Vers un régime communautaire de protection contre le vol d`objets d
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Vers un régime communautaire de protection contre le vol d`objets d
M. le Professeur Raymond Goy Vers un régime communautaire de protection contre le vol d'objets d'art — Le rapport Châtelain In: Annuaire français de droit international, volume 24, 1978. pp. 989-996. Citer ce document / Cite this document : Goy Raymond. Vers un régime communautaire de protection contre le vol d'objets d'art — Le rapport Châtelain. In: Annuaire français de droit international, volume 24, 1978. pp. 989-996. doi : 10.3406/afdi.1978.2138 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1978_num_24_1_2138 VERS UN REGIME COMMUNAUTAIRE DE PROTECTION CONTRE LE VOL D'OBJETS D'ART LE RAPPORT CHATELAIN Raymond GOY Les vols d'objets d'art se multiplient gravement dans l'Europe des Neuf. Les vols déclarés passent entre 1970 et 1975, de 1261 à 5190 en France, de 2 466 à 10952 en Italie, et bien des vols ne sont pas déclarés ou ne peuvent l'être faute de pouvoir identifier les objets tels que les produits de fouilles (1) . Ces vols s'accompagnent ordinairement d'une « chaîne de reventes succesives qui ont pour objet d'effacer peu à peu (leur) tache originelle et de (les) parer progressivement d'honorabilité », depuis « des ventes que leurs auteurs savent frauduleuses et qu'ils tiennent secrètes» jusqu'à «des ventes régulières et effectuées au grand jour» (2). Ces ventes se compliquent volontiers de passages de frontières, ce que facilite la suppression progressive des barrières, et ce qui réduit largement les risques d'ident ification, de répression et de revendication. Le phénomène revêt donc un caractère largement international (3) . La lutte contre de tels vols est évidemment nationale, mais elle se trouve mise en échec par le caractère international de cette circulation, et tend à s'international iser. Peut-elle être universelle ? Les actions policières et répressives sont évidem mentfacilitées par Interpol, mais restent insuffisantes. Une action plus large, incluant la prévention comme la revendication civile des objets volés, s'impose donc. Déjà un projet de convention élaboré en 1933 par le Conseil International des Musées et approuvé par les organes de la S.D.N. envisage la récupération des objets culturels volés, mais son texte définitif se limitera à celle des biens de « collections nationales » (4) . La convention de Paris du 14 novembre 1970 sur l'importation, (*) Raymond Goy, Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques de Rouen. (1) Rapport cité note 14, p. 7. Cf. W. Bostick. Guide pour la sécurité des biens culturels, UNESCO, 1978, 46p., pp. 1-13. (2) Communication citée note 15, § 9. (3) Sur le problème, cf. Rapport, p. 6-25. {t) « Avant projet ae convention sur le rapatriement des objets d'intérêt artistique, historique ou scientifique, perdus, volés ou ayant donné lieu à une aliénation ou exportation illicite », approuvé par résolution du 22 septembre 1933 du Conseil et par résolution de l'Assemblée du 6 octobre : Art et Archéologie, rec, p. 115-116. Texte : Rapport de l'Office international des musées, vol. 23-24, 1932, p. 242-247 et Art et Archéologie, rec, p. 51-52 — Convention pour la protection des collections nationales d'art et d'histoire, texte : Art et Archéologie, p. 77-78. Sur ce projet : A.F.D.I., 1970, p. 613-614. 990 ORGANISATION DE i/eUROPE l'exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels prévoit la reven dication des biens volés et celle des objets de musée volés, ainsi que la répression de leur vol (5) . Mais une action mondiale est gênée et retardée par les différences de situation et de moyens existants entre Etats. La convention a été signée par les Neuf, mais pas encore ratifiée, pour des raisons communes à divers Etats développés, mais aussi en raison du Marché commun lui-même. Elle devrait être enfin ratifiée suivant le vœu du Parlement européen (6) . La lutte gagne sans doute à se situer au niveau régional. Déjà une convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique a été signée en 1969(7), et une convention américaine sur la protection du patrimoine archéologique, histo rique et artistique approuvée en 1976(8). Un tel effort est bienvenu dans le cadre des Communautés européennes, du fait de leur étendue moyenne, mais surtout de leur droit, leur économie, leur culture assez homogènes, de leurs relations assez intégrées (9) . Il suppose tout de même le rapprochement de législations différentes et la recherche d'une « solution commune qui donnerait au marché de l'art européen une base juridique solide » (10). Les organes communautaires ont entrepris cette action au sein de cette « action communautaire dans le secteur culturel » amorcée depuis quelques années. Le Parle ment européen a souhaité en 1974 « des mesures susceptibles de rendre plus efficaces la lutte contre les vols et le trafic d'œuvres d'art et de biens archéologiques» et a invité la Commission des Communautés à faire des suggestions aux Etats (11) . Le document de travail dit « de M. Brunner » sur « l'action communautaire dans le secteur culturel », soumis par la Commission (12) et approuvé par le Parlement en 1976(13), évoque le problème des vols. Une étude élaborée à la demande de la Commission par le Professeur Jean Châtelain, ancien directeur des musées de France, sur «la lutte contre les vols et trafics illicites d'objets d'art», décrit «le mal », « les remèdes » : préventions, contrôles et sanctions, et « les médecins » : législateurs, organes administratifs et Communautés, et formule d'intéressantes pro positions (14) . Enfin, une communication de la Commission sur « l'action commun autaire dans le secteur culturel », présentée au Conseil en novembre 1977 (15) , (5) Sur cette convention, cf R. Goy, le régime international de l'importation, de l'expor tation et du transfert de propriété des biens culturels, A.F.D.I., 1970, p. 605-624. H. Trintignan, La protection internationale des biens culturels en temps de paix, thèse Montpellier, 454 p, dact., 1974, p. 375-425. (6) Parlement européen, résolution du 13 mai 1974, § 16. J.O.C.E., N° C. 62, 30 mai 1974, p. 5. (7) Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique signée au Conseil de l'Europe le 6 mai 1969 et publiée à la Série des Traités Européens, n° 66. Elle est ratifiée par les membres du Conseil sauf deux au moment du rapport (p. 133) . Cf. réponse de la Commission à la question écrite de M. Dondelinger, 10 novembre 1976, J.O.C.E. 28 fé vrier 1977, p. 4. (8) Convention on the protection of the archaeological, historical and artistic heritage of the American Nations (Convention de San Salvador) , approuvée par résolution AG/210 (VI.0.76) du 16 juin 1976 de l'Assemblée Générale de l'Organisation des Etats américains. Texte : O.E.A., Treaty series, n° 47. (9) Châtelain, p. 112. Communication, § 8. (10) Châtelain, p. 110. (11) Parlement européen, résolution précitée du 13 mai 1974, § 15. (12) « L'action communautaire dans le secteur culturel », document de travail de M. Brunner (SEC (76) 217, 21 janvier 1976, ronéotypé, 32+4 p.), p. 3, 28-30. (13) Parlement européen, résolution du 8 mars 1976, J.O.C.E., n° C. 79, 5 avril, p. 6. (14) J. Châtelain, « Les moyens de lutte contre les vols et trafics illicites d'œuvres d'art dans l'Europe des Neuf », étude élaborée à la demande de la Commission », 1976, réonéotypée, 138 p. + annexes. Aucune bibliographie. (15) « L'action communautaire dans le secteur culturel », communication de la Commission au Conseil, 22 novembre 1977, COM. 77/560 final, publiée in doc. 497/77; J.O.C.E. n° C. 34, 10 fév. 1978, p. 2 au Bulletin des Communautés Européennes, suppl. 6/77, points 8 à 10. LA PROTECTION DES OBJETS D'ART 991 puis évoquée au Parlement (15bis) , consacre un paragraphe au problème. Cette lutte est conçue dans un esprit très pragmatique et réaliste par les organes communautaires et par M. Châtelain. Elle voudrait certes s'attaquer au vol directement, mais doit surtout le faire indirectement à l'occasion du trafic auquel les objets volés donnent lieu, pour le rendre plus malaisé et plus aléatoire. Elle s'attacherait volontiers à tous les objets d'art, mais apparaît bien difficile lorsqu'il s'agit de biens privés, en principe connus du seul propriétaire; une lutte efficace doit donc se centrer sur les biens culturels publics ou classés par les autorités publiques, parce qu'étant inventoriés, ils pourront plus aisément être retrouvés, et qu'étant publics ou classés ils doivent être plus vigoureusement protégés. Cette démarche en retrait était déjà celle des auteurs du projet d'avant-guerre, celle des auteurs de la convention de 1970; elle commande l'étude du professeur Châtelain. I. — VERS UNE LUTTE GENERALE CONTRE LES VOLS D'OBJETS D'ART La lutte devrait sans doute être aussi générale, aussi globale que possible, et envisager tous les objets d'art quels qu'ils soient, toutes les actions possibles. Les auteurs du projet d'avant-guerre, ceux de la convention de 1970 l'ont tenté. Suivant le document Brunner, « il y a lieu de proposer aux Etats membres de rapprocher leurs législations et réglementations préventives, ainsi que de se prêter aide et assistance ». M. Châtelain étudie en ce sens divers « remèdes » mais avec assez de réalisme pour en faire ressortir les limites actuelles, que ce soit au niveau de la prévention ou à celui des sanctions. A. — La prévention et les contrôles Les moyens préventifs étudiés par M. Châtelain sont les dispositifs de sécurité, essentiellement techniques L' « identification » des objets d'art, et les contrôles qu'il étudie sont en partie des moyens préventifs. 1) L'identification des objets d'art L'identification des objets d'art est nécessaire pour qu'on puisse signaler, rechercher, retrouver le produit des vols. Elle a été étudiée par M. Châtelain (p. 46-61) et préconisée par la Commission à sa suite (16) . Cette identification repose sur une méthode d'analyse et de description que M. Châtelain dégage. Cette méthode doit être uniforme, véritable « langage commun » aux divers pays et aux diverses disciplines. Elle doit être conforme aux données de l'art et être assez simple pour pouvoir être comprise et appliquée par les personnels de police et de douane chargés du contrôle du trafic (p. 48-49); elle pourrait peut-être relever d'un personnel spécialisé, chargé de traduire en code les informations et de les transmettre aux spécialistes des autres pays et de les retraduire en langage ordinaire à l'usage des personnels de contrôle et des parti culiers (p. 54-55) . (15bis) Bapport de M. Amadei. 9 octobre 1978, doc. 325/78, avec l'avis de la Commission des budgets prenant acte de la communication de la Commission. (16) Communication précitée note 15, § 10. 992 ORGANISATION DE i/eUROPE L'indentification des objets s'opère par certains documents signalétiques. M. Chât elain reprend ici l'idée d'une « publicité appropriée » de la disparition à l'article 5 g de la convention de 1970 et la prépare et l'organise par certains documents. Une fiche signalétique serait établie pour chaque objet d'art, suivant un modèle communautaire, avec formulaire, description et photographies. Elle serait remplie par le responsable, le gardien ou le propriétaire, et resterait entre ses mains, pour ménager autant que possible la discrétion nécessaire et éviter d'alerter les voleurs. Elle serait publiée en cas de vol pour faciliter les recherches. En effet elle serait remise à la police locale et adressée par elle aux services nationaux de douane et à Interpol, et répercutée par cette organisation aux services de police des autres pays et par eux à leurs services de douane. Elle serait égale ment communiquée par la presse spécialisée aux publics concernés par les tran sactions d'objets d'art, conservateurs de musée, marchands, collectionneurs, et pourrait l'être dans des cas graves au grand public, par les différents média, presse, radio, télévision (p. 53). Le système est repris par la Commission, dans sa commun ication; et déjà un de ses membres a souhaité qu'il existe au moins dans les pays des imprimés normalisés contenant une description des œuvres d'art et que les possesseurs d'ceuvres d'art acceptent de les remplir (17) . Un répertoire pourrait même être établi. Certes, un inventaire exhautif des biens culturels existant dans chaque pays n'est pas possible (18) ; les biens sont trop nombreux et trop hétérogènes; les biens des particuliers restent dissimulés par la crainte des vols ou du fisc et donc peu connus et contrôlables; le travail nécessaire serait écrasant ou impossible. Un tel répertoire est donc écarté par M. Châtelain (p. 49-50), suivi par la Commission (19). Mais un inventaire des biens volés peut plus aisément être constitué à partir des fiches, au moins pour les biens identi fiables, sinon évidemment pour les objets comme les produits de fouilles clandestines. Ce répertoire serait tenu par un service responsable, un organe communautaire ou une institution ou bureau installé dans un pays membre. Il pourrait être consulté, outre les services de contrôle, par tout intéressé en cas de doute sur la provenance d'un bien (p. 51-56). Ce projet de fichier est également repris par la Commission (20). Un tel système exige des efforts. Il faut se doter de normes unifiées de descrip tion et disposer de moyens matériels et financiers pour l'appliquer (p. 51). H faut instituer un système obligatoire de fiches et d'inventaires qui n'existent en Europe que pour certains bien publics ou classés (p. 61). Mais ce système facilitera évidem mentles contrôles. 2) Contrôles Des contrôles sont en effet nécessaires à la lutte contre le vol et le trafic illicite aux différentes phases du circuit (p. 62-80, 116-122, 135-136) . Le contrôle des sites archéologiques et des fouilles se situe tout en amont, et entre bien dans la prévention. Il a été prévu par la convention européenne de pro tection du patrimoine archéologique de 1969 (21) et la convention de Paris (art. 2 d) . (17) Réponse de M. Brunnek à une question orale de M. Berkhouwer, 11 janvier 1977, Débats, p. 30. (18) Déjà la convention de 1970, article 5 b, prévoit l'inventaire des biens que l'Etat veut protéger. Le Parlement européen a préconisé un inventaire du patrimoine culturel européen dans sa résolution du 13 mai 1974, § 1 (supra, note 6) . (19) Réponse de la Commission à la question écrite de M. Cifarelli, 5 octobre 1977, J.O.C.E., N° C. 265, 7 novembre, p. 2. (20) Réponse précitée note 19; communication précitée note 15, § 10. (21) Convention précitée note 7, articles 2-3. LA PROTECTION DES OBJETS D'ART 993 Trois « contrôles ponctuels » sont présentés à part par l'auteur et lui semblent devoir être maintenus et renforcés en dépit du libéralisme communautaire. D'ailleurs, le document Brunner souligne que « la Commission ne perdra pas de vue que, s'il faut que les producteurs, les distributeurs et les acquéreurs de ces biens ne soient plus gênés (conformément à l'objectif du traité) par les formalités qu'en traîne le contrôle, le contrôle doit continuer à gêner les voleurs et les trafiquants » (§ 44) . Et la Commission énonce que si elle propose le « libre échange des biens culturels », elle entend permettre le contrôle des objets volés par le système de la fiche signalétique (§ 10) . Ces contrôles sont au nombre de trois. C'est d'abord le contrôle aux frontières. M. Châtelain relève que le contrôle à l'importation n,existe plus chez les Neuf et qu'il existe inégalement à l'exportation : nul dans trois Etats, souple dans quatre, il est strict en France et en Italie, et qu'enfin le système de la convention de 1970 devra un jour s'appliquer. C'est aussi le contrôle à l'arrivée, le contrôle du commerce d'art, qui existe peu chez les Neuf, et le contrôle des musées (22). Ceux-ci doivent empêcher l'achat de biens suspects, mais surtout par voie de police interne, de déontologie (23), plutôt que par un instrument nouveau. Ces contrôles contribuent non seulement à prévenir les vols, mais à assurer leur répression et leur réparation. B. — Les sanctions Les sanctions proposées par M. Châtelain sont l'une pénale, l'autre civile. 1) La répression pénale peut-elle être établie ? M. Châtelain part de l'idée que «le droit n'est qu'un reflet des préoccupations particulières d'une période donnée ». Ainsi, le droit pénal dépend du souci qu'a le législateur de préserver les biens culturels : le Danemark qui ne restreint pas l'exportation d'œuvres d'art ne la sanctionne pas, mais l'Italie qui s'émeut de vols graves alourdit les sanctions (24) , et la France la frappe par diverses dispositions (25) . La jurispru dencetient compte de l'opinion et sanctionne peu quand l'opinion se soucie peu du sort de ce qu'elle assimile à des objets de luxe et de spéculation. Enfin, la coopération des Etats pour la répression suppose que les parties s'accordent à considérer le fait comme délictueux et grave; elle est donc aléatoire et fragment aire si les législations sont trop complexes et diverses (p. 20-21, 80-86). La répression apparaît donc à l'auteur comme encore lointaine en l'état actuel de l'opinion. De fait, la convention de 1970 ne s'y réfère pas (hors le cas des biens publics et classés), et la Commission ne la propose pas en 1977. 2) La restitution des objets volés à leurs propriétaire peut-elle du moins être garantie ? Suivant le document Brunner, la Communauté « accorde une impor tance particulière à la récupération des œuvres volées » (§ 43) . M. Châtelain dégage les difficultés à surmonter. Ces difficultés existent si les objets volés restent sur le territoire national. (22) Cf convention de 1969 précitée note 7, art. 6. (23) Le rapport porte d'ailleurs en annexes les Règles d'éthique des acquisitions (recom mandations de 1'I.C.O.M., texte in Nouvelles de VI. COM., vol. 22, N° 3, sept. 1969, p. 18, et vol. 23, N° 1, mars 1970, p. 18), au § 17, et les Règles de la profession d'antiquaire et négociant en œuvres d'art originales en France. (24) Loi italienne du 1er mars 1975. (25) Textes français cités à la page 82 du rapport. 994 ORGANISATION DE I/EUROPE La revendication contre le voleur ou ses complices est toujours ouverte en droit; mais elle peut être limitée par le droit, par exemple par la prescription, et gênée par les circonstances, notamment par la revente du bien. La revendication s'exercera donc normalement entre les mains d'un tiers possesseur, souvent de bonne foi. Les législations doivent concilier les droits du propriétaire spolié et la garantie de l'acquéreur de bonne foi, et le font diverse ment.Quatre pays nordiques protègent le propriétaire au nom de l'adage «Nemo plus juris transferre potest quatn ipse hahet », mais y apportent des dérogations dans l'intérêt du commerce (26) . La France et trois autres pays protègent l'acqué reurde bonne foi selon l'adage « En fait de meubles possession vaut titre » et admettent le remboursement si la chose a été achetée dans un marché ou à certains marchands, mais permettent la revendication pendant trois ans (27) . L'Italie protège le possesseur s'il est de bonne foi et n'a pas commis de faute lourde (p. 87-95). La difficulté s'aggrave si les objets volés ont quitté le territoire national, s'ils sont vendus dans un second pays et retrouvés dans un troisième. Aux difficultés de fait évidentes s'ajoutent les difficultés de droit. La coopération, qui ne joue pas toujours pour la répression, jouera moins encore ici. La loi qui dira si la revendication est possible et comment, dépendra du système de droit international privé applicable au lieu où l'objet est retrouvé, et pourra être la loi du lieu du vol, du lieu de la vente, source du titre de propriété, ou du lieu de la situation actuelle. Enfin, le tribunal saisi de la revendication ne tiendra pas normalement compte des règles de protection, notamment d'inaliénabilité ou de classement, établies dans l'Etat d'origine (p. 23, 95-97). Les accords butent enfin sur une difficulté de définir l'objet d'art. Certes, la convention de 1970 préconise un renforcement de la coopération sans imposer de modalités nouvelles; les Etats s'y engagent «à admettre une action de revendication des biens culturels volés, exercée par le propriétaire légitime ou en son nom » (art. 13 c) . M. Châtelain montre qu'on ne peut isoler les œuvres d'art des autres meubles pour les protéger et qu'il faudrait en réalité unifier les règles de revendication de tous les meubles volés (p. 98). Mais il ajoute qu' « on ne peut pas protéger les objets d'art en général » (p. 101) et qu' « il serait tout à fait illusoire sous prétexte de limiter les trafics d'objets d'art de modifier des chapitres entiers et fondamentaux des droits civils européens» {p. 113). Il montre ainsi les limites d'une entreprise trop ambitieuse. II. — LES PROPOSITIONS POUR UNE LUTTE CONTRE LE VOL D'OBJETS PUBLICS OU CLASSES Devant ces obstacles, M. Châtelain propose de « limiter l'action proposée en lui assignant des limites précises» (p. 113) et de les centrer sur les points susceptibles d'un accord immédiat et général et donc d'une solution réaliste. Il suggère de s'en tenir au cas de vol, notion claire et acceptée par tous les Etats membres, et à deux catégories particulières de biens, déjà mises à part naguère par le projet de la S.D.N. et par la convention de 1970, articles 7 b et 13 c : d'abord les biens publics, « appartenant à l'Etat, aux collectivités terri toriales et à certaines institutions désintéressées à finalité collective»; — on (26) Danemark, Irlande, République fédérale d'Allemagne, Royaume Uni. (27) France, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas. LA PROTECTION DES OBJETS d'aET 995 pense surtout aux musées (28) — et d'autre part les « biens privés soumis à des mesures de protection particulière », donc classés (p. 85) . L'auteur les aborde à diverses étapes de son étude pour relever leurs particularités et pour leur attacher des sanctions alourdies (pp. 51-53, 85-87, 93-95, 99-101, et surtout 112116). A. — La prévention Les biens publics ou classés se distinguent des autres biens culturels par certaines particularités qui intéressent la prévention des vols. 1) L'identification des objets publics et classés est normalement assurée. Notamm ent, les biens publics font l'objet d'un inventaire dans chaque institution, et les biens classés dans chaque collection. Us peuvent même être regroupés en un inventaire national, et pourraient l'être en un inventaire international, pourvu qu'on en ait la méthode et les moyens (pp. 51-53, 101, 114). Cette identification facilite la prévention. Les recherches en seront facilitées, et la revendication sera possible « à condition qu'il soit trouvé que les biens font partie de l'inventaire », comme le dit la Convention de Paris (art. 7 b) . 2) L'affectation de ces objets au public est également leur raison d'être. Ils sont donc aisément accessibles au public, et M. Châtelain souligne « ce caractère paradoxal du bien culturel qu'on ne l'utilise bien qu'en le mettant en péril» (p. 85). Cette affectation réduit donc les possibilités de prévention, mais impose en contrepartie une répression accrue. B. — Les sanctions Les sanctions sont, non seulement possibles, mais particulièrement nécessaires aux yeux de M. Châtelain. 2) La répression pénale s'impose spécialement. En effet, une identité de vues existe ici entre les Etats sur la protection, non pas du patrimoine culturel dans son ensemble, mais du patrimoine public et des biens classés (p. 86) . Ces biens sont « destinés à l'usage du public » et lui sont même fort accessibles; ils sont donc, « du fait même, indubitablement des biens culturels et non pas seulement des éléments de commerce (p. 101) et a fortiori de spéculation. Aussi ces biens doivent-ils être spécialement protégés : M. Châtelain présente certains exemples de répression nationale et propose «une réglementation com mune » qui protégerait ces biens contre le vol et fournirait « une base solide pour la coopération internationale dans la répression» (p. 86). Il se borne à dire que le fait que le vol porte sur un bien culturel public ou classé constitue une circonstance aggravante du délit (p. 116) . 2) La restitution, au civil, ne s'impose pas moins. Elle existe dans différente droits à l'égard de biens publics et classés et se fonde en principe sur leur inaliénabilité (pp. 94-95). Elle serait ici largement admise au gré de M. Châtelain. (28) Cf. R. Goy, Les objets de musée en droit international. Annuaire de l'A.A.A., vol. 44, 1974, p. 22-33, ad. p. 26-27. 996 ORGANISATION DE I/EUROPE En effet, elle doit permettre de protéger le volé plutôt que l'acheteur ou les acheteurs successifs, car « on ne peut aboutir à une protection réellement efficace des biens concernés qu'en supprimant totalement celle des acheteurs » (p. 114) . Elle doit frapper l'acheteur, de mauvaise ou même de bonne foi, car il a commis une faute, soit en tout cas une négligence, soit une imprudence en présence d'un objet douteux ou d'un vendeur douteux, et doit être incité à la vigilance. Mais la restitution justifie aussi un recours de l'acheteur tenu à restitution contre celui qui lui a vendu. La restitution sera donc gratuite, car l'obligation de racheter au prix d'achat léserait le volé et lui serait parfois impossible, notamment en cas de spéculation. Elle se prescrira, malgré certains statuts nationaux d'imprescriptibilité, mais par trente ans, délai raisonnable et généralement accepté. M. Châtelain propose donc une « initiative communautaire », un « instrument communautaire pour la protection contre le vol des biens culturels publics ou d'intérêt public». L'instrument inclurait la définition de son champ d'action et les éléments de régime proposés, et devrait revêtira la formule la plus énergique » (p. 112-116). L'établissement d'un régime communautaire des objets d'art volés doit donc mêler l'imagination et le réalisme. M. Châtelain sait imaginer ce qui est souhai tablepour tous ces objets, mais proposer ce qui est vraiment possible. Et si des parlementaires dans des questions souhaitent une action communautaire, la Commission leur répond avec une extrême prudence. L'établissement de ce régime communautaire supposerait en tous cas deux phases prochaines. Sur le plan de la lutte générale, tous les Etats membres devraient ratifier les conventions universelles de 1970 et européenne de 1969 (pp. 110-112, 133-134) ; c'est nécessaire et assez suffisant pour assurer un régime minimum commun. Mais s'agissant du vol d'objets publics et d'intérêt public, ces conventions sont insuffisantes, et la Communauté devrait donc mettre au point un instrument contre le vol de ces objets particulièrement protégés. En attendant, la Commission en est encore à « exploiter » le rapport et à ne pas le publier comme si ce qui sert contre les voleurs pouvait servir les voleurs. Elle dit seulement préparer des mesures concrètes et une concertation avec les pays bénéficiaires du trafic d'œuvres d'art (29). On veut espérer qu'ici aussi la prudence assurera l'efficacité. (29) Réponse à M. Berxhouwer, précitée note 17. Réponse de la commission à la question écrite de M. Dondelingeb, 18 janvier 1977, J.O.C.E. n° C. 50, 28 février, p. 4.