un conte de noel

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un conte de noel
Un conte de Noel
Arnaud Desplechin
Le problème avec Arnaud Desplechin, c’est qu’il trop intelligent. D’une intelligence un peu
virtuose, qui ne pose pas, mais qui montre tout de même, en passant, de quoi elle est capable.
Après un Conte de Noël, les autres films en prennent un coup, c’est ennuyeux, on les trouve
un peu simple, voir simpliste, un peu primaires, un peu gentils. On pourrait dire que
Desplechin a un certain chic de l’intelligence. Dialogues superbes, direction d’acteur qui part
entièrement dans le sens du film, sens du cadre, leçon de mise en scène et de vivre ensemble.
Quelle est l’intelligence de Desplechin ? C’est de se sortir d’une piège qu’il a lui même tissé,
le piège du cliché : celui du conte de noël, du film de famille, des retrouvailles (drôles et
émouvantes version Disney, religieuses et symboliques version cinéma d’auteur outre
atlantique, hystériques et douloureuses version cinéma d’auteur d’ici), des secrets enfouis. Un
film de famille où le centre ne serait ni un inceste, ni un meurtre quelconque, une famille sans
traumatismes enfantins : Desplechin nous prend tous pour des adultes.
Rien de bien spectaculaire dans cette famille, et pourtant quel spectacle : c’est une véritable
mythologie, mais, comme le dit le personnage interprété par Mathieu Amalric, « de quel
mythe s’agit-il ? » Justement, Arnaud Desplechin a inventé ce mythe, une situation étrangère
à l’Œdipe, un climat bordeline qui laisse songeur, et qui questionne les spectateurs que nous
sommes sur leur propre rapport à la famille.
La grande force et la grande intelligence de Desplechin, c’est son sens de la psychanalyse. Pas
de psychologie, pas de caractères réducteurs, pas de posture. Mais un art de la scène qui est
l’art même du cinéma, dont la naissance coïncide avec la science du conscient et de
l’inconscient. . Godard parlait un jour de Françoise Dolto, grande psychanalyste s’il en est, en
ce qu’elle était, sans le savoir, un peu cinéaste. Dolto reçoit cet homme qui a des problèmes
avec sa petite fille, un nourrisson. Les séances s’accumulent sans amélioration. Jusqu’au jour
où Françoise Dolto lance au père : « mais enfin, cette enfant, lâchez-là un peu ». Et le père
lâche l’enfant qu’il avait dans les bras et qui tombe par terre. Et alors, Dolto comprend que ce
n’est pas l’enfant le problème, mais le père.
Voilà une scène, une vraie scène de cinéma : un endroit où l’on voit des situations, des nœuds
psychiques. De telles scènes se produisent dans des espaces chargés d’énergies
contradictoires, hétérogènes. Elles mettent en scène, ou plutôt elles reproduisent des
structures psychiques, des évènements passés, en fantômes. Certains se réincarnent dans Paul
(Emile Berling), d’autres font les morts, les absents, ou ceux-qui-vont-mourir Desplechin
aime les morts, le poids des ancêtres. Dès le début du film, chaque personnage prend la parole
et raconte sa généalogie. Certes, la famille est le lieu des névroses, mais elles sont plus
enfouies et moins simples que l’on peut croire. Mieux, elles évoluent : au long du film, les
personnages changent, évoluent : pas de coup de théâtre, quelques révélatiosn et surtout une
constellation familiale : une scène où chacun prend la parole pour dire sa vérité, crûment.
Desplechin est un très bon metteur en scènes, de ce terme un peu désuet qu’on donnait à ceux
du théâtre et du cinéma. Sa mise en scènes est soucieuse de rendre le film signifiant, de
donner du sens aux choses et aux paroles, de la matérialité aux corps. Son snobisme à lui,
c’est de faire de chaque plan, de chaque fragment séparé, de chaque touche de musique,
d’objet dans le champ de la caméra ou de pièce de dire une matière plein de sens, fusion
d’éléments hétérogènes qui ont chacun leur place, et dont la présence est toujours justifiée.
Son cinéma n’est pas épuré pour autant, et il se déploie, grave et pourtant drôle, comme une
leçon de psychanalyse, une leçon de cinéma. Etrange de voir ce film dans ce début d’été. On
se demande ce qu’il en aurait été de voir ce film au chaud d’une salle. Il serait même mieux
de projeter le film le jour de Noël dans les télévisions, au lieu des traditionnelles comédies
plus ou moins vieilles qu’on revoit tous les ans (et qu’on aperçoit d’ailleurs dans le film, ces
mythes qui ne collent pas) : on ferait alors une grande psychanalyse collective, de la
psychothérapie sociale. Si la télévision était de service public, elle devrait le faire.

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