Altermondes WEF essai 2 - La Semaine de la solidarité internationale
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Altermondes WEF essai 2 8/04/11 10:26 Page 12 hors série JOURNAL DU WEF – 26 ET 27 MARS 2011 Entretien avec… Jérôme Guillet © Camille Millerand Consultant, diplômé en études de pratiques sociales, Jérôme Guillet est l’animateur du Parcours 7. Rencontre avec celui qui se décrit comme un « expert en publics non-captifs ». PROPOS RECUEILLIS PAR JOHANNA GHIGLIA Comment vous définiriez-vous ? Jérôme Guillet: Je suis animateur et fier de l’être. Je le revendique. Je dis fier car j’ai connu cette activité alors qu’elle était méprisée. Ce métier m’a offert des souvenirs qui m’ont marqué pour toute la vie. Pour moi, faire de l’animation, c’est mettre de la vie, de l’âme. Il faut refonder l’animation comme métier, je souhaite la défendre comme discipline sociale. Mon désir est de faire de vraies écoles de la seconde chance. Il faut de la proximité, c’est ce que je retiens de mes expériences. Socrate, déjà, allait dans la rue à la rencontre des gens, je reprends juste une tradition millénaire. C’est en effet primordial de considérer les gens.La rue est l’école la plus rugueuse. Si tu parviens à intéresser les gens dans la rue, tu les intéresseras partout. © Camille Millerand Comment est né ce désir de recréer du lien entre les gens ? J.G.: Mon père était directeur d’un centre social à Villiers-le-Bel (Val d’Oise). Il y avait des Pakistanais, des Maghrébins, des Portugais, etc. Mon père s’in- 10 ALTERMONDES téressait aux autres, on a accueilli toutes sortes de gens à la maison, des drogués, des handicapés, des personnes ayant connu des agressions de leur altérité. Ces altérités, ces vérités brutes m’ont transformé. J’en ai développé un véritable bonheur d’être bousculé par l’autre, c’est un bonheur très enraciné. Par la suite, j’ai fait de la philosophie à la fac, je me sentais créatif mais je ne savais pas dans quel domaine l’exprimer. J’ai été bouleversé par un professeur. Il m’a transmis la valeur du travail,la valeur de l’effort.Les médias nous présentent trop souvent des histoires de réussite fulgurante mais la vraie réussite est dans l’effort: tomber, se relever, tomber de nouveau, se relever encore. C’est un principe de vie. Comment votre travail contribue-t-il au changement social? J.G. : Je provoque des rencontres inattendues.Le changement social passe par des rencontres: s’en offrir et en offrir. Ouvrons nos cercles sociaux! Avoir des amis d’autres milieux c’est plus parlant que des discours contre le racisme ou la discrimination.La différence n’est pas si simple à accepter, si l’on n’a pas des amitiés avec des personnes différentes. Partons de la base, travaillons sur nos peurs. Beaucoup de travailleurs sociaux ont peur du populaire. Il faut savoir l’affronter et être en phase avec ses incohérences. L’ouverture et le dialogue représentent une philosophie, une discipline à s’offrir, qui s’ancre dans des réalités brutes. Il faut rétablir des relations de désir et non de besoin, donner sans intention de gain. Créer du lien entre les gens a un effet de contamination,de contagion positive.J’ai la conviction que cette action modifie les gens et agit comme stimulateur social. Billet Un devoir pour tous PAR SAMIRA OUAMANE peut regretter le manque de contextualisation des aniO nmations. La hausse du chômage et la précarité n’ont-elles pas un «sens» pour ces jeunes? Comment provoquer de la solidarité alors que l’extrême droite divise les citoyens français? Pourquoi la crise financière ne fait-elle pas partie de la mallette du participant? Les frileux vous diront que le WEF se berce de l’illusion des possibles, là où certains verront des tentatives de rassemblement de citoyens. Le WEF, lui, avance, confiant de proposer des outils qui feront de chaque citoyen une personne libre de choisir et de construire son chemin en accord avec ses valeurs. Le WEF est donc avant tout un espace d’échange, une passerelle entre des parcours de vie, des expériences différentes qui se rencontrent pour s’enrichir les unes des autres. Bien plus qu’un réseau, il propose des solutions qui allient pédagogie et animation. Il confirme son rôle d’acteur citoyen et réussit à fédérer des associations jeunes, dynamiques, à la recherche de solidarité et d’échange. Il nous conforte dans l’idée que la solidarité n’est pas seulement un don de soi mais un devoir pour tous. Altermondes WEF essai 2 8/04/11 10:26 Page 13 hors série «Quel est votre plus grand regret?» Le Parcours 7 proposé par Jérôme Guillet a proposé très concrètement de réinvestir l’espace public, envoyant les participants, par deux, à la rencontre des gens, dans la rue, pour les faire parler. Reportage. ne expérience de rencontres de rue inventée par Jérôme Guillet: le porteur de paroles, un concept innovant, dynamique et étonnant. La règle du jeu est très simple. Les participants constituent des binômes avec chacun une pancarte colorée, sur laquelle est inscrite une question: «A quoi êtes-vous fidèle?», «Etre un homme, c’est… » ou encore « Qu’est-ce qu’un paysan?».Avec Julie,mon binôme,nous nous baladons avec une pancarte «Quel est votre plus grand regret?».Tout en nous promenant notre conversation suit son cours. Les passants sont interpellés par notre question.Leurs réactions sont multiples et variées. Des expressions d’étonnement,des sourires au coin des lèvres ou encore de l’indifférence. Un octogénaire,en route pour faire ses courses, nous confie: « Mon plus grand regret: c’est d’avoir perdu ma femme trop tôt». Dans son regard, une pointe de nostalgie transparaît, il vivait avec sa femme, Evelyne, depuis 52 ans. Le porteur de paroles permet d’offrir à des personnes de l’écoute. Pendant quelques minutes,on donne de la considération à ceux qui n’en ont pas. On ébranle ses petites habitudes: l’indifférence, le renfermement, le repli sur soi. Un porteur de paroles est avant tout un anonyme.Il est empli d’une volonté d’échanger qui conduit à créer le dialogue. U © Camille Millerand © Camille Millerand PAR N’FANTEH MINTEH On ne s’attend pas à une telle sincérité de la part des gens rencontrés, cette intimité qu’ils partagent avec nous.Comme si certains avaient attendu ce moment pour exprimer ce qu’ils gardent dans leur cœur depuis longtemps. En majorité des hommes, certains pleurent de soulagement, d’autres avouent leur faiblesse… «C’est un fait, les hommes dans notre société doivent incarner la virilité, ils incorporent leurs souffrances, ils ont rarement l’occasion de déposer des choses», explique Jérôme. De retour de leur expédition, les binômes sont tous surpris. Face à ce degré d’intimité qui nous est offert, on ne sait pas toujours comment répondre à cet échange.A la question «Quel rêve aviezvous enfant?», le binôme de Fanny est confronté à un silence. Leur interlocuteur d’origine guinéenne cherche dans ses souvenirs. Il se sent frustré de n’avoir aucune réponse à fournir aux filles. Il avouera qu’enfant, son père a été tué pendant la guerre civile en Guinée. Il n’avait pas le temps d’avoir des rêves car il voulait avant tout venger son père. « Ce monsieur nous a remerciés et voulait absolument nous offrir quelque chose, il a trouvé une canette d’Orangina dans son sac et nous l’a donnée ». Un contre-don pour une écoute si rare. Le concept de porteur de paroles bouscule les codes. ALTERMONDES 11