Tous les élèves se dressèrent comme un seul homme, ébahis par la

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Tous les élèves se dressèrent comme un seul homme, ébahis par la
Tous les élèves se dressèrent comme un seul homme,
ébahis par la scène qui se déroulait devant leurs yeux.
Beauregard avait saisi maître Barrel par le col et l’avait
fait descendre de son estrade en proférant force jurons et
menaces. Le professeur, en sportif accompli, avait
promptement réagi, et la salle était le théâtre d’un extraordinaire ladja. L’empoignade était rude et indécise, car,
si le professeur de philosophie avait le physique d’un
solide quadragénaire au corps exercé par la pratique de
nombreuses disciplines athlétiques, Beauregard Marton
son adversaire, robuste jeune homme de dix-huit ans,
respirait, de toute évidence, la force et la santé. Coups de
poings, de pieds, tentatives de passements de jambes et
de lévé-fesé s’échangeaient donc, avec une terrible violence, au milieu des « I salé, i sikré » des élèves, ravis par
cet intermède inattendu. Le vacarme infernal qui régnait
dans la salle de classe avait sans doute déjà alerté
Bellonie, le surveillant général de ce bon vieux lycée
Schœlcher, ainsi que ses pions, toujours diligents et
prompts à intervenir. L’issue de ce combat était donc, de
toutes façons, imminente, quand Beauregard parvint à
percevoir le centième de seconde où son redoutable
adversaire relâcha inconsciemment son effort, pour
reprendre souffle. En un éclair, mobilisant toute l’énergie
de son corps déchaîné, il se jeta dans ses jambes et, dans
le même élan, le souleva au-dessus de sa tête, avant de
l’expédier sur l’un des bancs, qui se brisa sous le poids
du malheureux professeur avec un fracas épouvantable.
L’exaltation des élèves était à son comble. Même dans
leurs rêves les plus fous, ils n’avaient jamais imaginé
voir terrasser de si belle manière l’un des plus augustes
symboles de l’ordre et de l’autorité académiques. Ils
n’eurent cependant pas le temps de faire fête à leur nou- 11 -
veau héros. Le bois du pupitre n’avait, en effet, pas fini
de craquer sous le choc des quatre-vingts kilos projetés
avec haine et fureur que Marton avait, d’un geste rageur,
ramassé son cartable adossé au dernier banc de la classe,
celui qu’il partageait avec Gilles Pancrate, surnommé
« La longueur », et, sans prendre le temps d’y fourrer le
livre, le cahier et les quelques effets qui se trouvaient sur
la table, était parti à toutes jambes, manquant de renverser au passage le vieux « Bello », qui s’amenait daredare, alarmé par les formidables clameurs provenant de
cette salle.
Ce fut la dernière fois qu’on le vit dans une classe. Il
ne remit plus les pieds dans ce lycée, ni dans aucun autre
d’ailleurs. A cause d’une obscure discussion sur les idées
émises dans son dernier devoir de philosophie, cet élève
doué, promis sans doute à un bel avenir dans les hautes
sphères d’une société martiniquaise en gestation permanente, à moins qu’il n’ait préféré s’installer, après de
brillantes études, dans la ville métropolitaine qu’il aurait
jugé la plus accueillante et d’y fonder famille et fortune,
avait laissé libre cours à ses sourds instincts de rebelle et
pris la route des bois, pour toujours.
Cette semaine-là avait, pourtant, été semblable à
toutes les autres, avec ses longues journées de lycéen
dans l’année du bac, qui commençaient pour lui dès cinq
heures dans la maisonnette du quartier Sainte-Thérèse où
il vivait avec sa mère, sa sœur et son frère, plus âgés et
qui ne portaient pas le même nom que lui. Il avait parcouru, comme chaque matin, les quelques kilomètres qui
le séparaient du lycée Schœlcher, à l’autre bout de la
ville, et passé, comme d’habitude, son temps sur l’un des
bancs du fond de chacune des salles que sa classe avait
occupées, en compagnie de ses fidèles compagnons,
Gilles Pancrate, Félix Panol et José Marcet.
Les bavardages incessants du quatuor étaient une
véritable malédiction pour les professeurs, qui passaient
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le plus clair de leur temps à s’égosiller pour essayer
d’établir des conditions tant soit peu convenables à la
dispensation de leur savoir. Ils n’y parvenaient que rarement, à grand-peine, et trouvaient seulement une mince
consolation devant la souffrance évidente que partageaient la plupart des éléments de la classe pendant les
compositions et, surtout, au moment de la remise des
devoirs, quand chaque grain de ce chapelet d’indigence
que constituaient les notes était détaché avec une espèce
de jouissance sadique, résonnant dans la salle et dans la
tête des élèves, à moitié repentants, comme le châtiment
de leur paresse et la fatidique prédiction d’un bien
sombre avenir.
Il faut cependant préciser que Marton échappait, le
plus souvent, aux affres de ces tortures collectives, car,
en dépit de son indiscipline, il parvenait à saisir, par je ne
sais quelle opération du Saint-Esprit, l’essentiel des
leçons du programme, ce qui avait pour conséquence
qu’il obtenait pratiquement toujours, à l’étonnement sans
cesse renouvelé de ses condisciples et des professeurs,
les meilleures notes de toute la classe. Ses trois compères
n’étaient pas non plus parmi les plus malheureux du
groupe, car, outre qu’ils étaient passés maîtres dans l’art
de combler leurs immenses et compréhensibles trous de
mémoire par l’appoint d’un véritable arsenal de manuels
et corrigés de toutes sortes, ils pouvaient compter,
lorsque la vigilance du maître s’avérait trop pesante et
efficace, sur les largesses de notre bonhomme, jamais
avare de ces connaissances qu’il avait eu si peu de mal à
acquérir.
On ne saurait dire que la vie au lycée était pénible
pour ces quatre gaillards, à l’affût de la moindre occasion
de chahuter et de rigoler, aussi bien pendant les cours, où
il se passait toujours quelque chose, que dans les interclasses et récréations, quand le lycée s’emplissait d’une
animation de fourmilière en émoi à cause des courses,
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jeux, rires et cris jetés dans cette enceinte, devenue soudainement exiguë, avec l’enthousiasme et l’énergie
d’une jeunesse insouciante. Les élèves de terminale
occupaient, le plus souvent, ces récréations à tenir des
débats enflammés où il était question de filles, de football, de musique afro-cubaine, ou encore des moyens de
toutes sortes dont ils pouvaient disposer pour affronter
les inquiétantes perspectives du mois de juin.
Entre midi et deux heures, la cour supérieure, située
devant l’internat, se transformait en arène effervescente,
où des équipes d’internes et de demi-pensionnaires,
agiles et passionnés, se livraient à de formidables parties
de football, destinées à entrer dans la légende du lycée
Schœlcher et où se distinguaient des talents en herbe promis, pour la plupart, à un bel avenir. Beauregard Marton
n’était pas le moins enthousiaste de ces « petits Pelés »
qui rivalisaient de fougue et d’adresse sur le bitume
presque fondu par le soleil. A peine son repas terminé, il
enfilait un short et des tennis que lui gardait un de ses
camarades internes et se précipitait dans la cour, où la
partie commençait aussitôt sur un rythme d’enfer, pour
ne se terminer qu’à deux heures moins le quart, ce qui
laissait aux élèves juste le temps de se doucher rapidement pour se rendre au cours, l’esprit encore encombré
par les images des exploits qu’ils avaient réussis, dans le
jeu ou dans leurs rêves.
Beauregard retrouvait en classe ses compagnons de
toujours qui, habitant non loin du lycée, à Rive droite
Levassor ou dans les rues avoisinantes, n’étaient pas
demi-pensionnaires et faisaient quatre fois par jour le trajet qui menait de leur domicile à l’établissement. Le
hasard de l’ordre alphabétique, qui déterminait la composition des diverses classes, les avait réunis, six ans
auparavant. Et, depuis, ils ne s’étaient jamais quittés,
affrontant ensemble, avec des fortunes diverses, mais
qui, en fin de compte, finissaient par converger, un
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nombre presque incalculable de compositions et de
conseils de classe, toujours soudés, dans les bons comme
dans les mauvais moments, jusqu’à cette classe de
« Philo 3 » qui devait les mener à l’ultime échéance, au
sacro-saint baccalauréat, infaillible sésame vers les plus
belles carrières que proposait notre société.
L’avenir, ils n’y pensaient pas encore, vivant au jour
le jour les joies et peines de la vie de lycéen et profitant
sans retenue des tranches de rigolades qu’offraient les
tics et manies des professeurs, l’ignorance, la maladresse ou, simplement, la paresse de quelques uns de leurs
camarades. Certains épisodes étaient absolument mémorables, en particulier ceux qui mettaient en évidence la
terrible rivalité qui existait entre certains copieurs invétérés, comme en témoigne le scandale qui éclata le jour
où l’un de ces spécialistes, furieux de ne pouvoir échapper à la surveillance particulière d’un redoutable professeur d’histoire et de géographie, se leva brusquement en
criant : « Monsieur, Jeanton copie ! », désignant ainsi son
ennemi à la vindicte de l’enseignant, ravi de l’aubaine, et
se soulageant, par-là même, des insupportables souffrances qu’il était en train d’endurer.
Cette vie apparaissait comme une pièce de théâtre
ininterrompue, composée de tableaux, tous aussi
attrayants les uns que les autres, malgré la rigueur parfois
extrême des professeurs et surveillants et les anxiétés qui
naissaient périodiquement dans les esprits des uns et des
autres, lorsqu’il leur arrivait de penser aux examens. La
plupart des élèves considéraient la fin des vacances de
Pâques comme le véritable point de départ de leur préparation et projetaient d’aller, vers la fin du mois d’avril,
passer l’essentiel de leurs soirées à la bibliothèque
Schœlcher, autant pour jouir de l’ambiance mi-studieuse,
mi-ludique qui y régnait généralement en cette période
de l’année que pour profiter d’un éventail appréciable
d’ouvrages de qualité. Beaucoup continuaient à fourbir,
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à perfectionner, à porter au plus haut degré d’efficacité
leurs armes illicites, confiants en leur maîtrise, en l’expérience acquise pendant de longues années de pratique
continue et en leurs relations privilégiées avec la bonne
fortune. D’autres encore comptaient sur les infaillibles
ressources des traditions locales et prenaient, longtemps
à l’avance, toutes leurs dispositions pour être en mesure
d’opposer à l’hermétisme des sujets et au sadisme des
examinateurs un puissant arsenal de gestes cabalistiques
et de formules incantatoires. Man kay fouté an tjenbwa
an tjou bak la, dann !
Beauregard était de ceux qui pouvaient attendre sans
trop d’angoisse ces terribles échéances. Depuis son
entrée dans l’établissement, en sixième, il avait toujours
été en tête des classes qu’il avait fréquentées, recueillant
une impressionnante collection de belles notes et de
louanges de ses professeurs, ce qui ne manquait pas
d’étonner tous ceux qui le rencontraient, plus souvent
qu’à son tour, dans les endroits les moins recommandables et en très mauvaise compagnie. C’était un peu la
marque de ses origines et du quartier où il résidait, l’un
des plus populaires de Fort-de-France, avec ses maisonnettes en bois entassées les unes sur les autres, juste derrière le port, dans un espace qui allait jusqu’aux alentours de Saint-Christophe, Kerlys et Dillon et qui avait
des frontières assez mal définies avec Volga-Plage et
Baie-des-Tourelles, s’élevant, par ailleurs, sur les flancs
d’une petite colline au sommet de laquelle était fièrement juchée l’église du quartier et dont l’autre versant
descendait en droite ligne vers le pont Démosthène, point
de départ de la ville, la vraie, mais aussi lieu de ralliement des ménagères qui, aux premières ombres du soir,
venaient vider leurs pots de chambre dans les eaux de la
rivière Monsieur.
Toute cette zone-là était donc le domaine de
Beauregard, et, quand il n’avait pas cours, il y déambu- 16 -
lait, y prenait la blague avec des jeunes de son âge, non
scolarisés pour la plupart, ou encore avec des employés
du port, des joueurs de sèbi, ou même des repris de justice originaires du quartier et de passage pour un court
moment, entre deux séjours en France ou au 118 rue
Victor Sévère, la célèbre prison centrale de Fort-deFrance. Personne ne comprenait quand il trouvait le
temps de faire ses devoirs de classe et comment il parvenait à obtenir des résultats scolaires qui faisaient pâlir
d’envie la plupart de ses camarades de lycée, surtout
ceux qui passaient toutes leurs journées et une bonne
partie de leurs nuits à travailler comme des forcenés pour
essayer d’atteindre un salvateur autant qu’hypothétique
dix de moyenne, lequel représentait pour eux le firmament, l’aboutissement suprême et, en tout cas, l’assurance de ne pas avoir trop de problèmes avec papa et
maman, naturellement fiers de leur progéniture et nourrissant pour elle les plus hautes ambitions.
Beauregard n’était donc pas, à proprement parler, un
élève studieux, et il passait beaucoup moins de temps
dans ses livres que dans les ruelles de Sainte-Thérèse, sur
le quai de La Française, derrière le fort Saint-Louis avec
les joueurs de grenndé, ou sur les carrés de pelouse de la
Savane, rendez-vous footballistique de la jeunesse de
tous les quartiers de la ville. Beaucoup étaient interpellés
par cette singularité et s’attachaient à essayer d’expliquer
ce phénomène assez peu commun. On parlait d’intelligence exceptionnelle, ou de chance extraordinaire, ou
encore de pratiques peu catholiques, magiques ou divinatoires. Mais l’explication se trouvait peut-être, tout
simplement, dans l’enfance du jeune Marton, consacrée
presque toute entière à lire, avec une incroyable passion,
des dizaines voire des centaines de livres, qu’il empruntait à sa sœur ou à son frère aînés, qu’il allait chercher à
la bibliothèque Schœlcher, ou qui lui étaient remis, en
grand nombre, lors des distributions de prix. Il avait
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gardé de cette période de délectations solitaires une substantifique moelle qui servait de fondement à ses
réflexions et enrichissait son discours de références longuement digérées et assimilées par l’alchimie naturelle
d’un esprit, par ailleurs toujours curieux et en éveil.
Sa sœur Joséphine et son frère Christophe s’émerveillaient devant de telles prouesses, eux qui s’étaient
donnés beaucoup de mal, l’une pour réussir au concours
de recrutement des instituteurs et se lancer dans la carrière d’enseignante du Primaire, après quelques laborieuses années passées à l’École normale de Fort-deFrance, l’autre pour passer, grâce, disait-on, à l’appui
d’un ami de la famille, un providentiel concours administratif et s’installer dans une situation tout à fait convenable d’agent des PTT. Tous les deux vivaient encore
dans la petite maison de Sainte-Thérèse, parce qu’ils
n’avaient pas vraiment envie de faire autrement et, surtout, parce que leur salaire constituait un appoint non
négligeable pour l’économie familiale.
Cela n’était pas inutile, dans un foyer plutôt modeste, où la mère Albertine Marton, employée chez l’un des
commerçants syriens de la rue François Arago, travaillait
durement pour un maigre salaire et avait bien du mal à
subvenir aux besoins de la famille. Elle avait été mariée
à un marin au long cours nommé Raoul Portel, qu’elle
avait connu pendant son enfance gros-mornaise. Durant
les quelques semaines qu’il passait annuellement sur la
terre martiniquaise, il lui avait donné ses deux premiers
enfants, Joséphine et Christophe. Et puis, une année, il
n’était pas revenu. Il n’avait pas, non plus, donné de nouvelles, et plus personne dans le quartier n’avait entendu
parler de lui. Albertine avait, comme d’habitude, pris son
mal en patience et continué à élever, toute seule, sa fille
et son fils, pendant un bon bout de temps, jusqu’au jour
où elle avait connu, dans le magasin du Syrien, Jérôme
Berdol, un agriculteur qui avait femme et enfants à
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Rivière-Pilote, mais se rendait régulièrement à Fort-deFrance pour diverses affaires concernant ses plantations
de banane. Celui-ci avait fréquenté, discrètement, mais
avec assiduité, pendant une longue période, la maisonnette de Sainte-Thérèse où Albertine s’était installée
depuis son premier mariage. Ces relations clandestines
avaient apporté un peu de bonheur dans l’existence
d’une femme encore jeune avec qui la vie n’avait pas,
jusque-là, été très généreuse. Elle avait obtenu le divorce de son mari évanoui dans l’azur et espéré, pendant
longtemps, que Jérôme quitterait sa femme pour l’épouser. Beauregard était né, entre-temps, de ces tendres
amours et Jérôme l’avait aimé, s’était toujours occupé de
lui, en père attentif et affectueux, mais n’avait jamais osé
franchir le pas décisif d’une reconnaissance officielle et
encore moins, bien entendu, d’un mariage avec sa mère.
Il était mort, quand Beauregard avait huit ans, usé, sans
doute, autant par les rudes travaux de la terre que par les
harassantes obligations de son vagabondage sentimental.
Beauregard avait hérité de lui sa robustesse, sa prestance, ses yeux rieurs, son front large et haut, ainsi
qu’une propension assez marquée à passer, pratiquement
sans transition, de périodes de grande volubilité et d’exubérante badjol à de longues phases de mutisme. Il semblait alors perdu dans les richesses d’un univers intérieur
dense et foisonnant ou dans d’interminables voyages sur
les ondes capricieuses de la rêverie. Il n’avait pas gardé
grand souvenir de ce père souvent absent et très tôt disparu. Ce qu’il se rappelait le mieux, c’étaient les
vacances qu’il passait chez sa grand-mère, Man
Mathurine Berdol, dans la campagne de Josseaud, à courir dans les chemins de terre, les champs de cannes et de
bananes, avec ses cousins et, parfois, ses demi-frères et
sœurs ou à taquiner les petites filles dans tous les coins
de la maison et de ses dépendances. Après la mort de son
père, il n’était pratiquement plus remonté dans ce haut
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lieu du terroir pilotin. Mais le souvenir de ces jeux, de
ces courses folles, de ces chants, de ces cris constituait
des images vivaces et fortes, gravées dans sa mémoire et
promptes à resurgir au plus léger frôlement. Il se souvenait, en particulier, avec émotion des journées entières
qu’il passait à pousser, avec amour et fierté, à l’aide d’un
grand bâton de glyricidia, tout en le dirigeant au moyen
d’une solide ficelle, le beau camion rouge que lui avait
fabriqué Bérard, le fils d’une des voisines de sa grandmère Mathurine. C’était sur les traces de cet extraordinaire camion que sa pensée remontait le plus souvent
dans les savanes et les bois de Josseaud, en quête des
exaltantes sensations qui avaient empli tant de journées
de son enfance, de repères affectifs ou spatiaux pour
situer une méditation existentielle, ou de forces nouvelles pour affronter les réalités de la vie de tous les
jours.
Il songeait souvent aussi à la campagne du GrosMorne, commune d’origine de sa mère, où il se rendait
assez régulièrement, depuis quelques années, pendant
une partie des vacances scolaires et à l’occasion des fêtes
du Nouvel An. Mais l’essentiel de son temps libre, il le
passait dans son domaine citadin, qui avait pour capitale
le quartier de Sainte-Thérèse et s’étendait jusqu’au stade
Louis-Achille, au nord, et à la frange suburbaine constituée par le Pavé, Trénelle, et les abords du cimetière du
Trabeau, à l’est, étant limité à l’ouest par la mer des
Caraïbes, qui baignait paisiblement le port, le bassin de
radoub, le Yacht Club, le fort Saint-Louis, la discrète
plage de la Française, l’embarcadère, la Jetée, l’abattoir
municipal et, passé le canal Levassor, les vétustes maisons de Rive-droite, les cases de Texaco et, finalement,
la pointe des Nègres qui venait rejoindre le stade LouisAchille et clôturait, de fait, la zone où Beauregard avait
ses marques et où il retrouvait, à chaque pas, des objets
et des visages bien connus.
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