plus tôt. Outre Gamal et Alaa al-Din Hilal, le 25. Ibidem. 26. Iman Farag, « Corrompre, fidéliser […]. » 27.Avant de former légalement un parti politique, les Frères participaient aux élections depuis 1984 soit en s’alliant avec des partis (notamment le néo-Wafd, et le Parti socialiste du travail (hizb al-‘amal al-ishtirâkî), soit en présentant ou en soutenant des candidats dits « indépendants », non affiliés à un parti. 28. Sur le phénomène des candidats indépendants : Sarah Ben Néfissa et Alaa Al-Din Arafat, Vote et démocratie. Pour une analyse portant plus spécifiquement sur les indépendants du PND, la concurrence au sein du parti et les scrutins de 2005 et de 2010 : Lisa Blaydes et Safinaz El-Tarouty, « La concurrence interne au Parti national démocrate égyptien », et Virginie Collombier, « Gamal Moubarak et le Parti national démocratique ou la stratégie du désastre ». 17 Égypte : révolution et contre-révolution comité de pilotage se composait de cadres influents de longue date, tels Kamal al-Shazli, Zakaryya Azmi, et Safwat al-Sherif, bien informés des dynamiques en cours dans de nombreuses circonscriptions. Pourtant, les résultats des primaires locales, exprimant les souhaits des acteurs provinciaux, avaient vraisemblablement été négligés lors de l’établissement des listes29. Les chiffres sont éloquents : le taux de réussite de la liste officielle du PND fut de 34 %, la majorité parlementaire du PND (après inclusion des indépendants) atteignit 73 %. torale. En 2010, Ahmed Ezz orchestra officiellement la campagne élecSoucieux d’efficacité et de modernité, Ahmed Ezz va mettre en place au sein de l’organisation des méthodes de management largement inspirées du monde de l’entreprise dont il est issu. Les nouveaux systèmes de sélection qu’il instaure pour le choix des cadres locaux et des candidats sont ainsi fondés sur des processus d’évaluation très complexes, combinant des critères précis – tels que l’âge, le sexe, la formation universitaire, l’expérience politique – à des sondages destinés à évaluer la popularité du candidat sur le terrain et parfois à des élections dans la localité (le résultat de l’élection n’étant cependant pas forcément déterminant si les autres critères de sélection ne sont pas considérés comme satisfaits par la direction du parti) […] Les soutiens traditionnels du PND ont le sentiment d’être écartés. Des vagues de démission niées par la direction du parti sont alors régulièrement rapportées par la presse et confirmées à demi-mot par des responsables locaux du PND. Les techniques de management mises en œuvre par de jeunes diplômés recrutés par le secrétariat à l’Organisation s’accordent en fait mal avec les allégeances locales, en particulier familiales et tribales, qui continuent à former le socle de la vie politique dans une grande partie du pays30. L’échec des méthodes de la jeune direction ne doit cependant pas être interprété tout uniment comme celui de la modernisation et de la rationalité contre l’ancienne génération et les solidarités familiales et locales. Ces modes de sélection visaient avant tout à placer jusque dans les circonscriptions provinciales des éléments alliés. Pratiquant la fraude massive sans même se soucier de la crédibilité des résultats, ils s’aliénèrent 29. Lisa Blaydes, art. cit. 30.Virginie Collombier, « Gamal Moubarak et le Parti national démocratique ou la stratégie du désastre ». 18 1 – Moubarak fin de règne l’opposition et fâchèrent l’électorat. En dépit des conseils de membres du parti et de libéraux de l’opposition, « Ezz était trop arrogant pour écouter et manipula de telle sorte que les candidats affiliés aux Frères se retrouvèrent sans un seul siège [sic], un résultat tellement improbable qu’il en était ridicule31. » Ces élections ont représenté un tournant aux yeux de beaucoup d’Égyptiens et en particulier, telle est la différence cruciale qui pèsera sur le cours ultérieur des événements, aux yeux d’une majorité d’électeurs et d’acteurs politiques qui jusqu’alors avaient des motifs, divers, de soutenir le PND, ne serait-ce que tacitement. Corrélativement à cette déliquescence du parti, le clan présidentiel a commis l’erreur de s’appuyer de manière trop exclusive sur le cercle restreint des hommes d’affaires et sur une police honnie. Hosni Moubarak vieillissant se trouvait de plus en plus isolé, tandis que se développait à son égard une attitude de flagornerie inexistante au cours des deux premières décennies de la présidence. Depuis l’instauration du Cabinet Nazif en 2004 et, surtout, depuis les élections de 2005, tous les acteurs politiques commençaient à prendre leurs marques dans la perspective d’une succession imminente. Les militaires assuraient qu’ils reconnaîtraient la légitimité du pouvoir élu, tout en affirmant qu’ils interviendraient pour maintenir l’ordre public. Or, ils prévoyaient que le scrutin supposé assurer la transition « démocratique » du père au fils en 2011 ne manquerait pas de susciter des troubles dans le pays. Avant même qu’un tel scrutin ne soit annoncé, l’ascension de Gamal et de ses hommes heurtait la culture disciplinaire de l’institution militaire et menaçait leur pouvoir économique et politique. Ils se tenaient prêts à entrer en action le jour prévu ou imprévu de la transition, qu’elle soit précipitée par la mort brutale du Raïs ou menée dans le cadre d’élections32. 31. Interview avec Mohamed Abdallah, cité par Hannah Allam, Mc Clatchy Newspaper, 13 février 2011. 32. Pour une analyse comparative du rôle des armées arabes dans les soulèvements de l’hiver 2010-2011 : Philippe Droz-Vincent, « The Military amidst Uprisings and Transitions in the Arab World », « Prospects for « Democratic Control of the Armed Forces » ? […] », et « From Fighting Formal Wars to Maintaining Civil Peace ? ». 19