L`expression de la postmodernité en économie

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L`expression de la postmodernité en économie
L’expression de la Postmodernité en Economie
Christophe Schinckus
CIRST (Université du Québec à Montréal)
Résumé
Les influences du postmodernisme en sciences sociales et en économie sont nombreuses. Dans le
cadre de cet article, nous illustrons les principales conséquences du mouvement postmoderne en
économie à travers l’étude de deux aspects : la réalité économique et la théorie économique. Nous
montrons comment le processus d’informatisation des marchés financiers engendre la création d'une
« hyperréalité » en accord avec les grandes caractéristiques du postmodernisme. La science
économique a également subie l'influence du postmodernisme puisqu' celle-ci tend à se diversifier en
intégrant de nouvelles approches issues d'autres disciplines scientifiques ou culturelles (l'art, la
littérature etc). Suite à cette fragmentation théorique, la science économique apparaît peu à peu
comme un espace conversationnel composé d’un très grand nombre de jeux de langage où
l’anarchisme méthodologique semble implicitement s’appliquer.
I. Introduction
Depuis quelques décennies, la philosophie est entrée dans ce que les historiens appellent l’ère
postmoderne dont la caractéristique principale est la remise en question des méta-récits et grands
discours (Lyotard, 1979). La science est malmenée dans ses pratiques lorsque, dans les années 1960,
Thomas Kuhn et Paul Feyerabend rappellent que la recherche scientifique demeure une activité
humaine avec ses limites et ses inconvénients. Nombreux sont les travaux1 qui ont pris la pratique
scientifique comme objet d’étude afin de mieux comprendre le développement de la démarche
scientifique - Ces travaux donnent souvent une image de la science très éloignée de l’idéal de
neutralité et de rationalisme prôné par la définition positiviste ou poppérienne de la science.
Dans un même temps, plusieurs auteurs comme Richard Rorty et Jean-François Lyotard critiquent le
projet théorique (neutralité, objectivité, rationalité etc) de la science moderne. Ces penseurs associent
la science à une activité humaine comme les autres – Toutes ces critiques et ces réflexions concernant
la science en tant que « production de connaissance » caractérise une nouvelle ère épistémologique,
celle du postmodernisme.
Le postmodernisme est un mouvement intellectuel qui se définit assez mal tant il renvoie à une grande
diversité de positions théoriques. Souvent présenté comme un style de pensée hétéroclite, le
postmodernisme désigne avant tout une critique de la modernité et repose sur plusieurs postures
intellectuelles que Hottois (1998, p.444) résume comme suit :
1
Latour et Woolgar (1988), Lyotard (1979), Rorty (1979), Feyerabend (1979)
1
-
Hyperculturalisme (valorisation de la richesse culturelle et historique)
Refus des différences hiérarchisantes et des dichotomies qui y sont associées (aucune
-
préférence ne peut être universalisée et objectivement fondée)
Abandon des grands récits de légitimation
-
Projet politique favorable à la démocratie et au cosmopolitisme
Prise de distance par rapport à toute revendication de la Raison, de l’Absolu, de la
-
Vérité etc
Importance du consensus pour gérer les conflits inévitables engendrés par la diversité
des perspectives
D’une manière générale, ces postures s’opposent sur la vision ontologique unifiée du monde proposé
par la modernité. Pour les postmodernes, le monde est fondamentalement en devenir, changeant,
fragmenté et disparate (Allard Poesi et Perret, 1998, p.3). On ne parle plus d’une réalité cohérente et
stable qu’il conviendrait de décrire mais plutôt d’une diversité de réalités dont la complexité (ou
l’indétermination) doit être étudiée à l’aide d’un pluralisme théorique assumé.
Les sciences sociales ont intégré la plupart des réflexions proposées par le postmodernisme. De
nombreux auteurs ont récemment étudié les influences des positions postmodernes sur l'évolution des
savoirs en sciences sociales et plus précisément en sociologie (Smith, 1995 ; Latour, 2002), en
psychologie (Anderson, 1995 ; Holzman, 2000) et en gestion (Allard-Poesi et Perret, 1998).
L'économie, qui n'échappe pas aux influences du mouvement postmoderne, n'a pas suscité beaucoup
d'intérêt auprès des auteurs francophones2.
Cet article souligne les principales traces du postmodernisme en économie contemporaine. Ces traits
de la postmodernité en économie seront présentés à travers deux mouvements distincts renvoyant
chacun à une dimension particulière de l'économie : la réalité économique et la théorie économique.
Dans un premier temps, l'évolution technologique de la réalité économique sera étudiée. Nous verrons
alors comment cette évolution pose la question du savoir dans nos sociétés informatisées et renvoie
directement à une postmodernité proche de celle décrite par Lyotard (1979). La seconde partie de cet
article sera consacrée à l'influence du postmodernisme au sein même de la théorie économique.
II. L’expression de la postmodernité au sein de la réalité économique
Le postmodernisme est assimilé, dans la littérature, à la forme culturelle d’un capitalisme tardif
(Mandel, 1972 ; Giddens, 1971 ; Jameson, 1992). Selon Jameson (1991), les trois caractéristiques de
cette période historique, à savoir, la marchandisation des médias, le développement d’une logique de
production (et de consommation) globale et l’avènement de nouvelles technologies de l’information
auraient permis le développement d’une « logique de marché » mondialisée. Dans cette perspective, le
2
Comme le soulignent Allard-Poesi et Perret (1998), « Le postmodernisme est un courant relativement prisé par
la littérature anglo-saxonne ». Aussi, il n'existe pas à notre connaissance de travaux théoriques en français sur les
influences du mouvement postmoderne en économie. Les seuls travaux sur le sujet sont essentiellement rédigés
en anglais (voir Cullenberg, Amariglio et Ruccio, 2001).
2
postmodernisme caractérise essentiellement une société « de consommation » (Baudrillard, 1970) et
« d’immédiateté » (Baudrillard, 1983) dans laquelle le développement des nouvelles technologies
favorise l’expansion d’une logique de globalisation (Jameson, 1992) et un nouveau rapport aux savoirs
(Lyotard, 1979).
Dans cette section, nous illustrons l’expression de la postmodernité au cœur même de la réalité
économique à travers la problématique des savoirs dans nos sociétés informatisées. Plus précisément,
nous verrons comment le phénomène d’informatisation des marchés financiers engendre une réalité
postmoderne au sens de Jameson (en accord avec les principales caractéristiques évoquées ci-dessus),
de Lyotard (importance de la technologie) et de Baudrillard (et sa notion d’hyperréalité).
II.1. Informatisation des marchés financiers
Dans notre société contemporaine, les marchés financiers instituent un espace social très complexe.
Les mutations technologiques, principalement caractérisées par l’automatisation de la cotation et la
création de marchés virtuels, ont profondément modifié l'organisation des marchés mais également,
nous le verrons, les échanges financiers eux-mêmes. Depuis les années 1980, les plus grandes bourses
des valeurs ont été automatisées et la criée a été peu à peu remplacée par des algorithmes de
détermination des cours boursiers3. Chaque place financière s’est peu à peu transformée en véritable
« plate-forme électronique ».
Cette automatisation des échanges entre professionnels s’est progressivement étendue à dans la sphère
financière : on parle aujourd’hui de finance virtuelle. Bien qu’il n’existe pas de réelle définition de la
finance virtuelle (encore appelée « e-finance »), on peut affirmer, d’une manière générale, qu’elle
concerne l’ensemble des services financiers offerts électroniquement par l'intermédiaire d’internet ou
par l'intermédiaire d'autres formes de réseau public. Depuis plusieurs années, le nombre de produits
financiers électroniques a fortement augmenté. L’e-finance englobe également le développement
croissant des marchés virtuels. Varian (1998, p.4) rappelle que le « marché électronique de
l'Iowa »(IEM)4, créé en 1988, fut le premier marché totalement virtuel où tous les ordres de vente et
d’achat se faisaient en ligne. Au cours de ces dernières années, cette virtualisation des marchés
financiers s'est étendue à d'autres régions du monde. L'espace financier virtuel appelé « FinNet »5
développé à Hong Kong en 2002 illustre bien cette évolution. Régi par une association entre le secteur
public et le secteur privé, « FinNet » est un réseau qui relie l’ensemble des investisseurs à toutes les
institutions financières (publiques ou privées) présentes à Hong Kong.
Le « trading automatique » et la finance virtuelle ont profondément révolutionné le fonctionnement
des marchés financiers. Depuis quelques années, les conséquences sociologiques6 et organisationnelles
3
« Un algorithme est un ensemble de règles ou instructions finies et récurrentes qui peuvent être exécutées par
une machine. Un algorithme de cotation exécute les ordres arrivés selon un procédé d’enchère et en accord avec
un ensemble de priorités » in Muniesa (2000, p.122) in Politix (2000).
4
Pour plus d’informations sur ce marché virtuel, voir www.biz.uiowa.edu/iem/index.html
5
Pour plus d’informations sur cet espace financier, voir www.aboutfinnet-hk.net/about_finnet/what.hml
6
Pour une étude des principales conséquences sociologiques, voir Lepinay et Rousseau (2001), Knorr Cetina et
3
de cette évolution technologique ont été étudiées par plusieurs auteurs. Jiang, Tang et Law (2002,
p.127) expliquent que le trading électronique améliore l'efficience opérationnelle et informationnelle
des marchés. Le trading automatique réduit également les coûts de transaction et accroît la liquidité
des marchés (Classens, Glaessner et Klingebiel, 2002, p.2). Dans sa comparaison entre la criée
traditionnelle et un système automatisé, Tsang (1999) confirme les impacts évoqués ci-dessus et
souligne également la meilleure transparence des échanges. Jiang, Tang et Law (2002, p.127)
explicitent quelque peu cette transparence lorsqu’il explique qu’un système automatisé améliore la
transparence au niveau des volumes de transaction et donc au niveau de la formation des cotations.
Parmi les rares inconvénients du trading automatique soulignés par la littérature spécialisée, citons le
coût très élevé de l’informatisation d’une place boursière ou encore la lenteur et la complexité du
processus d'annulation des ordres (qui peut causer énormément de retard dans les cotations et
décourager par la même occasion les potentiels échanges sur le titre concerné par l’annulation). Enfin,
citons également parmi les problèmes potentiels les éventuels bogues inhérents à tout système
informatisé.
L’informatisation de la sphère financière est perçue par certains (Shiller, 2003) comme un processus
de démocratisation de la sphère financière. En effet, la diminution des coûts de transaction associée à
la facilité d’accès aux marchés financiers permet une marchandisation croissante des produits
financiers. De plus, comme le souligne Shiller (2003) et Schinckus (2008), ce phénomène
d’informatisation des places financières s’accompagne d’une médiatisation de plus en plus importante
de la sphère financière. On retrouve ici les principales caractéristiques du capitalisme tardif mis en
avant par Jameson (1991) dans sa définition du postmodernisme.
II.2. L’hyperréalité financière
Cette section montre comment l’informatisation des marchés financiers a permis aux économistes de
modeler la réalité économique de telle sorte qu’elle se rapproche de plus en plus du concept théorique
de « marché parfait ». Le courant néoclassique qui domine l’économie contemporaine accorde une
place privilégiée aux concepts de « concurrence parfaite » et de « marché parfait » dont le statut en
économie peut se résumer à un exercice (a priori) de pensée, un « cas idéal » (Guerrien, 2002, p.89).
Les hypothèses du modèle de concurrence parfaite ne sont pas très nombreuses mais totalement
irréalistes. D’une manière générale, on peut résumer ces hypothèses aux quatre points suivant :
-
Les acheteurs et les vendeurs sont très nombreux sur le marché de telle sorte qu’aucun d’entre
eux n’a réellement un impact direct sur le marché (hypothèse d’atomicité).
-
Les biens offerts par les vendeurs sont quasiment identiques (hypothèse d’homogénéité des
produits).
-
Les individus (guidés par l’égoïsme pur) prennent leurs décisions en ne se guidant que sur la
seule information donnée par les prix des biens, tout en étant sur un pied d’égalité en termes
d’accès au marché (hypothèse d’homogénéité des acteurs).
Bruegger (2002) ou encore (Godechot, 2001).
4
-
Les entreprises peuvent entrer et sortir librement sur le marché (hypothèse de libre entrée).
Pour l’économiste fondateur de ce modèle (Léon Walras7), la bourse incarne l’exemple même du
marché parfait. Cependant, la réalité financière est autre. S’il est vrai que le marché financier constitue
un espace économique caractérisé par un grand nombre d’acheteurs et de vendeurs et que les titres
sont « grossièrement » identiques, aucune des quatre conditions sus-mentionnées n’est observée sur ce
type de marché. Et pourtant, le modèle de concurrence parfaite a fortement inspiré le processus
d’informatisation des marchés financiers. En 1971, Black, un auteur phare de la théorie financière a
écrit un papier désormais célèbre en finance : « Toward a Fully Automated Stock Exchange »8. Dans
cet article, l’auteur prône une automatisation complète des opérations boursières et ce, dans l’objectif
d’ « améliorer » le marché et de se « rapprocher » d’un marché jugé économiquement « parfait ». Il
convient de rappeler que cet article a été utilisé comme la référence théorique lors du processus
d’informatisation des places financières (Muniesa, 2000).
Le développement de l’outil informatique, a permis aux économistes d’adapter l’organisation des
marchés financiers de telle sorte que ceux-ci tendent vers le concept abstrait de « marché parfait ».
Depuis les années 1980, les marchés financiers ont progressivement évolué vers des marchés purement
virtuels accessibles partout dans le monde « en temps réel » et ce, à l’aide d’un simple « click » de
souris. Cette évolution a pour objectif d’étendre l’espace financier et d’en faciliter l’accessibilité. De
plus, les marchés financiers virtuels ont permis une forte diminution des coûts de transaction et se
veulent plus « transparents » (puisque tous les acteurs en connaissent les règles et personne ne peut, en
théorie, user de son pouvoir pour orienter le marché). Aujourd’hui nombreux sont les articles9
consacrés au bienfait du trading automatique et tous présentent cette évolution comme le résultat
inéluctable du progrès technologique.
Cette hypothèse implicite de perfection des marchés financiers se retrouvent également dans les cadres
institutionnels régulateurs de la sphère financière. Chane-Alune (2006), par exemple, rappelle que le
processus de standardisation des normes comptables est totalement fondé sur l’idée que les marchés
financiers sont parfaits. Hammer et Groeber (2007) ou NERA (2003) expliquent comment cette
hypothèse des marchés parfaits influence la jurisprudence américaine. Quant aux autorités financières
françaises (AMF), elles associent l’efficience des marchés (l’idée des marchés parfait) à une situation
normale sur les marchés financiers (Séjourné, 2006).
Ainsi reconnue et soutenue par les cadres juridico-institutionnels, ce modelage de la réalité financière
apparaît comme ce que Baudrillard (2005, p.119) appelle une « ironie objectivante ». Il s’agit d’une
ironie car le cadre théorique prend la place de la réalité qu’il était censé décrire et le caractère
objectivant renvoie au soutien officiel que cette démarche rencontre auprès des institutions régulatrices
7
Walras L., Element d’économie politique pure, Paris, 1874.
Black F., « Toward a Fully Automated Stock Exchange », Financial Analysts Journal, 27 (4), 1971.
9
Barber B. and Odean T., 2001, « The Internet and the Investor ». Journal of Economic Perspectives 15, 41-54.
- Economides N., 2001, « The impact of the Internet on financial markets ». Journal of Financial
Transformation 1, 8-13 - Tsang R., 1999, « Open outcry and electronic trading in futures exchanges ». Bank of
Canada Review, Spring.
8
5
des marchés financiers.
Cette évolution des marchés financiers caractérise, une certaine forme de postmodernité – Elle ne
résulte pas simplement du progrès technologique mais surtout d’une représentation théorique (voire
idéologique10 ) particulière de la réalité économique. Les marchés financiers ne tendent pas vers le
marché parfait – ils le deviennent grâce à la nature immatérielle des biens et des échanges qu’ils
permettent. L’évolution technologique a permis de « faire passer » le modèle de concurrence parfaite
dans la réalité économique. Il s’agit là d’une évolution postmoderne de la réalité économique car,
contrairement à une démarche moderniste de description (ou d’explication) de la réalité, on observe un
processus d’invention de cette réalité. De plus, on retrouve dans ce processus d’informatisation les
principales caractéristiques11 du postmodernisme tel que définit par Jameson (1991).
Les conséquences économiques de ce processus sont connues et soulignées par plusieurs auteurs
(Orléans, 1999 ; McGoun, 1997 ; Soros, 2003 ; Schinckus, 2008) : l’exagération de la logique
d’échange sur les marchés financiers - Les cotations boursières ne reflètent plus la valeur économique
(ou intrinsèque) de l’activité productive qu’elles sont censées incarner – Les marchés financiers
deviennent parfaits en termes théoriques mais, dans la réalité, ils se coupent peu à peu de l’activité
économique productive12 . Ainsi, les cotations financières ne reflètent plus aucune activité économique
mais simplement leur propre valeur d’échange. Se développe alors une auto-référentialité croissante
des échanges financiers.
Dans un sens, les marchés financiers apparaissent à présent comme des « simulacres » (Schinckus,
2008) à savoir, un espace économique uniquement dédié à l’auto-référentialité de la valeur d’échange
(la valeur d’échange a définitivement pris le pas sur la valeur économique). Le concept de simulacre
renvoie à l’idée d’une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente, et prétend valoir pour
cette réalité elle-même. Baudrillard (1983, p.16) explique qu’un simulacre est processus fondé sur une
« vérité qui cache le fait qu'il n'y en a aucune ». Il s’agit d’une copie, d’un reflet tellement déconnecté
de l’original (de son référent) qu’il n’est plus possible de parler de copie ou de reflet. Dans cette
perspective, l’informatisation des places financières a surtout eu pour conséquences, la déconnection
progressive avec la sphère économique réelle en remplaçant cette dernière par une « hyperréalité
financière » (McGoun 1997 ; Schinckus, 2008) fondée sur l’auto-référentialité des échanges.
Cette « hyperréalité financière » n’est pas sans conséquence sur la réalité et la théorie économique –
L’exagération de la logique d’échange peut engendrer un phénomène de crise financière généralisée
ou encore ce qu’on appelle des bulles spéculatives. Sajter et Coric (2009) expliquent, par exemple,
10
Les marchés financiers automatisés apparaissent peu à peu comme ce que Baudrillard (1968, p.153) appelle un
« technème » i.e un objet automatisé de plus en plus indépendant de l’intervention humaine – L’implémentation
d’un tel objet passe nécessairement par l’expression d’une idéologique particulière puisque le choix de certains
technèmes induit le refus d’une autre manière de structurer le monde.
11
Marchandisation et informatisation croissante des échanges financiers auxquelles il faut ajouter une
exagération de la logique d’échange.
12
McGoun (1997) compare l’évolution des conséquences économiques suite aux crashs boursiers. Ainsi, le crash
financier de 1929 a été suivi d’une sérieuse et réelle dépression économique alors que le crash de 1987 n’a pas
eu de véritable impact sur l’économie réelle.
6
comment la récente crise financière observée aux Etats-Unis s’est progressivement étendue en Croatie
– Alors que les indicateurs économiques de l’économie croate (reflet de la sphère productive) étaient
positifs et que celle-ci est faiblement corrélée à l’économie américaine, la crise américaine s’est
étendue aux marchés financiers croates sans aucun raison économique apparente. Ce phénomène
d’extension de la crise résulte avant tout d’un phénomène de mimétisme et il a paradoxalement
engendré une véritable crise de l’économie croate (diminution des indicateurs économiques). On
observe ainsi une inversion de la logique financière : les cotations boursières ne sont plus le reflet
d’une activité économique productive comme ce fut longtemps le cas par le passé13 mais c’est
l’économie réelle et productive qui devient le reflet de mouvements spéculatifs (i.e d’une exagération
de la logique d’échange). La valeur ne détermine plus l’échange, c’est l’échange lui-même qui
détermine sa propre valeur14.
Quant aux conséquences de cette hyperréalité financière sur la théorie économique, elles sont
nombreuses. Lyotard (1979, p.13) rappelle que cette évolution croissante de l’informatisation de la
réalité modifie peu à peu la manière de penser le connaissable et ce qu’on peut en dire. Pour Lyotard
(1979, p.18), il convient de ne pas confondre la justification scientifique de l’informatisation du
monde avec son caractère opérationnel 15. S’il est vrai que l’informatisation de ces phénomènes
sociaux résulte avant tout d’une certaine idéologie (Baudrillard, 1997, p.27), ce processus n’implique
pas forcément un universalisme (Ibidem) et peut engendrer paradoxalement, nous allons le voir, une
diversification des approches théoriques.
Au point de vue épistémologique, il convient de rappeler que l'informatisation des marchés financiers
n'implique pas pour autant que la théorie financière se soit transformée en « une science dure ».
L'automatisation et l’informatisation de la réalité financière combinées à toutes leurs conséquences
(meilleure liquidité, meilleure information, diminution des coûts de transaction, vitesse d'échange plus
élevée,…) n’ont pas pour autant « neutralisé » la dimension humaine présente dans l’interaction
financière. Cette remarque est importante car, précisément, de nombreux théoriciens issus d’autres
disciplines (physique ou informatique, par exemple) voient dans cette automatisation des marchés
financiers une manière d’obtenir des données brutes sur lesquelles ces théoriciens appliquent des
modèles issus de leur discipline. Dans cette logique, les cotations sont considérées comme totalement
générées par l’ordinateur et ces données brutes apparaissent comme des matières premières pour des
modèles provenant des sciences dures. L’informatisation engendre une quantification plus fine et
standardisée des cotations, ce qui rend la réalité financière (si on la réduit uniquement aux cotations)
plus à même d’être traitée par les approches prônées par les physiciens (qui voient dans cette
informatisation une base importante de données exploitables).
Les marchés financiers contemporains ne sont plus un lieu d’échange financier au sens classique du
13
Voir Poitras (2000) ou encore Belze et Spieser (2005) pour une analyse historique des marchés financiers.
On peut également citer des exemples de bulles spéculatives comme illustration de cette hyperréalité.
15
Lyotard ajoute que le critère d’opérationnalité (le critère technologique) n'est pas toujours approprié à
l’analyse de la réalité sociale. En effet, il s’avère parfois très difficile d’évoquer, conjointement dans une
analyse, la dimension opérationnelle et la dimension culturelle ou sociale de la réalité. Dans son style
caractéristique, Lyotard met donc en garde contre l’idée réductrice de faire de ce critère technologique une
nouvelle « méta-justification » d’une perception particulière de la réalité sociale.
14
7
terme et une analyse purement économique de ces échanges ne suffit plus à expliquer l’évolution des
cotations boursières. Aujourd’hui, outre ses objectifs originels (lever des fonds et couverture des
risques financiers), les marchés financiers incarnent à la fois : une « niche » pour les spécialistes du
marketing financier (voir Schinckus, 2008 pour une étude du phénomène de symbolisation des
marchés financiers) ; un lieu d’expression privilégié des biais comportementaux des individus
suggérant une étude plus psychologique des échanges (Tvede, 2008) ; un espace symbolique
susceptible d’être étudié par les sociologues (Knorr-Cetina et Preda, 2004) mais également, depuis
l’informatisation des marchés, un objet d’étude privilégié pour les spécialistes de l’intelligence
artificielle (Trippi et Lee, 1996).
Suite à ce phénomène d’informatisation des places financières, les théoriciens de la finance ont
développé deux types de connaissance : une « finance sans signification » et une « finance avec
signification » (Schinckus, 2007). Alors que la première fait référence au caractère auto-référentiel des
cotations financières (celles-ci résumeraient alors à elles seules la réalité financière), la seconde
associe un lien social, psychologique ou historique à l’évolution des cotations (il existerait quelque
chose à l’extérieur du processus de cotation qui serait commun à tous les acteurs d’un marché comme
une culture marchande ou encore des biais psychologiques par exemple).
En conclusion, l’impact de l’informatisation de la sphère financière peut se résumer en deux temps :
Au niveau de la réalité économique, ce processus met en exergue les principales caractéristiques d’un
capitalisme tardif qui, selon Jameson (1991) définissent le postmodernisme. Quant au niveau
théorique, ce phénomène d’informatisation a engendré une diversification des approches théoriques
qui, elle aussi, caractérise le postmodernisme comme nous l'expliciterons dans la section suivante.
III. L’économie postmoderne ou l’émergence d’une diversité théorique
III.1. La fragmentation de la discipline économique
Le postmodernisme se traduit en science économique par un abandon explicite et assumé de la
cohérence théorique évoquée dans la section précédente. Depuis une dizaine d'années, les travaux
consacrés à la pluralité méthodologique en économie se sont multipliés (Colander 2000, Goodwin,
2000, Dow 2006). Deux thèses s'opposent concernant la diversification théorique en économie.
Certains auteurs comme Colander (2000), par exemple, prévoient la mort de l'économie néoclassique
unifiée tant les nouveaux courants sont nombreux. Pour illustrer ses propos, l'auteur propose un relevé
des nouvelles approches théoriques en économie : la théorie des jeux, l'économie expérimentale,
l'économie évolutionniste, l'économie comportementale, l'économie de la complexité etc. Dans cette
perspective de fragmentation extrême de la discipline, il devient illusoire d'évoquer l'existence d'un
paradigme dominant en économie.
D'autres auteurs comme Davis (2006) ou Goodwin (2000) expliquent que la pluralité théorique en
économie est un phénomène cyclique correspondant à une période de remise en cause du courant
8
dominant. Durant ces périodes de questionnement, les économistes n'hésitent pas à s'inspirer des
autres sciences pour tenter de répondre à certaines anomalies de leur cadre théorique. On observe alors
une sorte de migration épistémologique des autres disciplines vers l'économie entrainant, par exemple,
une importation de nouveaux concepts au sein de la discipline. Pour Davis (2006), ces phases de
migration méthodologique correspondraient, à peu de chose près, à ce que Kuhn (2001) appelle une
période crise. Ces phases seraient nécessaires à la construction progressive d'un nouveau cadre
théorique dominant en économie. Dans cette perspective, la diversification n'est plus associée à un
processus de fragmentation de la science économique mais plutôt à un phénomène d'évolution de la
discipline.
Selon Dow (2006), la fragmentation de la science économique s'observe à travers deux tendances
clairement observées au sein de la discipline aujourd’hui :
-
l’influence d’autres sciences qui se traduit essentiellement par l’importation de concepts et de
méthodes issues de disciplines parfois très différentes (psychologie, sociologie, neuro-science,
mécanique statistique ou encore la mécanique quantique).
-
la spécialisation croissante des différentes approches théoriques au sein même de l’économie.
Cette tendance engendre également une institutionnalisation précise des zones savoirs avec
l’émergence de revues et de conférences très spécialisées.
Cette double tendance de l’évolution de la science économique engendre une multiplication des jeux
de langage théoriques qu’il devient très difficile de comparer entre eux. Certes, il existe des
« familiarités » entre certains jeux de langage (comme la sociologie et la psychologie, par exemple)
mais la spécialisation des courants théoriques est parfois telle que les économistes issus de deux écoles
différentes ne se comprennent pas toujours.
Dans une perspective purement postmoderne, c'est la thèse de la fragmentation qui est retenue (Dow,
2006). Fondé sur l'idée d'incommensurabilité des nouvelles approches théoriques, le processus de
fragmentation de la science économique correspondrait à une nouvelle manière de penser (et de faire
de) l'économie – celle-ci deviendrait un « espace conversationnel »16 (Rorty, 1979) à la croisée de
plusieurs jeux de langage et dédié à l’étude des problématiques économiques (allocation des
ressources, prix, investissement etc). Ainsi, chaque approche théorique s’apparenterait à un jeu de
langage i.e « ensemble de règles ou de conventions qui déterminent ce qui est permis ou défendu, ce
qui constitue une réussite ou un échec, chaque ensemble de règles correspondant à un jeu distinct »
(Nadeau, 1999, p.348). Un énoncé économique, quel qu’il soit, s’inscrirait donc directement dans un
ensemble de règles qui spécifient les propriétés et l’usage qu’on peut faire de cet énoncé.
Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, il peut exister des familiarités (Wittgenstein, 1969, p.66) entre
certains jeux de langage, ce qui explique qu’un théoricien interprète plus facilement des concepts
utilisés dans une autre approche théorique lorsqu’il existe des concepts plus ou moins similaires dans
16
Voir Dow (2006) pour une analyse de la méthodologie économique en termes « d’espace conversationnel ».
Pour étude de la finance dans ces termes, voir Schinckus (2009).
9
sa propre matrice disciplinaire. Il est aisé de comprendre qu’en matière d’explication de la réalité
financière, par exemple, un spécialiste de la psychologie sociale comprennent davantage le style de
raisonnement économique proposé par les sociologues que celui proposé par un spécialiste de
l’intelligence artificielle. Malgré l’existence de ces familiarités conceptuelles entre certains jeux de
langage, c’est bien la thèse de l’incommensurabilité des discours théoriques qui prévaut dans une
approche postmoderne de l’économie.
L’incommensurabilité des langages théoriques ne veut pas dire que l’on ne peut reconnaître la
pertinence (et donc leur prêter une interprétation17) des diverses approches théoriques, elle signifie
simplement qu’il est impossible de justifier la suprématie scientifique de l’une de ces approches sur
base d’un critère de démarcation qui serait extérieur à ces jeux de langage. Il devient alors impossible
de définir un critère scientifique permettant d’établir une hiérarchie entre ces jeux de langage. Quant à
la justification de l’usage de l’un ou l’autre de ces langages, elle se fonde uniquement sur des critères
« locaux » spécifiques à une situation donnée18. La problématique de la justification du langage
théorique est bien évidemment importante au niveau institutionnel puisqu’elle influence directement
les demandes et les possibilités de financement de la recherche. Dans cette quête au financement de la
recherche en économie, toute justification de ces discours théoriques s’apparente, dès lors, à des
« coups » et des « contre-coups » en vue de « désorienter » les adversaires au sein d’une guerre
scientifique purement rhétorique comme le propose Lyotard (1979, p.34).
Suite à cette fragmentation des savoirs économiques, est-il encore possible définir une science
économique ? Le pluralisme théorique croissant au sein de la discipline ne validerait-il pas
« l’anarchisme épistémologique » et son critère du « tout est bon » (Feyerabend, 1979) ? C’est à ce
genre de question que nous tentons de répondre dans la dernière section.
III.3.
Peut-on parler d'une « économie postmoderne » ?
Depuis sa création, la science économique a toujours été influencée par un certain « modernisme
économique » qui renvoie à un « style socioculturel de pensée » (Klaes, 2006), à une croyance en un
progrès scientifique à travers la formulation de théories empiriquement fondées en accord avec le
paradigme de l'acteur rationnel (Dow, 1991). McCloskey (1983) explique que ce modernisme
économique se caractérise également par l'usage de l'individualisme méthodologique et l'utilisation
d'un haut degré de formalisation. Existe-il aujourd’hui un « postmodernisme économique » qui
s'opposerait ce « modernisme économique » ? La réponse est nuancée.
Dans un premier temps, nous serions tenté de répondre à cette question par l’affirmative. En effet, il
existe bien une posture intellectuelle visant à remettre en cause les fondements méthodologiques et
17
On adopte implicitement ici une position épistémologique forte qui considère le discours scientifique comme
une « extension », une « ré-appropriation » (Sankey 1994, p.111) ou encore comme « une excroissance du
langage commun due à des sur-articulations excessives de tel ou tel univers sémantique » (Greimas 1976, p.54).
Sur le sujet, voir Sankey (1994) ou encore Greimas (1976).
18
Il est possible de rapprocher ce « situationnisme » ou « critères de situation » d'une certaine forme de
pragmatisme prôné par Rorty (1979) - Sur ce point, voir Dow (2006) ou encore Hodgson (1997).
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philosophiques de l'approche néoclassique en économie. Les postmodernes s'opposent à l'idée d'un
individu parfaitement rationnel qui cherche à maximiser son utilité permettant ainsi une résolution des
problèmes économiques en termes d'équilibre stable. Pour les postmodernes, c'est la notion même
d'individu qui doit être questionnée : les identités sont changeantes, négociées, ambigües et les
comportements dépendent des situations quotidiennes qu'ils expérimentent (Allard-Poesi et Perret,
1998). Ainsi, si l'individualisme économique incarne une approche particulière des réalités
économiques, il ne peut prétendre être l'unique fondement de la science économique.
Malgré cette remise en cause explicite de ce que McCloskey appelle le « modernisme économique »,
on ne peut véritablement parler d'une « économie postmoderne » car la possibilité même d'une
unification disciplinaire reviendrait à nier l'idée de postmodernité en économie. La volonté d’unifier la
discipline économique s’apparente d’ailleurs à un relent de modernisme économique. De plus, dans
une perspective postmoderne, il convient de dépasser les dualismes épistémologiques de type
« vrai/faux », « subjectif/objectif » ou encore « modernisme/postmodernisme ». Une approche
théorique directement issue du modernisme économique n'est pas rejetée mais simplement considérée
et présentée comme une croyance parmi d'autres. L'espace conversationnel de la science économique
est suffisamment large pour intégrer une grande diversité de courants, y compris ceux influencés par le
modernisme économique.
Le postmodernisme en économie renvoie, on l'a vu, à l'idée d'une fragmentation des courants
théoriques. Ces jeux de langage ont « plusieurs propriétés en commun, mais (a) il n’y en a aucun qui
les possède toutes (une activité doit néanmoins en posséder plusieurs pour qu’elle soit correctement
qualifiée de « jeu ») et (b) il n’existe pas (ou pas nécessairement) une propriété que tous ont en
commun » (Sauvé, 2001). Il devient dès lors difficile de définir de manière unifiée ce qu'il
conviendrait d'appeler une « économie postmoderne ». Cette appellation, pour peu qu'on l'utilise,
caractérise avant tout un état fragmenté des savoirs économiques.
Le pluralisme théorique évoqué ci-dessus est certes une condition nécessaire au postmodernisme
économique mais il n’en est pas pour autant une condition suffisante. La diversité des approches
relevées par Colander (2000) renvoie essentiellement à des disciplines dont le statut scientifique est
justifié par les canons classiques du modernisme (fondements empiriques et logiques) - L'influence19
du postmodernisme en économie se marque également par un élargissement (voire une abolition) des
frontières entre les approches dites « scientifiques » et les disciplines plus culturelles comme l'art, la
rhétorique, la littérature ou la poésie par exemple. Ainsi, on observe une forme d'esthétisation des
savoirs économiques (Dow, 2006) : On ne compte plus les travaux sur l'importance de la rhétorique en
économie - un mouvement initié par McCloskey (1983) voici plus deux décennies. Plus récemment,
Legall (2008) et Schinckus (2010b) expliquent que la modélisation économique peut s'apparenter à
une processus artistique. Malhorta et Malhorta (2009) ou encore Schinckus (2010a), ils n'hésitent pas à
rapprocher certains modèles de finance des certains travaux directement issus de la littérature et de la
19
Soulignons l’existence de certains travaux anachronique qui tentent de retrouver chez certains économistes
une résonance postmoderne. Ainsi, Klaes (2008) associe des économistes comme Berle et Means (1932) ou
encore Keynes (1936) à certains thèmes postmodernes.
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poésie. Enfin, mentionnons le rapprochement audacieux entre certaines analyses financières et la
musique proposé par McGoun, Frandsen et Bettner (2009).
Au regard de cette évolution de la discipline, l'économie postmoderne ne se caractérise pas par les
solutions qu'elle propose mais plutôt par une manière de justifier l’absence de hiérarchie entre les
solutions variées existantes. L'économie postmoderne s'apparente ainsi surtout à un positionnement
méthodologique renvoyant à un espace conversationnel favorisant la diversité théorique au sein de la
discipline – et comme tout discours sur les jeux de langage est, lui aussi, un jeu de langage, cette
caractérisation de l'économie postmoderne s’apparente à une réflexion parmi d'autres au sein de la
science économique contemporaine. Ainsi, aucune réponse théorique ne peut, à elle seule, résumer
l'économie postmoderne – cependant, c'est l'accumulation des réponses théoriques (et l'abolition des
frontières disciplinaires) qui caractérise l'avènement d'une économie postmoderne. Quant à la question
du critère de démarcation permettant de justifier ou fonder le statut scientifique de la science
économique, elle apparaît vide de sens. En effet, au sein d’une économie postmoderne, la justification
de l’usage de l’un ou l’autre jeu de langage est une affaire de rhétorique et de situation.
Notre caractérisation de la science économique s’inscrit en droite ligne avec ce que certains
épistémologues appellent l’anarchisme méthodologique ou encore la doctrine minimaliste du « tout est
bon ». Ainsi, la fragmentation de la science économique est telle que cette discipline s’apparente
aujourd’hui à champ de recherche ouvert (i.e sans frontière méthodologique stricte) à l’intérieur
duquel un courant ne peut plus dominer les autres formes de pensée en s'imposant par de fausses
évidences. La science économique s’apparente actuellement à un espace conversationnel fondé sur la
libre adhésion aux idées et aux méthodes. Ce refus des différences hiérarchisante conjugué à une prise
de distance par rapport au concept de rationalité parfaite caractérise une évolution postmoderne de la
théorie économique.
IV. Conclusion
La double évolution (technologique et épistémologique) de la sphère économique mise en avant dans
ce papier témoigne d’une certaine évolution postmoderne de l’économie. On retrouve d’ailleurs dans
cette évolution les principales caractéristiques du postmodernisme soulignées par Hottois (1998,
p.444), à savoir, l’hyperculturalisme théorique (valorisation de la différence théorique), le refus des
différences hiérarchisantes, l'abandon des grands récits de légitimation (le principe de rationalité
parfaite ne prévaut plus) et l'importance du consensus théorique – L’économie postmoderne ne
propose aucune solution spécifique mais plutôt une posture épistémologique favorable à la diversité
des solutions. Dans cette perspective, la science économique s’apparente peu à peu un espace
conversationnel théorique fondé sur la libre adhésion aux idées et aux méthodes.
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