Débauchage et réseaux sociaux: les limites à ne pas dépasser

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Débauchage et réseaux sociaux: les limites à ne pas dépasser
HR Today
Le journal suisse des ressources humaines
Débauchage et réseaux sociaux:
les limites à ne pas dépasser
«Partir à la concurrence» est une situation couramment observée, encouragée par l’existence des
«chasseurs de tête» et le développement des réseaux sociaux qui permettent d’accéder en quelques clics à
des profils sensibles aux quatre coins du monde. Quelles sont les limites éthiques et juridiques?
Photo: iStockphoto
en privant un concurrent de tout son person­
nel ou de ses principaux cadres dirigeants.
Le débauchage est illicite lorsqu’il
s’accompagne d’incitation à la rupture ou à la
violation de contrat, par exemple d’une clause
de prohibition de concurrence ou d’un devoir
de fidélité. Notamment lorsqu’il est effectué
dans le but d’exploiter des secrets d’affaires
ou lorsqu’il s’accompagne d’encouragement à
la divulgation de tels secrets ou d’incitation
au débauchage d’anciens collègues ou clients.
En revanche, chercher à recruter du per­
sonnel dirigeant travaillant chez un concur­
rent n’est en soi pas illicite, même en offrant
un salaire plus élevé ou en agissant de façon
méthodique. Par conséquent, la reprise systé­
matique d’équipes de travail entières n’est
pas déloyale si les travailleurs dénoncent
leurs contrats en bonne et due forme.
Avant l’émmergence des réseaux sociaux, les
«top managers» et les cadres supérieurs se
recrutaient via les réseaux personnels des
conseils d’administration et des dirigeants
qui procédaient par bouche à oreille. C’est
encore vrai, mais l’exercice est devenu diffi­
cile et plus délicat.
C’est pourquoi ils s’adjoignent fréquem­
ment les services de sociétés d’executive
search spécialisées dans l’approche directe
de dirigeants et de cadres supérieurs élé­
gamment désignés sous l’appellation de
«chasseurs de tête». Leur rôle est de coopérer
avec les directions et les conseils d’ad­mi­
nistration pour identifier et contacter
discrètement les profils recherchés.
Les auteurs
Patrick Debray (à dr.) est directeur de DMD Talent Management SA. Il donne un cours «En finir avec l’erreur ­de
recrutement» les 11 et 12 septembre 2012 auprès de
­Romandie Formation. Contact: [email protected]
Charles Joye est docteur en droit et avocat. Il donne un
cours sur le thème de cet article le 6 septembre 2012
­auprès de Romandie Formation. Contact: charles.joye@
gmail.com
HR Today n°4 août 2012
Outre leur réseau primaire, constitué au
fil des années, ces spécialistes recourent
aujourd’hui aux réseaux sociaux qui offrent
des bases de données quasi illimitées actuali­
sées en permanence (LinkedIn, Xing, Viadeo,
Twitter). Dès lors les chasseurs de tête ont di­
rectement accès à des «profils» de managers
«en poste» avec indication de leurs position,
formation, expérience, parfois de leurs collè­
gues et même de fournisseurs ou de clients
figurant parmi leurs contacts.
Les enjeux sont tels que les «chasseurs de
tête» sont parfois invités à franchir les limites
de l’éthique ou de la légalité.
La loi contre la concurrence déloyale
C’est un fait, les réseaux sociaux affaiblissent
les entreprises dans leurs «défenses natu­
relles» face au débauchage. Dès lors, il appar­
tient aux entreprises de se prémunir face au
risque de débauchage ciblé ou systématique
par les réseaux sociaux, en attirant l’attention
des collaborateurs sur leur devoir de fidélité
et en mettant en place une politique de pré­
vention, avec encouragement à se valoriser
sans porter préjudice à leur employeur.
Pour le reste, le débauchage est en princi­
pe licite. Il ne devient contraire à la loi contre
la concurrence déloyale qu’en certaines cir­
constances touchant au but visé ou aux moy­
ens utilisés. Ainsi, il peut devenir illicite
lorsqu’il vise à nuire ou détruire, par exemple
Cinq limites juridiques ou éthiques
1 Débauchage ciblé ou systématique dans
l’intention de nuire ou de détruire, notam­
ment par «asphyxie» ou «paralysie» d’un con­
current.
2 Débauchage accompagné d’incitation à la
divulgation de secrets d’affaires ou au dé­
bauchage d’anciens collègues ou de clients.
3 Débauchage accompagné d’encouragement
à la rupture d’un contrat ou à la violation
d’une clause de prohibition de concurrence.
4 Engagement direct d’un cadre supérieur ou
d’un dirigeant de la concurrence sans audi­
tion d’autres candidats.
5 Proposition d’un salaire hors de proportion
avec les grilles couramment admises dans le
secteur considéré.
Pour prévenir les situations à risque, au lieu
de débaucher les profils sensibles à la con­
currence, il est préférable de proposer des per­
sonnalités issues de modèles économiques
comparables présentant des compétences di­
rectement transposables. C’est encore le meil­
leur moyen de ne pas transgresser les règles à
tout le moins éthiques tout en servant
l’intérêt des candidats et des clients. Le droit
n’impose pas une solution aussi rigoureuse et
appelle une évaluation en fonction des cir­
constances concrètes du cas.
Patrick Debray et Charles Joye