Les problèmes de santé en Afrique subsaharienne mettent le

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Les problèmes de santé en Afrique subsaharienne mettent le
Conférence de presse du 06/10/2010
14 heures, salle Politkovskaya (PHS 0A50)
Parlement européen Bruxelles
Contact : 0475.690.461
http://www.vdekeyser.be/
SOINS DE SANTE EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
& MUTUALISATION
Rapport d'initiative de Véronique De Keyser Députée européenne
Vice Présidente du groupe parlementaire Socialistes & Démocrates
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Bruxelles, Parlement européen, 6 octobre 2010
Les problèmes de santé en Afrique sub-saharienne mettent le modèle de solidarité
entre Nord et Sud à l’épreuve. Que l’espérance de vie entre un Africain ou un
Européen puisse différer de trente ou quarante ans ne peut qu'interpeller. Cet écart
traduit la difficulté de tout un continent, encore marqué au fer par son passé de
colonisation, à décoller aujourd’hui. La mauvaise gouvernance de certains pays, les
conséquences dramatiques de la crise financière, le changement climatique, les
catastrophes naturelles, la pauvreté extrême, les guerres, les paradis fiscaux qui
épuisent l’Afrique, l’ultra capitalisme des grandes multinationales, les conflits
ethniques, la convoitise suscitée par d’extraordinaires ressources naturelles, les
grandes épidémies comme le SIDA : tous ces facteurs mis ensemble et en interrelation
créent une situation complexe.
L’aide d’urgence prodiguée par des ONG financées par l’UE et par toute la
communauté internationale est une réponse bien parcellaire à cette complexité. Elle
permet de parer au plus pressé, et de soigner gratuitement les plus démunis. Mais tous
n’ont pas cette chance et ce type d’aide ne fonde pas pour l’avenir un modèle durable.
Au contraire, dans certaines régions, de manière paradoxale elle est un frein à une
prise en charge de la santé par l’Etat ou par des structures complémentaires, voire
alternatives fonctionnant sur une base solidaire. Les indicateurs de santé en Afrique
sont si préoccupants qu’une privatisation de la santé ne pourrait qu’accroître encore
des inégalités criantes.
C’est pourquoi ce rapport appelle de ses vœux des systèmes de santé durables, même
s’il est peu vraisemblable, selon la Banque Mondiale, que les pays en développement
puissent avant longtemps financer, sur base de recettes fiscales, leurs propres
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systèmes nationaux. Des systèmes non lucratifs financés de manière mixtes, à la fois
par les ressources de l’Etat, par la solidarité internationale et par la participation des
citoyens sont les mieux à même de répondre à l’immense défi de la santé en Afrique
sub-saharienne. En 2006 l’aide internationale couvrait 0,25 à 0,5 % des budgets de
santé dans cette région du monde. Mais même avec ce niveau d’aide, le problème
reste immense. D’abord, parce que la crise financière que traverse le monde n’incite
pas les pays européens à remplir leurs promesses c’est à dire arriver au moins à 0,7 %
du PNB versés pour la coopération en 2010. Enfin parce que très traditionnellement la
santé n’est pas une priorité : ainsi l’aide en matière de santé n'arrive qu'à la moitié du
montant accordé à l’éducation. Sans sous-estimer l’importance de ce dernier secteur,
cet écart en dit long. Ensuite parce que se pose encore et toujours le problème de
l’orientation du financement.
Ces dernières décennies ont vu la montée en puissance des fonds de santé dits
verticaux, ciblés sur des pathologies précises - SIDA, tuberculose, malaria,
poliomyélite, etc. - drainant l’aide internationale et les initiatives privées. Les résultats
en matière de recherche, de vaccination, de prévention ont été remarquables mais
l’effet pervers enregistré a été un affaiblissement de l’aide aux systèmes de santé de
base, appelés aussi horizontaux. Ces systèmes horizontaux concernent la santé en
général : l’accès aux soins et aux médicaments pour toute la population sans
discrimination, les défis de la mortalité infantile et maternelle, les maladies banales
mais tueuses comme la dysenterie, dues souvent à la pauvreté, l’absence d’hygiène,
l’absence d’eau potable etc. On peut analyser à l’infini la variété des systèmes de
santé existants en Afrique - ou tentant d’exister. Ce terme très général implique les
infrastructures de base, les acteurs de la santé, les soins prodigués, les médicaments et
les firmes pharmaceutiques qui les vendent, la communauté internationale, les ONG,
les églises, parfois les sectes…et les simples citoyens, malades ou bien portants. Il
peut paraître plus sûr et plus simple, quand on est donateur, de financer des cibles
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claires et c’est une des raisons de l’attractivité des Fonds verticaux. Mais les critiques
de plus en plus nombreuses d’experts de la santé s’inquiétant du financement mal
balancé entre systèmes verticaux et horizontaux sont en passe de trouver une
solution : certains Fonds verticaux optent maintenant pour une politique dite
« diagonale ». Ils consacrent une partie de leur financement au soutien de systèmes de
santé de base. C’est un effort à encourager et à généraliser : ces Fonds verticaux
doivent en effet soutenir des systèmes de santé complets et intégrés et non les
fragiliser. Mais la faiblesse des systèmes de santé de base conduit à d’autres effets
pervers. Les multiples fléaux et conflits qu’a connu l’Afrique ont laissé se propager
des soins d’urgence, assurés gratuitement par des ONG ou des églises qui font un
travail admirable mais peu pérenne : ces soins d’urgence sont indispensables mais eux
non plus ne peuvent se substituer à une politique de santé durable.
Mais dans le financement partiel des systèmes de santé, il y a une composante tout à
fait intéressante : la participation de la société civile et la prise en charge de la santé
par les citoyens, sous des formes originales et solidaires. Depuis les années 90, on a
assisté en Afrique à l’émergence et à l’affermissement progressif de structures
mutualistes très diverses: organisations communautaires, paysannes, de jeunes, de
femmes, à caractère syndical, mutualiste 1. La micro-assurance 2 a suscité un intérêt
croissant et des efforts de mutualisation, poussés ou non par les gouvernements en
place, ont vu le jour. Ces efforts de mutualisation réclament une gouvernance
1
COHEUR Alain (2009) Structures mutualistes en Afrique. Les mutuelles de santé, actrices de
changement social, Politique, HS13, novembre 2009,27-29.
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La micro assurance regroupe l’ensemble des mécanismes de financement des soins de santé parmi
lesquels les mutuelles de santé, les systèmes de prépaiement, les caisses de solidarité, les couplages
crédit/santé.
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participative car l’écoute et l’évaluation des besoins des populations sont au cœur du
processus. Ils requièrent un cadre législatif. Ils impliquent une large sensibilisation
des pouvoirs publics, corps médical, citoyens 3. Mais ils tentent, sous des formes très
variées, très liées au contexte, de promouvoir l’accès des soins de qualité à travers la
solidarité, la non-exclusion, la démocratie et le caractère non lucratif. Les initiatives
viennent tant du public que du privé : les églises, les réseaux non confessionnels
philosophiques et politiques, certaines associations se lancent dans cette démarche.
Mais les obstacles sont nombreux :
- Pour pouvoir et vouloir financer une assurance santé, il faut que les populations
bénéficient d’un minimum de ressources. Les plus démunis ne peuvent y
souscrire;
- Il faut que les personnes aient autour d’elles des infrastructures et un corps
médical disponibles : à quoi bon souscrire une assurance s’il n’y a ni médecin, ni
dispensaire, ni hôpital, ni pharmacie ? Les infrastructures de santé de base sont
une pré-condition à toute mutualisation. Dans les zones urbaines mais encore plus
rurales, les populations qui n’ont pas les moyens de se rendre dans les centres de
santé font appel au guérisseur ou s’approvisionnent en médicament sur les
marchés ou auprès de vendeurs de médicaments ambulants. Mais même lorsque
les infrastructures existent, le taux de fréquentation des districts de santé est très
faible : 0,24 par an au Mali, 0,34 au Burkina Faso et 0,30 au Bénin;
- Il faut aussi une stabilité politique : les conflits, les exactions et les guerres
nécessitent un modèle alternatif et des infrastructures spécifiques;
- Enfin il faut trouver des formes d’assurance et de mutualisation qui respectent le
contexte africain et ses valeurs et ne pas tenter de transposer à l’Afrique un
modèle occidental.
Divers pays africains se sont lancés dans des initiatives prometteuses, avec l’aide de la
communauté internationale. Ainsi, le Burkina Faso, le Sénégal, le Burundi, la
République Démocratique du Congo et le Cap vert se sont engagés dans un
programme soutenu par une ONG. Ce programme ambitieux est intitulé « Droit à la
santé ». Il privilégie l’approche communautaire et implique dans les pays cités 153
organisations communautaires. Il est de plus combiné à d’autres programmes « Travail décent, vie digne », « Sécurité et souveraineté alimentaire » - : la santé en
effet ne peut être dissociée de l’éradication de la pauvreté, de la lutte contre la faim et
les inégalités sociales. Son idée maîtresse est un travail en réseaux ou les diverses
mutuelles se soutiennent et se renforcent au niveau local, national et international.
Elles peuvent ainsi, non seulement agir plus efficacement à leur niveau respectif, mais
aussi influer sur les politiques de sécurité sociale et de santé publique dans les pays
où elles exercent leurs activités. Au Burkina Fasso, le gouvernement a mis à l’étude
un projet d’assurance maladie universelle. Au Burundi, le projet de mutualisation peut
s’appuyer sur un système très structuré, de la base au sommet. Dans ce pays, la
Confédération nationale des caféiculteurs regroupe plus de 100.000 producteurs et
l’objectif est d’y mettre en place 25 mutuelles de santé, de les structurer en 5 Unions,
avec une Fédération nationale. En République Démocratique du Congo les structures
de mutualisation - comme la mutuelle de santé Musaru à l’Est du Congo - peinent à se
maintenir avec la « concurrence » des ONG qui soignent gratuitement, en particulier
dans les zones de conflit. Mais dans cette région, ce sont les églises qui sont les
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MARIKO Lamine (2009). Burkina Faso. La mutualité, un pas vers la protection sociale. Les
mutuelles de santé, actrices de changement social. Regards Nord-Sud. Politique, HS 13, novembre
2009, pp25-26.
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éléments moteurs qui poussent à des formes de mutualisation, églises qui agissent à
travers un réseau très bien implanté et efficace.
Des questions essentielles sous-tendent le débat mutuelliste en Afrique. Quelle est la
place des mutuelles par rapport aux efforts des Etats qui tentent de mettre sur pied
des structures de santé ? Quelle est la place des mutuelles par rapport aux ONG
assurant toute la chaîne des soins de manière gratuite ? Dans quelle mesure les
mutuelles africaines, dont les modèles se chiffrent par centaines, peuvent-elles être
autre chose qu’un repli corporatif, religieux, voire ethnique et émerger comme
mouvement social ? Comment la communauté internationale peut-elle jouer un rôle
de support, voire d’initiative – tout en laissant les structures africaines s’autonomiser
et se prendre en charge ? Le modèle des mutuelles est un modèle alternatif aux efforts
étatiques mais qui fait appel à la solidarité des adhérents. Des adhérents fortunés
aussi ? Un règlement supranational sur les mutuelles de santé a été récemment adopté
au niveau de l’Union économique et monétaire des pays d’Afrique de l’Ouest et
plusieurs pays tentent de mettre sur place un régime d’assurance maladie obligatoire.
Va-t-il préserver les valeurs de solidarité, le dynamisme, la flexibilité qui devraient
guider les mutuelles africaines, lesquelles se développent dans des contextes très
complexes ? Il semble qu’on soit aujourd’hui à la croisée des chemins.
Un modèle mutualiste durable devrait posséder différentes qualités. Il devrait reposer
sur la solidarité - solidarité Nord/Sud et entre ses adhérents - mais viser à long terme
son autonomisation et son autofinancement. Il devrait être flexible et s’ajuster à
différents contextes. Il devrait viser l’égalité, non pas dans la contribution de chacun à
sa survie économique, mais dans l’accès aux soins qu’il garantit. Il devrait être
participatif et porteur d’une dynamique sociale, pour pouvoir influencer voire piloter
des politiques de santé et faire pression sur les gouvernements. Il ne devrait donc pas
dépendre directement du gouvernement en place, faute de quoi on pourrait commettre
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les mêmes erreurs voire se rendre coupable des mêmes défaillances. Enfin il devrait
lier les acteurs de terrain et les associer dans la démarche de santé. Economiquement
viable à terme, solidaire, flexible, dynamique et participatif. C’est beaucoup lui
demander mais les initiatives évoquées plus haut s’inscrivent dans cette direction.
L’Union européenne a un rôle à jouer dans la mise en place de structures de santé
solidaires. D’abord en œuvrant pour que les pré-conditions à des systèmes mutualistes
soient remplies : en conseillant, guidant, finançant des systèmes de santé de base et
l’accès à des médicaments sans lesquels aucun système d’assurance santé ne peut se
développer. En assurant aux pays de l'Afrique sub-saharienne un financement
transparent basé sur des indicateurs de santé dérivés des besoins de la population.
Ensuite en soutenant des programmes de sensibilisation de la population à la
prévention et au diagnostic précoce des maladies : la faible fréquence des visites de
centres de santé là où ils existent témoigne de l’existence d’un problème qui est sans
nul doute plus large que financier. Enfin, en soutenant des programmes internationaux
de solidarité qui créent des initiatives et des échanges permettant de structurer des
réseaux mutualistes porteurs d’une transformation sociale. La non marchandisation de
la santé, réclamée par l’Europe, devrait être la règle également en Afrique.
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