Marijuana thérapeutique: infiltrée par le crime organisé

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Marijuana thérapeutique: infiltrée par le crime organisé
Marijuana thérapeutique: infiltrée par le
crime organisé
DANIEL RENAUD
La Presse
Utilisation de prête-noms et de sociétés à numéro, permis donnés
à des individus au passé criminel, dépassement des quotas,
plantations illégales sous une couverture légitime; le crime
organisé montréalais infiltre le programme fédéral de production
de marijuana à des fins médicales et semble vouloir continuer à le
faire malgré les tentatives de Santé Canada pour régler le
problème.
La situation a pris tellement d'ampleur qu'elle est dénoncée par un grand nombre
d'enquêteurs de la police et a soulevé l'ire d'un juge de la Cour du Québec lors
d'une récente audience à Montréal.
«On parle de permis pour des raisons médicales. À première vue, l'accusé me
semble en pleine forme, mais ce n'est pas là la question. La question, c'est quelles
sont les raisons? Est-ce qu'on peut laisser entendre qu'il y a de la fraude derrière
ça? Comment ont-ils obtenu les permis? Cela devra être élucidé», a lancé le
magistrat au sujet d'individus liés au crime organisé montréalais arrêtés à la suite
de la découverte d'une plantation de plus de 1400 plants de marijuana, 1000 de
plus que ne le prévoyaient les permis en bonne et due forme qu'ils avaient obtenus
de Santé Canada.
Antécédents criminels
Une interdiction de publication nous empêche de dévoiler des détails qui
permettraient d'identifier les accusés ou la cause. Résumons simplement que,
dans cette affaire, Santé Canada a délivré plus d'une demi-douzaine de permis de
production, d'entreposage ou de possession de marijuana à des fins médicales et
de consommation personnelle.
Dans certains cas, les permis ont été délivrés à des compagnies à numéro. Dans
deux cas, les détenteurs ont des antécédents criminels en matière de stupéfiants
ou de violence. Deux autres sont des Ontariens qui ont des permis pour produire à
Montréal. Si, durant leur enquête, les policiers ont découvert dans une résidence
une plantation conforme aux règles, ils en ont trouvé une autre totalement illégale
dans la maison voisine: elle excédait la quantité de marijuana autorisée par la
plupart des permis, dont certains, délivrés le 30 mai 2013, arrivaient à échéance le
31 mars dernier.
«Il s'agit quasiment du crime organisé qui protège sa production de stupéfiants. Ce
qui étonne le Tribunal, c'est que c'est une production qui se veut légale!»
«Si Santé Canada a jugé bon d'émettre des permis, c'est qu'il y a dû, le Tribunal
est convaincu de cela ou du moins l'espère, y avoir des vérifications du pedigree
de ces gens-là, sinon, le voeu est formulé qu'on le fasse», a déclaré le juge, qui
exprimé son étonnement à plusieurs reprises durant l'audience.
«Je me suis informé auprès de Santé Canada pour savoir si des inspecteurs
s'assurent que tout est fait dans les règles de l'art. On m'a répondu qu'il n'y a
aucune vérification. Ils se fient à la bonne foi des gens», a expliqué un enquêteur
du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui a témoigné dans l'affaire.
Un réflexe
Cette affaire n'est pas unique dans les enquêtes passées ou en cours au SPVM ou
dans d'autres corps de police. Il n'est pas rare que les enquêteurs tombent sur des
personnes qui agissent à titre de prête-noms pour des criminels, qui n'ont pas de
problème de santé, ne consomment pas de marijuana et n'en ont jamais vu l'ombre
d'une feuille.
En fait, le problème est tel que les policiers, dont certains enquêtent sur des
individus ou des réseaux liés à différentes cellules du crime organisé, ont acquis le
réflexe de communiquer avec Santé Canada avant de frapper toute plantation de
marijuana.
«On fait des enquêtes sur des réseaux liés à des groupes criminels d'importance et
ils ont des permis de Santé Canada. Ça n'a aucun sens», nous a confié un policier.
«Ils sont censés avoir des inspecteurs, mais ce n'est pas vrai», a renchéri un autre.
«Dans toutes les plantations que nous avons frappées et qui avaient des permis, il
était très rare que la limite de plants ne soit pas dépassée», a ajouté un troisième.
«Nous savons que le problème existe, la preuve, c'est que nous avons fait le
dossier dont il est question dans votre article. Cependant, nous sommes
incapables de dire si c'est un cas d'espèce ou un problème plus large. Mais même
si ces plantations ont des permis, cela ne nous empêche pas de faire des
enquêtes», a déclaré le commandant Ian Lafrenière, de la police de Montréal.
Visiblement, les choses ne sont pas près de changer car, selon nos sources, le
milieu criminel continue de se passer le mot pour trouver des prête-noms afin
d'obtenir des permis de Santé Canada et de continuer ses lucratives opérations.
Nos sources dénoncent également la prolifération des plantations souvent
dangereuses, qui ont fait grimper le nombre de vols qualifiés commis contre leurs
propriétaires.
- Avec la collaboration de William Leclerc
Deux exemples de perquisitions
Adresse 1: 3 permis de 146 plants chacun, pour un total de 438 plants autorisés.
Sur place, découverte de 1444 plants.
Excédent: 1006 plants
Adresse 2: 116 plants, aucun permis
Antécédents du principal accusé
- Agression armée avec lésions
- Voies de fait
- Complot
- Possession de cocaïne
- Conduite avec facultés affaiblies
- Non-respect de conditions de libération
Les derniers antécédents remontent à 1997
Nombre d'appels des corps policiers à Santé Canada pour des vérifications
de plantations:
2012: 247
2013: 366
2014: 399
Nombre de personnes qui possèdent un permis de production de marijuana
pour usage personnel.
Au Canada: 20 279
Au Québec: 606
Nombre de personnes qui ont désigné un producteur reconnu par Santé
Canada: Au Canada: 3163
Au Québec: 174
Au 31 mars 2014
Le nombre de permis de possession et de production en forte hausse depuis cinq ans
2009
2010
2011
2012
2013
Au 31 mars 2014
Possession
4793
6666
12
225
28
115
37
359
31 738
Production
personnelle
2782
3794
7277
18
063
25
436
20 279
Production
pour un
tiers
709
1197
2163
3405
4254
3163
Source: Santé Canada

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