Eux présidents», les scénarios de 2017 : sur la route de

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Eux présidents», les scénarios de 2017 : sur la route de
«Eux présidents», les scénarios de
2017 : sur la route de Bofossou
(épisode 1/2)
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Le Figaro – Politique – Retrouvez toute la politique du gouvernement et de
l’opposition, les propositions de lois, les institutions, les députés, les
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Élu président de la République, Alain Juppé s’interroge sur l’homme (ou la
femme) idéal(e) pour Matignon.
«Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient
être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux
épisodes pour convaincre, ou non…
Laissant derrière elle un long panache blanc, la vieille 404 avançait vaille
que vaille à la vitesse respectable de 55 km/h sur la route nationale 1, par
une température suffocante qui fit dire à son chauffeur: «J’espère que ce
n’est pas son dernier voyage. Depuis 1963, dans la famille, elle ne nous a
jamais fait faux bond, mais là, présentement, je m’inquiète. L’embrayage
patine et le moteur cliquette de partout. C’est étrange, j’ai pourtant fait
une vidange il y a treize ans et un cousin de mon beau-frère a changé le
filtre à air en 2005 ou 2006… Ah! ça y est, je me souviens! C’était en 2005,
quand Papa Chirac a fait son AVC!» À côté de lui, observant le paysage
luxuriant tout en vapotant, son passager ne semblait nullement inquiet.
«Aboubacar, ne t’inquiète pas! C’est du«made in France» comme dirait
Montebourg! Du solide! L’important, c’est qu’elle nous emmène à Bofossou!»
En ce mois de mai 2017, nous étions en Guinée-Conakry, où Jean-Louis Borloo
poursuivait la Grande Œuvre à laquelle il se dévouait corps et âme depuis
plusieurs années: l’électrification de l’Afrique. Il devait inaugurer la
centrale solaire installée récemment près du petit village de Bofossou, où
l’attendait une foule en liesse qui, grâce à lui, allait connaître
prochainement le plaisir – oublié des Occidentaux depuis des lustres – qui
consiste à faire de la nuit le jour par une simple pression sur un
interrupteur.
Tandis qu’Aboubacar s’inquiétait légitimement et regardait grimper l’aiguille
indiquant la température du moteur, le téléphone portable de l’ancien
ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy sonna. Il lut sur l’écran le
nom qui s’affichait. C’était celui d’Alain Juppé, élu la veille président de
la République. «Mince alors! Qu’est-ce qu’il me veut? Aboubacar, s’il te
plaît, arrête-toi! On est en zone de réception, mais si ça se trouve dans 300
mètres on n’a plus de signal!»
Le chauffeur de Jean-Louis Borloo s’exécuta et arrêta son fumant véhicule sur
le côté droit de la piste en latérite. Il se dépêcha d’ouvrir le capot pour
faire refroidir le moteur alors que son passager répondait à son prestigieux
correspondant. Et il se promit de raconter longtemps à ses enfants, petitsenfants, cousins et amis l’insolite conversation qu’il entendit alors.
«Allô Alain? Quelle surprise! Félicitations pour cette magnifique victoire
sur Marine Le Pen!» s’exclama Jean-Louis Borloo, tout en constatant que la
batterie de son iPhone n’en avait plus pour longtemps.
«Mon premier ministre ne doit être ni trop jeune, ni trop vieux, ni
techno, ni ambitieux, ni une fille»
Dans son QG parisien, où, en attendant la passation des pouvoirs, il
composait son gouvernement, le président élu regarda son fidèle conseiller,
Gilles Boyer (lequel faisait grise mine et se disait intérieurement «je ne
sens pas le truc»), puis se lança.
«Jean-Louis, voilà. Vous savez que durant ma campagne, j’ai laissé toutes les
portes ouvertes pour Matignon. Je suis resté dans le flou. Un jeune? Pourquoi
pas, mais les jeunes, quand ils sont brillants, sont souvent arrogants. Je
sais de quoi je parle, moi-même j’ai été jeune et arrogant! Imaginez la scène
si je nomme Macron! En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il me fera
de l’ombre! Un super techno? Le problème, c’est que ces gens-là ne
comprennent rien à la politique, n’ont aucune imagination et se transforment
vite fait en danger public. Un type de la société civile? À chaque fois qu’on
a essayé, on a été déçu. Une fille? Oui, mais en même temps (et bien sûr ça
reste entre nous), les filles, ça devient vite hystérique. D’ailleurs, ce
n’est pas un hasard si j’en ai viré huit d’un coup en novembre 95! Je suis
obligé d’en mettre un paquet au gouvernement, mais hors de question d’en
nommer une à Matignon!
– Alain, je vous comprends bien, répondit Jean-Louis Borloo. Moi-même, quand
j’ai eu NKM dans les pattes au ministère de l’Écologie, j’ai failli devenir
misogyne! Quelle toupie celle-là!
– Et s’il n’y avait qu’elle…! poursuivit le président Juppé. Jean-Louis, par
ailleurs, j’ai un autre problème. Comme vous le savez, j’ai annoncé que je ne
me représenterai pas dans cinq ans. Forcément, ça donnera des idées au
premier ministre pour 2022. Il voudra tout de suite faire entendre sa petite
musique, voire entraver un peu mon action, s’il sent que ça peut être à son
avantage. Je dois donc trouver quelqu’un, comment dirais-je, ça m’ennuie un
peu de vous le dire, mais enfin quelqu’un dont personne ne penserait qu’il
pourrait se présenter à la magistrature suprême dans cinq ans, quelqu’un qui
ne me ferait pas d’ombre et qui ne compterait pas ses troupes en prévision de
la prochaine présidentielle… Il y aurait bien Bayrou, que j’aime bien, mais
il a trois défauts: ça fait vingt ans qu’il commente la vie politique
française après avoir lu les journaux le matin en buvant son café, ce qui
franchement est un peu léger comme bagage pour le job de premier ministre,
ensuite, comme je le connais, il va me proposer des synthèses improbables
entre la droite et la gauche, enfin, il est fichu de penser à l’Élysée dès
son entrée à Matignon puisqu’il ne pense qu’à ça depuis près d’un quart de
siècle! Conclusion: mon premier ministre ne doit être ni trop jeune, ni trop
vieux, ni techno, ni ambitieux, ni une fille! Un désintéressé avec l’âme
écolo, comme moi! Un type qui, si on lui dit “Va électrifier l’Afrique!”
prend sa valise et part dans la seconde! Bref, Jean-Louis, j’ai pensé à vous!
Si vous pouviez venir me voir dans l’heure, ce serait bien.»
Il y eut une longue minute de silence. Jean-Louis Borloo mit la main sur le
bas de son iPhone et cria à son chauffeur tout en fouillant dans une de ses
poches. «Aboubacar, où se trouve la prise allume-cigare dans ta bagnole? Il
faut que je recharge mon téléphone!»
L’air navré, Aboubacar répondit: «Désolé patron! Mon grand-père m’a toujours
raconté que l’option allume-cigare, en 1963, c’était 900 francs CFA. Trop
cher pour lui!»
«Allô Alain? Dans une heure dites-vous? Ce ne sera pas possible! Je suis à
Bofossou! En Guinée-Conakry! Oui, précisément, l’électrification de tout le
continent africain! Et, ironie du sort, je n’ai quasiment plus de batterie
sur mon portable!
– Ah? Je comprends! Jean-Louis, je vous explique brièvement ce que je veux
faire pour la France. Et pendant que je parle, trouvez-vous une fichue prise
de courant!»
Le chef de l’État se lança tandis que Jean-Louis Borloo commandait à
Aboubacar de partir dare-dare pour Bofossou, où la fameuse centrale solaire
et les watts qu’elle allait produire incessamment viendraient à son secours.
La voiture repartit. L’ancien maire de Valenciennes posa son téléphone sur
ses genoux, mit le haut-parleur et écouta.
«Il me faut quelqu’un d’arrangeant, comme vous, mais déterminé, comme moi
!»
«Jean-Louis, tout le monde croit que parce que j’ai bientôt 72 ans et que je
ne me représenterai pas, je vais caler à la première manifestation venue
contre mon programme de réformes. Mais tout le monde se trompe! Tout ce que
j’ai annoncé, je vais le faire, et croyez-moi, ça va faire mal. Hausse de la
TVA, suppression de l’ISF, retraite à 65 ans avec alignement du public sur le
privé, réduction de 100 milliards des dépenses publiques, fin des 35 heures,
etc. Que des bombes atomiques! Bref, ce sera brutal de chez brutal. Mais pour
faire ça, j’ai besoin d’un premier ministre qui, outre les caractéristiques
que je vous ai mentionnées à l’instant, ne soit pas “droit dans ses bottes”,
comme moi-même je l’ai été. Il me faut quelqu’un d’arrangeant, d’enrobant,
comme vous, mais déterminé comme moi! Un gars qui saura rabattre son caquet
gentiment à Martinez ou à Mailly, sans les braquer définitivement. Bref,
comme disait Chirac, un gars un peu mariole. Sachant évidemment que c’est moi
le patron, et que mon programme, on l’applique! Alors? On fait affaire?»
Exténuée, et tandis que tout sur le tableau de bord laissait deviner une mort
prochaine du véhicule acheté jadis par le grand-père d’Aboubacar, la 404
parvenait enfin à rallier le petit village de Bofossou.
«Alain? Je crois que j’ai trouvé ma prise de courant! Puis-je vous rappeler
dans cinq minutes?» Jean-Louis Borloo raccrocha, sortit de la voiture et fut
très vite porté en triomphe par la foule. Qui le remit à terre au bout de
quelques minutes. Un homme au visage très pâle, et qui travaillait pour EDF,
lui serra la main. «Nous avons hélas un tout petit problème technique avec la
centrale solaire. En raison du phénomène El Niño, il fait gris depuis trois
semaines. De sorte que si on branche le village, il est probable que dans
cinq minutes tout s’éteindra. Ce qui, de vous à moi, produirait un effet
fâcheux…»
Jean-Louis Borloo l’écoutait à peine. Il pensait à Alain Juppé, qui venait de
lui proposer le poste dont il avait rêvé en 2010 mais que Nicolas Sarkozy lui
avait refusé en décrétant qu’«on ne nomme pas Gainsbourg à Matignon». Son
cerveau était agité de réflexions contradictoires. Être nommé premier
ministre, c’était le Saint Graal. Gouverner pleinement, diriger, piquer des
colères légendaires, se faire respecter, tout cela lui convenait. Mais
appliquer le programme d’Alain Juppé? Il se dit en lui-même que sa «fibre
sociale» allait en prendre un coup et que ce mandat serait frénétique et
plein de pièges. Et donc, pas pour lui. Mais, dans la moiteur des tropiques,
une petite voix se fit entendre en lui, qui lui conseilla de relever le défi.
Jean-Louis Borloo redressa la tête et regarda son interlocuteur au visage
anxieux, qui lui avait promis quelques secondes plus tôt une quasi-émeute si
la centrale solaire ne fonctionnait pas.
«Vous savez quoi, lui lança-t-il. Nous allons dire à ces braves gens que
l’énergie solaire, c’est quand El Niño nous fichera la paix! En attendant,
branchez le groupe électrogène, et tant pis pour l’empreinte carbone!»
L’homme s’exécuta.
Jean-Louis Borloo brancha son iPhone, qui, soudain, reprit des couleurs. Il
s’isola dans une case et composa le numéro d’Alain Juppé.
«Alain? C’est Jean-Louis. J’ai réfléchi. C’est oui.»
Il n’entendit point la réponse enthousiaste du président de la République car
à ce moment précis le groupe électrogène expira. Contrarié, Jean-Louis Borloo
traversa la place du village où des visages courroucés demandaient des
explications. Il fit un geste de la main devant la foule et s’exclama: «La
centrale marchera dans dix jours, ou quinze maximum! Je suis premier ministre
de la France!» On entendit alors des airs endiablés de tam-tam et trente
danseurs sortirent des cases pour faire fête au premier chef de gouvernement
du huitième président de la Ve République.
Qui s’approcha d’Aboubacar et lui dit, la main sur l’épaule: «On va à
Conakry. Un grand destin m’attend.»
Mais, l’air navré, son chauffeur lui répondit: «Je crois que la voiture de
mon grand-père est définitivement morte… Montebourg a tort. Le«made in
France», c’est moins que rien…»
Au même moment, arpentant son bureau de long en large, Gilles Boyer se
murmura à lui-même. «Je ne sais pas pourquoi, mais Borloo, je le sens pas…»
Source :© Le Figaro Premium – «Eux présidents», les scénarios de 2017 : sur
la route de Bofossou (épisode 1/2)