Altermondes WEF essai 2 - La Semaine de la solidarité internationale

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Altermondes WEF essai 2 - La Semaine de la solidarité internationale
Altermondes WEF essai 2
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hors série
JOURNAL DU WEF – 26 ET 27 MARS 2011
Entretien avec…
Jérôme Guillet
© Camille Millerand
Consultant, diplômé en études de pratiques sociales,
Jérôme Guillet est l’animateur du Parcours 7.
Rencontre avec celui qui se décrit comme
un « expert en publics non-captifs ».
PROPOS RECUEILLIS PAR JOHANNA GHIGLIA
Comment vous définiriez-vous ?
Jérôme Guillet: Je suis animateur et fier
de l’être. Je le revendique. Je dis fier car
j’ai connu cette activité alors qu’elle était
méprisée. Ce métier m’a offert des souvenirs qui m’ont marqué pour toute la
vie. Pour moi, faire de l’animation, c’est
mettre de la vie, de l’âme. Il faut refonder l’animation comme métier, je souhaite la défendre comme discipline
sociale. Mon désir est de faire de vraies
écoles de la seconde chance. Il faut de
la proximité, c’est ce que je retiens de
mes expériences. Socrate, déjà, allait
dans la rue à la rencontre des gens, je
reprends juste une tradition millénaire.
C’est en effet primordial de considérer
les gens.La rue est l’école la plus rugueuse.
Si tu parviens à intéresser les gens dans
la rue, tu les intéresseras partout.
© Camille Millerand
Comment est né ce désir de recréer du
lien entre les gens ?
J.G.: Mon père était directeur d’un centre social à Villiers-le-Bel (Val d’Oise).
Il y avait des Pakistanais, des Maghrébins, des Portugais, etc. Mon père s’in-
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téressait aux autres, on a accueilli toutes sortes de gens à la maison, des drogués, des handicapés, des personnes
ayant connu des agressions de leur altérité. Ces altérités, ces vérités brutes
m’ont transformé. J’en ai développé un
véritable bonheur d’être bousculé par
l’autre, c’est un bonheur très enraciné.
Par la suite, j’ai fait de la philosophie à
la fac, je me sentais créatif mais je ne
savais pas dans quel domaine l’exprimer. J’ai été bouleversé par un professeur. Il m’a transmis la valeur du travail,la valeur de l’effort.Les médias nous
présentent trop souvent des histoires de
réussite fulgurante mais la vraie réussite est dans l’effort: tomber, se relever,
tomber de nouveau, se relever encore.
C’est un principe de vie.
Comment votre travail contribue-t-il au
changement social?
J.G. : Je provoque des rencontres inattendues.Le changement social passe par
des rencontres: s’en offrir et en offrir.
Ouvrons nos cercles sociaux! Avoir des
amis d’autres milieux c’est plus parlant
que des discours contre le racisme ou
la discrimination.La différence n’est pas
si simple à accepter, si l’on n’a pas des
amitiés avec des personnes différentes.
Partons de la base, travaillons sur nos
peurs. Beaucoup de travailleurs sociaux
ont peur du populaire. Il faut savoir l’affronter et être en phase avec ses incohérences. L’ouverture et le dialogue
représentent une philosophie, une discipline à s’offrir, qui s’ancre dans des
réalités brutes. Il faut rétablir des relations de désir et non de besoin, donner
sans intention de gain. Créer du lien
entre les gens a un effet de contamination,de contagion positive.J’ai la conviction que cette action modifie les gens
et agit comme stimulateur social.
Billet
Un devoir pour tous
PAR SAMIRA OUAMANE
peut regretter le manque de contextualisation des aniO nmations.
La hausse du chômage et la précarité n’ont-elles
pas un «sens» pour ces jeunes? Comment provoquer de la
solidarité alors que l’extrême droite divise les citoyens français? Pourquoi la crise financière ne fait-elle pas partie de
la mallette du participant? Les frileux vous diront que le WEF
se berce de l’illusion des possibles, là où certains verront des
tentatives de rassemblement de citoyens. Le WEF, lui, avance,
confiant de proposer des outils qui feront de chaque citoyen
une personne libre de choisir et de construire son chemin
en accord avec ses valeurs. Le WEF est donc avant tout un
espace d’échange, une passerelle entre des parcours de vie,
des expériences différentes qui se rencontrent pour s’enrichir les unes des autres. Bien plus qu’un réseau, il propose
des solutions qui allient pédagogie et animation. Il confirme
son rôle d’acteur citoyen et réussit à fédérer des associations
jeunes, dynamiques, à la recherche de solidarité et d’échange.
Il nous conforte dans l’idée que la solidarité n’est pas seulement un don de soi mais un devoir pour tous.
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«Quel est votre plus grand regret?»
Le Parcours 7 proposé par Jérôme Guillet a proposé très concrètement de réinvestir
l’espace public, envoyant les participants, par deux, à la rencontre des gens, dans la rue,
pour les faire parler. Reportage.
ne expérience de rencontres de
rue inventée par Jérôme Guillet: le
porteur de paroles, un concept
innovant, dynamique et étonnant. La
règle du jeu est très simple. Les participants constituent des binômes avec
chacun une pancarte colorée, sur
laquelle est inscrite une question: «A
quoi êtes-vous fidèle?», «Etre un homme,
c’est… » ou encore « Qu’est-ce qu’un
paysan?».Avec Julie,mon binôme,nous
nous baladons avec une pancarte «Quel
est votre plus grand regret?».Tout en nous
promenant notre conversation suit son
cours. Les passants sont interpellés par
notre question.Leurs réactions sont multiples et variées. Des expressions d’étonnement,des sourires au coin des lèvres ou encore de l’indifférence. Un
octogénaire,en route pour faire ses courses, nous confie: « Mon plus grand regret: c’est d’avoir perdu ma femme trop tôt».
Dans son regard, une pointe de nostalgie transparaît, il vivait avec sa femme,
Evelyne, depuis 52 ans.
Le porteur de paroles permet d’offrir à
des personnes de l’écoute. Pendant
quelques minutes,on donne de la considération à ceux qui n’en ont pas. On
ébranle ses petites habitudes: l’indifférence, le renfermement, le repli sur soi.
Un porteur de paroles est avant tout un
anonyme.Il est empli d’une volonté d’échanger qui conduit à créer le dialogue.
U
© Camille Millerand
© Camille Millerand
PAR N’FANTEH MINTEH
On ne s’attend pas à une telle sincérité
de la part des gens rencontrés, cette intimité qu’ils partagent avec nous.Comme
si certains avaient attendu ce moment
pour exprimer ce qu’ils gardent dans
leur cœur depuis longtemps. En majorité des hommes, certains pleurent de
soulagement, d’autres avouent leur faiblesse… «C’est un fait, les hommes dans
notre société doivent incarner la virilité,
ils incorporent leurs souffrances, ils ont
rarement l’occasion de déposer des choses», explique Jérôme.
De retour de leur expédition, les binômes sont tous surpris. Face à ce degré
d’intimité qui nous est offert, on ne sait
pas toujours comment répondre à cet
échange.A la question «Quel rêve aviezvous enfant?», le binôme de Fanny est
confronté à un silence. Leur interlocuteur d’origine guinéenne cherche dans
ses souvenirs. Il se sent frustré de n’avoir aucune réponse à fournir aux
filles. Il avouera qu’enfant, son père a
été tué pendant la guerre civile en
Guinée. Il n’avait pas le temps d’avoir
des rêves car il voulait avant tout venger son père. « Ce monsieur nous a
remerciés et voulait absolument nous
offrir quelque chose, il a trouvé une
canette d’Orangina dans son sac et nous
l’a donnée ». Un contre-don pour une
écoute si rare. Le concept de porteur
de paroles bouscule les codes.
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