Révision par l`ombudsman de Radio-Canada d`une

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Révision par l`ombudsman de Radio-Canada d`une
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Révision par l’ombudsman de Radio-Canada d’une plainte à propos d’une
chronique présentée le 5 mars 2013 dans le cadre de l’émission Médium
large à la Première Chaîne Radio de Radio-Canada.
LA PLAINTE
Le plaignant est M. David Ouellette, directeur associé pour le Québec du Centre consultatif des
relations juives et israéliennes (CERJI), un organisme qui se présente comme le porte-parole
officiel des quelque 400 000 juifs canadiens.
M. Ouellette se plaint d’un élément de la chronique internationale intitulée Tour du monde,
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me
présentée le 5 mars 2013 par la journaliste de Radio-Canada international, M Khady Beye,
dans le cadre de l’émission Médium large, sur la Première Chaîne Radio de Radio-Canada.
L’élément en question portait sur l’élection de la nouvelle Miss Israël 2013, Yityish Titi Aynaw,
une reine de beauté d’origine éthiopienne.
me
me
Dans son échange avec l’animatrice de l’émission, M Catherine Perrin, M Beye en a profité
pour rappeler une controverse sur l’existence d’un possible programme du gouvernement
israélien visant le contrôle des naissances des immigrantes d’origine éthiopienne.
Voici l’échange à ce sujet entre la journaliste et l’animatrice :
KHADY BEYE : « Depuis huit ans, le gouvernement israélien obligeait des
femmes originaires d’Éthiopie, qui arrivaient en Israël, à prendre une
injection d’un contraceptif de longue durée. Et, au bout de quelques années,
ils se sont rendu compte que le taux de fertilité de ces femmes-là était
extrêmement bas et elles ne comprenaient pas pourquoi, parce que la
plupart d’entre elles disaient que lorsqu’elles arrivaient, on leur disait que
c’était un vaccin, alors qu’en réalité c’était un contraceptif de longue durée. »
CATHERINE PERRIN : « Parce qu’on voulait carrément limiter les
naissances dans…»
K. BEYE : « Dans leur communauté, oui…»
C. PERRIN : « … les naissances d’origine éthiopienne, oui. »
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http://www.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2012-2013/chronique.asp?idChronique=278114
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K. BEYE : « C’est un gros scandale et en plus ils se sont fait également
taper sur les doigts parce qu’ils avaient une politique de rapatriement des
immigrants d’origine d’Afrique subsaharienne, et ils les payaient entre 500 et
1 000 euros…»
C. PERRIN : « Pour les renvoyer…»
K. BEYE : « Pour les renvoyer…»
C. PERRIN : « Wow… c’est gênant…»
K. BEYE : « Alors, du coup, il y a des gens qui disent, est-ce que la victoire
de Titi, comme on l’appelle, ne serait pas politique finalement? Si on veut
calmer un petit peu les ardeurs des gens. »
C. PERRIN : « Oui, symbolique. Oh, c’est un dossier dont je n’avais pas
entendu parler, cette histoire de contraception forcée. Très, très, très
troublant quand on pense à toutes sortes … d’expériences qui ont été
menées contre des juifs à une certaine époque, hein. »
Or, soutient M. Ouellette, « s’il y a en effet une importante controverse au sujet de l’usage du
contraceptif de longue durée Depo-Provera chez les Israéliennes d’origine éthiopienne, il n’y a
pour l’heure que des allégations et certainement aucune preuve d’une politique israélienne de
contrôle des naissances dans la communauté israélo-éthiopienne ».
Le plaignant ajoute que les faits sont plutôt les suivants :
« - Des Israéliennes d’origine éthiopienne ont affirmé dans un reportage de
la télévision israélienne avoir été incitées à utiliser le contraceptif DepoProvera injecté aux trois mois sans que d’autres méthodes contraceptives
ne leur aient été offertes;
- D’autres affirment avoir été informées par les agences juives responsables
de leur immigration en Israël que les Israéliens ont de petites familles et que
la vie y est difficile pour les familles nombreuses;
- Certaines affirment qu’on leur aurait intimé qu’elles ne pourraient immigrer
en Israël si elles n’acceptaient pas les injections de Depo-Provera;
- D’autres, enfin, prétendent avoir ignoré qu’on leur injectait un contraceptif,
pensant qu’il s’agissait de vaccins;
- En 2008, au moment où les premières allégations d’une politique de
contrôle des naissances dans la communauté éthiopienne ont fait surface,
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le ministre israélien de la Santé avait déclaré que l’usage de contraceptifs
intraveineux comme le Depo-Provera était une question de préférence
culturelle;
- Cette affirmation est soutenue par une étude réalisée en 2005 par Family
Health International, une ONG dédiée à la santé publique et au
développement. Publiée dans The African Journal of Reproductive Health,
l’étude établit "une prédominance des injectables" en Afrique subsaharienne,
due à la nature dissimulée de son usage dans un contexte culturel où "les
contraceptifs peuvent introduire la discorde sociale, menant parfois à la
violence de partenaires intimes dans des couples africains";
- Itzik Dasa, directeur de Tebeka, un organisme d’aide juridique pour Juifs
éthiopiens, a affirmé ne pas croire qu’Israël ait imposé une politique de
réduction de taux de naissance chez les Israéliennes d’origine éthiopienne;
- Le ministère de la Santé israélien a fermement nié l’existence d’une
politique encourageant l’usage de Depo-Provera ou de contrôle des
naissances dans la communauté éthiopienne et vient de créer une
commission d’enquête sur la question;
- L’Agence juive, responsable de l’immigration juive en Israël et du
rapatriement des Juifs éthiopiens, a affirmé ne jamais intervenir dans la
planification familiale des immigrants.
Il est extrêmement troublant que Radio-Canada ait présenté des allégations
incertaines comme des faits éprouvés dans une affaire controversée sur
laquelle toute la lumière n’a pas encore été faite. La teneur de l’échange
entre l’animatrice et la journaliste enfreint clairement les valeurs d’exactitude
de l’information et d’équilibre. Elles trahissent, en outre, un amateurisme
indéfendable. Enfin, le rapprochement proposé entre les allégations de
contrôle des naissances et les crimes du Docteur Mengele auxquels
me
M Perrin fait implicitement référence est proprement scandaleux et
inadmissible. »
LA RÉPONSE DE L’ÉMISSION MÉDIUM LARGE
La réponse de la direction de l’émission Médium large est venue de M
chef de contenu à la Première Chaîne Radio.
me
M
Julien s’explique ainsi :
me
Sylvie Julien, premier
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« Lors de l’émission du 5 mars, il était question de la nouvelle Miss Israël
2013, événement qui a retenu l’attention de la chroniqueuse puisqu’il
s’agissait de la première Israélienne d’origine éthiopienne à gagner ce
me
concours. M Beye a relaté des articles soulevant l’hypothèse d’une
décision politique relativement au choix de la gagnante en raison de
situations pour le moins sérieuses qui ont été exposées quelques semaines
auparavant dans différents quotidiens réputés concernant la pratique
d’injection de contraceptif de longue durée sur les migrantes éthiopiennes
par Israël. Selon le Jeune Afrique, "le ministère israélien de la Santé a
reconnu avoir contraint des Éthiopiennes juives à prendre un contraceptif
avant de les autoriser à immigrer sans les informer des risques".
Aussi, "une source gouvernementale a pour la première fois reconnu la
pratique d’injection de contraceptif de longue durée sur des femmes
d’origine éthiopienne, rapporte le site du quotidien Haaretz" selon le Slate
Afrique. De même que le Point.fr qui publiait le 30 janvier dernier; "quand
Israël impose la contraception à ses Éthiopiennes". M
me
Beye a rapporté
dans ses mots les informations qu’elle a colligées à partir des sources sur
lesquelles elle s’est appuyée. Nous convenons cependant qu’avec un sujet
aussi controversé, il aurait été plus approprié qu’elle mentionne ses sources
en ondes. »
me
M
Julien fournit ensuite au plaignant les liens vers les articles qu’elle cite et sur lesquels la
journaliste s’est appuyée pour les besoins de sa chronique. Et elle conclut en invitant le plaignant
« à consulter le site Internet de l’émission Médium large du 5 mars où une précision a été
apportée concernant les médias qui ont rapporté qu’Israël a nié l’existence d’un tel plan de
naissance ».
LA RÉPLIQUE DU PLAIGNANT À LA DIRECTION DE MÉDIUM LARGE
me
Toutefois, le plaignant n’a pas été convaincu par la réponse de M Julien. Dans la réplique qu’il
lui envoie, M. Ouellette souligne que la plupart des articles consultés par la journaliste
Khady Beye pour les besoins de sa chronique précisaient bien que les organismes et
responsables israéliens concernés avaient démenti les allégations rapportées.
me
« Or, M
Beye, écrit-il, a plutôt choisi de rapporter ces allégations sur les
ondes de la Première Chaîne comme un fait incontestable ».
me
Et il ajoute qu’« aucune des sources consultées par M Beye ne soulève l’hypothèse d’une
décision politique relativement au choix de la gagnante (éthiopienne de Miss Israël) en raison de
situations (…) qui ont été exposées (…) concernant la pratique d’injection de contraceptif de
longue durée sur les migrantes éthiopiennes par Israël ».
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Il en a aussi contre le fait que la journaliste « ait présenté une chronique sur cette controverse sur
la base d’articles parus plus d’un mois avant son passage à Médium large.
« Si elle s’était donné la peine de consulter des articles plus récents sur le
développement de cette controverse, elle aurait pu lire que :
-
le 30 janvier 2013, la chroniqueuse de Ha’aretz, Allison Kaplan Sommer,
remettait les pendules à l’heure et démontrait comment la presse
internationale avait grotesquement déformé la controverse en rapportant
qu’Israël avait imposé la contraception, voire une politique de
stérilisation, à des Éthiopiennes. (…)
-
le 28 février 2013, soit 5 jours avant que M
me
Beye ne présente sa
chronique, la BBC rapportait les allégations comme telles, rappelait le
déni catégorique des autorités israéliennes et annonçait que le
gouvernement israélien allait constituer un comité d’enquête composé de
responsables du ministère de la Santé, d’un médecin indépendant et d’un
représentant de la communauté israélo-éthiopienne pour confirmer qu’il
n’y a jamais eu de politique de contraception forcée.
(…)
Enfin, vous affirmez que "le diffuseur public respecte les opinions de chacun
et une seule émission ne peut présenter un équilibre des opinions
exprimées" et que "cet équilibre n’est possible que dans notre
programmation prise dans son ensemble et sur nos différentes plateformes".
me
Or, l’impair commis par M Beye n’est pas de l’ordre de l’opinion. Elle a
présenté comme des faits avérés des allégations si graves que l’animatrice
de Médium large s’est crue permis un inacceptable parallèle avec les crimes
nazis.
L’ajout sur la page de l’émission d’hyperliens à des articles offrant des
informations plus justes, dont vous m’apprenez l’existence et qui aura
échappé aux auditeurs de Radio-Canada, ne répare en rien cette infraction
aux normes journalistiques de Radio-Canada. Il m’apparait qu’à défaut
d’émettre une correction en ondes (comme a l’habitude de le faire la CBC)
Radio-Canada ferait fi de sa propre politique de correction des erreurs qui
stipule que "Dans le respect des principes d'exactitude, d'intégrité et
d'équité, nous n'hésitons pas à corriger une erreur importante lorsque nous
avons pu établir qu'elle a été commise". (…) ».
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LE CORRECTIF DE MÉDIUM LARGE
À la suite de cette réplique de M. Ouellette, M
me
Julien revoyait sa position et en venait à la
conclusion que l’émission devait effectivement apporter un correctif. Voici ce qu’elle écrivait au
plaignant :
« J’ai lu attentivement votre courriel que je vous remercie d’avoir pris la
peine de me faire parvenir. Je vous informe que l'équipe de Catherine Perrin
apportera en ondes prochainement des précisions sur la chronique de
Khady Beye diffusée le 5 mars dernier dans le cadre de l’émission Médium
large. »
Le 4 avril 2013, l’émission Médium large a effectivement apporté des précisions à la chronique de
me
M
Beye du 5 mars précédent. Voici comment ces précisions ont été présentées en ondes :
CATHERINE PERRIN : « … vous avez rapporté des articles qui alléguaient
que le gouvernement israélien aurait autorisé l’injection d’un contraceptif à
des femmes éthiopiennes à leur insu. »
KHADY BEYE : « Oui Catherine, alors j’avais évoqué notamment les articles
qui avait été publiés par Le Point, Slate Afrique et Jeune Afrique et qui
avaient rapporté ces allégations, mais il y a aussi des articles qui ont été
publiés qui évoquent, eux, une autre vision de cette situation. Selon, entre
autres, l’agence de presse Reuters, la BBC, et le site Israël Info, les
autorités israéliennes auraient nié avoir mis en place des politiques visant à
contrôler le taux de naissance chez les femmes immigrantes éthiopiennes et
la BBC rapporte d’ailleurs qu’Israël aurait l’intention de créer un comité
d’enquête composé de responsables du ministère de la Santé, d’un
médecin indépendant et d’un représentant de la communauté israéloéthiopienne afin de confirmer que la politique de contraception forcée
n’aurait jamais eu lieu. »
2
Le même jour, Radio-Canada.ca publiait sur le site web de Médium large le correctif suivant :
« Khady Beye fait un retour sur un des sujets qu'elle a traités le 5 mars
dernier dans la rubrique Tour du monde, où des collaborateurs venus
d'ailleurs font part aux auditeurs des nouvelles publiées dans des médias de
leur région de la planète.
2
http://www.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2012-2013/chronique.asp?idChronique=284026
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La chroniqueuse avait alors parlé d'articles alléguant que le gouvernement
israélien aurait autorisé l'injection d'un contraceptif à des femmes
éthiopiennes, à leur insu. Elle avait alors mentionné Le Point, Slate Afrique
et Jeune Afrique.
Or, d'autres articles donnent, eux, une image différente de cette situation.
Selon, entre autres, l'agence de presse Reuters, la BBC et le site IsraëlInfos, les autorités israéliennes auraient nié avoir mis en place des politiques
visant à contrôler les taux de naissance chez les immigrées éthiopiennes. La
BBC rapporte d'ailleurs qu'Israël aurait l'intention de créer un comité
d'enquête composé de responsables du ministère de la Santé, d'un médecin
indépendant et d'un représentant de la communauté israélo-éthiopienne,
afin de confirmer que la politique de contraception forcée n'aurait jamais
existé. »
LA DEMANDE DE RÉVISION
Ces précisions et correctifs n’ont toutefois pas satisfait le plaignant qui m’a demandé, en ces
termes, de revoir le dossier.
« Les précisions de M
me
Beye, comme celles publiées sur le site de
l'émission, plutôt que de reconnaître l'erreur d'avoir présenté au public de
Radio-Canada des allégations controversées comme des faits établis,
présentent comme des "versions" également crédibles d'une même affaire
des articles de presse clairement erronés avec des articles présentant des
informations exactes et complètes.
Comme Radio-Canada et l'émission n'ont pas reconnu l'erreur et que les
"précisions" apportées, au mépris des exigences de la politique de
corrections des erreurs de Radio-Canada, ne la corrigent pas, nous vous
prions de procéder à une révision de notre plainte. »
LA RÉVISION3
Après avoir pris connaissance d’un grand nombre d’articles de presse publiés sur le sujet dont il
me
est ici question, il ne fait aucun doute dans mon esprit que M Beye a effectivement présenté
des allégations comme des faits établis alors qu’elles restaient encore à établir.
Je rappelle que c’est l’émission Vacuum de la Télévision éducative israélienne, dans un
reportage d’enquête présenté en décembre 2012, qui a lancé le débat sur cette question.
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Mandat de l’ombudsman : http://blogues.radio-canada.ca/ombudsman/mandat
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Les auteurs du reportage ont recueilli les témoignages de 35 Éthiopiennes, qui affirment avoir été
forcées d’accepter des injections de Depo-Provera, un contraceptif à action prolongée, si elles
voulaient immigrer en Israël. Ces femmes participaient alors à des ateliers de planification
familiale en Éthiopie dans les camps de transit où elles attendaient leur départ pour Israël.
En réaction à ce reportage, l’American Joint Distribution Committee, qui gère les ateliers de
planification familiale et les cliniques médicales dans les camps de transit en Éthiopie, et le
ministère israélien de la Santé ont vigoureusement nié ces allégations. L’Agence Juive, qui
supervise l’émigration vers Israël, a de son côté affirmé ne pas être au courant de telles
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pratiques .
À la suite de la plainte de M. Ouellette, la direction de Médium large a d’abord mis en ligne, à la
fin de sa chronique Tour du monde du 5 mars 2013, quelques liens vers des articles de différents
journaux faisant état de cette affaire. On y trouvait beaucoup plus de détails, y compris les
positions des différents organismes israéliens impliqués.
Non content de ces ajouts, M. Ouellette a maintenu sa plainte. En fin de compte, Médium large a
choisi de livrer en ondes et sur son site web la mise au point que j’ai retranscrite plus haut.
Cela n’a pas non plus satisfait M. Ouellette qui considère que la direction de l’émission n’a pas
reconnu son erreur et que sa mise au point présente « comme des versions également crédibles
d'une même affaire des articles de presse clairement erronés avec des articles présentant des
informations exactes et complètes ».
Si je comprends bien le plaignant, il aurait souhaité que la mise au point ne retienne sur cette
affaire que le seul point de vue officiel du gouvernement et des agences israéliennes concernées.
me
Bref, que la mise au point établisse que tout ce qui avait été dit par M Beye, et rapporté dans
les journaux, qu’elle citait le 5 mars 2013, était non seulement nié « officiellement », mais que
c’était des faussetés.
Or, nous avons ici affaire à une véritable controverse. Au départ, d’un côté une enquête
journalistique basée sur les affirmations de 35 femmes, dont certaines personnes ou organismes
ont pu soupçonner ou conclure à une politique délibérée d’Israël visant à limiter les naissances
dans sa communauté d’origine éthiopienne; de l’autre, des démentis des agences et du ministère
israéliens concernés. Mais aussi, avec le temps, certaines admissions officielles, des opinions et
avis contradictoires, des demandes d’éclaircissements et, semble-t-il, le déclenchement d’une
enquête.
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http://www.haaretz.com/news/national/why-is-the-birth-rate-in-israel-s-ethiopian-communitydeclining.premium-1.483494#
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Le 27 janvier dernier, le quotidien israélien Haaretz rapportait que le directeur général du
ministère de la Santé israélien avait ordonné qu’on cesse d’injecter du Depo-Provera aux
femmes d’origine éthiopienne s’il y avait des risques qu’elles ne comprennent pas ou mal les
conséquences du traitement anticonceptionnel. Le quotidien rappelait que le ministère de la
Santé et les autres agences gouvernementales concernées avaient toujours nié être au courant
ou responsables de cette pratique.
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Deux jours plus tard, le quotidien montréalais La Presse diffusait un article de l’Agence France
Presse qui reprenait essentiellement les mêmes informations. On y indiquait aussi que c’est à la
demande de l'Association pour les droits civiques en Israël (ACRI) que le ministère de la Santé
avait émis cette directive. L’article cite le porte-parole de l'ACRI, M. Marc Grey, qui y voit « un
aveu important que ce phénomène a bien existé ».
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Le même jour, soit le 29 janvier, une dépêche diffusée sur le site web de l’IRIN , un réseau
d’information rattaché au Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, rappelait
qu’un rapport dévoilé en 2010 par une organisation de femmes, la Isha le’Isha, établissait que
57 pour cent des Israéliennes à qui on avait administré le contraceptif Depo-Provera étaient
d’origine éthiopienne « alors qu’elles représentent moins de 2 pour cent de l’ensemble de la
population israélienne ».
L’article cite l’auteur du rapport, Hedva Eyal, qui dit ceci :
« En fait, c’est la première fois que l’État reconnaît que cette pratique
d’administrer à des immigrantes un médicament alors qu’elles n’en
connaissent pas les effets secondaires est immoral. »
L’article cite aussi « le porte-parole adjoint du ministère de la Santé, Smadar Shazo », qui
explique que le ministère de la Santé enquêtait déjà depuis quelques mois « afin de déterminer
qui était responsable de cette pratique à la fois en Israël et dans les camps de transit en
Éthiopie ».
À la lecture de tous ces articles, et de nombreux autres publiés récemment en Israël et ailleurs, il
semble bien que la question n’est plus de savoir si le Depo-Provera a été administré ou non à
des émigrantes éthiopiennes, plus ou moins conscientes qu’il s’agissait d’un contraceptif et plus
ou moins contre leur gré; mais plutôt de savoir si le gouvernement israélien était bien au courant
de cette pratique et s’il y a eu une volonté politique de contrôler les naissances des Juifs
éthiopiens.
5
http://www.haaretz.com/news/national/israel-admits-ethiopian-women-were-given-birth-controlshots.premium-1.496519
6
http://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201301/29/01-4616164-israel-des-ethiopiennes-forceesa-la-contraception.php
7
http://www.irinnews.org/fr/Report/97363/Indignation-en-Israël-suite-à-l-injection-de-contraceptifs-auxjuives-éthiopiennes
10
Or, dans sa revue de presse du 5 mars, la journaliste Khady Beye a bel et bien affirmé que « le
gouvernement israélien obligeait des femmes originaires d’Éthiopie qui arrivaient en Israël à
prendre une injection d’un contraceptif de longue durée ».
Si plusieurs soutiennent cette allégation, l’ACRI entre autres, elle reste à prouver. Et c’est
justement pour faire la lumière à ce sujet que, selon la BBC, le gouvernement israélien entendrait
créer un comité d’enquête. En fait, la BBC explique que c’est pour vérifier s’il y a eu ou pas une
politique délibérée visant à limiter les naissances dans sa communauté d’origine éthiopienne.
« Israel's health ministry is to investigate why contraceptive injections were
widely given to Ethiopian immigrant women », lit-on dans un article de la
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correspondante à Jérusalem de la BBC publié sur le web le 28 février 2013 .
« A new committee will look into allegations that this was done in a
deliberate attempt to reduce births in the Ethiopian Israeli community. »
(Ma traduction : « Le ministère de la Santé israélien enquêtera sur les
raisons pour lesquelles des contraceptifs injectables ont été abondamment
administrés aux immigrantes éthiopiennes. Un nouveau comité examinera
les affirmations selon lesquelles il s’agissait là d’une pratique délibérée afin
de réduire les naissances au sein de la communauté éthiopio-israélienne. »)
me
M
Beye a donc commis l’erreur de considérer et de présenter comme telles des allégations non
établies. Des affirmations, il est important de le souligner, suffisamment sérieuses pour que le
gouvernement israélien veuille apparemment enquêter pour en vérifier le bien-fondé.
Les Normes et pratiques journalistiques (NPJ) de Radio-Canada exigent, en vertu de la valeur
9
d’exactitude , que ses journalistes recherchent « la vérité sur toute question d’intérêt public » et
déploient « les efforts nécessaires pour recueillir les faits, les comprendre et les expliquer
clairement ».
Aucun journaliste ni aucune émission ne sont à l’abri des erreurs. C’est pourquoi les NPJ
prévoient aussi qu’on doit corriger les erreurs qui sont portées à leur attention. Voici ce qu’on dit
à cet égard :
« Principes - Correction des erreurs
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Nous mettons tout en œuvre afin d’éviter les erreurs en ondes et dans nos
services en ligne. Dans le respect des principes d’exactitude, d’intégrité et
d’équité, nous n’hésitons pas à corriger une erreur importante lorsque nous
8
http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-21621388
http://www.cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-etpolitiques/programmation/journalistique/
10
http://www.cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-etpolitiques/programmation/journalistique/correction/
9
11
avons pu établir qu’elle a été commise. Cela est essentiel pour maintenir
notre crédibilité auprès des Canadiens. Lorsque nous devons apporter une
mise au point, nous le faisons dans les meilleurs délais, en tenant compte
des circonstances et de l’ampleur donnée à la diffusion des éléments
erronés.
(…)
Le choix de la forme et du moment de diffusion d’une mise au point incombe
au directeur, qui peut, si nécessaire, consulter le Service juridique. »
Il y a donc eu erreur, puis correction de l’erreur. Ce correctif a pris la forme d’une intervention en
ondes de la journaliste Khady Beye durant l’édition du 4 avril de Médium large et de la mise en
ligne d’un texte sur le site de l’émission.
Dans son correctif, M
me
Beye n’a pas dit qu’elle avait omis, le 5 mars, de rapporter les démentis
du gouvernement israélien et des agences concernées contenus dans les journaux qu’elle avait
cités. M. Ouellette s’en désole et s’en plaint.
Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’un correctif prenne la forme d’une séance d’autoflagellation
me
publique pour remplir son rôle; je considère aussi que les précisions de M Beye font clairement
état de plusieurs des informations et points de vue que M. Ouellette lui reproche d’avoir omis lors
de sa chronique du 5 mars. Je comprends que, pour le plaignant, les articles cités par la
journaliste le 5 mars étaient erronés, mais c’est matière à opinion.
Par ailleurs, les responsables de l’émission m’ont indiqué qu’ils avaient consulté les services
juridiques de Radio-Canada pour rédiger leur mise au point, comme le permettent les NPJ.
Il y a donc eu erreur au plan de l’exactitude. Mais, comme le demandent les NPJ, l’erreur a été
corrigée. Il n’y a donc pas eu faute.
CONCLUSION
En corrigeant une erreur relevée dans sa chronique Tour du monde du 5 mars 2013, à propos de
l’administration controversée d’un contraceptif aux Éthiopiennes immigrant en Israël, l’émission
Médium large a respecté les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Pierre Tourangeau
Ombudsman des Services français
Société Radio-Canada
Le 11 avril 2013