L`inégalité responsable de la crise

Transcription

L`inégalité responsable de la crise
L’inégalité responsable de la crise ? - Libération
1 sur 2
http://www.liberation.fr/economie/0101565565-l-inegalite-responsabl...
Imprimer
×
Économie 05/05/2009 à 06h52
L’inégalité responsable de la crise ?
2 réactions
Par Philippe Martin
Une nouvelle interprétation de la crise est en train de s’imposer, au moins en France. Bien
plus qu’une dérive de la finance, la crise serait due à l’augmentation des inégalités de
richesses. Cette dernière, en particulier aux Etats-Unis est un fait désormais bien démontré et
documenté par les travaux influents de Thomas Piketty (école d’Economie de Paris) et
Emmanuel Saez (université de Berkeley), celui-ci venant d’ailleurs de recevoir la très
prestigieuse John Bates Clark Medal réservée aux économistes de moins de 40 ans travaillant
aux Etats-Unis.
Comment le creusement des inégalités aurait-il amené à la crise ? Celle-ci marquerait
l’aboutissement d’un mode d’accumulation, le néolibéralisme anglo-saxon, qui, par
l’extension du libre-échange, a fait exploser les inégalités et paupérisé les classes moyennes.
Dans ce contexte d’augmentation des inégalités, l’endettement des ménages aurait été le
moyen pour maintenir la consommation, la demande et donc les profits des entreprises. Il
s’agirait donc d’une des nombreuses contradictions du capitalisme qui cherche à comprimer
les salaires mais aussi à vendre à ceux-là mêmes qu’il prive d’un revenu décent. Cette
contradiction se résout dans la crise. Allant dans le sens de cette interprétation, certains
travaux suggèrent qu’aux Etats-Unis l’augmentation des inégalités de revenu n’a pas été
suivie d’une augmentation aussi forte des inégalités de consommation, différence qui
s’expliquerait par l’endettement des pauvres et des classes moyennes.
Cependant, outre que les inégalités de consommation sont plus difficiles à mesurer que les
inégalités de revenu, les chiffres récents du Survey of Consumer Finances montrent que
l’augmentation de l’endettement des ménages américains, adossée avant la crise à la bulle
immobilière, a constitué un phénomène assez généralisé pour les différentes classes sociales.
En outre, à l’exception des Etats-Unis, une relation causale entre l’augmentation des
inégalités et la crise financière, est difficile à identifier.
Prenons les exemples de la crise financière de 2008 en Islande, celle de la Suède ou du Japon
dans les années 1990, qui partagent certaines caractéristiques de la crise financière
américaine, crises bancaires précédées par des bulles immobilières : on aurait du mal, pour
ces pays, à les expliquer par les inégalités de revenu. Mais attribuer la crise à l’augmentation
des inégalités et au mode de croissance des trente dernières années, c’est aussi diluer les
responsabilités, en particulier celles du secteur financier. Ce n’est peut-être pas un hasard si
certains banquiers l’ont reprise à leur compte. Il est en fait plus probable que la relation entre
les deux phénomènes soit de l’ordre de la corrélation plutôt que de la causalité : augmentation
des inégalités et dérives de la finance trouvent leur origine dans une cause commune, d’ordre
politique, qui a poussé à accepter à la fois l’idée que l’augmentation des inégalités était la
contrepartie naturelle d’une économie plus efficace, et que l’efficacité économique
nécessitait le laisser-faire sur les marchés financiers. On peut aller plus loin dans cette
interprétation politique de la crise si on considère ce que Simon Johnson (MIT) a appelé
l’emprise croissante de l’«oligarchie financière». La relation incestueuse entre le pouvoir
politique et le pouvoir financier a poussé les banques - en particulier les banques de dépôt - à
05/05/2009 22:23
L’inégalité responsable de la crise ? - Libération
2 sur 2
http://www.liberation.fr/economie/0101565565-l-inegalite-responsabl...
des paris de plus en plus risqués avec le soutien du pouvoir politique. La déréglementation
financière, la croissance du crédit et l’énorme concentration de richesses qui en a résulté a
donné à la finance un poids économique et politique sans précédent depuis les années 1920.
Ce phénomène n’est pas propre aux Etats-Unis : outre les pays émergents qui ont connu des
crises financières en 1997 et 1998, ces relations incestueuses étaient aussi présentes en
Islande et au Japon. La France, où les membres des cabinets ministériels pantouflent souvent
dans les banques et le pouvoir politique reste fasciné par la finance, n’est pas exempte. Les
plans de sauvetage du système financier, qui ont pris la forme d’énormes et opaques
transferts des contribuables aux actionnaires des banques, portent encore la marque du
pouvoir des financiers.
La crise peut maintenant déboucher sur deux scénarios opposés : elle peut permettre de
légitimer la création de mastodontes bancaires qui retrouveront rapidement une puissance
politique perverse et annonciatrice de nouvelles crises. C’est l’exemple de la fusion entre la
Caisse d’épargne et des Banques populaires en France. Mais elle peut aussi constituer une
fenêtre d’opportunité, qui ne se représentera pas peut-être avant longtemps, pour revenir à un
secteur financier qui prenne moins de place dans le système économique et politique.
Philippe Martin est professeur à Sciences-Po.
05/05/2009 22:23