Sanctions exemplaires pour ententes injustifiables
Transcription
Sanctions exemplaires pour ententes injustifiables
http://lamyline.lamy.fr 1,24 % du volume de ventes global de carburéacteur en France durant la même période, est insuffisant pour établir que l’accord en cause n’avait pas la «capacité» d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres » et « la cour d’appel,(…) a, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique, légalement justifié sa décision » en se fondant sur une analyse multi-critères. La solution est donc désormais bien établie et les pratiques, même cantonnées aux territoires ultramarins français, n’échappent pas pour cette raison à l’application du droit européen. Sylvie CHOLET Avocat à la Cour ENTENTE ILLICITE ÎRLC 2731 Sanctions exemplaires pour ententes injustifiables Des sanctions colossales pour les participants à des ententes de prix secrètes dans le secteur des produits d’entretien et d’hygiène vendus en grande surface. Aut. conc., déc. n° 14-D-19, 18 déc. 2014, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d’entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d’hygiène et de soins pour le corps 1. Révélées par plusieurs demandes de clémence, deux ententes s’étaient développées entre fabricants de produits d’hygiène et d’entretien, entre 2003 et 2006 afin de coordonner leur politique commerciale auprès de la grande distribution sur l’ensemble du territoire national et à se concerter sur les hausses de prix. La décision offre un bon exemple de la sophistication de certains cartels, avec utilisation de noms de code, réunions secrètes dans des hôtels et restaurants, et correspondances cachées dans les domiciles privées en croyant échapper aux visites et saisies dans les entreprises. Mais l’attrait incontestable de la clémence ruine toutes ces précautions ! Les entreprises feraient bien de s’en souvenir avant de mettre en place de tels dispositifs. L’ouverture d’une procédure de clémence a provoqué de la part d’un certain nombre d’entreprises une non-contestation de griefs, seules quelques irréductibles persistant à contester. C’est pourquoi – la matérialité et l’illicéité des pratiques ne faisant pas de doute – la décision est davantage axée sur des questions telles que l’existence des barrières à l’entrée, la gravité des comportements, le dommage à l’économie. 2. On notera cependant que les échanges d’informations relevées entre les participants ont donné lieu à des rappels fondés sur les positions du droit européen : « un échange d’information peut donc constituer une pratique concertée s’il diminue l’incertitude stratégique sur le marché et, partant, facilite la collusion, c’est-à-dire si les données échangées présentent un caractère stratégique. En conséquence, l’échange de données stratégiques entre concurrents équivaut à une concertation, en ce qu’il 18 I RLC diminue l’indépendance de comportement des concurrents sur le marché et leur incitation à se livrer concurrence » (Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité aux accords de coopération horizontale, § 61). Certes, les concurrents peuvent tenter de démontrer que tel n’a pas été le cas, mais même s’il pèse sur eux une présomption simple de causalité entre la pratique concertée et leur comportement sur le marché, cette démonstration est particulièrement difficile sinon impossible. L’Autorité rappelle qu’« à cet égard, il y a lieu de relever que des données relatives aux prix pratiqués par l’entreprise concernée ne sauraient suffire, en tant que telles, à renverser ladite présomption » (déc. commentée, § 854). 3. En l’espèce, les échanges d’information portaient sur des données très récentes, précises, individualisées et stratégiques couvrant les principaux paramètres de fixation du futur prix triple net, des grandes marques nationales, aux plus hauts niveaux des directions commerciales. Ces échanges avaient lieu avant que le prix triple net ne soit fixé par le jeu de la négociation et se sont matérialisés, lors de chaque évolution du cadre juridique, par des annonces sur les évolutions des tarifs futurs et les dérives futures. « En diminuant significativement l’incertitude qui résulte du jeu normal de la concurrence sur chacune des étapes d’un même cycle de négociation, (ils) concouraient ainsi, soit directement soit indirectement, à la fixation de tarifs, de taux de coopération commerciale et, in fine, de prix triple net supérieurs au niveau qui aurait résulté d’une situation de concurrence non faussée » (déc. commentée, § 911). Leurs effets négatifs ont été renforcés en ce qu’ils ont été le moyen « d’assurer la surveillance de l’équilibre collusif coopératif, grâce au contenu des informations que les entreprises se communiquaient et aux caractéristiques des secteurs sur lesquels les pratiques se sont déroulées » (déc. commentée, § 1394). Les échanges de grilles tarifaires ont donc pu limiter les incitations à dévier de l’équilibre issu des échanges, puisque toute innovation ou baisse de prix pouvait être détectée et contrée rapidement, en mettant en place des promotions ponctuelles. Les échanges des tarifs passés permettaient de contrôler la véracité des informations, et les échanges de chiffres d’affaires de contrôler l’évolution de la performance commerciale des autres opérateurs et de détecter, rapidement, les éventuels écarts par rapport à l’équilibre collusif (déc. commentée, § 1397). 4. Les deux ententes consistant en infractions « uniques, complexes et continues » (déc. commentée, § 931 et s.) ont donné lieu à des sanctions très élevées, sauf pour SC Johnson qui a bénéficié de l’immunité totale (rang 1) au titre de la clémence. Colgate-Palmolive a été totalement exonérée de sanction pour sa participation à l’entente sur le marché des produits d’hygiène et a été exonérée à hauteur de 50 % pour sa participation à l’entente sur le marché des produits d’entretien (rang 2). Henkel a également bénéficié d’une exonération de 30 % (rang 2) au titre de la clémence pour sa participation à l’entente sur le marché de l’hygiène et de 25 % (rang 3) pour sa participation à celle sur le marché des produits d’entretien. En revanche, dans le secteur de l’hygiène, l’Oréal a écopé de plus de 189 millions d’euros d’amende …. pour une participation à certaines pratiques de 1 an et 1 mois, avec une majoration de 15 % en raison du fait que ses activités s’étendent bien au-delà du territoire français (déc. commentée, § 1556 et 1557). Sa demande de prendre en compte Numéro 43 I Avril - Juin 2015 Actualités « sa coopération avec l’Autorité tout au long de la procédure » n’a pas été retenue, car cela « ne constitue que le simple respect de ses obligations légales et ne justifie, en tout état de cause, aucune réduction d’amende » (déc. commentée, § 1558). De quoi bien réfléchir avant de participer une entente, et de quoi réfléchir également aux vertus des procédures négociées. Véronique SÉLINSKY Avocat à la Cour ÎRLC 2732 Accords concertés et participation à une réunion : (contre) mode d’emploi pour écarter la participation à une entente La Commission a valablement considéré que Eni et ses filiales avaient participé à l’entente sur le marché de la cire de paraffine. Trib. UE, 12 déc. 2014, aff. T-558/08, Eni c/ Commission, EU:T:2014:1080 Dans l’entente sur le marché des cires de paraffine (Déc. Comm. CE, n° C (2008) 5476, 1er oct. 2008, aff. COMP/39 181 – Cires de bougie) la société italienne Eni avait été condamnée au paiement d’une amende de plus de 29 millions d’euros du fait de la participation des salariés de sa filiale à des réunions techniques. La société Eni contestait sa condamnation. Le Tribunal refuse de faire droit à sa demande tout en réduisant le montant de l’amende à son encontre. L’arrêt débute par un rappel de la jurisprudence et des principes définissant les notions d’accord et de pratique concertée (arrêt commenté, pts. 25 à 29), les principes d’appréciation des preuves (arrêt commenté, pts. 30 à 31) et se poursuit par la démonstration de ce que Eni avait effectivement participé à des réunions techniques, la preuve documentaire en étant rapportée. La simple participation à une réunion est suffisante pour prouver l’implication dans l’entente. Il appartient ensuite à l’entreprise d’établir que sa participation était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel « en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur » (arrêt commenté, pt. 69). Sans se distancier publiquement du contenu de la réunion, l’entreprise donne à penser qu’elle souscrit à son résultat et qu’elle s’y conformera. En l’espèce, Eni faisait valoir que sa filiale n’avait pas été invitée à toutes les réunions et que son adhésion au groupement professionnel avait été résiliée. Ces éléments sont des indices de distanciation, mais le Tribunal relève qu’ils ont été pris en considération par la Commission dans la mesure où elle a réduit la durée de la participation de la société Eni dans l’entente. En revanche, les explications données pour justifier qu’elle aurait mis en place une stratégie commerciale indépendante ne sont Numéro 43 I Avril - Juin 2015 pas jugés plausibles et sa participation à 10 réunions sur 13 est considérée comme suffisante. L’absence d’intérêt commercial de l’entreprise à participer à l’entente, tout comme son impossibilité de mettre en œuvre les augmentations de prix décidées lors des réunions techniques, ne sont pas mieux pris en considération : la concordance des volontés sur le principe même de l’alignement des prix suffit pour constater un accord prohibé par l’article 101 TFUE. Le montant de l’amende à l’encontre de Eni est réduit par le Tribunal qui considère que la Commission a fait une application erronée de la circonstance aggravante de la récidive (voir dans cette revue, RLC 2015/43, n° 2736). Catherine ROBIN Avocat à la Cour ABUS DE DOMINATION ÎRLC 2733 Abus par dénigrement des génériques concurrents La cour de Paris approuve la décision de condamnation de Sanofi-Aventis. CA Paris, 18 déc. 2014, pôle 5, ch. 5-7, n° RG : 2013/12370, SanofiAventis La cour d’appel de Paris a confirmé l’amende de 40,6 millions d’euros infligée à Sanofi-Aventis, solidairement avec sa société mère Sanofi, pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché du Clopidogrel en dénigrant les génériques de son « blockbuster », le Plavix. Cette condamnation avait été prononcée par l’Autorité de la concurrence, à la demande de la société Téva, aux termes d’une décision en date du 14 mai 2013 (Aut. conc., déc. n˚ 13-D-11, 14 mai 2013, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, RLC 2013/36, n° 2338, obs. Cholet S.). La cour a pleinement approuvé l’analyse de l’Autorité, d’abord en ce qu’elle a qualifié la position dominante de Sanofi-Aventis sur le marché du Clopidrogel commercialisé en ville sur le territoire français, sachant que la concurrence entre les opérateurs sur le marché des médicaments s’effectue au travers des prescriptions médicales et repose donc sur la conviction de l’efficacité des produits que les laboratoires parviennent à susciter. Ensuite, l’Autorité a correctement caractérisé l’abus constitué par le dénigrement à l’encontre des génériques concurrents du Plavix et de son générique, le Clopidrogrel Winthrop, résidant non pas dans le contenu des informations mais dans la manière dont elles ont été communiquées (actions de communication auprès des médecins et des pharmaciens dans le cadre d’une stratégie globale et structurée), ayant entraîné une réticence générale des patients et des médecins vis-à-vis des génériques du Clopidrogel et une baisse continue du taux de pénétration des génériques du Plavix sur le marché à partir d’avril 2010. Encore, la cour approuve le calcul de la sanction représentant 13 % de la valeur des RLC I 19 http://lamyline.lamy.fr PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES http://lamyline.lamy.fr ventes du Plavix et du Clopidrogrel Winthrop, majorés de 50 % au titre de la puissance économique de la contrevenante. Enfin, l’Autorité a eu raison d’infliger cette sanction à Sanofi-Aventis, solidairement avec sa mère à 100 % Sanofi, qui, pour renverser la présomption d’influence déterminante, s’est bornée à affirmer qu’elle « est une holding non opérationnelle, [et qu’]elle ne rapporte pas la preuve que la politique qu’elle soutient au niveau mondial ne l’est pas par elle ». Voilà donc confirmée la condamnation d’une pratique dénoncée par l’Autorité comme constituant une entrave à l’innovation. Pour l’Autorité, en effet, les génériques génèrent des économies et procurent des ressources pouvant être mobilisées pour la recherche de nouveaux médicaments : « Lutter contre le dénigrement des génériques, c’est donc aussi défendre indirectement l’incitation à innover » (Aut. conc., avis n° 13-A-24, 19 déc. 2013 relatif au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la distribution du médicament à usage humain en ville). La décision n’est toutefois pas définitive, Sano- fi-Aventis ayant formé un pourvoi en cassation. Sylvie CHOLET Avocat à la Cour ÎRLC 2734 Abus par rétention d’informations essentielles TDF est condamnée pour avoir abusé sa position dominante à l’occasion du déploiement de la TNT dans les territoires et collectivités d’outre-mer en entravant le développement des concurrents par une information tardive et incomplète l’accès à ses infrastructures. Aut. conc., déc. n° 15-D-01, 5 fév. 2015, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre en outre-mer 1. France télévisions, souhaitant lancer la TNT outre-mer, a publié en 2010 neuf appels à candidatures en vue de l’attribution des marchés par des contrats de cinq ans. TDF, opérateur historique en diffusion hertzienne terrestre, a répondu ainsi qu’OMT premier opérateur alternatif de télécommunications en outre-mer, en vue de déposer des offres ultérieuresIl a été reproché à TDF de n’avoir publié aucune des informations techniques et tarifaires relatives à l’accès à ses infrastructures, alors que ses concurrents en avaient besoin pour répondre aux appels d’offres. L’absence d’offre de référence pour l’hébergement sur les pylônes, indispensables à la diffusion de la TNT, a notamment conduit OMT à renoncer à formuler des offres pour les territoires où elle était candidate et les neuf marchés ont été attribués à TDF. 2. Un premier point de débat concernait la délimitation du(ou des) marché(s) pertinent(s), sachant que le grief visait deux marchés : le marché de gros amont de l’accès aux infrastructures, et le marché de gros aval de la diffusion de programmes, sur lequel était reproché l’abus de position dominante. Les offreurs y sont les diffuseurs, et les demandeurs des éditeurs de chaînes. 20 I RLC L’ARCEP avait déjà procédé à l’analyse du marché, validée par le Conseil d’État. Même si un marché peut évoluer dans le temps, il n’y avait pas lieu de modifier l’analyse. TDF rappelait la position traditionnelle de l’Autorité lorsqu’un marché fonctionne par appels d’offres « et prend donc la forme d’une multiplicité de marchés instantanés dont la délimitation dépend des choix du donneur d’ordre » Mais la décision estime que « l’existence de ces marchés instantanés ne remet pas en cause l’existence d’un marché pertinent plus large sur lequel se positionnent les offreurs ». Sur le plan géographique, même si le marché national a été considéré comme « homogène », c’est TDF qui a choisi d’opérer une distinction entre la métropole et les régions ultramarines en formulant deux offres. Elle s’est donc exposée délibérément à une analyse qui retiendrait le marché ultramarin comme territorialement pertinent. 3. Un second point à relever réside dans la distinction entre le concept de domination et celui d’infrastructures essentielles. TDF avançait en effet un argument consistant à prétendre qu’elle ne pouvait pas être en position dominante puisque les infrastructures étaient réplicables. À quoi la décision répond, fort justement, que « le fait qu’une position dominante n’ait pas un caractère permanent ne rend évidemment pas inapplicable les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE. Soutenir le contraire reviendrait à restreindre leur application aux seuls cas où la dominance de l’opérateur mis en cause est en réalité une situation irréversible à moyen ou long terme, par exemple lorsqu’il existe une facilité essentielle » (déc. commentée, § 139). Pour apprécier la position dominante, la décision retient également les barrières fortes à l’entrée et le fait que « le recours à l’hébergement sur les sites historiques de TDF était la seule solution pour un nouvel entrant sans réseau propre et une solution, au moins partielle, indispensable à court terme pour les diffuseurs disposant de leur propre réseau d’infrastructures, par exemple un réseau de téléphonie mobile » (déc. commentée, § 154). 4. Sur la qualification de l’infraction, le reproche tient au comportement de TDF « de nature à empêcher ses concurrents de participer aux appels d’offres lancés par France Télévisions pour le déploiement de la TNT en outre-mer dans des conditions normales de concurrence, sans subir une asymétrie d’information » (déc. commentée, § 214). Loin de la concurrence par les mérites, TDF s’est employée à retarder la diffusion des éléments d’information nécessaires (offre de référence) à ses concurrents, neutralisant les efforts du régulateur pour permettre l’arrivée de nouveaux entrants. On observera que l’abus résulte essentiellement d’effets potentiels d’entrave, même si un effet réel est relevé sous la forme de la conservation du monopole de diffusion de programme pour une longue durée (5 ans). 5. Sur les critères de détermination de la sanction : le point intéressant est relatif à l’adaptation de la méthodologie au cas particulier « où la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutiraient à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l’ampleur économique de l’infraction » (déc. commentée, § 236 et s.). En effet, l’Autorité estime qu’en l’espèce, même si le marché en relation avec la pratique était le marché national des services Numéro 43 I Avril - Juin 2015 Actualités de diffusion hertzienne terrestre de la télévision numérique, il est manifestement trop large pour refléter l’importance économique d’une infraction n’ayant pu avoir d’effet que sur les marchés ultramarins. Le critère de la durée a été de même « aménagé » en tenant compte non pas de la pratique mais de ses effets « sur toute la durée des contrats » opérant le verrouillage (5 ans). Les autres paramètres ont fait l’objet d’une application classique. Sur la réitération, toutefois, bien que le délai écoulé entre la précédente condamnation et l’affaire examinée soit inférieur à la durée de 15 ans au-delà de laquelle la réitération n’est plus retenue, sa longueur (11 ans) a cependant été prise en compte « dans un sens favorable à l’entreprise pour limiter le quantum de la réitération », majorant tout de même le montant de 20 % (déc. commentée, § 264-265). Bilan du verrouillage des marchés ultramarins : 4,2 millions d’euros. De quoi réfléchir lors des prochains appels d’offres. Véronique SÉLINSKY Avocat à la Cour IMPUTABILITÉ ÎRLC 2735 Loin des yeux, près du cœur La Cour de cassation confirme : l’éloignement géographique entre une mère et sa filiale ne suffit pas à rendre celle-ci autonome. Cass. com., 6 janv. 2015, n° 13-21.305, P+B 1. Cet arrêt montre comment la Cour de cassation contrôle l’appréciation par la cour d’appel des arguments avancés par une société mère pour renverser la présomption d’influence déterminante sur sa filiale à 100 %, auteur d’une pratique anticoncurrentielle. 2. On sait que, depuis l’arrêt Akzo Nobel du 10 septembre 2009, la société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital de l’auteur d’une pratique anticoncurrentielle est présumée constituer avec elle une seule et même entreprise, devant répondre conjointement et solidairement du paiement de l’amende (CJUE, 10 sept. 2009, aff. C-97/08, EU:C:2009:536, pt. 61, RTD com. 2010, p. 144, obs. Champaud C. et Danet D., RTD eur. 2010, p. 647, chron. Blaise J.-B. et Idot L.). L’Autorité de la concur- rence s’est ralliée à cette position, lorsqu’elle applique le droit européen (Aut. conc., déc. n° 09-D-36, 9 déc. 2009, Orange Caraïbe et France Télécom, Arhel P., Pratiques anticoncurrentielles de France Télécom dans la zone Antilles-Guyane, RLC 2010/23, n° 1575, confirmé par CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 23 sept. 2010, n° RG : 2010/00163, Lettre-distrib. oct. 2010, RLC 2011/26, n° 1728, obs. Robin C.), mais également, pour des raisons d’homogénéité, lorsqu’elle applique seulement le droit français (Aut. conc., déc. n° 11-D-02, 6 janv. 2011, RLC 2011/27, n° 1777, obs. Arcelin L., et RLC 2011/27, n° 1789, obs. Cholet S.). Numéro 43 I Avril - Juin 2015 3. En théorie, il s’agit d’une présomption simple, même si elle n’est en pratique jamais renversée (Arcelin L., La responsabilité de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable, Atelier DGCCRF, 30 mars 2010, Rev. Concurrence Consommation). Pour la Cour européenne, « le fait qu’il soit difficile d’apporter la preuve contraire nécessaire pour renverser une présomption n’implique pas, en soi, que celle-ci soit en fait irréfragable, surtout lorsque les entités à l’encontre desquelles la présomption opère sont les mieux à même de rechercher cette preuve dans leur propre sphère d’activités (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 70) » (CJUE, 3 mai 2012, aff. C-289/11, Legris Industries c/ Commission, EU:C:2012:270, pt. 53). Au bénéfice d’une meilleure prise en compte des droits de la défense et de la présomption d’innocence, les juridictions contrôlent sérieusement la motivation des autorités de concurrence lorsqu’elles rejettent les arguments avancés pour renverser la présomption (Trib. UE, 16 juin 2011, aff. jtes. T-208/08 et T-209/08, Gosselin Group c/ Commission, EU T:2011:287, Contrats, conc., consom. 2011, comm. 217, obs. Decocq G., RLC 2011/29, n° 1904, obs. Robin C., RLDA 2011/63, n° 3605). 4. Dans le contentieux européen, l’appréciation des éléments apportés pour renverser la présomption relève du pouvoir de contrôle du Tribunal (CJUE, 18 déc. 2014, aff. C-434/13, Commission c/ Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, EU:C:2014:2456). Ce dernier vérifie que la Commission a suffisamment motivé son refus de renverser la présomption malgré les arguments avancés par la société mère et, en cas d’insuffisance de motivation, il annule la décision de la Commission (Trib. UE, 16 juin 2011, aff. T-185/06, L’Air liquide c/ Commission, EU:T:2011:275, RLC 2011/29, n° 1900, obs. Robin C. ; Trib. UE, 27 nov. 2014, aff. T-521/09, Alstom c/ Comission, EU:T:2014:1000). La Cour de justice, ne pouvant se pronon- cer – à l’instar de la Cour de cassation – que sur les questions de droit, refuse de vérifier l’appréciation du Tribunal. Elle limite son contrôle à l’inexactitude matérielle des constatations du Tribunal et à la dénaturation des éléments de preuve qui lui avaient été soumis (CJUE, 3 mai 2012, Legris industries, préc., RLC 2012/33, n° 2147, obs. Robin C.). 5. Dans le contentieux français, la Cour de cassation n’avait encore jamais eu à connaître d’une décision appliquant la présomption d’influence déterminante. Le pourvoi formé par Orange et Orange Caraïbes contre l’arrêt de confirmation de la décision précitée n° 09-D-36 (première où l’Autorité de la concurrence a appliqué la présomption) lui offre cette occasion. En l’espèce, France Télécom avait été condamnée solidairement avec sa filiale à 100 %, Orange Caraïbes, pour des pratiques d’abus de position dominante. Devant l’Autorité de la concurrence, France Télécom avait tenté, en vain, de démontrer l’autonomie opérationnelle de sa filiale en raison de son éloignement géographique, sans faire état d’« aucun facteur, tiré de l’analyse de l’ensemble des liens organisationnels, juridiques et économiques existant au sein du groupe, susceptibles de démontrer de manière probante qu’Orange Caraïbe n’appartiendrait pas à une telle unité économique » (Aut. conc., déc. n° 09-D-36, préc., RLC 2010/23, n° 1575, note Arhel P.). Devant la cour d’appel, l’opérateur historique avait fait valoir que « le fonctionnement d’Orange Caraïbe, tant dans son organisation que dans ses processus de décisions internes RLC I 21 http://lamyline.lamy.fr PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Actualités ENGAGEMENTS ÎRLC 2737 Finasser avec les engagements : une mauvaise stratégie L’Autorité de la concurrence inflige une amende à un GIE pour n’avoir respecté que partiellement ses engagements Aut. conc., déc. n° 15-D-02, 26 fév. 2015, relative au respect, par le GIE « Les Indépendants », des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006 1. La procédure d’engagements, créée par le droit français (C. com., art. L. 464-2 inspiré du droit européen) pour mettre un terme précoce à des « préoccupations de concurrence », sans avoir à qualifier une pratique, permet à une entreprise d’éviter une procédure longue, contraignante, et de nature à déboucher sur une sanction, en contrepartie de mesures correctives de son comportement. Elle fait partie de l’arsenal des procédures « négociées » destinées à accélérer le traitement des procédures devant une Autorité de la concurrence dont les compétences ne cessent de s’élargir tandis que ses moyens ne sont pas augmentés proportionnellement (voir la loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, l’invention des « injonctions structurelles », et l’introduction d’une nouvelle procédure de « transaction »). S’agissant de la procédure d’engagements, il n’y a pas de qualification d’infraction, il y a malgré tout un soupçon de déviance qui nécessite quelques transformations de la part de l’entreprise. L’Autorité de la concurrence a souligné que « la mise en œuvre de cette procédure peut s’avérer opportune dans les cas où la ligne de partage entre un comportement conforme aux usages commerciaux et un comportement clairement anticoncurrentiel est ténue » (Cons. conc., Rapp. annuel 2005, étude thématique). Les engagements sont validés s’ils sont pertinents, crédibles, vérifiables et proportionnés, c’est-à-dire à la fois nécessaires et suffisants pour mettre un terme à toutes les préoccupations de concurrence identifiées. Si les conditions sont remplies, ils sont rendus obligatoires. Bien évidemment, le caractère correctif des engagements n’a aucun sens s’ils ne sont pas mis en œuvre. Un suivi est donc assuré et « lorsque les informations ainsi recueillies font apparaître une inexécution des engagements ou un changement de situation, l’Autorité peut se saisir d’office » (Aut. conc., Communiqué de procédure sur les engagements, 2 mars 2009, pt. 49) : c’est ce qui s’est passé en l’espèce. 2. Au cours d’une précédente procédure, en 2006, le GIE Les Indés Radios avait pris l’engagement de modifier son règlement intérieur et l’ensemble des documents envoyés aux radios candidates afin, notamment, de préciser les conditions d’éligibilité et d’adhésion au groupement, d’améliorer la lisibilité des procédures d’admission, et de prévoir une procédure d’exclusion transparente et contradictoire : il s’agissait de s’assurer que les radios locales pourraient, sans discrimi- Numéro 43 I Avril - Juin 2015 nation, accéder au marché de la publicité nationale qui est une source de revenus nécessaire à leur équilibre financier. Si des modifications ultérieures devaient intervenir (statuts, règlement intérieur, documents divers), le principe de non-discrimination devrait être respecté. Or, à la suite de sa saisine d’office, l’Autorité a constaté que plusieurs modifications postérieures avaient transformé substantiellement certains des engagements pris. Sans revenir sur le détail des manquements constatés, on notera que le GIE avait procédé à différents ajouts ou modifications sans offrir les garanties claires et précises sur l’absence de discrimination. Des termes vagues et imprécis offraient une marge de manœuvre non négligeable au conseil d’administration. En revanche, l’Autorité n’est pas dogmatique et a validé une insertion dans le règlement intérieur qui « bien que non prévue par les engagements, ne contrevient pas aux objectifs poursuivis » (déc. commentée, § 131) ou admis une défaillance « isolée » ne permettant pas de « démontrer la volonté délibérée du GIE de se soustraire à ses obligations » (déc. commentée, § 157). 3. Un respect partiel des engagements est assimilable à un non-respect et doit donc être sanctionné au même titre qu’une infraction. En effet, même si la loi ne renvoie pas expressément aux critères de détermination des sanctions prévus par le même article en cas de pratique anticoncurrentielle, il n’en reste pas moins que l’exigence d’individualisation et le principe de proportionnalité de la sanction conduisent à prendre en considération les faits et le contexte propre à l’affaire afin de déterminer la sanction en fonction de la gravité du comportement reproché. En l’espèce, le fait que le non-respect ait concerné les trois engagements et se soit manifesté quelques jours seulement après l’adoption de la décision a nécessairement joué le rôle d’une circonstance aggravante. L’amende respectant le plafond légal de 10 % du chiffre d’affaires, le GIE étant assimilé à une entreprise. 4. La décision énumère très précisément les modifications à apporter par le GIE , dans un délai de quatre mois sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Cette possibilité est autorisée par le point II de l’article L. 464-2 du code de commerce « dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen, par jour de retard à compter de la date qu’elle fixe (…) ». 5. Enfin, pour que nul n’en ignore, une injonction de publication aux frais du contrevenant complète le dispositif. Finalement, respecter les engagements s’avère moins couteux que les trahir. C’est vrai en France comme en Europe (voir par ex., Déc Comm. UE, 6 mars 2013, Microsoft, communiqué de presse de la Commission n° IP13-196, Dalloz 28 mars 2013, p. 765 ; Aut. conc., déc. n° 10-D-21, 30 juin 2010 relative au respect, par les sociétés Neopost France et Satas, des engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 05D-49 du 25 juillet 2005). Véronique SÉLINSKY Avocat à la Cour RLC I 23 http://lamyline.lamy.fr PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES