doivent se procurer des drogues auprès de compagnies

Transcription

doivent se procurer des drogues auprès de compagnies
Des condamnés à mort cobayes du
système
1 mai 2014 | Caroline Montpetit | États-Unis
«On exige plus de transparence pour l’euthanasie des animaux
que pour l’exécution de la peine de mort des prisonniers », se
désolait mercredi soeur Helen Prejean, qui réagissait, en
entrevue au Devoir, à l’exécution bâclée de Clayton Lockett, par
injection létale, en Oklahoma, mardi.
Soeur Prejean est cette religieuse louisianaise qui accompagne
des condamnés à mort, et qui a été rendue célèbre par le film et
l’opéra Dead Man Walking, inspiré de son autobiographie. « Notre
Cour suprême dit que la peine de mort n’est pas une punition »,
dit-elle.
À travers les âges, les États-Unis ont expérimenté la peine de
mort par pendaison, par la chaise électrique, par peloton
d’exécution, et par chambre à gaz, souligne-t-elle. Au fil des ans,
ils ont retenu la mort par injection létale, parce qu’elle donne
l’impression d’être une méthode « plus humaine », dit-elle.
43 minutes d’agonie
Pourtant, le cocktail initialement conçu pour donner la mort aux
condamnés aux États-Unis a été mis au point par le médecin Karl
Brandt, sous le régime d’Adolf Hitler, souligne Anne Sainte-Marie,
d’Amnistie internationale du Canada francophone. Or, les
compagnies européennes qui manufacturaient cette drogue,
utilisée à des fins d’anesthésie lors de chirurgie, ont arrêté en
2011 d’en fournir aux États-Unis. La Commission européenne a
d’ailleurs resserré ses règlements quant aux commerces de telles
substances à des fins d’exécution de condamnés.
Depuis ce temps, les 35 États américains qui appliquent la peine
de mort doivent se procurer des drogues auprès de compagnies
plus ou moins obscures qui procèdent, sur les prisonniers, à
diverses expérimentations. Et ce, dans une grande
confidentialité, puisque les États ne sont contraints à aucune
transparence à ce chapitre. D’où le ratage qui a fait en sorte que
Clayton Lockett a finalement succombé à un infarctus après 43
minutes d’agonie, alors que la mort par injection létale n’est
censée prendre que 10 minutes. Selon le Nouvel Observateur,
l’injection de l’Oklahoma comportait trois produits : un sédatif
nommé le midazolam, qui est un agent paralysant, du bromure
de vécuronium, et du chlorure de potassium à dose
létale. « L’État reste très discret sur la provenance de ces
produits, et refuse depuis des semaines de donner les
renseignements sur les médicaments employés. L’État n’aurait
gardé aucune trace de la transaction d’achat », lit-on dans un
reportage diffusé mercredi sur la question.
Serment d’Hippocrate
Après cet incident, qui n’est pas le premier, l’État de l’Oklahoma
a suspendu pour deux semaines les exécutions qui devaient s’y
dérouler. « Ils vont se retirer quelque temps, puis ils vont dire
“nous sommes prêts”, et ils vont recommencer », soutient soeur
Prejean. En principe, aucun médecin ni personnel du corps
médical n’est censé participer à ces exécutions. « Cela viole le
serment d’Hippocrate », ajoute-t-elle.
« Je suis complètement alarmée, terrorisée, et chavirée. Le
caractère expérimental de la chose ajoute à l’horreur »,
commentait mercredi Marie-Pierre, cette jeune femme qui
correspond avec Willy Trottie, un condamné à mort du Texas,
que nous vous présentions dans l’édition du Devoir de
samedi. « Bien sûr, je pense à Willy, et je sais que ça pourrait lui
arriver. Il arrive que ça tourne mal avec les drogues habituelles
aussi. »
Selon le site Death Penalty Information, qui compile des
statistiques à ce sujet, il y a eu 1378 exécutions aux États-Unis
depuis 1976. C’est l’injection létale qui est utilisée dans la
majorité des cas (1203), suivie de l’électrocution (158), de la
chambre à gaz (11), de la pendaison (3) et du peloton
d’exécution (3).
Clayton Lockett « a commencé à haleter, puis à se débattre
après qu’il ait été déclaré inconscient, et lorsque la deuxième et
la troisième drogue ont été administrées », écrit Amnistie
internationale, dans le communiqué qui a suivi la mort de
Lockett. « C’est loin d’être la première exécution bâclée aux
États-Unis, que ce soit par électrocution, asphyxie, ou injection
létale impliquant le protocole “traditionnel” des trois drogues »,
dit Rob Freer, chercheur pour Amnistie internationale aux ÉtatsUnis. Selon M. Freer, plus de trois douzaines d’exécutions se sont
ainsi déroulées autrement que prévu.
Chaise électrique
Il y a quelques jours, l’État du Tennessee a adopté un projet de
loi visant à rétablir la chaise électrique, qui avait servi pour la
dernière fois en 2007 à la demande d’un détenu. Les États du
Wyoming et du Missouri envisageraient quant à eux de rétablir la
peine de mort par peloton d’exécution, ou encore, dans le cas du
Missouri, par chambre à gaz. Cette méthode a été utilisée pour la
dernière fois au Missouri en 1965.
Pour Amnistie internationale comme pour soeur Prejean, la peine
de mort est à proscrire, quelle que soit la méthode.
« Amnistie internationale s’oppose à la peine de mort dans tous
les cas sans exception, sans égard à la nature ou les
circonstances du crime, à la culpabilité du condamné, ou à la
méthode choisie par l’État pour procéder à cette exécution »,
écrit Amnistie internationale.
La gouverneure de l’Oklahoma, Mary Fallon, demande « un
réexamen complet de la procédure d’exécution ». L’avocat de
Charles Warner, le condamné à mort qui devait être tué le même
jour que Clayton, mais dont l’exécution a été reportée, demande
une enquête indépendante sur la question.

Documents pareils