l`ile-de-france une porte d`entrée pour l`europe

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l`ile-de-france une porte d`entrée pour l`europe
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L'ILE-DE-FRANCE
UNE PORTE D'ENTRÉE
POUR L'EUROPE
Comment inciter les Etats-Unis à
regarder la France autrement ?
C’est l’objectif que s’est fixé l’Agence
régionale de développement de
l’Ile-de-France (ARD) qui, avec l’appui
de cinq experts scientifiques et
réglementaires, s’attache à développer
auprès des sociétés américaines le
réflexe du choix de l’Ile-de-France
comme un point d’entrée possible pour
la réalisation d’un programme clinique
européen.
——————
ANNE-LISE BERTHIER
st-il encore nécessaire de le rappeler ? C’est en
Californie qu’ont émergé les pionniers des biotechnologies Amgen et Genentech. Aujourd’hui
c’est toujours dans cet Etat des Etats-Unis, berceau de cette nouvelle industrie, que progressent les dernières thématiques scientifiques de pointe, à l’image des
cellules souches qui rassemblent, depuis un peu plus d’un
an au sein du San Diego Consortium for Regenerative Medicine (SDCRM), les prestigieux centres de recherche
que sont l’Université de Californie, à San Diego (UCSD),
le Salk Institute, le Scripps Research Institute et le Burnham Institute for Medical Research. Au-delà de l’excellence scientifique, les résultats économiques ont aussi
pris rendez-vous avec le succès. Alors qu’une biotech californienne sur quatre a été créée par un chercheur travaillant dans une des universités de l’Etat, les données
de la dernière étude Ernst&Young sur les biotechnologies montrent que les sociétés californiennes ont totalisé
plus de 62 milliards de dollars de revenus en 20061. Avec
400 sociétés au Nasdaq, la Californie est ainsi un moteur
économique majeur des biotechnologies aux Etats-Unis,
moteur propulsé par les régions de San Francisco et de
San Diego qui comptent à elles seules quelque 30 % des
biotech américaines cotées en Bourse. Il était donc logique que l’Ile-de-France, première région scientifique
et technologique européenne, amarre son navire amiral,
le bureau Prime (Paris Region International Mission
E
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
Enterprise), à San Francisco pour développer et faciliter
échanges et collaborations entre ses chercheurs, ses sociétés de biotech et leurs homologues américains.
Réponses concrètes et difficultés communes. Dès l’inauguration du bureau Prime en novembre dernier, Claude
Huriet, président du conseil d’administration de l’Institut
Curie, relève que « cette première démarche a permis de
constater qu’il existe un intérêt « plus que poli » pour notre
région, notamment en matière de recrutement de patients pour les essais cliniques et d’accès aux plateformes
technologiques et aux tumorothèques ». Parallèlement,
« lors de nos précédentes missions aux Etats-Unis, les
sociétés de biotech rencontrées nous ont posé de nombreuses questions sur l’environnement des affaires, la
recherche clinique et les questions réglementaires en
France », explique Frédéric Faivre, en charge des sciences
de la vie à l’Agence régionale de développement de l’Ilede-France (ARD). D’où le choix de l’ARD d’emmener en
avril dernier une mission d’experts chargés de fournir des
réponses très concrètes aux questions des sociétés et des
chercheurs californiens et de battre en brèche certaines
idées pré-conçues sur la France (voir encadré 1). Premier
enseignement important de ces différentes rencontres, la
mise en évidence de difficultés communes de part et
d’autre de l’Atlantique. Bien que ces problèmes ne soient
pas de même ampleur, le diagnostic est similaire au niveau
© JULIE EGGERS/CORBIS
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des financements. S’il est possible de trouver des fonds
France ne manque pas d’avantages pour inciter des biopour assurer les phases précoces de développement et
tech étrangères à s’y installer ou à y établir des collaborapour les fins de phase III, faire vivre le produit entre ces
tions. Alors que l’ensemble des interlocuteurs américains
deux étapes est aussi problématique sur les côtes du Paa souligné la qualité et le caractère innovant de la science
cifique. Chez Novocell, société spécialiste des thérapies
française, la politique nationale d’incitations fiscales en
cellulaires pour les traitements du diabète et de cancers,
faveur de la recherche a aussi suscité des réactions posison pdg Alan Lewis déplore également la frilosité des sotives. Ici, c’est le crédit d’impôt-recherche qui a été pléciétés de capital-risque qui hésitent à financer des projets
biscité, en particulier ses dernières évolutions avec l’augsur les cellules souches embryonnaires, en particulier dementation de ses plafonds d’éligibilité2. Jugé « ultra
compétitif » notamment en raison de sa dipuis l’interdiction du financement de ces remension remboursable, ce dispositif peut
cherches sur des fonds fédéraux prononcée
manifestement être considéré comme un
par le président George W Bush en 2001. De
même, chercheurs français et américains afLe statut de JEI outil de fiscalité majeur en faveur de la
France, tout comme le statut de Jeune enfrontent des restrictions sur les financements
très remarqué
treprise innovante (JEI). Remarqué notampublics de la recherche. Aux Etats-Unis, les
ment pour ses possibilités d’applications
fonds accordés par les National Institutes of
aux filiales françaises d’une société étranHealth (NIH) sont en recul régulier, la baisse
gère, ce statut a aussi été jugé important pour son rôle
ayant atteint 7,3 % depuis 2003. Ceci explique peut-être
de soutien à des sociétés en création, certains regrettant
cela, puisque l’autre souci partagé par les sociétés et les
même que pareil dispositif n’existe pas aux Etats-Unis.
représentants d’organismes de valorisation industrielle
Dans un environnement où les fonds gouvernementaux
à l’instar du Stanford Research Institute, réside dans les
pour la recherche médicale sont révisés à la baisse, les négociations avec des universités et des laboratoires aca
démiques de plus en plus gourmands pour la conclu(1) Source : Ernst&Young –Beyond Borders – Global Biotechnology Report 2007
sion d’accords de R&D ou la cession de licences.
Compétitivité fiscale pour la R&D. Au-delà de ce terrain commun propice à l’initiation de discussions, la
(2) Pérennisé depuis 2004, le crédit d’impôt recherche a vu son plafond passer de
dix millions d’euros au titre des dépenses de 2006 à 16 millions d’euros pour cette
année. Les dépenses retenues concernent la veille technologique, les moyens
humains et matériel affectés à la recherche, la recherche sous-traitée, les brevets
et leur défense.
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
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PARIS, SAN FRANCISCO
Quelques sociétés et instituts rencontrés
Les rendez-vous et sessions de
travail organisés en Californie
ont permis aux cinq experts
membres de la mission
d’échanger avec une large
palette de responsables de
sociétés et de chercheurs. Outre
les présidents des deux grands
clusters californiens, Matthew
Gardner pour BayBio à San
Francisco et Joe Panetta pour
BioCom à San Diego, des
contacts directs ont pu être
établis ou développés avec des
sociétés telles qu’Amgen,
Genentech, Monogram
Biosciences, Nektar
Therapeutics, Novocell, PDL
Pharma, Vical, Affymax,
Medarex, Halozyme ou encore
Althea Technologies. Des
entretiens ont également été
menés avec plusieurs
représentants de l’UCSF
Comprehensive Cancer Center,
dont son président Franck
McCormick et l’une de ses
directrices, Margaret Tempero,
actuelle présidente de
l’American Society of Clinical
Oncology (ASCO) ainsi qu’avec le
Stanford Research Institute.
Dans le domaine des sciences de
la vie, cet organisme de
valorisation des recherches
menées à l’université de
Stanford se positionne sur trois
axes prioritaires coïncidant
exactement avec les
thématiques du pôle de
compétitivité d’Ile-de-France,
Medicen, à savoir le cancer, les
maladies infectieuses et les
neurosciences.
préoccupations américaines ont également tourné autour
de l’existence en France d’organismes, qui à l’image de
l’Agence nationale pour la recherche sur le sida (ANRS),
interviennent pour le soutien à la recherche et aux études
cliniques en oncologie. Alors que l’Institut national du
cancer (INCa) s’inscrit dans cette même orientation, le
professeur Fabien Calvo a pu souligner à cette occasion
l’impact des cancéropôles qui, par leur structure unique
allant de la recherche fondamentale jusqu’aux soins, n’ont
pas d’équivalent aux Etats-Unis. Ici, relève le professeur
Calvo, « nos interlocuteurs ont été frappés par la structuration du cancéropôle en Ile-de-France, qui, avec son dispositif de guichet unique, est capable à la fois de les aider à franchir les étapes administratives, de s’occuper des
relations avec l’Afssaps, et de sélectionner pour eux les
centres les plus adaptés à leurs besoins cliniques ». Outre
ce soutien logistique et administratif, « les capacités de recrutement, avec la possibilité d’inclure chaque mois 120
patients dans des essais précoces, concourent aussi à l’intérêt de conduire des études cliniques en Ile-de-France »,
ajoute Claude Huriet.
Des phases précoces de qualité. Mais, face à la place prédominante prise par l’Inde, la Chine et l’Europe de l’Est
dans les phases tardives, l’enjeu pour la recherche clinique se situe maintenant au niveau des phases de développement précoces (I/II), phases où la France dispose
d’atouts indéniables, ainsi qu’en attestent les résultats
de la dernière étude du Leem sur l’attractivité de la France
pour la recherche clinique présentée par Catherine Lassale, directrice des affaires scientifiques et médicales du
Leem, aux différentes sociétés rencontrées. C’est notamment en phase IIb que la France affiche la meilleure productivité avec un nombre moyen de patients par centre
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
plus élevé (7,4), une vitesse de recrutement significativement plus rapide (2,1 patients par centre et par mois) et
une meilleure qualité des observations (moyenne de 4,3
demandes de correction par patient recruté). De plus, au
moment où le nombre d’études cliniques menées dans
l’Hexagone renoue avec la croissance, avec 1 148 études
en 2006 contre 1 046 en 2005, Antoine Cournot, président
de la fédération européenne des CRO, l’EUCROF, n’a pas
manqué de préciser aux sociétés californiennes qu’aujourd’hui la France est le seul pays appliquant intégralement la directive européenne sur les essais cliniques.
L’Afssaps, « locomotive réglementaire ». Cette caractéristique n’est pas sans conséquences majeures pour une
société biotech, puisque cette nouvelle réglementation
impose un délai moyen inférieur à 60 jours pour répondre
à une demande d’autorisation d’étude clinique. Depuis
septembre 2006, date de mise en place de la directive, plus
de 300 études cliniques ont été autorisées par l’Afssaps
avec un délai moyen de 35 jours. L’agence française dont
Catherine Lassale et Antoine Cournot ont insisté sur sa
position de « locomotive réglementaire » en Europe apparaît donc aussi comme un élément de compétitivité et
d’attractivité important. Parmi les autres caractéristiques
françaises ayant éveillé l’intérêt des sociétés rencontrées, on notera également l’existence du groupe de travail associant le Leem, l’Afssaps et l’AFCROs sur le thème
des études cliniques ou encore le fait que l’agence française accepte les dossiers de demande d’autorisation rédigés en anglais. Enfin, autre atout important et évocateur, en particulier pour une société de biotech n’ayant
pas ou peu d’expérience de la recherche clinique, la possibilité d’obtenir un avis scientifique gratuit auprès de
l’Afssaps, avis dont Catherine Lassale a souligné qu’il est
souvent utilisé par les laboratoires avant d’envoyer leurs
dossiers à l’EMEA. Ce rôle est apparu d’autant plus déterminant dans le cas de sociétés de biotechnologie, qui, à
l’instar de Vical et de ses vaccins à ADN encadrés aux
Etats-Unis par la réglementation sur la thérapie génique,
travaillent sur des produits « pointus » et ont besoin de
s’assurer du cadre réglementaire susceptible de s’appliquer à eux en Europe. Tout n’est certes pas idyllique dans
le tableau hexagonal et face aux questions sur l’organisation de la recherche clinique à l’hôpital, les différents experts n’ont pas éludé la nécessité d’apporter certaines
améliorations. Alors que plusieurs sociétés ont évoqué le
sujet de la nature des contrats à établir avec les hôpitaux
participant à une étude clinique, plusieurs initiatives ont
pu être présentées auprès des américains, notamment les
projets de mise en place d’un dispositif de contrat unique
ainsi que le fonds abondé par l’industrie pharmaceutique
pour améliorer l’organisation de la recherche clinique
dans les hôpitaux.
Mission réussie. Toutes les rencontres ont montré l’ouverture et la curiosité scientifique des sociétés californiennes. « Nous avons été frappes par la vitalité des biotechs californiennes. Les plus petites, mais à San
Francisco ou à San Diego cela suppose des sociétés d’au
moins 100 personnes, nous ont clairement manifesté le
plus vif intérêt pour des coopérations pour la recherche et
pour des essais cliniques à court terme, c'est-à-dire pour
certaines dès 2007 », indique le professeur Fabien Calvo.
© PETER APRAHAMIAN/CORBIS
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De plus, il relève « un souci de toutes les entreprises de développer des partenariats académiques, pas seulement
pour de la recherche clinique, mais aussi en amont, pour
la recherche de nouvelles molécules et de nouvelles stratégies thérapeutiques ». Alors que la plupart des sociétés
rencontrées étaient en quête d’une meilleure connaissance de l’industrie des sciences de la vie en France et
cherchaient à établir des contacts pour identifier et faciliter d’éventuelles opportunités pour des collaborations fu-
Quelques questions posées par les sociétés
et chercheurs californiens
Les questions n’ont pas manqué pour les cinq experts membres de la
mission, le professeur Fabien Calvo, directeur de la recherche de
l’INCa, Catherine Lassale, directrice des affaires scientifiques et
médicales du Leem, Antoine Cournot, président de la fédération
européenne des CRO, l’EUCROF, Patrick Seroin, avocat fiscaliste du
cabinet Fidal et Franck Tetaz, du cabinet Regimbeau spécialisé dans
la propriété intellectuelle. Parmi les demandes revenues le plus
fréquemment figurent les questions suivantes :
• Pourquoi une société américaine choisirait plutôt la France pour
faire ses essais cliniques ?
• Quelles sont les procédures à mettre en œuvre pour initier une
étude clinique en France ?
• Quel organisme faut-il alors contacter en premier ?
• Quelle est la place de la recherche académique dans le domaine des
études cliniques ?
• Quels types de contrats régissent les relations avec les hôpitaux et
avec les investigateurs ?
• Quels sont les délais pour l’obtention d’une réponse au dépôt d’une
demande d’autorisation pour la réalisation d’un essai clinique en
France ?
• Quels frais, en particulier les frais liés à la réalisation d’études
cliniques en France, peuvent être intégrés dans les dépenses prises
en compte dans le crédit d’impôt-recherche ?
• Le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI)
peut-il s’appliquer à la filiale française d’une société étrangère ?
tures, la mission d’experts organisée par l’ARD a manifestement atteint son but. En effet, il ne faut pas oublier
que, lorsque les Etats-Unis cherchent une porte d’entrée
sur l’Europe, ils ont plutôt tendance, proximité linguistique oblige, à se tourner vers le Royaume-Uni ou l’Irlande
que vers la France. « De telles missions nous permettent
d’aller porter nos vérités et de diversifier les sources d’information des sociétés américaines, souligne Franck Tetaz du cabinet Regimbeau. Ce travail d’équipe permet de
surcroît de couvrir l’ensemble des champs liés au secteur des biotechnologies ». Ainsi, à partir du moment où
experts et spécialistes français prennent le temps d’aller,
sur place, expliquer leurs travaux et présenter la situation hexagonale aux sociétés américaines, leur intérêt
peut de toute évidence être stimulé. « Notre objectif principal en acceptant cette rencontre était une meilleure
compréhension de ce que nous pouvions faire ensemble
pour développer nos industries biotech respectives, explique le président du cluster BioCom, Joe Panetta. De
telles discussions menées en face à face constituent le
meilleur moyen pour y parvenir et je pense que cet objectif est en bonne voie. Mais il nous faut maintenant avoir
un processus continu d’interactions ». Ce diagnostic est
notamment partagé par Alain Rolland, senior vice-président, en charge du développement des produits chez Vical. « La visite des experts français a été bien perçue et a
constitué une introduction utile, estime-t-il. Bien que
cette approche soit essentielle, il apparaît qu’elle n’est
sans doute pas suffisante et nécessitera un suivi ». En effet, alors que les signes d’intérêt ne se sont manifestement
pas démentis depuis le retour de la mission, avec des visites en France d’ores et déjà prévues par plusieurs des sociétés rencontrées, il s’agit clairement du début d’un travail de fond à destination des Etats-Unis. Celui-ci
nécessitera de toute évidence de nouveaux déplacements
des professionnels français pour continuer à marteler le
message et à développer les contacts. Ici, l’importante diaspora française implantée tant dans les sociétés de biotechnologie que dans les instituts de recherche californiens pourrait aussi apporter une contribution
fondamentale. I
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