Sanctions exemplaires pour ententes injustifiables

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Sanctions exemplaires pour ententes injustifiables
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1,24 % du volume de ventes global de carburéacteur en France
durant la même période, est insuffisant pour établir que l’accord
en cause n’avait pas la «capacité» d’affecter de façon sensible le
commerce entre États membres » et « la cour d’appel,(…) a, sans
porter atteinte au principe de sécurité juridique, légalement justifié sa décision » en se fondant sur une analyse multi-critères. La
solution est donc désormais bien établie et les pratiques, même
cantonnées aux territoires ultramarins français, n’échappent pas
pour cette raison à l’application du droit européen.
Sylvie CHOLET
Avocat à la Cour
ENTENTE ILLICITE
ÎRLC 2731
Sanctions exemplaires
pour ententes injustifiables
Des sanctions colossales pour les participants à des
ententes de prix secrètes dans le secteur des produits
d’entretien et d’hygiène vendus en grande surface.
Aut. conc., déc. n° 14-D-19, 18 déc. 2014, relative à des pratiques
mises en œuvre dans le secteur des produits d’entretien et des
insecticides et dans le secteur des produits d’hygiène et de soins pour
le corps
1. Révélées par plusieurs demandes de clémence, deux ententes
s’étaient développées entre fabricants de produits d’hygiène et
d’entretien, entre 2003 et 2006 afin de coordonner leur politique
commerciale auprès de la grande distribution sur l’ensemble du
territoire national et à se concerter sur les hausses de prix. La
décision offre un bon exemple de la sophistication de certains
cartels, avec utilisation de noms de code, réunions secrètes dans
des hôtels et restaurants, et correspondances cachées dans les
domiciles privées en croyant échapper aux visites et saisies dans
les entreprises. Mais l’attrait incontestable de la clémence ruine
toutes ces précautions ! Les entreprises feraient bien de s’en
souvenir avant de mettre en place de tels dispositifs. L’ouverture
d’une procédure de clémence a provoqué de la part d’un certain nombre d’entreprises une non-contestation de griefs, seules
quelques irréductibles persistant à contester. C’est pourquoi – la
matérialité et l’illicéité des pratiques ne faisant pas de doute – la
décision est davantage axée sur des questions telles que l’existence des barrières à l’entrée, la gravité des comportements, le
dommage à l’économie.
2. On notera cependant que les échanges d’informations relevées entre les participants ont donné lieu à des rappels fondés
sur les positions du droit européen : « un échange d’information
peut donc constituer une pratique concertée s’il diminue l’incertitude stratégique sur le marché et, partant, facilite la collusion,
c’est-à-dire si les données échangées présentent un caractère
stratégique. En conséquence, l’échange de données stratégiques entre concurrents équivaut à une concertation, en ce qu’il
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I RLC
diminue l’indépendance de comportement des concurrents sur
le marché et leur incitation à se livrer concurrence » (Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité aux accords de coopération horizontale, § 61). Certes, les concurrents peuvent tenter de
démontrer que tel n’a pas été le cas, mais même s’il pèse sur eux
une présomption simple de causalité entre la pratique concertée et leur comportement sur le marché, cette démonstration
est particulièrement difficile sinon impossible. L’Autorité rappelle
qu’« à cet égard, il y a lieu de relever que des données relatives
aux prix pratiqués par l’entreprise concernée ne sauraient suffire,
en tant que telles, à renverser ladite présomption » (déc. commentée, § 854).
3. En l’espèce, les échanges d’information portaient sur des
données très récentes, précises, individualisées et stratégiques
couvrant les principaux paramètres de fixation du futur prix triple
net, des grandes marques nationales, aux plus hauts niveaux des
directions commerciales. Ces échanges avaient lieu avant que le
prix triple net ne soit fixé par le jeu de la négociation et se sont
matérialisés, lors de chaque évolution du cadre juridique, par des
annonces sur les évolutions des tarifs futurs et les dérives futures.
« En diminuant significativement l’incertitude qui résulte du jeu
normal de la concurrence sur chacune des étapes d’un même
cycle de négociation, (ils) concouraient ainsi, soit directement
soit indirectement, à la fixation de tarifs, de taux de coopération
commerciale et, in fine, de prix triple net supérieurs au niveau qui
aurait résulté d’une situation de concurrence non faussée » (déc.
commentée, § 911). Leurs effets négatifs ont été renforcés en ce
qu’ils ont été le moyen « d’assurer la surveillance de l’équilibre
collusif coopératif, grâce au contenu des informations que les entreprises se communiquaient et aux caractéristiques des secteurs
sur lesquels les pratiques se sont déroulées » (déc. commentée,
§ 1394). Les échanges de grilles tarifaires ont donc pu limiter les incitations à dévier de l’équilibre issu des échanges, puisque toute
innovation ou baisse de prix pouvait être détectée et contrée
rapidement, en mettant en place des promotions ponctuelles.
Les échanges des tarifs passés permettaient de contrôler la véracité des informations, et les échanges de chiffres d’affaires de
contrôler l’évolution de la performance commerciale des autres
opérateurs et de détecter, rapidement, les éventuels écarts par
rapport à l’équilibre collusif (déc. commentée, § 1397).
4. Les deux ententes consistant en infractions « uniques, complexes et continues » (déc. commentée, § 931 et s.) ont donné lieu
à des sanctions très élevées, sauf pour SC Johnson qui a bénéficié de l’immunité totale (rang 1) au titre de la clémence. Colgate-Palmolive a été totalement exonérée de sanction pour sa
participation à l’entente sur le marché des produits d’hygiène et
a été exonérée à hauteur de 50 % pour sa participation à l’entente sur le marché des produits d’entretien (rang 2). Henkel a
également bénéficié d’une exonération de 30 % (rang 2) au titre
de la clémence pour sa participation à l’entente sur le marché
de l’hygiène et de 25 % (rang 3) pour sa participation à celle sur
le marché des produits d’entretien. En revanche, dans le secteur
de l’hygiène, l’Oréal a écopé de plus de 189 millions d’euros
d’amende …. pour une participation à certaines pratiques de
1 an et 1 mois, avec une majoration de 15 % en raison du fait que
ses activités s’étendent bien au-delà du territoire français (déc.
commentée, § 1556 et 1557). Sa demande de prendre en compte
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Actualités
« sa coopération avec l’Autorité tout au long de la procédure »
n’a pas été retenue, car cela « ne constitue que le simple respect
de ses obligations légales et ne justifie, en tout état de cause,
aucune réduction d’amende » (déc. commentée, § 1558). De quoi
bien réfléchir avant de participer une entente, et de quoi réfléchir également aux vertus des procédures négociées.
Véronique SÉLINSKY
Avocat à la Cour
ÎRLC 2732
Accords concertés et participation
à une réunion : (contre)
mode d’emploi pour écarter
la participation à une entente
La Commission a valablement considéré que Eni et ses
filiales avaient participé à l’entente sur le marché de la
cire de paraffine.
Trib. UE, 12 déc. 2014, aff. T-558/08, Eni c/ Commission,
EU:T:2014:1080
Dans l’entente sur le marché des cires de paraffine (Déc. Comm.
CE, n° C (2008) 5476, 1er oct. 2008, aff. COMP/39 181 – Cires de bougie)
la société italienne Eni avait été condamnée au paiement d’une
amende de plus de 29 millions d’euros du fait de la participation
des salariés de sa filiale à des réunions techniques. La société Eni
contestait sa condamnation.
Le Tribunal refuse de faire droit à sa demande tout en réduisant
le montant de l’amende à son encontre.
L’arrêt débute par un rappel de la jurisprudence et des principes
définissant les notions d’accord et de pratique concertée (arrêt
commenté, pts. 25 à 29), les principes d’appréciation des preuves
(arrêt commenté, pts. 30 à 31) et se poursuit par la démonstration
de ce que Eni avait effectivement participé à des réunions techniques, la preuve documentaire en étant rapportée.
La simple participation à une réunion est suffisante pour prouver
l’implication dans l’entente. Il appartient ensuite à l’entreprise
d’établir que sa participation était dépourvue de tout esprit
anticoncurrentiel « en démontrant qu’elle avait indiqué à ses
concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique
différente de la leur » (arrêt commenté, pt. 69). Sans se distancier
publiquement du contenu de la réunion, l’entreprise donne à
penser qu’elle souscrit à son résultat et qu’elle s’y conformera.
En l’espèce, Eni faisait valoir que sa filiale n’avait pas été invitée
à toutes les réunions et que son adhésion au groupement professionnel avait été résiliée. Ces éléments sont des indices de
distanciation, mais le Tribunal relève qu’ils ont été pris en considération par la Commission dans la mesure où elle a réduit la
durée de la participation de la société Eni dans l’entente.
En revanche, les explications données pour justifier qu’elle aurait
mis en place une stratégie commerciale indépendante ne sont
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pas jugés plausibles et sa participation à 10 réunions sur 13 est
considérée comme suffisante. L’absence d’intérêt commercial de
l’entreprise à participer à l’entente, tout comme son impossibilité
de mettre en œuvre les augmentations de prix décidées lors des
réunions techniques, ne sont pas mieux pris en considération :
la concordance des volontés sur le principe même de l’alignement des prix suffit pour constater un accord prohibé par l’article 101 TFUE.
Le montant de l’amende à l’encontre de Eni est réduit par le Tribunal qui considère que la Commission a fait une application erronée de la circonstance aggravante de la récidive (voir dans cette
revue, RLC 2015/43, n° 2736).
Catherine ROBIN
Avocat à la Cour
ABUS DE DOMINATION
ÎRLC 2733
Abus par dénigrement
des génériques concurrents
La cour de Paris approuve la décision de
condamnation de Sanofi-Aventis.
CA Paris, 18 déc. 2014, pôle 5, ch. 5-7, n° RG : 2013/12370, SanofiAventis
La cour d’appel de Paris a confirmé l’amende de 40,6 millions
d’euros infligée à Sanofi-Aventis, solidairement avec sa société mère Sanofi, pour avoir abusé de sa position dominante sur
le marché du Clopidogrel en dénigrant les génériques de son
« blockbuster », le Plavix. Cette condamnation avait été prononcée par l’Autorité de la concurrence, à la demande de la société
Téva, aux termes d’une décision en date du 14 mai 2013 (Aut.
conc., déc. n˚ 13-D-11, 14 mai 2013, relative à des pratiques mises en
œuvre dans le secteur pharmaceutique, RLC 2013/36, n° 2338, obs. Cholet S.). La cour a pleinement approuvé l’analyse de l’Autorité,
d’abord en ce qu’elle a qualifié la position dominante de Sanofi-Aventis sur le marché du Clopidrogel commercialisé en ville sur
le territoire français, sachant que la concurrence entre les opérateurs sur le marché des médicaments s’effectue au travers des
prescriptions médicales et repose donc sur la conviction de l’efficacité des produits que les laboratoires parviennent à susciter.
Ensuite, l’Autorité a correctement caractérisé l’abus constitué par
le dénigrement à l’encontre des génériques concurrents du Plavix et de son générique, le Clopidrogrel Winthrop, résidant non
pas dans le contenu des informations mais dans la manière dont
elles ont été communiquées (actions de communication auprès
des médecins et des pharmaciens dans le cadre d’une stratégie
globale et structurée), ayant entraîné une réticence générale des
patients et des médecins vis-à-vis des génériques du Clopidrogel
et une baisse continue du taux de pénétration des génériques
du Plavix sur le marché à partir d’avril 2010. Encore, la cour approuve le calcul de la sanction représentant 13 % de la valeur des
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PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
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ventes du Plavix et du Clopidrogrel Winthrop, majorés de 50 %
au titre de la puissance économique de la contrevenante. Enfin,
l’Autorité a eu raison d’infliger cette sanction à Sanofi-Aventis,
solidairement avec sa mère à 100 % Sanofi, qui, pour renverser
la présomption d’influence déterminante, s’est bornée à affirmer qu’elle « est une holding non opérationnelle, [et qu’]elle
ne rapporte pas la preuve que la politique qu’elle soutient au
niveau mondial ne l’est pas par elle ». Voilà donc confirmée la
condamnation d’une pratique dénoncée par l’Autorité comme
constituant une entrave à l’innovation. Pour l’Autorité, en effet,
les génériques génèrent des économies et procurent des ressources pouvant être mobilisées pour la recherche de nouveaux
médicaments : « Lutter contre le dénigrement des génériques,
c’est donc aussi défendre indirectement l’incitation à innover »
(Aut. conc., avis n° 13-A-24, 19 déc. 2013 relatif au fonctionnement de la
concurrence dans le secteur de la distribution du médicament à usage
humain en ville). La décision n’est toutefois pas définitive, Sano-
fi-Aventis ayant formé un pourvoi en cassation.
Sylvie CHOLET
Avocat à la Cour
ÎRLC 2734
Abus par rétention d’informations
essentielles
TDF est condamnée pour avoir abusé sa position
dominante à l’occasion du déploiement de la TNT
dans les territoires et collectivités d’outre-mer en
entravant le développement des concurrents par
une information tardive et incomplète l’accès à ses
infrastructures.
Aut. conc., déc. n° 15-D-01, 5 fév. 2015, relative à des pratiques mises
en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie
hertzienne terrestre en outre-mer
1. France télévisions, souhaitant lancer la TNT outre-mer, a publié
en 2010 neuf appels à candidatures en vue de l’attribution des
marchés par des contrats de cinq ans. TDF, opérateur historique
en diffusion hertzienne terrestre, a répondu ainsi qu’OMT premier opérateur alternatif de télécommunications en outre-mer,
en vue de déposer des offres ultérieuresIl a été reproché à TDF
de n’avoir publié aucune des informations techniques et tarifaires
relatives à l’accès à ses infrastructures, alors que ses concurrents
en avaient besoin pour répondre aux appels d’offres. L’absence
d’offre de référence pour l’hébergement sur les pylônes, indispensables à la diffusion de la TNT, a notamment conduit OMT
à renoncer à formuler des offres pour les territoires où elle était
candidate et les neuf marchés ont été attribués à TDF.
2. Un premier point de débat concernait la délimitation du(ou
des) marché(s) pertinent(s), sachant que le grief visait deux marchés : le marché de gros amont de l’accès aux infrastructures, et
le marché de gros aval de la diffusion de programmes, sur lequel était reproché l’abus de position dominante. Les offreurs y
sont les diffuseurs, et les demandeurs des éditeurs de chaînes.
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L’ARCEP avait déjà procédé à l’analyse du marché, validée par le
Conseil d’État. Même si un marché peut évoluer dans le temps,
il n’y avait pas lieu de modifier l’analyse. TDF rappelait la position traditionnelle de l’Autorité lorsqu’un marché fonctionne
par appels d’offres « et prend donc la forme d’une multiplicité
de marchés instantanés dont la délimitation dépend des choix
du donneur d’ordre » Mais la décision estime que « l’existence
de ces marchés instantanés ne remet pas en cause l’existence
d’un marché pertinent plus large sur lequel se positionnent les
offreurs ». Sur le plan géographique, même si le marché national
a été considéré comme « homogène », c’est TDF qui a choisi
d’opérer une distinction entre la métropole et les régions ultramarines en formulant deux offres. Elle s’est donc exposée délibérément à une analyse qui retiendrait le marché ultramarin comme
territorialement pertinent.
3. Un second point à relever réside dans la distinction entre le
concept de domination et celui d’infrastructures essentielles.
TDF avançait en effet un argument consistant à prétendre
qu’elle ne pouvait pas être en position dominante puisque les
infrastructures étaient réplicables. À quoi la décision répond, fort
justement, que « le fait qu’une position dominante n’ait pas un
caractère permanent ne rend évidemment pas inapplicable les
dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102
TFUE. Soutenir le contraire reviendrait à restreindre leur application aux seuls cas où la dominance de l’opérateur mis en cause
est en réalité une situation irréversible à moyen ou long terme,
par exemple lorsqu’il existe une facilité essentielle » (déc. commentée, § 139). Pour apprécier la position dominante, la décision
retient également les barrières fortes à l’entrée et le fait que « le
recours à l’hébergement sur les sites historiques de TDF était la
seule solution pour un nouvel entrant sans réseau propre et une
solution, au moins partielle, indispensable à court terme pour
les diffuseurs disposant de leur propre réseau d’infrastructures,
par exemple un réseau de téléphonie mobile » (déc. commentée,
§ 154).
4. Sur la qualification de l’infraction, le reproche tient au comportement de TDF « de nature à empêcher ses concurrents de
participer aux appels d’offres lancés par France Télévisions pour
le déploiement de la TNT en outre-mer dans des conditions normales de concurrence, sans subir une asymétrie d’information »
(déc. commentée, § 214). Loin de la concurrence par les mérites,
TDF s’est employée à retarder la diffusion des éléments d’information nécessaires (offre de référence) à ses concurrents, neutralisant les efforts du régulateur pour permettre l’arrivée de nouveaux entrants. On observera que l’abus résulte essentiellement
d’effets potentiels d’entrave, même si un effet réel est relevé
sous la forme de la conservation du monopole de diffusion de
programme pour une longue durée (5 ans).
5. Sur les critères de détermination de la sanction : le point
intéressant est relatif à l’adaptation de la méthodologie au
cas particulier « où la référence à la valeur des ventes ou ses
modalités de prise en compte aboutiraient à un résultat ne
reflétant manifestement pas de façon appropriée l’ampleur
économique de l’infraction » (déc. commentée, § 236 et s.). En
effet, l’Autorité estime qu’en l’espèce, même si le marché en
relation avec la pratique était le marché national des services
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de diffusion hertzienne terrestre de la télévision numérique,
il est manifestement trop large pour refléter l’importance
économique d’une infraction n’ayant pu avoir d’effet que
sur les marchés ultramarins. Le critère de la durée a été de
même « aménagé » en tenant compte non pas de la pratique
mais de ses effets « sur toute la durée des contrats » opérant
le verrouillage (5 ans). Les autres paramètres ont fait l’objet
d’une application classique. Sur la réitération, toutefois, bien
que le délai écoulé entre la précédente condamnation et l’affaire examinée soit inférieur à la durée de 15 ans au-delà de
laquelle la réitération n’est plus retenue, sa longueur (11 ans)
a cependant été prise en compte « dans un sens favorable à
l’entreprise pour limiter le quantum de la réitération », majorant tout de même le montant de 20 % (déc. commentée,
§ 264-265). Bilan du verrouillage des marchés ultramarins :
4,2 millions d’euros. De quoi réfléchir lors des prochains appels d’offres.
Véronique SÉLINSKY
Avocat à la Cour
IMPUTABILITÉ
ÎRLC 2735
Loin des yeux, près du cœur
La Cour de cassation confirme : l’éloignement
géographique entre une mère et sa filiale ne suffit pas
à rendre celle-ci autonome.
Cass. com., 6 janv. 2015, n° 13-21.305, P+B
1. Cet arrêt montre comment la Cour de cassation contrôle l’appréciation par la cour d’appel des arguments avancés par une
société mère pour renverser la présomption d’influence déterminante sur sa filiale à 100 %, auteur d’une pratique anticoncurrentielle.
2. On sait que, depuis l’arrêt Akzo Nobel du 10 septembre
2009, la société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité
du capital de l’auteur d’une pratique anticoncurrentielle est
présumée constituer avec elle une seule et même entreprise,
devant répondre conjointement et solidairement du paiement
de l’amende (CJUE, 10 sept. 2009, aff. C-97/08, EU:C:2009:536,
pt. 61, RTD com. 2010, p. 144, obs. Champaud C. et Danet D., RTD eur.
2010, p. 647, chron. Blaise J.-B. et Idot L.). L’Autorité de la concur-
rence s’est ralliée à cette position, lorsqu’elle applique le droit
européen (Aut. conc., déc. n° 09-D-36, 9 déc. 2009, Orange Caraïbe
et France Télécom, Arhel P., Pratiques anticoncurrentielles de France
Télécom dans la zone Antilles-Guyane, RLC 2010/23, n° 1575, confirmé par CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 23 sept. 2010, n° RG : 2010/00163,
Lettre-distrib. oct. 2010, RLC 2011/26, n° 1728, obs. Robin C.), mais
également, pour des raisons d’homogénéité, lorsqu’elle applique seulement le droit français (Aut. conc., déc. n° 11-D-02,
6 janv. 2011, RLC 2011/27, n° 1777, obs. Arcelin L., et RLC 2011/27,
n° 1789, obs. Cholet S.).
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3. En théorie, il s’agit d’une présomption simple, même si elle
n’est en pratique jamais renversée (Arcelin L., La responsabilité
de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable, Atelier DGCCRF, 30 mars 2010, Rev.
Concurrence Consommation). Pour la Cour européenne, « le fait
qu’il soit difficile d’apporter la preuve contraire nécessaire
pour renverser une présomption n’implique pas, en soi, que
celle-ci soit en fait irréfragable, surtout lorsque les entités à
l’encontre desquelles la présomption opère sont les mieux à
même de rechercher cette preuve dans leur propre sphère
d’activités (arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point
70) » (CJUE, 3 mai 2012, aff. C-289/11, Legris Industries c/ Commission, EU:C:2012:270, pt. 53). Au bénéfice d’une meilleure prise
en compte des droits de la défense et de la présomption
d’innocence, les juridictions contrôlent sérieusement la motivation des autorités de concurrence lorsqu’elles rejettent les
arguments avancés pour renverser la présomption (Trib. UE,
16 juin 2011, aff. jtes. T-208/08 et T-209/08, Gosselin Group c/ Commission, EU T:2011:287, Contrats, conc., consom. 2011, comm. 217,
obs. Decocq G., RLC 2011/29, n° 1904, obs. Robin C., RLDA 2011/63,
n° 3605).
4. Dans le contentieux européen, l’appréciation des éléments
apportés pour renverser la présomption relève du pouvoir de
contrôle du Tribunal (CJUE, 18 déc. 2014, aff. C-434/13, Commission
c/ Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, EU:C:2014:2456).
Ce dernier vérifie que la Commission a suffisamment motivé son
refus de renverser la présomption malgré les arguments avancés par la société mère et, en cas d’insuffisance de motivation,
il annule la décision de la Commission (Trib. UE, 16 juin 2011, aff.
T-185/06, L’Air liquide c/ Commission, EU:T:2011:275, RLC 2011/29,
n° 1900, obs. Robin C. ; Trib. UE, 27 nov. 2014, aff. T-521/09, Alstom c/ Comission, EU:T:2014:1000). La Cour de justice, ne pouvant se pronon-
cer – à l’instar de la Cour de cassation – que sur les questions de
droit, refuse de vérifier l’appréciation du Tribunal. Elle limite son
contrôle à l’inexactitude matérielle des constatations du Tribunal
et à la dénaturation des éléments de preuve qui lui avaient été
soumis (CJUE, 3 mai 2012, Legris industries, préc., RLC 2012/33, n° 2147,
obs. Robin C.).
5. Dans le contentieux français, la Cour de cassation n’avait encore jamais eu à connaître d’une décision appliquant la présomption d’influence déterminante. Le pourvoi formé par Orange et
Orange Caraïbes contre l’arrêt de confirmation de la décision
précitée n° 09-D-36 (première où l’Autorité de la concurrence a
appliqué la présomption) lui offre cette occasion. En l’espèce,
France Télécom avait été condamnée solidairement avec sa filiale
à 100 %, Orange Caraïbes, pour des pratiques d’abus de position
dominante. Devant l’Autorité de la concurrence, France Télécom
avait tenté, en vain, de démontrer l’autonomie opérationnelle
de sa filiale en raison de son éloignement géographique, sans
faire état d’« aucun facteur, tiré de l’analyse de l’ensemble des
liens organisationnels, juridiques et économiques existant au
sein du groupe, susceptibles de démontrer de manière probante
qu’Orange Caraïbe n’appartiendrait pas à une telle unité économique » (Aut. conc., déc. n° 09-D-36, préc., RLC 2010/23, n° 1575,
note Arhel P.). Devant la cour d’appel, l’opérateur historique avait
fait valoir que « le fonctionnement d’Orange Caraïbe, tant dans
son organisation que dans ses processus de décisions internes
RLC
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PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
Actualités
ENGAGEMENTS
ÎRLC 2737
Finasser avec les engagements :
une mauvaise stratégie
L’Autorité de la concurrence inflige une amende à
un GIE pour n’avoir respecté que partiellement ses
engagements
Aut. conc., déc. n° 15-D-02, 26 fév. 2015, relative au respect, par le
GIE « Les Indépendants », des engagements pris dans la décision du
Conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006
1. La procédure d’engagements, créée par le droit français
(C. com., art. L. 464-2 inspiré du droit européen) pour mettre un
terme précoce à des « préoccupations de concurrence »,
sans avoir à qualifier une pratique, permet à une entreprise
d’éviter une procédure longue, contraignante, et de nature
à déboucher sur une sanction, en contrepartie de mesures
correctives de son comportement. Elle fait partie de l’arsenal
des procédures « négociées » destinées à accélérer le traitement des procédures devant une Autorité de la concurrence
dont les compétences ne cessent de s’élargir tandis que ses
moyens ne sont pas augmentés proportionnellement (voir
la loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques, l’invention des « injonctions structurelles », et l’introduction d’une nouvelle procédure de « transaction »). S’agissant
de la procédure d’engagements, il n’y a pas de qualification
d’infraction, il y a malgré tout un soupçon de déviance qui
nécessite quelques transformations de la part de l’entreprise.
L’Autorité de la concurrence a souligné que « la mise en
œuvre de cette procédure peut s’avérer opportune dans les
cas où la ligne de partage entre un comportement conforme
aux usages commerciaux et un comportement clairement anticoncurrentiel est ténue » (Cons. conc., Rapp. annuel 2005, étude
thématique). Les engagements sont validés s’ils sont pertinents, crédibles, vérifiables et proportionnés, c’est-à-dire à
la fois nécessaires et suffisants pour mettre un terme à toutes
les préoccupations de concurrence identifiées. Si les conditions sont remplies, ils sont rendus obligatoires. Bien évidemment, le caractère correctif des engagements n’a aucun
sens s’ils ne sont pas mis en œuvre. Un suivi est donc assuré
et « lorsque les informations ainsi recueillies font apparaître
une inexécution des engagements ou un changement de situation, l’Autorité peut se saisir d’office » (Aut. conc., Communiqué de procédure sur les engagements, 2 mars 2009, pt. 49) : c’est
ce qui s’est passé en l’espèce.
2. Au cours d’une précédente procédure, en 2006, le GIE Les
Indés Radios avait pris l’engagement de modifier son règlement intérieur et l’ensemble des documents envoyés aux radios candidates afin, notamment, de préciser les conditions
d’éligibilité et d’adhésion au groupement, d’améliorer la lisibilité des procédures d’admission, et de prévoir une procédure d’exclusion transparente et contradictoire : il s’agissait
de s’assurer que les radios locales pourraient, sans discrimi-
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nation, accéder au marché de la publicité nationale qui est
une source de revenus nécessaire à leur équilibre financier. Si
des modifications ultérieures devaient intervenir (statuts, règlement intérieur, documents divers), le principe de non-discrimination devrait être respecté. Or, à la suite de sa saisine
d’office, l’Autorité a constaté que plusieurs modifications postérieures avaient transformé substantiellement certains des
engagements pris.
Sans revenir sur le détail des manquements constatés, on notera
que le GIE avait procédé à différents ajouts ou modifications sans
offrir les garanties claires et précises sur l’absence de discrimination. Des termes vagues et imprécis offraient une marge de
manœuvre non négligeable au conseil d’administration.
En revanche, l’Autorité n’est pas dogmatique et a validé une insertion dans le règlement intérieur qui « bien que non prévue par
les engagements, ne contrevient pas aux objectifs poursuivis »
(déc. commentée, § 131) ou admis une défaillance « isolée » ne permettant pas de « démontrer la volonté délibérée du GIE de se
soustraire à ses obligations » (déc. commentée, § 157).
3. Un respect partiel des engagements est assimilable à un
non-respect et doit donc être sanctionné au même titre qu’une
infraction. En effet, même si la loi ne renvoie pas expressément
aux critères de détermination des sanctions prévus par le même
article en cas de pratique anticoncurrentielle, il n’en reste pas
moins que l’exigence d’individualisation et le principe de proportionnalité de la sanction conduisent à prendre en considération les faits et le contexte propre à l’affaire afin de déterminer
la sanction en fonction de la gravité du comportement reproché. En l’espèce, le fait que le non-respect ait concerné les trois
engagements et se soit manifesté quelques jours seulement
après l’adoption de la décision a nécessairement joué le rôle
d’une circonstance aggravante. L’amende respectant le plafond
légal de 10 % du chiffre d’affaires, le GIE étant assimilé à une
entreprise.
4. La décision énumère très précisément les modifications à apporter par le GIE , dans un délai de quatre mois sous astreinte de
500 euros par jour de retard. Cette possibilité est autorisée par le
point II de l’article L. 464-2 du code de commerce « dans la limite
de 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen, par jour de retard à
compter de la date qu’elle fixe (…) ».
5. Enfin, pour que nul n’en ignore, une injonction de publication
aux frais du contrevenant complète le dispositif. Finalement,
respecter les engagements s’avère moins couteux que les trahir.
C’est vrai en France comme en Europe (voir par ex., Déc Comm. UE,
6 mars 2013, Microsoft, communiqué de presse de la Commission n° IP13-196, Dalloz 28 mars 2013, p. 765 ; Aut. conc., déc. n° 10-D-21, 30 juin
2010 relative au respect, par les sociétés Neopost France et Satas, des
engagements pris dans la décision du Conseil de la concurrence n° 05D-49 du 25 juillet 2005).
Véronique SÉLINSKY
Avocat à la Cour
RLC
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