I - La licence obligatoire
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I - La licence obligatoire
Année universitaire 2003/2004 Université de Nantes Mémoire de maîtrise de Droit privé Propriété littéraire et artistique Vers une licence obligatoire de diffusion des oeuvres sur Internet – Perspectives en droit français et canadien - Mémoire réalisé par Guillaume Champeau Sous la direction de M. Loïc Panhaleux Dans le cadre de l'échange universitaire entre l'Université de Nantes (France) et l'Université d'Ottawa(Canada) 1 2 REMERCIEMENTS Je tiens avant tout propos à remercier avec beaucoup de sincérité l'Université de Nantes pour m'avoir offert l'opportunité de préparer ce mémoire à Ottawa, au Canada, ainsi que tout le personnel de l'Université d'Ottawa pour leur formidable accueil. En particulier, je voudrais adresser de chaleureux remerciements au professeur Mistrale Goudreau, dont l'esprit critique et les conseils avisés animent ce mémoire. Merci également à M. Loïc Panhaleux, qui a très vite accepté de diriger mes travaux. 3 4 SOMMAIRE INTRODUCTION 7 PREMIERE PARTIE La licence obligatoire : une reconnaissance des droits du public A – L'inadéquation du droit d'auteur aux réalités sociotechniques sur Internet 1 – La déprofessionnalisation du droit d'auteur au coeur d'une nécessité de réforme 14 15 16 a – l'apparition massive du « consommateur-auteur » 16 b – le développement de fait d'un droit d'accès aux oeuvres 19 2 – Une banalisation incontrôlable de la contrefaçon numérique 21 a – de difficiles tentatives de neutralisation des contrefaçons via Internet 21 b – le refus souhaitable d'une protection au cube des oeuvres 25 B – Une licence obligatoire pour répondre à ces réalités sociotechniques 1 – Des modèles de souplesse pour le public dans le droit positif 28 30 a – la licence légale de communication au public 30 b – la rémunération pour copie privée 32 2 – Une licence obligatoire au champ d'application limité 35 a – une limitation à certaines oeuvres 35 b – une limitation à certains droits exclusifs 38 DEUXIEME PARTIE La licence obligatoire : une protection des intérêts des titulaires de droits d'auteur A – La perception d'une juste rémunération 1 – La fixation de taux de rémunération 40 41 42 a – le principe d'une rémunération versée par les professionnels 42 a – la désignation d'une commission chargée d'établir les taux de rémunération 45 2 – La perception organisée de la rémunération 46 a – le rôle central des sociétés de gestion collective 46 b – la difficile question des sommes réservées aux actions culturelles 47 5 B – Une répartition équitable de la rémunération 1 – Un mode de répartition fiable 49 50 a – une précision croissante de la répartition 50 b – la mise en place d'un enregistrement des oeuvres 52 2 – Une protection accrue de l'artiste 53 a – la désignation des bénéficiaires 53 b – le sort des oeuvres dérivées 54 BIBLIOGRAPHIE 57 INDEX ALPHABETIQUE 59 6 1. Il devient impossible aujourd’hui de parler d’Internet et du droit d’auteur sans évoquer le problème de la piraterie massive permise par les réseaux Peer-to-Peer (ou pair-à-pair, en français correct). Ces technologies qui créent une véritable bibliothèque mondiale de la musique et des autres contenus numérisés mettent en relation l’ensemble des utilisateurs et collectivisent toutes les œuvres qu’ils partagent gratuitement entre eux. La Cour fédérale des Etats-Unis décrivait ainsi le fonctionnement de Grokster et de Morpheus, deux de ces logiciels de Peer-to-Peer : In both cases, the software can be transferred to the user’s computer, or “downloaded,” from servers operated by Defendants. Once installed, a user may elect to “share” certain files located on the user’s computer, including, for instance, music files, video files, software applications, e-books and text files. When launched on the user’s computer, the software automatically connects to a peer-to-peer network... and makes any shared files available for transfer to any other user currently connected to the same peer-to-peer network. Both the Morpheus and Grokster software provide a range of means through which a user may search through the respective pool of shared files. For instance, a user can select to search only among audio files, and then enter a keyword, title, or artist search. Once a search commences, the software displays a list (or partial list) of users who are currently sharing files that match the search criteria, including data such as the estimated time required to transfer each file. The user may then click on a specific listing to initiate a direct transfer from the source computer to the requesting user’s computer. When the transfer is complete, the requesting user and source user have identical copies of the file, and the requesting user may also start sharing the file with others. Multiple transfers to other users (“uploads”), or from other users (“downloads”), may occur simultaneously to and from a single user’s computer. 1 2. Des données largement sous-estimées comptabilisaient 12 milliards de fichiers musicaux au format MP3 téléchargés illégalement pendant l’année 20032. Mais la musique n’est pas le seul secteur culturel atteint par les réseaux. Ce sont 87 millions de films3 qui, notamment grâce à une compression efficace au format DivX4, auraient également été échangés entre les internautes la même année. Bien que des études récentes tendent à démontrer que l’utilisation des réseaux Peer-to-Peer (P2P) n’a d’incidence que sur une proportion négligeable des ventes traditionnelles de musique5, 1 Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc. v. Grokster, 259 F. Supp.2d 1029 (C.D. Cal.2003) al. 1032-1033. iDate, Octobre 2003. Abstract en ligne : <http://www.idate.fr/an/multi/ptop/ptop.pdf>. 3 Ibid. 4 DivX est une technologie de compression de la vidéo dont les droits appartiennent à DivXNetworks Inc. Voir en ligne : <http://www.divxnetworks.com/about/>. 5 v. par ex. Felix Oberholzer, Koleman Strumpf, “The Effect of File Sharing on Record Sales, An Empirical Analysis” (Mars 2004) en ligne : <http://www.unc.edu/% 7ecigar/papers/FileSharing_March2004.pdf>. V. également pour une perspective française “Une 2 7 les industries du disque et du cinéma se plaignent régulièrement et avec vigueur de l’impact négatif de la piraterie sur Internet. Ce « fléau qu’il faut combattre avec fermeté et détermination » selon une récente déclaration du Président Jacques Chirac6 bouleverse les industries culturelles dont les œuvres sont ainsi mises gratuitement et illégalement à disposition de tous. 3. Depuis 2000 le volume des ventes de disques enregistré aux Etats-Unis ne cesse de chuter7. En réaction, l’Association Américaine de l’Industrie du Disque, la RIAA8, a commencé pendant l’été 2003 à poursuivre directement les internautes utilisateurs de logiciels de Peer-to-Peer9, et de telles poursuites sont amorcées partout dans le monde par les associations de producteurs qui bénéficient de droits voisins sur les œuvres qu’ils produisent. 4. En France où la baisse des ventes a débuté plus tardivement10, « l’autorisation du producteur de phonogrammes est [en effet] requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme »11. Le Syndicat National des Editeurs Phonographiques (SNEP)12 semble donc vouloir suivre la même démarche que son homologue américain puisqu’une campagne pour le moins provocatrice a été lancée début mai 2004 par le syndicat pour prévenir les internautes français qu’ils risquaient de lourdes sanctions pénales s’ils poursuivaient leurs actes de piraterie13. Plus globalement en Europe, la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI)14 avait elle-même commencé ses poursuites deux mois auparavant contre des internautes danois, italiens, nouvelle etude blanchit le P2P”, Silicon.fr (10 juin 2004) <http://www.silicon.fr/click.asp?id=5329>. 6 v. communiqué « Message de Monsieur Jacques Chirac, Président de la République Française, lu par Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres », le 16 mai 2004. En ligne : <http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/donnedieu/piraterie-chirac.html>. 7 v. les statistiques publiques disponibles en ligne : <http://www.riaa.org>. 8 La Recording Industry Association of America défend les intérêts de nombreuses maisons de disques, dont les cinq premières mondiales (BMG Music, EMI Group, Universal Music Group, Sony Music Entertainment, et Warner Music). 9 v. « États-Unis: premières salves des majors contre les adeptes du P2P », ZDNet (18 juillet 2003) <http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,2137796,00.htm>. 10 Les ventes de disques des producteurs français ont augmenté jusqu’à la fin de l’année 2002 et connaissent depuis une baisse continue. V. en ligne : <http://www.disqueenfrance.com/actu/ventes/commentaire2003_1.asp>. 11 Art.L.213-1 al.2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). 12 http://www.disqueenfrance.com/snep/ 13 Cette campagne représentait en pleine page un doigt d’honneur tendu en direction de l’industrie du disque, enfermé derrière des barreaux de prison. Voir « L’industrie du disque à un doigt d’attaquer les internautes », 01Net (4 mai 2004) <http://www.01net.com/article/240608.html>. 14 http://www.ifpi.org/ 8 et allemands. Forte de son succès, elle a annoncée en juin son intention d’entamer bientôt des procédures similaires sur le territoire français15. 5. L’étau semble donc se resserrer contre les utilisateurs de réseaux Peer-to-Peer de la part des ayants droit, mais peut-être encore plus surtout de la part des pouvoirs publics. Suivant en cela son homologue canadien16, le Président de la République a par exemple apporté son soutien à l’industrie du disque dans un message du 16 mai 200417, ce qui s’est récemment traduit par l’annonce par le ministère de l’industrie d’un plan d’action contre la piraterie sur Internet. Le communiqué du ministère énonçait ainsi trois volets d’actions : 1. L’information et la pédagogie auprès des internautes afin de les sensibiliser aux risques et aux peines encourues compte tenu de la nouvelle loi pour la confiance dans l’économie numérique ; 2. Le suivi des poursuites judiciaires engagées à l’encontre d’un certain nombre de pirates signalés ; 3. La promotion des offres légales et payantes. Le ministre délégué à l’Industrie est déterminé à favoriser l’émergence de plateformes nationale, européenne et internationale, regroupant l’ensemble de ces catalogues, afin de susciter une offre légale et payante plus accessible et plus attractive. 18 6. Le ministère n’a pas encore précisé officiellement les moyens d’actions concrets qu’il comptait mettre en œuvre dans ce plan pour aider l’industrie à lutter contre « le fléau ». Plusieurs réformes sont néanmoins à l’étude pour faciliter les charges contre les pirates. Le plus immédiat réside dans le projet de loi relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel modifiant la loi informatique et libertés du 6 janvier 197819, conformément aux instructions de la directive 95/46/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 24 Octobre 199520. Le projet adopté en seconde lecture par l’assemblée nationale le 29 avril 2004 prévoit que « les personnes morales victimes d'infractions ou agissant pour 15 v. « Musique sur Internet : L’IFPI s’apprête à intenter des poursuites en France », AFP Londres (8 juin 2004). En ligne : <http://fr.news.yahoo.com/040608/1/3ud63.html>. 16 v. Doug Beazly, « Facing the Music », Canoe.ca (3 avril 2004). En ligne : <http://www.canoe.ca/NewsStand/EdmontonSun/News/2004/04/03/407037.html>. 17 Supra note 8. 18 Communiqué « Industrie du disque : Patrick Devedjian pour la mise en place d’un plan national de lutte contre la piraterie musicale », le 8 juin 2004. En ligne : <http://www.industrie.gouv.fr/cgibin/industrie/sommaire/comm/comm.cgi?COM_ID=3080&_Action=200>. 19 Loi n°78-17 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. 20 Journal officiel n° L 281 du 23/11/1995 p. 0031 - 0050 9 le compte desdites victimes pour les stricts besoins de la prévention et de la lutte contre la fraude ainsi que de la réparation du préjudice subi » pourront désormais traiter les données personnelles des pirates présumés21. Concrètement, les adresses IP des utilisateurs, sortes de numéros de téléphones uniques qui permettent d’identifier chaque internaute individuellement22, pourront être traitées par les associations de producteurs, et les sociétés de perception et de répartition des droits. Actuellement, ces données sont considérées personnelles par la commission nationale informatique et libertés (CNIL) et ne peuvent être collectées par l’industrie23. En résultat, il est actuellement très difficile sinon impossible d’engager une action judiciaire contre un internaute, puisque sans adresse IP, il est impossible de savoir qui l’action vise. Une fois le projet de loi définitivement adopté, les portes des cours de justice françaises seront bien plus ouvertes au SNEP et à l’IFPI, notamment. 7. D’autre part, la loi sur la confiance dans l’économie numérique24, dont l’intérêt pour le développement du commerce électronique en France n’est pas remis en doute, a toutefois fait l’objet de vives contestations dans ses dispositions relatives à la protection des ayants droits. L’article 6 du projet de loi déféré au Conseil constitutionnel prévoit par exemple que les intermédiaires techniques sur Internet « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible » (nos italiques)25. Il faut donc comprendre dans une interprétation a contrario que l’hébergeur est responsable sauf si il a agi rapidement pour retirer l’accès au contenu après en avoir été notifié. Une décision très récente du Conseil 21 Voir texte adopté n°283 (2003-2004), art.2. Ces numéros se composent au maximum de 12 chiffres répartis par blocs de 3 (ex : 82.103.205.38). Chaque utilisateur dispose d’une adresse IP différente, attribuée automatiquement par le fournisseur d’accès à Internet. Ces adresses IP sont essentielles pour déterminer qui a demandé une information, et donc à qui la communiquer. 23 « La position de la Cnil consiste à considérer que l'adresse IP est une donnée à caractère personnel, en se basant sur la directive du 24 octobre 1995 et sur la loi de 1978 qui encadrent la collecte de telles informations. Evidemment, il n'est pas marqué explicitement, dans la loi, que l'adresse IP est une donnée à caractère personnel. » (Mathias Moulin, juriste à la CNIL : http://www.01net.com/article/202437.html). 24 V. Projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique adopté le 13 mai 2004 (T.A. n°75). En ligne : <http://www.senat.fr/leg/tas03-075.html>. [LCEN] 25 Ibid. à l’art.9 22 10 constitutionnel a cependant émis une réserve d’interprétation sur cet article, déclarant que « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère » (nos italiques)26. Il n’en reste pas moins qu’un utilisateur de logiciel de P2P, qui met à disposition des contenus à partir de son ordinateur via son logiciel, pourrait être analysé comme l’une de ces « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »27. 8. Autre acte du législateur, la loi Perben II du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité »28, a renforcé les sanctions contre la piraterie de contenus protégés par le droit d’auteur. L'article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle sanctionne désormais les actes de contrefaçon d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende, au lieu des deux ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende prévus auparavant29. Dans les cas de « délits commis en bande organisée, ces peines sont portées à cinq ans et à 500 000 euros d’amende »30, or le P2P permet sans doute par nature de vérifier l’existence de délits commis en bande organisée. 9. Enfin, la directive de renforcement des droits de propriété intellectuelle adoptée définitivement le 26 avril 2004, encore appelée « IP Enforcement Directive »31, énonce un cadre uniformisé des sanctions en matière de contrefaçon. Après de forts débats, la directive limite finalement les sanctions qu’elle énonce aux seuls actes réalisés « en vue d’obtenir un avantage économique et commercial direct ou indirect»32, mais son application au domaine du Peer-to-Peer reste incertaine. Il faudra sans doute attendre 26 Décision du Conseil Constitutionnel n°2004-496 DC du 10 juin 2004 sur la « loi pour la confiance dans l’économie numérique » 27 Art.6 LCEN. 28 Loi 2004-204 du 29 mars 2004 (J.O n°59 du 10 mars 2004 à la p.4567) 29 v. les art.L.335-2, L.335-4 , L.343-1, L.521-4, L.615-14 et L.716-10 du Code de la Propriété Intellectuelle. 30 v. loi 2004-204 à l'art.34. 31 Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JOCE du 30 avril 2004 à la p. L157/45) 32 v. 14e considérant de la Directive 2004/48/CE 11 les premières transpositions pour voir comment ces dispositions seront interprétées par le législateur national. 10. L’objet de notre étude ne porte cependant pas sur ce renforcement sans appel des outils permettant de lutter contre les individus contrefacteurs. Nous ferons ici simplement le constat préliminaire que le législateur, en s’efforçant de protéger les intérêts des auteurs, a peut-être oublié de protéger ceux du public. L’armement législatif renforcé au profit des industries culturelles porte en effet également sur les mesures de protection techniques que mettent au point les producteurs pour empêcher la piraterie de leurs œuvres, alors qu’ils ont pour effet d’empêcher jusqu’à l’accès et certaines utilisations des oeuvres. Nous verrons dans cette étude comment la mise en place de systèmes de gestion numérique des droits protégés par des procédés techniques met grandement en danger l’équilibre traditionnel du droit d’auteur. 11. Au moment où la directive européenne sur les droits d’auteurs et les droits voisins33 qui reprend les accords OMPI de 199634 est en cours de transposition en droit français35, il est plus que jamais important de revenir aux fondements du droit d’auteur et de se demander si le mouvement législatif actuel se fait dans le bon sens. En 1996, il semblait légitime d’affirmer que « l’idée des utilisateurs, selon laquelle toute donnée circulant sur un réseau est une information et non une oeuvre, le cas échéant, doit être fortement contestée »36. Aujourd’hui, près de dix ans plus tard, cette idée semble pourtant avoir gagné du terrain. A cette même période, faisant référence aux mesures de protection technique, le professeur André Lucas émettait un vœu : « le recours au cryptage est incontestablement un progrès et il faut souhaiter qu’il ne soit pas entravé par l’affirmation du droit à l’information et à la culture »37. Qu’il nous soit permis, à la 33 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. V. JOCE n° L. 167/10, 22 juin 2001. En ligne : <http://europa.eu.int/eurlex/pri/fr/oj/dat/2001/l_167/l_16720010622fr00100019.pdf>. [EUCD] 34 V. infra au numéro 42. 35 Avec beaucoup de retard puisque la directive aurait dû être mise en œuvres par les Etats membres au 22 décembre 2002, et le texte du projet de loi qui est sur le point d’être étudié par le Parlement n’a été transmis au Conseil des ministres que le 12 novembre 2003. V. Projet de loi en ligne : <http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/aillagon/droitdauteur1103.pdf>. 36 Romain Leymonerie, « Cryptage et droit d’auteur » (1995-1996) Mémoire DEA de propriété intellectuelle sous la direction du professeur André Lucas, à Nantes. [Leymonerie] 37 Intervention in Colloque « Droit d'auteur, culture et nouvelles technologies », Nantes, 22 mars 1996, cité in Leymonerie. 12 lumière des développements récents et notamment de l’arrivée du Peer-to-Peer, de défendre l’idée que le vœu contraire devrait aujourd’hui être émis. 12. Bien sûr, il ne s’agit pas d’affirmer sans autre précaution que le cryptage (c’est-àdire le procédé technique permettant d’empêcher l’accès ou l’utilisation d’une œuvre sans autorisation) est une méthode à bannir, et de laisser ainsi s’installer une piraterie sans doute nuisible à terme aux industries culturelles. Le propos de cette étude est davantage de mesurer la problématique du respect du droit d’auteur dans l’environnement Internet, et d’y apporter une réponse qui satisferait aussi bien les intérêts du public que ceux des créateurs. 13. Dans un article paru en 2000, le professeur William Fisher avait esquissé les traits d’une telle réponse pour les Etats-Unis. L’auteur écrivait ainsi : « On pourrait imaginer un compromis législatif similaire aux problèmes présentés par la distribution de musique numérique sur Internet. Le Congrès pourrait demander que tous les acheteurs de choses utilisées pour l'acquisition ou l'exécution de musique numérique sans limite payent des taxes, lesquelles seraient alors distribuées aux titulaires des droits d'auteur des compositions musicales et des enregistrements dans une certaine proportion à la fréquence avec laquelle elles sont copiées. » [notre traduction]38 Suivant en cela l’invitation de William Fisher, nous étudierons donc dans nos développements l’opportunité et les conditions de la mise en place d’une licence obligatoire sur Internet, qui s’inspirerait en France et au Canada à la fois du régime de licence légale existant pour la communication au public, et du mécanisme de rémunération pour copie privée. 14. Pris dans le torrent législatif et judiciaire que nous avons rapidement dépeint, il nous semble cependant essentiel de prendre le temps de présenter dans une première partie préliminaire en quoi Internet révolutionne l’approche du public aux œuvres de l’esprit. Nous montrerons comment le réseau mondial a tellement radicalisé l’idée d’un droit d’accès du public aux œuvres que seul un régime de licence obligatoire pourrait répondre à cette demande (I). Nous étudierons alors en seconde partie comment ce régime de licence obligatoire peut parvenir à sauvegarder les intérêts des auteurs (II). 38 W. Fisher, “Digital Music: Problems and Possibilities” (10 oct.2000), partie IV.2, en ligne : <http://www.law.harvard.edu/faculty/tfisher/Music.html>. 13 PREMIERE PARTIE La licence obligatoire : une reconnaissance des droits du public 15. La doctrine anglo-saxonne du droit d’auteur reconnaît allègrement que le copyright doit être équilibré, entre d’une part les intérêts de l’auteur, et d’autre part les intérêts du public. La Cour Suprême du Canada a par exemple mis en avant cette balance du droit d’auteur dans la cause Théberge39. Rapportant l’opinion majoritaire de la Cour et parlant de cet équilibre entre la promotion dans l’intérêt du public de la création et de la promotion des œuvres, et de l’obtention d’une juste récompense pour le créateur, le juge Binnie écrivait ainsi : Un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d'auteur et d'autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d'intégrer et d'embellir l'innovation créative dans l'intérêt à long terme de l'ensemble de la société, ou créer des obstacles d'ordre pratique à son utilisation légitime. Ce risque fait d'ailleurs l'objet d'une attention particulière par l'inclusion, aux art. 29 à 32.2 [de la loi canadienne sur le droit d’auteur], d'exceptions à la violation du droit d'auteur. Ces exceptions visent à protéger le domaine public par des moyens traditionnels, comme l'utilisation équitable d'une oeuvre aux fins de critique ou de compte rendu, ou à ajouter de nouvelles protections, adaptées aux nouvelles technologies, telles que la reproduction limitée d'un programme d'ordinateur et l' « enregistrement éphémère » de prestations exécutées en direct. [nos italiques]40 16. Cette exigence d’équilibre relative au droit d’auteur a été réaffirmée récemment dans la très médiatique cause CCH c. Law Society of Upper Canada41, où les juges de la Cour Suprême confirmèrent l’importance de ne pas exagérément favoriser les intérêts de l’auteur au détriment des intérêts du public42. En France, cette exigence d’équilibre est également présente de façon implicite dans la loi, à travers l’existence d’une série d’exceptions aux droits d’auteur et droits voisins. Le phénomène de piraterie massive sur Internet a incité les industries culturelles et le législateur à verrouiller l’accès et l’utilisation des œuvres par la mise en place de mesures de protection techniques. Ces dispositifs techniques privent le public entre autres de la 39 Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc., 2002 SCC 34. Ibid. al. 32 41 CCH Canadian Ltd. v. Law Society of Upper Canada, 2004 SCC 13. 42 Voir notamment, Ibid. aux al. 10, 23, 24, 41, 48 et 70. 40 14 jouissance des exceptions nécessaires à un bon équilibre entre les intérêts du créateur et ceux de la société de jouir de ces créations. 17. Pourtant, la perception du droit d’auteur et de son utilité a profondément évolué depuis l’apparition d’Internet. Le réseau mondial nous force à revoir les bases du droit d’auteur pour aborder d’un œil alerte les problématiques plus larges posées par la reproduction et la diffusion numérique des œuvres culturelles, en particulier musicales. Aussi, nous montrerons dans cette première partie en quoi le droit d’auteur actuel et a fortiori celui que les projets de loi annoncent renforcent l’inadéquation du droit d’auteur aux réalités sociotechniques sur Internet (A). En réaction, nous verrons que la mise en place d’un régime de licence obligatoire pourrait répondre à la demande de libre utilisation des œuvres dans l’environnement numérique (B). A – L’inadéquation du droit d’auteur aux réalités sociotechniques sur Internet 18. Monsieur Hervé Rony, Directeur général du SNEP, expliquait dans le journal Libération que « le problème n'est pas que les gens cessent de faire du peer-to-peer, c'est qu'une majorité aille sur les sites légaux qui commencent à se développer »43. L’industrie du disque a en effet commencé à distribuer des autorisations permettant à des sociétés commerciales de proposer des téléchargements de musique payants. Après quelques timides tentatives44, la première véritable plateforme légale de musique en ligne fut ouverte par le géant de l’informatique Apple le 28 avril 2003. Depuis, la plateforme iTunes Music Store d’Apple45 a récemment fêté son cinquante millionième téléchargement46, notamment grâce à un prix alors inédit de 99 cents par titre repris 43 « Musique: les pirates français pourraient avoir affaire aux juges », Libération (30 mars 2004). Disponible en ligne : <http://www.liberation.fr/page.php?Article=190392>. 44 Voir par ex. “MusicNet, Pressplay closing in on labels” CNET News.com (15 octobre 2002), en ligne : <http://news.com.com/2100-1023_3-962179.html> 45 <http://www.apple.com/itunes/store/>. 46 « Record pour iTunes : 50 millions de titres téléchargés ! », Silicon.fr (15 mars 2004). <http://www.silicon.fr/click.asp?id=4363>. 15 notamment au Canada par Puretracks47 et par Archambault48, ou désormais en Europe par Sony49 et Roxio50. 19. L’avènement de ces plateformes musicales payantes a pu se faire grâce au développement des mesures de protection techniques et à la création de systèmes de gestion des droits numériques, plus connus sous leur acronyme anglophone de DRM (Digital Rights Management). Ces mesures techniques permettent aux possesseurs de droit d’auteur de contrôler l’accès et/ou l’utilisation qui est faite de leurs œuvres, contrairement à ce qui se passe avec les fichiers MP3 sur les réseaux Peer-to-Peer. La tendance législative actuelle, sous l’impulsion des traités de l’OMPI de 1996, est d’apporter une protection par la loi à ces protections techniques et comme nous le voyions en introduction, de renforcer la pénalisation du droit d’auteur. Un tel mouvement juridique de renforcement du contrôle des œuvres et du public par le droit d’auteur semble pourtant aller contre un mouvement croissant d’abandon des prérogatives accordées par un tel droit (1). De plus, du point de vue de la balance du droit d’auteur, il semble souhaitable de refuser les mesures de protections techniques dont l’objet est le contrôle de l’utilisation (2). 1- La déprofessionnalisation du droit d’auteur au cœur d’une nécessité de réforme a – l’apparition massive du « consommateur-auteur » 20. Lorsque le droit d’auteur est apparu au XVIIIe siècle sous l’impulsion des écrivains, personne n’imaginait sans doute qu’il protègerait autant d’œuvres qu’aujourd’hui. La nécessité d’être édité pour voir ses œuvres publiées faisait qu’un tri était naturellement exercé entre les œuvres à protéger, sinon en droit, au moins de fait. Le premier article du Code la propriété intellectuelle dispose en effet que « l'auteur 47 Puretracks.com est géré par la société Moontaxi Media Inc. basée à Toronto, Ontario. <http://www.puretracks.com>. 48 Archambaultzik.ca est géré par le Groupe Archambault inc., basé à Montréal, Québec. <http://archambaultzik.ca>. 49 Avec sa plateforme musicale Sony Connect. En ligne : <http://connect.sony-europe.com/>. 50 Roxio est désormais propriétaire du service Napster et en a fait une plateforme de distribution payante de musique en ligne. <http://www.napster.com>. 16 d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous »51. Mais en matière de contrefaçon, n’étaient par définition menacées de contrefaçon que les œuvres risquant d’être reproduites, ce qui limitait en pratique le risque aux quelques œuvres publiées. Même si le code prend la précaution de préciser qu’il « protèg[e] les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination »52, force est de reconnaître que presque exclusivement les auteurs dont la création est le métier et dont les œuvres passaient le filtre de l’édition étaient en réalité susceptibles de devoir faire appel aux protections que leur accorde le droit d’auteur. 21. Avec Internet, le nombre d’auteurs édités et donc le nombre de titulaires de droits exclusifs de reproduction se sont démultipliés. Le droit d’auteur, qui hier ne s’appliquait concrètement qu’aux professionnels, s’applique aujourd’hui à un nombre toujours plus croissant d’auteurs édités ou autoédités qui ne cherchent pourtant pas à protéger leurs « œuvres ». Le coût lié à l’édition étant devenu quasiment nul, le nombre de publications considérées comme des œuvres devant être protégées par la Convention de Berne de 188653 a explosé. En juillet 2003, Internet comptait ainsi plus de 42 millions de sites personnels, alors qu’ils étaient à peine plus de 20 millions en 200054. L’encyclopédie en ligne Wikipedia.com, dont les articles sont tous rédigés et perfectionnés bénévolement par des internautes du monde entier, comptait en juin 2004 plus de 280.000 contributions volontaires55. La version francophone comptait à elle seule 40.000 articles56. A titre de comparaison, la très respectée Encyclopédie Britannica propose 120.000 entrées57. Le forum le plus fréquenté dans l’hexagone, celui du site Hardware.fr, comptait en juin 2004 plus de 15 millions de messages, tous également considérés comme des œuvres de l’esprit au sens du droit d’auteur. Le phénomène des blogs participe lui-même depuis peu à cette montée en puissance du nombre de contenus publiés gratuitement par les internautes. Rien qu’en France, le 51 Art. L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Art. L.112-1 du CPI. 53 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, modifiée. En ligne : <http://www.wipo.int/clea/docs/fr/wo/wo001fr.htm>. [Convention de Berne] 54 Voir Journal du Net, <http://www.journaldunet.com/cc/03_internetmonde/intermonde_sites.shtml>. 55 http://www.wikipedia.org 56 http://fr.wikipedia.org 57 http://www.britannica.com 52 17 nombre de ces journaux personnels publiés sur Internet était de 335.122 au 16 avril 2004, alors qu’ils étaient 273.122 un mois auparavant58. 22. Ainsi selon une étude de l’institut Pew publiée fin février 2004, 44% des internautes américains (53 millions) auraient déjà publié des textes ou des photographies personnelles sur Internet59. Pour toutes ces œuvres, le filtre de l’édition ou de la publication qui assurait au droit d’auteur de n’être véritablement utilisable qu’auprès d’œuvres d’une certaine valeur a presque entièrement disparu grâce à la facilité d’édition que permet Internet. 23. Dès lors, le droit de professionnels qu’était le droit d’auteur se déporte de plus en plus vers une catégorie d’auteurs jusque là inédite : les consommateurs-auteurs, à la fois usagers et auteurs d’œuvres protégées, mais porteurs d’une vision nouvelle de la protection de leurs créations. La protection accordée dès leur naissance par le code de la propriété intellectuelle à une catégorie très large d’œuvres est ressentie par un nombre croissant d’auteurs comme une limitation à leur propre créativité. Le succès planétaire des licences copyleft60 « Creative Commons »61 dirigées par le professeur Lawrence Lessig démontre bien la forte demande de simplification et de libéralisation des droits exclusifs. 24. Il devient ainsi aujourd’hui la règle pour ces auteurs-consommateurs non professionnels de se servir de licences « prêt à l’emploi » parfois mal adaptées à leurs besoins62, alors que les professionnels, dont la connaissance du droit d’auteur devrait faire partie intégrale des exigences de leur métier, sont dispensés eux de toute procédure pour protéger leurs œuvres. Il y a là sans doute un paradoxe naissant que le 58 « Les blogs en francophonie en quelques chiffres », MediatTIC (16 avril 2004), <http://mediatic.blogspot.com/2004/04/les-blogs-en-francophonie-en-quelques.html>. 59 « Report : Online Activities & Pursuits » <http://www.pewinternet.org/reports/toc.asp?Report=113>. 60 Le terme « copyleft » est un jeu de mot basé sur le copyright anglo-saxon. Certains francophones le traduisent par « gauche d’auteur », en opposition bien sûr au « droit d’auteur ». Il s’agit de licences qui renoncent à interdire certains actes réservés exclusivement à l’auteur. 61 http://www.creativecommons.org 62 On remarque par exemple que de nombreux sites Internet français utilisent la licence Creative Commons anglophone, prévue pour le droit anglo-saxon, alors qu’ils visent des utilisateurs français. Notez à cet égard que la Creative Commons est en cours d’adaptation dans de nombreux pays, y compris en France où le Centre d’Etudes et de Recherches de Sciences Administratives (http://www.cersa.org) est en charge du projet. 18 législateur devra affronter à l’avenir63. Mais surtout, ce paradoxe n’est que la traduction d’un droit à l’accès aux œuvres que s’octroient les internautes. b – le développement de fait d’un droit à l’accès aux œuvres 25. Cette profusion d’œuvres protégées sur Internet ne s’est pas accompagnée d’une augmentation du nombre de conflits liés au droit d’auteur. Au contraire, la « culture du libre » qui règne sur le réseau des réseaux tend à rejeter de plus en plus la conception positive du droit d’auteur pour se rapprocher d’un droit à l’accès à la culture. La multiplication du nombre de consommateurs-auteurs a créé chez le public une conscience croissante de l’importance de rendre les œuvres libres d’accès afin qu’elles soient mutuellement accessibles à tous. Et l’enjeu pour la société est important : [L]orsque le droit d’auteur donne le contrôle aux créateurs ou aux éditeurs des œuvres, il retire aux utilisateurs éventuels une liberté de consultation, de lecture, d’apprentissage, d’enseignement et de participation au processus d’établissement des décisions d’ordre social et politique, ainsi qu’un certain nombre d’autres aspects cruciaux de toute société ouverte qui privilégie la libre expression.64 26. Nous pourrions sans le trahir rapprocher ce droit à l’accès aux œuvres sur Internet d’un droit à la culture numérique. L’affirmation d’un droit d’accès à la culture65 n’est présente qu’au niveau constitutionnel à travers le préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture »66. Cette question de l’accès à la culture est hautement débattue, d’autant que si la Constitution impose à l’Etat de favoriser l’accès à la culture, le citoyen, lui, ne peut se prévaloir de la disposition constitutionnelle devant les tribunaux. 27. C’est donc un droit à l’accès à la culture octroyé de fait qui s’est créé avec Internet, en mettant l’information de tous à la libre disposition de tous, le plus souvent 63 V. sur ce point Lawrence Lessig, The Future of Ideas, New York, Vintage, 2001, aux p.202 et s. Ian Kerr et autres, « Mesures de protection techniques », Partie I (2003) 15 (2) Cahiers de propriété intellectuelle 575, partie II (2003) 15 (3) Cahiers de propriété intellectuelle 805, à la p.822. La version anglaise du texte est disponible en ligne : <http://www.nelligan.ca/e/pub_publication.cfm?author=61>. [Kerr] 65 Pour des développements sur l’affirmation d’un droit à la culture, voir Jean-Marie Pontier, JeanClaude Ricci, Jacques Bourdon, « Droit de la culture », Dalloz, 2e édition, 1996, aux p.40 et s. 66 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à l’alinéa 13. 64 19 gratuitement. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les systèmes de partage de fichiers Peer-to-Peer, où les données sont téléchargés et partagés avec les autres utilisateurs dans une structure qui forme un cercle vertueux de l’accès à l’information, et où l’information désigne également les œuvres culturelles numérisées. 28. Cette réalité technique se rapproche d’une assimilation sociologique des œuvres numérisées à la catégorie juridique des res communes. Si l’article 311-1 du code pénal nous avertit que « le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », le code civil nous précise lui qu’« il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous »67. Ces biens désignés comme « publics » en discipline économique, qui ne peuvent par nature être volés, répondent à deux caractéristiques essentielles que l’on retrouve avec les fichiers partagés par Peer-to-Peer. Tout d’abord ils ne connaissent pas de rivalité (non-rivalité), en ce que jouir de ces biens ne prive pas autrui de leur jouissance. Ensuite ils ne connaissent pas d’exclusion (nonexclusion), en ce que tous ont accès à ce bien, même s’ils n’ont pas participé au coût de sa production68. Dans les réseaux Peer-to-Peer, le fait de télécharger un fichier MP3 ne prive pas celui qui le partage de sa jouissance, et ne prive pas les autres utilisateurs de le télécharger également. Les deux critères sont remplis, et donnent ainsi l’impression d’une disponibilité illimitée et non contrainte de la musique sur Internet. 29. Dès lors, le libre accès aux oeuvres culturelles via Internet apparaît aujourd’hui aux internautes comme un droit naturel que personne ne peut contraindre, tout comme l’est le libre accès à l’information. Jessica Litman nous offre une très bonne analyse de la façon dont les œuvres, projetées dans « la société de l’information numérique », se sont trouvées de facto traitées de la même manière que l’information libre d’accès. Voici un exemple frappant qu’elle rapporte, marquant encore une fois toute l’inadéquation sociotechnique du droit d’auteur actuel avec Internet : Quand une institutrice de l’école élémentaire aide sa classe à télécharger des informations à propos des animaux qui habitant dans la toundra, nous sommes tous d’accord que c’est admirable. Quand elle apprend à la classe à télécharger « Put a Little Love in Your Heart », au moins quelques uns d’entre nous objecterons que c’est répréhensible. Collecter des informations sur Internet est « apprendre ». Poster de l’information sur le net est « partager ». Essayez 67 Art.740 du code civil. v. Stéphanie Pelletier, « Les industries culturelles : une exception économique ? » (Janvier-Février 2003), Cahiers français n°312, à la p.33. Disponible en ligne : <www.ladocfrancaise.gouv.fr/revues/cf/plus/cf312.pdf>. 68 20 exactement la même chose avec de la musique enregistrée et ça devient « voler ». [notre traduction]69 30. Rappelons qu’en matière d’information, le vol n’est pas qualifié, car l’information fût-elle coûteuse appartient à tous et ne peut être appropriée frauduleusement70. Sur Internet, la musique a gagné le même statut que cette information que nous ne pouvons voler. Jusqu’à l’ère du tout numérique, l’industrie du disque pouvait facilement démontrer que leurs droits étaient violés en se référant à notion du vol. On volait un disque 33 tours, puis une cassette audio, puis un disque compact. Avec Internet, la donne a changé puisque le vol en tant que soustraction frauduleuse n’est plus constaté. Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la culture, affirmait pourtant en janvier 2004 lors du 38e MIDEM à Cannes qu’il « n’y avait aucune différence entre le vol à l’étalage et le piratage d’une œuvre sur Internet »71. En réalité, le « vol » sur Internet relève en Droit de la contrefaçon, qui devient de plus en plus incontrôlable, renforçant ainsi l’effectivité d’un accès libre à la culture numérique. 2- Une banalisation incontrôlable de la contrefaçon numérique a – De difficiles tentatives de neutralisation des contrefaçons via Internet 31. Face à ce qu’elles considèrent comme un fléau selon les mots de Jacques Chirac72, les industries du divertissement ont réagi judiciairement. Elles ont d’abord déposer plainte contre les éditeurs de services de Peer-to-Peer eux mêmes, et plus particulièrement contre Napster, le premier d’entre eux. Celui-ci dont la structure était entièrement centralisée73 a été jugé coupable de contribution à la violation de droits d’auteur, et a dû fermer ses portes sur ordonnance de la cour fédérale des Etats-Unis en 69 Jessica Litman, « Sharing and Stealing », à la p.19 (en cours de rédaction. Dernière mise à jour consultée : 6 février 2004). En ligne : <http://www.law.wayne.edu/litman/papers/sharing&stealing.pdf> 70 Crim, 3 avril 1995, D.1995, somm.320, obs.J.Pradel, JCP 1995, II, 22429, note Derienx. 71 « Aillagon compare le téléchargement au vol », Nouvelobs.com (26 Janvier 2004), disponible en ligne : <http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=multimedia/20040126.OBS3121.html>. 72 V. Supra note 6. 73 C’est-à-dire qu’il était nécessaire de se connecter au serveur de la société Napster avant de pouvoir interagir avec les autres utilisateurs du service. 21 200174. Mais très rapidement, d’autres réseaux cette fois décentralisés ont pris la place de Napster75, et l’industrie n’est pas parvenue à les faire condamner, puisque la Cour a opposé en avril 2003 l’absence de contrôle qu’avaient les éditeurs de logiciels Peer-toPeer sur ces nouveaux réseaux décentralisés : While the parties dispute what Defendants feasibly could do to alter their software, here, unlike in Napster, there is no admissible evidence before the Court indicating that Defendants have the ability to supervise and control the infringing conduct (all of which occurs after the product has passed to endusers). The doctrine of vicarious infringement does not contemplate liability based upon the fact that a product could be made such that it is less susceptible to unlawful use, where no control over the user of the product exists.76 32. En Europe, la société de perception et de répartition des droits néerlandaise, la Buma Sterma, a échoué en Cour Suprême le 19 décembre 2003 contre le créateur du logiciel de Peer-to-Peer Kazaa77. Plus récemment encore, le 12 mai 2004, c’est l’association des producteurs néerlandais, le Stichting Brein, qui se voyait opposée la légalité d’un moteur de recherche de fichiers MP3, au regard de l’exception néerlandaise pour copie privée78. 33. En réaction à ces échecs, c’est cette fois contre les utilisateurs des réseaux P2P eux-mêmes que l’industrie du divertissement a lancé ses poursuites à partir de l’été 200379. Après de premiers signes en faveur des droits des utilisateurs aux Etats-Unis80, c’est finalement du Canada qu’est venue le 31 mars 2004 l’affirmation osée de la légalité du partage de fichiers protégés par le droit d’auteur81. Le Juge Von 74 A&M Records, Inc. v. Napster, Inc., 239 F.3d 1004 (9th Cir. 2001). La nature centralisée de Napster a eu une importance capitale puisque Napster pouvait matériellement exercer un contrôle sur les œuvres téléchargeables, et les filtrer ; Notez que depuis, Napster a réouvert, cette fois sous une formule légale payante. V. http://www.napster.com pour plus d’informations. 75 Citons par exemple Gnutella, premier du genre. Puis FastTrack utilisé par le très populaire Kazaa, ou encore eDonkey, premier en Europe. 76 Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc. v. Grokster, supra note 1. 77 V. Christophe Guillemin, « La cour de cassation néerlandaise confirme la légalité de Kazaa » ZDNet France (22 déc. 2003), en ligne : <http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39134304,00.htm>. 78 Tribunal de Haarlem, Techno Design BV c. Stichting Bescherming Rechten Entertainment Industrie Nerdland, 12 mai 2004. Disponible en ligne : <http://www.solv.nl/nieuws_docs/941Rb%20Haarlem% 20120504.doc>. 79 V. Supra note 9. 80 Voir par exemple “Florida Court Sends RIAA Away” (1er avril) WIRED en ligne : <http://www.wired.com/news/digiwood/0,1412,62915,00.html?tw=wn_tophead_2> ; également « Pennsylvania Court Orders Record Industry to File 203 Separate Lawsuits » (Mars 2004) EFF en ligne : <http://eff.org/IP/P2P/20040305_eff_pr.php>. 81 CRIA v. John Doe, Jane Doe 2004 FC 488. Disponible en ligne : <http://www.canfli.org/docs/court/CourtOrderDenyingMotionforDisclosure.pdf>. [CRIA v. Jon Doe] 22 Finckenstein s’est basé dans cette affaire sur une interprétation restrictive de la loi canadienne. 34. D’une part le juge justifie la légalité des téléchargements par l’exception pour copie privée. Il reprend ainsi les conclusions énoncées par la Commission du Droit d’auteur le 12 décembre 2003 : L’article 80 [de la loi sur le droit d’auteur] prévoit une exception au droit exclusif de reproduction : il légalise la copie privée sur supports audio. [...] Le régime ne traite pas de la source du matériel copié. La partie VIII n’exige pas que la copie d’origine soit une copie légale. Il n’est donc pas nécessaire de savoir si la source de la pièce copiée est une piste appartenant au copiste, un CD emprunté, ou encore une piste téléchargée d’Internet.82 35. D’autre part le juge canadien justifie la mise en partage des fichiers par l’absence en droit canadien d’infraction au droit d’auteur pour « mise à disposition des œuvres », ce qui est requis par le WPPT de 199683 , accord non encore ratifié par le pays: The mere fact of placing a copy on a shared directory in a computer where that copy can be accessed via a P2P service does not amount to distribution. Before it constitutes distribution, there must be a positive act by the owner of the shared directory, such as sending out the copies or advertising that they are available for copying. No such evidence was presented by the plaintiffs in this case. They merely presented evidence that the alleged infringers made copies available on their shared drives. The exclusive right to make available is included in the World Intellectual Property Organization Performances and Phonograms Treaty, (WPPT), 20/12/1996 (CRNR/DC/95, December 23, 1996), however that treaty has not yet been implemented in Canada and therefore does not form part of Canadian copyright law.84 36. Néanmoins, la décision du juge canadien aurait probablement été totalement différente en France. En droit français, la mise à disposition du public est un droit exclusif de « l’artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes, ou de l’entreprise de communication audiovisuelle »85. Dès lors, le principe fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout) nous incite à penser qu’une copie privée86 ne peut être réalisée qu’à partir d’une œuvre légalement mise à 82 Décision Copie Privée 2003-2004, aux p.19 et s. En ligne : <http://www.cbcda.gc.ca/decisions/c12122003-b.pdf>. 83 Voir Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, 20 déc. 1996, aux art.10 et 14. Disponible en ligne : <http://www.wipo.int/clea/docs/fr/wo/wo034fr.htm>. 84 CRIA v. Jon Doe, Supra note 81, au § 28. 85 V. art.L.335-4 du CPI. 86 Dont l’exception est présente également en droit français, à l’art.L-122-5 2° du CPI. 23 disposition du copieur, ce qui n’est on le voit pas le cas en France dans les réseaux Peer-to-Peer. 37. Cependant, si les poursuites contre les utilisateurs se confirmaient avec succès, notamment en France87, il y a de grandes chances pour que l’industrie n’y gagne qu’impopularité et surtout qu’elle n’incite les utilisateurs à se réfugier vers des réseaux de plus en plus anonymes, garants d’une certaine effectivité de leur droit d’accès à la culture. Robert Kaye a très bien décrit le phénomène qui participe au développement de « réseaux sociaux » : La réaction naturelle est de courir se cacher des mauvais garçons et de jouer dans son propre bac à sable que les mauvais garçons ne peuvent même pas voir. Suite à la vague récente de poursuites engagées massivement par les mauvais garçons, on parle plus que jamais des Darknets, ces réseaux qui se cachent et cachent leurs membres des yeux du public. [notre traduction]88 38. Jusqu’à présent, les grandes vagues médiatiques de poursuites contre les utilisateurs de P2P ont visé environ 3500 personnes aux Etats-Unis. La population d’utilisateurs de P2P dans ce pays est estimée à 60 millions. Les poursuites ont donc concerné moins de 0,006% des utilisateurs, et coûtent certainement à l’industrie du disque bien plus cher que ce que ça leur rapporte89. Il est donc fort douteux que même en cas de succès contre certains utilisateurs pirates le P2P s’effondre. Le sentiment que nous évoquions d’un droit à l’accès aux œuvres, associées à une difficulté juridique et technique d’y faire échec, a cependant été anticipé de longue date par les professionnels. Ceux-ci se sont réfugiés très vite vers des solutions techniques qui permettent de restreindre l’accès aux œuvres et l’utilisation qui en est faite. Les systèmes de gestion des droits numériques associés à des mesures de protection 87 Pour l’instant les poursuites sont bloquées en France du fait que les adresses IP des utilisateurs, essentielles pour identifier le défendeur, sont considérées par la CNIL comme des données personnelles ne pouvant être collectées sans autorisation par des parties privées. Ceci pourrait bientôt changer avec la transposition de la directive 95/46/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 24 Octobre 1995 (Journal officiel n° L 281 du 23/11/1995 p. 0031 – 0050). Le projet adopté en seconde lecture par l’assemblée nationale le 29 avril 2004 prévoit que « les personnes morales victimes d'infractions ou agissant pour le compte desdites victimes pour les stricts besoins de la prévention et de la lutte contre la fraude ainsi que de la réparation du préjudice subi » pourront désormais traiter les données personnelles des pirates repérés (texte adopté n°283 (2003-2004), art.2.). V. supra au n° 6. 88 Robert Kaye, “Next-Generation File Sharing with Social Networks”, OpenP2P.com (5 mars 2004) en ligne : <http://www.openp2p.com/pub/a/p2p/2004/03/05/file_share.html>. ; Ces réseaux sociaux existent déjà mais leur popularité est par nature inquantifiable. V.par ex. MUTE (http://mutenet.sourceforge.net/), WASTE (http://waste.sourceforge.net/), Freenet (http://www.freenet.org). 89 Ce qui a fait dire à certains que les poursuites visaient davantage à donner une raison à la RIAA de demander davantage de fonds à leurs sociétés membres. 24 techniques sont vus comme une solution en amont contre le piratage. Le législateur souhaite accorder sa propre protection à ces protections, mais l’équilibre du droit d’auteur serait alors lourdement compromis. b- le refus souhaitable d’une protection au cube des œuvres 39. Nous l’avons vu, le code de la propriété intellectuelle dispose en premier principe que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous »90. De cette affirmation naît un premier niveau de protection, accordée à toutes les œuvres, dès leur création. Le Code accorde ainsi un certain nombre de droits exclusifs aux auteurs et autres titulaires de droits voisins, mais jamais il n’accorde de droit exclusif d’accéder à l’œuvre, d’en jouir pour son usage personnel. Le droit d’auteur français reconnaît même au public une exception au droit exclusif de reproduction, en accordant à l’individu le droit de réaliser une copie strictement réservée à son usage privé et non destinée à une utilisation collective91. 40. Pourtant, les industries du divertissement ont mis au point dans les années 1990 des procédés techniques permettant d’empêcher l’accès aux œuvres qu’elles éditaient, ou de limiter les utilisations permises. Elles ont pris généralement le nom de systèmes DRM, l’acronyme anglais de Digital Rights Management (ou SGDN, systèmes de gestion des droits numériques). De là est né de façon technique un droit exclusif d’accès à l’œuvre, non prévu par le législateur. Il s’agit d’une protection de l’œuvre au carré : un premier niveau de protection législatif, renforcé par un second niveau de protection technique. 41. Comprenant sans doute qu’il s’agissait là d’un moyen de parfaitement contrôler le marché des œuvres numérisées face notamment à la piraterie92, les industries 90 Art. L.111-1 du CPI. V. art. L.122-5 2° du CPI. 92 Mais pas seulement. D’un point de vue économique, les DRM permettent aux industriels de contrôler l’ensemble du marché, de l’offre à la demande. Ainsi par exemple, Apple propose sur sa plateforme iTunes Music Store des morceaux de musique protégés par la technologie AAC (Advanced Audio Codec). Pour les lire sur un lecteur portatif, il faut posséder le lecteur iPod, compatible avec la norme AAC, et fabriqué par le même Apple. 91 25 culturelles (souvent dénommées « majors »93) ont multiplié ces mesures de protection techniques, au point qu’elles sont aujourd’hui omniprésentes dans la distribution numérique de contenus. Cependant, aucune de ces protections ne s’est encore révélée infaillible, et il est fort probable qu’aucune ne le soit. Ces systèmes reposent en effet sur des procédés de cryptographies et tout ce qui est crypté peut être décrypté. Plus simplement, tout ce qui est vu et entendu peut être enregistré. 42. Dès lors, les industries ont fait pression pour que les Etats condamnent le fait de détourner ces mesures de protection qui leur assurent un certain respect de leurs droits d’auteur et de leurs droits voisins. C’est ainsi que deux traités ont été adoptés en 1996 sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) pour entre autres accorder protection aux mesures de protection. L’article 11 du traité de l’OMPI sur les droits d’auteur (WCT) 94 dispose ainsi que : Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en oeuvre par les auteurs dans le cadre de l'exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l'accomplissement, à l'égard de leurs oeuvres, d'actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi.95 43. Le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT)96 comporte la même disposition, à son article 18, mais adaptée bien sûr aux artistes interprètes, exécutants et producteurs de phonogrammes97. Ces traités ont été implantés aux Etats-Unis à travers le fameux Digital Millennium Copyright Act de 199898, et sont en cours d’implantation en Europe suite à l’adoption de la directive sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information99. En France, le projet de transposition de la directive prévoit la protection des « mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les 93 En raison du fait que les cinq maisons de disques principales (BMG, EMI, Sony Music, Universal et Warner) dominent plus de 85% des parts de marché de la musique mondiale. 94 Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur, 20 déc. 1996, disponible en ligne : <http://www.wipo.int/clea/docs/fr/wo/wo033fr.htm>. Le WCT est entré en vigueur par suite du dépôt de la 30e ratification le 6 mars 2002. 95 Ibid. à l’art.11 96 Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, 20 déc. 1996, disponible en ligne : <http://www.wipo.int/clea/docs/fr/wo/wo034fr.htm>. Le WPPT est entré en vigueur le 20 mai 2002. 97 Disparaît ainsi la référence à la Convention de Berne. 98 Pub. L. No. 105-304, 112 Stat.2860 (1998) (publié dans la partie pertinente de 17 U.S.C s. 1201 (Supp. IV 1999)) 99 Supra note 33. 26 utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur, d’une oeuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme »100. On prévoit donc, pour le dire sans tautologie, une protection de la protection de la protection. 44. Comme il a été de nombreuses fois argumenté et démontré101, cette protection au cube se fait en contradiction avec les droits traditionnels du public. En privant l’accès aux œuvres, les mesures de protection techniques empêchent la jouissance des exceptions prévues par le droit d’auteur. Car « l’exercice de toute exception suppose la capacité d’accéder à une œuvre »102. Comment un membre du public peut-il par exemple bénéficier des exceptions d’ « analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées »103, si la mesure de protection technique ne permet plus d’incorporer lesdites citations ? Plus grave, ces protections pourraient porter sur des œuvres qui sans elles seraient librement accessibles car passées dans le domaine public, généralement 70 ans après la mort de l’auteur104. 45. Cette volonté de protéger les mesures de protection va jusqu’à pénaliser l’utilisation de dispositifs qui autoriseraient la jouissance des exceptions prévues par la loi. En France, il est ainsi prévu d’assimiler à un délit de contrefaçon « le fait pour une personne de porter atteinte, en connaissance de cause, à une mesure technique […] afin d’altérer la protection, assurée par cette mesure, portant sur une œuvre »105. Le consommateur qui refuse d’acheter le système d’exploitation Windows de Microsoft se verra ainsi privé par exemple de la faculté de lire sur son ordinateur des DVD légalement acquis106. Est même condamné « le fait, en connaissance de cause, de 100 Art.6 Projet de loi en ligne : <http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/aillagon/droitdauteur1103.pdf>. 101 V. par ex. Ian Kerr et autres, « Mesures de protection techniques », Partie I (2003) 15 (2) Cahiers de propriété intellectuelle 575, partie II (2003) 15 (3) Cahiers de propriété intellectuelle 805 ; voir également J. de Werra, Le régime juridique des mesures techniques de protection des œuvres, RIDA 2001, n° 189, p. 67 s. 102 Kerr, op.cit, partie I, à la p.611 103 V. art. L.122-5 3°b du CPI. 104 V. art. L.123-1 al.2 du CPI. Notez qu'au Canada, la protection de base reste à 50 ans après la mort de l'auteur (v. art.23(1) de la loi sur le droit d'auteur) 105 V. Projet de loi supra note 105, à l’art.13 106 Les DVD sont en effet protégés par un système de brouillage, CSS, qu’il faut compromettre si l’on souhaite le lire par exemple sur le système d’exploitation open-source Linux, préféré par des millions d’utilisateurs. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de logiciel autorisé permettant la lecture de ces films. 27 fabriquer ou d’importer une application technologique, un dispositif ou un composant ou de fournir un service, destinés à faciliter ou à permettre la réalisation, en tout ou en partie », du contournement. Aux Etats-Unis, une disposition similaire dans le DMCA107 a permis d'emprisonner le programmeur russe Dmitry Sklyarov, qui avait créé un logiciel permettant de retranscrire en langage Braille des livres électroniques protégés. C’est finalement après avoir accepté de témoigner contre la société qui l’employait qu’il a été libéré108. Nous pourrions citer bien d’autres cas, tel le professeur Felten qui avait répondu à une invitation de l’industrie du disque de casser le système de protection SDMI, ou le professeur Fergusson, qui préfère aujourd’hui ne plus dénoncer les failles de sécurité qu’il remarque dans ces dispositifs, par peur d’être également condamné109. 46. Ces cas, qui pourraient se multiplier et arriver en France avec la transposition de la directive sur les droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information, doivent nous alerter des dérives que provoque la surprotection des œuvres. A l’opposé, le choix d’un régime de licence obligatoire éviterait ces dérives en reconnaissant certains droits supplémentaires au public. B – Une licence obligatoire pour répondre à ces réalités sociotechniques 47. Nous avons déjà longuement décrit les différents phénomènes qui faisaient d’Internet un espace à part dans l’application très difficile du droit d’auteur. N’oublions pas pour autant que les auteurs sont les premiers à disposer de droits sur leurs œuvres, et que les droits du public ne sont consentis que par une sorte de contrat de la société avec l’artiste110. L’idée d’une licence obligatoire ne s’impose pas d’elle107 Digital Millennium Copyright Act, Pub. L. No. 105-304, 112 Stat.2860 (1998) (publié dans la partie pertinente de 17 U.S.C s. 1201 (Supp. IV 1999)). [DMCA] 108 V. Kerr, Partie II, à la section 7.4.4, non reproduite par Les cahiers de propriété intellectuelle ; La société ElcomSoft a finalement été déclarée non coupable dans un jugement qui a fragilisé la force du DMCA. Voir en ligne « ElcomSoft verdict : not guilty » CNET News.com (17 Déc.2002) <http://news.com.com/2100-1023-978176.html>. Voir également « Le hackeur Dmitry Sklyarov témoigne à la barre » Ratiatum.com (11 déc.2002) <http://www.ratiatum.com/p2p.php?article=542>. 109 Ibid. 110 Sur cette idée, v. Cause Théberge, Supra note 39. 28 même et n’a fait son chemin qu’après maintes propositions alternatives laissant aux auteurs le maximum de contrôle sur leurs œuvres. 48. Nous aurions pu pareillement envisager d’autres solutions pour légaliser le téléchargement d’oeuvres sur Internet tout en rémunérant les auteurs. Parmi les plus réalistes, les « juke-box illimités sur abonnements »111 ont déjà fait leur preuve depuis avec des services comme Listen.com, mais l’on retrouve vis-à-vis de ces services l’ensemble des critiques que nous avons faites concernant les mesures de protection techniques. D’autres propositions telles que faire financer la musique par la publicité ont été avancées112, mais l’on voit bien immédiatement le risque accru de voir certains genres musicaux peu porteurs commercialement être délaissés au profit de certaines musiques mieux formatées pour viser les consommateurs. L’artiste qui ne souhaite pas être transformé en support publicitaire a lui-même généralement beaucoup de mal à admettre cette idée113. 49. Une autre proposition qui a la faveur d’une grande partie des internautes serait de laisser les œuvres libres d’accès et de se reposer sur un système de dons. Le système est déjà très largement éprouvé dans le domaine du logiciel libre114 ou même de l’information115, et rien ne dit qu’il ne serait pas également viable dans le domaine des œuvres musicales voire cinématographiques. Le label américain Magnatune116 autorise par exemple le téléchargement gratuit de toutes les œuvres qu’ils produisent, lesquelles sont libres de toute mesure de protection technique. Toute exploitation à titre non commercial est également autorisée. En contrepartie, les internautes peuvent 111 v. Fisher, infra note 150, à la partie IV.4 Ibid. à la partie IV.5 113 Notez toutefois que le financement de la musique en ligne se déplace actuellement de plus en plus vers les industries traditionnelles qui en font un objet d’appel marketing. Voir par exemple : « N'achetez pas de musique, buvez là ! » (19 oct. 2003) Ratiatum.com <http://www.ratiatum.com/p2p.php?article=1327> ; « L’abus d’alcool est bon pour la musique » (13 janv. 2004) Ratiatum.com <http://www.ratiatum.com/p2p.php?article=1399> ; « Coca, distributeur automatique de musique en ligne » 01Net (9 dec.2003) <http://www.01net.com/article/225021.html> ; « McDonald’s, Sony Said to Be in Music Pact » LA Times (22 mars 2003) en ligne : <http://www.latimes.com/business/custom/cotown/la-fi-sony22mar22,1,6844832.story?coll=laheadlines-business-enter>. 114 Openoffice.org, un concurrent libre et gratuit de la suite Office de Microsoft, donne par exemple la possibilité aux utilisateurs de faire des dons. V. en ligne : <http://www.openoffice.org/contributing.html>. 115 Wikimedia a ainsi reçu en dons près de $30.000 USD depuis 2003 pour la création et la gestion de systèmes de diffusion libre d’informations, qui servent par exemple à la création de l’encyclopédie gratuite wikipedia.org. En ligne : <http://www.wikipedia.org>. 116 V. en ligne : <http://www.magnatune.com>. 112 29 faire un don qui leur ouvre droit au téléchargement d’une version non compressée de l’œuvre. De plus l’artiste reçoit ici 50% du montant donné, alors que les contrats classiques accordent rarement plus de 10% de rétribution. Ce mécanisme de dons mériterait sans doute une étude plus approfondie, notamment dans ses ramifications fiscales, mais il ne présente cependant pour nous que peu d’intérêt académique. Un tel système ne demande en effet aucune modification législative (à moins de souhaiter l’institutionnaliser en rendant toutes les œuvres numériques libres de droits), puisqu’il repose essentiellement sur le droit contractuel. Et puis surtout, il repose uniquement sur le bon vouloir d’une partie du public, et nul ne saurait pleinement se satisfaire d’un système aussi aléatoire. 50. Bien que les idées développées dans cette étude puissent paraître contraire à la conception traditionnelle du droit d’auteur, nous avons choisis de nous attacher à des mécanismes déjà bien connus et éprouvés en droit français, comme en droit canadien. Nous verrons donc dans un premier temps comment le régime de licence légale pour la communication des œuvres au public ainsi que celui de la rémunération pour copie privée peuvent nous apporter des enseignements pour la réalisation d’une licence obligatoire de diffusion des œuvres sur Internet (1). Nous nous attacherons ensuite à la délimitation des droits accordés au public par les termes de cette nouvelle licence obligatoire (2). 1 – Des modèles de souplesse pour le public dans le droit positif a – la licence légale de communication au public 51. L’article L.122-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ». L’auteur a donc seul le droit d’autoriser ou d’interdire la représentation de ses œuvres. L’article suivant précise que « la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque »117, et donne en exemple la télédiffusion, laquelle doit s’entendre « de la diffusion par tout procédé de 117 Art. L.122-2 du CPI. 30 télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de message de toute nature »118, c’est-à-dire également de la radiodiffusion. 52. En pratique, la plupart des auteurs confient la gestion de leur droit de représentation à la SACEM (qui dispose d’un quasi monopole parmi les sociétés de perception et de répartition des droits), laquelle distribue aux intéressés des autorisations globales portant sur l’ensemble de son catalogue, moyennant bien sûr le paiement d’un prix, le plus souvent forfaitaire. Les stations de radio ou les lieux publics qui bénéficient de ces autorisations ne vérifient jamais dans la pratique quels sont les auteurs du catalogue, et partent donc du principe pragmatique que tous en font partie. 53. Mais n’oublions pas que l’auteur n’est pas le seul à disposer de droits sur l’œuvre. Les artistes interprètes et les producteurs se sont vus consacrer des droits voisins, qui leur confèrent également normalement le droit d’interdire les représentations de leurs œuvres. Cependant, pour faciliter l’obtention des autorisations, un régime de licence légale aujourd’hui codifié à l’article L.214-1 du code de la propriété intellectuelle a été apporté. Il dispose que : Lorsqu'un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l'artisteinterprète et le producteur ne peuvent s'opposer : 1º A sa communication directe dans un lieu public, dès lors qu'il n'est pas utilisé dans un spectacle ; 2º A sa radiodiffusion, non plus qu'à la distribution par câble simultanée et intégrale de cette radiodiffusion.119 L’article L.214-1 retire donc aux titulaires de droits voisins l’exercice de leur droit exclusif d’autoriser les actes de représentation au public, mais poursuit en établissant un régime de rémunération : Ces utilisations des phonogrammes publiés à des fins de commerce, quel que soit le lieu de fixation de ces phonogrammes, ouvrent droit à rémunération au profit des artistes-interprètes et des producteurs. Cette rémunération est versée par les personnes qui utilisent les phonogrammes publiés à des fins de commerce dans les conditions mentionnées aux 1º et 2º du présent article. Elle est assise sur les recettes de l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement dans les cas prévus à l'article L. 131-4. 118 119 Ibid. à l’al.3 Art.L.214-1 du CPI. 31 Elle est répartie par moitié entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes. 54. Concrètement, le radiodiffuseur qui souhaite bénéficier du catalogue de la SACEM ne pourra s’en voir opposé par les producteurs ou les artistes interprètes. Il paiera généralement environ 6% du montant de ses recettes, conformément aux dispositions que nous venons d’énoncer. 55. Ce régime de licence légale est connu dans un grand nombre de juridictions, et notamment au Canada à travers l’article 67 de la loi sur le droit d’auteur. Le droit exclusif de radiodiffusion a été reconnu pour la première fois dans la Convention de Berne après la révision de Rome de 1928, qui prévoit depuis dans son article 11bis que « les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser 1° la radiodiffusion de leurs œuvres ». Cependant, « il appartient aux législations des pays de l’Union de régler les conditions d’exercice [de ce droit] », y compris donc par la création d’une licence obligatoire. Il est intéressant de noter que lors des débats de la sous-commission chargée de mettre au point cette disposition, la sous-commission a tenu à insister sur le fait qu’elle souhaitait « mettre en harmonie les droits des auteurs avec les intérêts publics généraux de l’Etat, les seuls auxquels des intérêts spécifiques sont subordonnés » (notre traduction)120. On voit bien que ce sont avant tout des critères d’intérêt public qui ont motivé en 1928 l’acceptation des régimes de licence obligatoire pour la radiodiffusion. La création d’un régime de licence obligatoire pour la diffusion des œuvres sur Internet sera également motivée, comme nous le voyions plus tôt, par l’intérêt public. b – la rémunération pour copie privée 56. Il y aurait beaucoup à dire sur la copie pour usage privé et sur le mode de rémunération qui l’accompagne121. Aussi controversée qu’essentielle, la copie privée connaît davantage de critiques dans l’application des règles d’attribution de la 120 Records 1928 Rome, 183, cité in Mihaly Ficsor, The law of copyright and the Internet, Oxford University Press, 2002, à la p.273 121 A cet effet, v. par ex. Christophe Caron, « Rémunération pour copie privée », JCN Propriété Littéraire et artistique, Fasc.1510, 19 novembre 2001. 32 rémunération que dans son principe122. Dans son principe en effet, « il s'agit d'une rémunération, déterminée par une commission administrative, et perçue par des sociétés de gestion collective auprès de différents commerçants qui la répercutent sur les consommateurs, pour être ensuite répartie entre divers ayants droit culturels, afin de les rémunérer pour l'usage privé licite de leurs biens incorporels »123. Il est certain qu’un système de licence obligatoire qui ferait de la diffusion des œuvres sur Internet un usage licite devra s’inspirer de ce modèle, et tenter de rejeter les lacunes qui lui sont reconnues124. 57. L’article 9 de la Convention de Berne réserve aux Etats « la faculté de permettre la reproduction [des] oeuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur »125. C’est dans ce cadre qu’en France, la loi interdit aux auteurs, artistes interprètes et producteurs de s’opposer aux « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »126, telles que la copie d’un disque compact. Néanmoins pour ne pas porter atteinte aux intérêts des créateurs, la loi Lang de 1985 a instauré un droit à la « rémunération au titre de la reproduction desdites œuvres »127. 58. Le principe de la rémunération étant fixé128, elle est versée par les fabricants, les importateurs ou les personnes qui réalisent des acquisitions intracommunautaires de supports vierges audio ou vidéo, ainsi que de supports numériques129. Désignée conformément à l’article L311-5 du code la propriété intellectuelle, la commission présidée par M. Brun-Buisson130 a ainsi déterminé plusieurs rémunérations versées par les fabricants et importateurs de ces supports d’enregistrements131, y compris sur les 122 Bien que son principe même soit de plus en plus remis en cause du fait de la généralisation des mesures de protection qui empêchent la copie. 123 Ibid. au n°1. 124 Pour une introduction rapide mais corrosive aux lacunes de la rémunération pour copie privée, v. André Bertrand, La musique et le droit – de Bach à Internet, Litec, 2002, aux p.65 et s. 125 Voir test des trois étapes, infra n° 64. 126 V. art. L122-5 2° du CPI. Pour les artistes interprètes et producteurs, il est interdit à l’art.L211-3 2° de s’opposer aux « reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective ». 127 L. n° 85-600 du 3 juillet 1985, art.31. Aujourd’hui codifié à l’art.L.311-1 du CPI. 128 V. art.L.311-1 du CPI. 129 V. art.L.311-4 du CPI. 130 Dont la dernière composition a été arrêtée le 24 février 2003 (J.O. n°53 du 4 mars 2003, p.3801) 131 V. Décision n°1 du 4 janvier 2001 (J.O n° 6 du 7 janvier 2001, p.336) 33 disques durs intégrés à des baladeurs ou appareils de salon dédiés à la lecture d’œuvres fixées sur des phonogrammes132. 59. Deux sociétés de perception rattachées à la SDRM, SORECOP et COPIEFRANCE, sont chargées respectivement de collecter la rémunération au titre des supports audio et vidéo, et numériques. L’article L.311-7 fixe la répartition : La rémunération pour copie privée des phonogrammes bénéficie, pour moitié, aux auteurs au sens du présent code, pour un quart, aux artistes-interprètes et, pour un quart, aux producteurs. La rémunération pour copie privée des vidéogrammes bénéficie à parts égales aux auteurs au sens du présent code, aux artistes-interprètes et aux producteurs. La rémunération pour copie privée des oeuvres [sur support numérique] bénéficie à parts égales aux auteurs et aux éditeurs.133 60. La répartition de la rémunération entre les artistes, sujette à de nombreux débats, reste le point sensible du régime134, qu’il faudra corriger avec la licence obligatoire pour la diffusion des œuvres sur Internet. La loi nous dit qu’elle doit être répartie « à raison des reproductions privées dont chaque œuvre fait partie »135. Or il est bien difficile de savoir quelles reproductions sont faites sous les toits des foyers. C’est donc par sondage que la répartition est faite136. 61. Au Canada, il est aujourd’hui reconnu que télécharger une œuvre sur Internet peut constituer la réalisation d’une copie strictement réservée à l’usage privé137. Grâce aux technologies actuelles qui permettent de mesurer beaucoup plus précisément l’audience d’une oeuvre, une rémunération équivalente pourrait être mise en place pour libéraliser la diffusion des œuvres sur le réseau Internet, y compris les diffusions entre utilisateurs. C’est un premier pas vers la création d’une licence obligatoire, mais il nous faut au préalable déterminer quels sont les droits qu’une telle licence devrait octroyer au public, avant d’en déterminer le régime à la lumière des deux modèles que nous venons de décrire. 132 V. Décision de la commission en date du 4 juillet 2002 (J.O n°174 du 17 juillet 2002 p.12877) Art.L.311-7 du CPI. 134 Par exemple, la part des 25% réservée aux actions culturelles et d’éducation semble distribuée de façon très discutable et au préjudice notamment des artistes étrangers, plus particulièrement américains. Sur ce point, v. A. et H.-J. Lucas, Propriété littéraire et artistique, 2e ed., Litec 2001, n°708 135 V. art.L.311.6 du CPI. 136 Pour une illustration, v. CA Paris, 8 janv. 1991 : RIDA 1991, n° 148, p. 142 137 V. supra au n° 33 et 34. 133 34 2 – Une licence obligatoire au champ d’application limité a – une limitation à certaines oeuvres 62. Par nature, un régime de licence obligatoire pour la diffusion des œuvres sur Internet aurait pour conséquences que les auteurs, artistes interprètes et producteurs ne fixeraient pas eux même le prix de l’accès à leurs œuvres dans l’environnement numérique. Comme nous le verrons par la suite, la rétribution de ces créateurs se ferait par le partage équitable de l’ensemble de la rémunération perçue, en fonction de leur « popularité »138. Or toutes les œuvres ne sont pas adaptées à un tel mode de rémunération. 63. La Convention de Berne distingue différentes catégories d’œuvres littéraires et artistiques protégées par le droit d’auteur139. Parmi celles numérisables, susceptibles de pouvoir être intégrées dans un régime de licence obligatoire pour Internet, nous pouvons isoler : les livres, brochures et autres écrits ; les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature ; les œuvres dramatiques ou dramaticomusicales ; les compositions musicales avec ou sans paroles ; les œuvres cinématographiques ; les œuvres de dessin ; les œuvres photographiques ; les illustrations, les cartes géographiques ; et les plans et croquis relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences. En France, le code de la propriété intellectuelle ajoute entre autres les logiciels à la liste (non exhaustive) des œuvres de l’esprit établie à l’article L.112-2140. 138 V. infra au n°105. V. Convention de Berne, art.2(1). 140 V. art.L.112-2 13° du CPI. 139 35 64. Le test des trois étapes apporté par la Convention de Berne, transcendant dans le reste de notre étude, doit nous guider dans le choix des catégories d’œuvres de l’esprit à inclure dans un régime de licence obligatoire. Ce test que l’on retrouve également dans le traité de l’OMPI141 sur le droit d’auteur de 1996 à l’article 10, dans les accords ADPIC142 à l’article 13, ou dans la directive européenne du 22 mai 2001143 à l’article 5.5, est formulé ainsi à propos des reproductions : Est réservée aux législations des pays de l'Union la faculté de permettre la reproduction desdites oeuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.144 65. La licence ne doit donc exister que dans certains cas spéciaux (1ere étape), ne pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre (2e étape) et, enfin, ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur (3e étape). Le choix des catégories d’œuvres à inclure est particulièrement délicat au regard des deux derniers tests. Il faut en effet s’assurer que le modèle économique des œuvres que nous sélectionnons ne serait pas anormalement troublé par la création d’une licence obligatoire. 66. A cet égard, excluons d’emblée de notre proposition de licence obligatoire pour Internet les œuvres « logicielles ». Les logiciels disposent en effet d’un modèle économique particulier par rapport aux œuvres culturelles, qui fait qu’une licence obligatoire où la rémunération s’effectue entre les œuvres de façon proportionnelle n’aurait pas de sens. Les coûts de production d’un logiciel à un autre peuvent considérablement varier, et aucune rémunération forfaitaire ne saurait rendre, sans complexité extrême, de la valeur de ces logiciels. 67. A l’inverse, les compositions musicales avec ou sans paroles145 semblent parfaitement s’inscrire dans ces conditions. Le prix d’un phonogramme, relativement 141 Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur, 20 déc. 1996, disponible en ligne : <http://www.wipo.int/clea/docs/fr/wo/wo033fr.htm>. Le WCT est entré en vigueur par suite du dépôt de la 30e ratification le 6 mars 2002. 142 Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, figurant à l’annexe 1C de l’Accord Instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (Signé le 15 avril 1994). En ligne : <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm#TRIPs>. [ADPIC] 143 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. En ligne : <http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2001/l_167/l_16720010622fr00100019.pdf>. 144 Convention de Berne, art.9(2). 145 Telles que mentionnées à l’art.L.112-2 5° du CPI. 36 uniforme dans le marché traditionnel, est aujourd’hui totalement uniformisé dans l’environnement Internet146. Même si le coût de production peut varier, le coût au client, lui, est désormais insensible. Partager la rémunération entre les ayants droit selon des modes de calculs équitables semble ainsi réalisable, comme nous le détaillerons, sans porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts de l’auteur. 68. Si certains précurseurs de l’idée d’une licence légale sur Internet voudraient voir le modèle appliqué à un très grand nombre de catégories d’œuvres147, il nous semble plus raisonnable de limiter son application aux seules œuvres musicales. Certes, il serait possible d’argumenter que les œuvres cinématographiques répondent également à un modèle économique aux prix uniformisés148, cependant le marché des films est encore en excellente condition et ne souffre que trop peu de la piraterie sur Internet pour que soit justifiée une telle atteinte à l’exploitation normale de ces œuvres. 69. De plus comme l’explique Jessica Litman, « quand [les] projets [de licence obligatoire] se limitent à de la musique, les propositions sont des extensions modestes des dispositifs contenus dans la loi actuelle et dans la pratique des affaires »149. L’expérience gagnée par les régimes de copie privée, notamment, doit permettre une rapide mise en place de la licence légale sur Internet pour les œuvres musicales. 70. Enfin d’un point de vue de droit international, la licence obligatoire limitée aux seules œuvres musicales aurait davantage de chances de succès. La Convention de Berne prévoit en effet dans son article 13 quelques flexibilités que les états peuvent apporter aux droits exclusifs d’enregistrement, mais uniquement pour les œuvres musicales, et non cinématographiques150. 146 V. supra au n° 18. V. par exemple N.W.Netanel, “Impose a Noncommercial Use Levy to Allow Free Peer-to-Peer File Sharing”, 17 Harvard Journal of Law & Technology, à la p. 41. Disponible en ligne : <http://www.utexas.edu/law/faculty/nnetanel/null.pdf>. [Netanel] 148 Voir par exemple “AOL to offer movie downloads” (20 janv. 2004) CNET News.com <http://news.com.com/2100-1026-5144195.html?tag=nl>. 149 Litman, supra note 69, à la p.28. 150 Convention de Berne art.13(1). A noter que l’article 14 exclu clairement l’application de l’article 13 (1) pour les œuvres cinématographiques. Sur ce point, voir également William W. Fisher, Promises To Keep: Technology, Law and the Future of Entertainment”, Stanford University Press, à paraître en août 2004 (dernière mise à jour consultée du 10 janvier 2004). Chapitre 6 en ligne: <http://cyber.law.harvard.edu/people/tfisher/PTKChapter6.pdf>. [Fisher] 147 37 b – une limitation à certains droits exclusifs 72. Nous avons ainsi déterminé que la licence légale devrait être limitée, au moins dans un premier temps, aux seules compositions musicales. Précisons tout de même avant de préciser quels droits (ou privilèges) seraient accordés au public sur ces œuvres que « [a]u moins en principe, le privilège de l’utilisateur devrait également être limité aux expressions que le possesseur du droit d’auteur a préalablement communiqué au public, que soit en ligne ou hors-ligne » (notre traduction)151. Il s’agit en effet de respecter les choix des auteurs ou producteurs de ne pas rendre publique une œuvre, pour diverses raisons aussi bien morales qu’économiques. 73. Déterminons maintenant quels sont les droits ou plutôt les exceptions dont le public aurait la jouissance, en vertu de la licence légale. Comme nous le rappelions plus tôt, la Convention de Berne accorde aux auteurs une série de droits exclusifs, dont l’ADPIC exige également le respect152. Sont ainsi accordés par principe de façon exclusive par la Convention, outre les droits moraux153, des droits de traduction154, de reproduction155, de représentation ou d’exécution publique156, de radiodiffusion157, de récitation publique158, d’adaptation159, d’enregistrement160, et de mise en circulation161. Une éventuelle implantation législative d’une licence obligatoire pour Internet devra déterminer quels sont les droits parmi ceux énoncés précédemment qui doivent être concédés automatiquement aux bénéficiaires de la licence. 74. Certes, il eut été plus simple en cela que le droit d’auteur fût moins fragmenté… La proposition formulée (entre autres) par Andrew Christie de réunir les droits patrimoniaux pour ne créer qu’un seul droit, le droit à l’usage162, nous aurait simplifié 151 N.W.Netanel, “Impose a Noncommercial Use Levy to Allow Free Peer-to-Peer File Sharing”, 17 Harvard Journal of Law & Technology, à la p.42. Disponible en ligne : <http://www.utexas.edu/law/faculty/nnetanel/null.pdf>. [Netanel] 152 Voir ADPIC à l’art.9. 153 V. Convention de Berne à l' art.6bis. 154 Ibid. art.8. 155 Ibid. art.9. 156 Ibid. art.11. 157 Ibid. art.11bis. 158 Ibid. art.11ter. 159 Ibid. art.12. 160 Ibid. art.13. 161 Ibid. art.14. 162 V.Andrew Christie, A Proposal for Simplifying UK Copyright Law, 23 Eur. Intell.Prop. Rev. 26 (2001). 38 la tâche, puisqu’il aurait suffit de déclarer libre l’utilisation des œuvres via Internet. Mais le droit d’auteur étant encore et certainement pour longtemps ce qu’il est, nous devrons choisir avec soin les droits qu’il nous faut « libérer ». 75. Puisque notre objectif est de libéraliser la diffusion des œuvres sur Internet, notamment via les réseaux P2P, le choix des droits semble toutefois assez simple. Il faut autoriser la reproduction des oeuvres pour légaliser leur téléchargement, mais également la communication des œuvres au public. Ce dernier droit exclusif, introduit au niveau international par les traités de l’OMPI de 1996163, et présent à l’article L.122-2 du code de la propriété intellectuelle, interdit pour l’instant l’envoi des œuvres aux autres internautes (l’upload). La télédiffusion des œuvres, lorsqu’elle est réalisée par Internet via des webradios pourrait également être autorisée. De façon pragmatique, la vitesse du réseau mondial est telle aujourd’hui que la différence entre l’upload des œuvres et leur communication par télédiffusion sera de toute façon insensible. Il paraît inévitable d’autoriser toute forme de communication au public par moyens numériques. De même, la diffusion des œuvres164 est une composante essentielle du but de la licence légale que nous décrivons. Enfin bien sûr, l’ensemble de ces exceptions ne sauraient être valables que dans les cas d’exploitation à titre non commercial, c’est-à-dire quand le bénéficiaire éventuel de la licence ne cherche pas à vendre les œuvres, à en vendre l’accès, ou à s’en servir à des fins publicitaires165. 76. La question des œuvres dérivées est sans doute plus controversée. Faut-il libérer le droit d’adaptation dès lors que la diffusion des œuvres est intégralement permise ? D’un point de vue philosophique, nous pourrions nous réjouir de voir les œuvres ainsi mises à la disposition de tous afin d’enrichir et de libéraliser la créativité mondiale. Du point de vue de l’auteur cependant, il faudra veiller à ce que ses droits moraux et patrimoniaux soient respectés en cas d’adaptation de ses œuvres par un tiers. Nous étudierons ce point plus en détail dans la seconde partie de notre étude. 163 Voir le WCT à l’art.8, et le WPPT à l’art.15. Qui constitue sans autorisation une contrefaçon, conformément à l’art.L.335-3 du CPI. 165 Sur ce point, v. Netanel, à la p. 43. 164 39 DEUXIEME PARTIE La licence obligatoire : une protection des intérêts des titulaires de droits d’auteur 77. Il est évident que la mise en place d’une licence obligatoire pour libéraliser la diffusion des œuvres sur Internet ne doit pas se faire au détriment excessif des intérêts des artistes, ou plus largement des ayants droit. Si l’on accorde d’une part de nouveaux droits au public sur les œuvres, il est essentiel d’accorder de nouvelles protections compatibles aux auteurs. L’octroi de droits au public n’est d’ailleurs pas sans heurter les engagements internationaux qui visent à protéger les auteurs. 78. Nous avons déjà évoqué la difficulté que pose la Convention de Berne pour les œuvres autres que musicales166, ajoutons qu’en Europe, une révision de la directive de l’union européenne relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information167 serait obligatoirement nécessaire puisque si certaines exceptions à la protection du droit d’auteur par les Etats membres sont prévues par l’article 5 de la directive, elles ne couvrent pas celles nécessaires pour la licence obligatoire sur Internet. Signalons également les articles 9, 11 et 12 de l’ADPIC qui reconnaissent le pouvoir des auteurs de contrôler la reproduction, l’exécution publique et l’adaptation des œuvres, et l’article 13 de l’accord qui reprend le test des trois étapes en disposant que « [l]es Membres restreindront les limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit »168. 79. C’est à la lumière de ce test des trois étapes que nous devons désormais décrire les mécanismes qui permettront de le satisfaire. Evacuons le premier test, selon lequel l’exception ou la limitation doit être un cas spécial. D’après ses interprétations, il faut 166 Voir texte se rapportant à la note 148. V. Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. En ligne : <http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2001/l_167/l_16720010622fr00100019.pdf>. 168 Ibid. art.13. 167 40 que le champ de la licence obligatoire soit défini le plus restrictivement possible, et qu’elle réponde à un motif de politique publique169. Nous avons déjà montré comment notre proposition répondrait à ces conditions, en limitant restrictivement les droits accordés au public170, et en répondant aux problèmes nouveaux de politique publique posés par Internet171. Attachons nous cependant à démontrer comment la licence obligatoire peut ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causer de préjudice injustifié aux intérêts de l’auteur. Il s’agirait de s’assurer d’une rémunération juste d’une part (A), et d’une répartition équitable de la rémunération d’autre part (B). A – La perception d’une juste rémunération 80. Il faut interpréter l’exigence selon laquelle une exception ou une limitation ne doit pas porter atteinte à une exploitation normale de l’œuvre (le 2e test) comme la condition que le régime de licence obligatoire n’entre pas en concurrence économique avec l’exercice de ses prérogatives par le titulaire du droit d’auteur172. Les exceptions ne doivent pas ébranler le marché économique de l’œuvre. 81. Dans le troisième test, qui exige que le régime de licence obligatoire ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit, le terme « légitime » doit s’analyser dans son sens juridique : ce qui est disposé par la loi173. Il faut donc que l’atteinte aux droits exclusifs de l’auteur, de l’artiste interprète ou du producteur soit justifiée, et compensée pour ne pas porter un préjudice excessif à la perte de ces intérêts. 82. Ces deux tests doivent être regroupés et s’analyser comme l’exigence d’établir une rémunération juste. Il nous faut donc déterminer comment serait fixée la rémunération (1) et comment sa perception serait organisée (2). 169 V. par ex. Mihaly Ficsor, The law of copyright and the Internet, Oxford University Press, 2002, au n° C10.03 [Mihaly Ficsor] 170 V. supra aux n° 72 et s. 171 V. supra aux n° 20 et s. 172 Voir Mihaly Ficsor, au n°5.56. 173 Ibid. au n°5.57 41 1 – La fixation de taux de rémunération a – le principe d’une rémunération versée par les professionnels 83. L’octroi d’une rémunération équitable en cas de licence est un concept que l’on retrouve invariablement dans l’ensemble des traités internationaux, que ce soit dans la Convention de Berne174, la Convention de Rome175, l’ADPIC176 ou l’EUCD177. Pour cette dernière, il est intéressant de constater que le terme traditionnel de « rémunération équitable » a été substitué dans la directive européenne par le terme plus équivoque de « compensation équitable ». Il y est ainsi sous-entendu que la rémunération dont peuvent se prévaloir auteurs et autres titulaires de droits voisins n’est pas une gratification au mérite, mais plutôt une sorte d’indemnisation pour les ressources financières que l’abandon forcé de leurs droits exclusifs leur fait perdre178. 84. Dès lors, avant d’étudier les mécanismes qui permettront de fournir aux titulaires de droit une rémunération équitable, il faut déterminer quelle est cette perte due à la licence obligatoire que l’on chercherait à indemniser. Nous n’entrerons cependant pas ici dans les détails puisque cela relève davantage de l’étude économique que juridique, et qu’il s’agit en plus d’un débat toujours hautement controversé à l’heure actuelle179. 85. Selon de rapides calculs, le meilleur niveau de l'industrie phonographique en France a été réalisé sur l'année 2002, où les maisons de disques ont réalisé un chiffre d'affaire cumulé H.T de 1,302 milliards d'euros. En 2003, l'industrie française a connu une chute de 14,6%, le chiffre d'affaire n'ayant atteint "que" 1,112 milliards d'euros180. Si la licence obligatoire avait été mise en place au 1er janvier 2003, et si l’on admettait que cette chute est due entièrement à la piraterie sur Internet, elle aurait donc dû compenser en théorie les 14,6% de perte, soit 190 millions d'euros. En réalité moins, puisque devraient être retirés les frais de distribution inexistants sur Internet, qui 174 Voir Convention de Berne, aux art.11bis et 13 Voir Convention de Rome, aux art.9.2, 13.2 et 15. 176 Voir ADPIC, aux art.14.4, et 70.4. 177 Voir EUCD, à l’art.5. 178 Ce qui semble confirmé par le 35e considérant de l’EUCD, qui précise qu’un « critère utile [d’évaluation de la compensation] serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits […]». 179 V. supra à la note 5. 180 Chiffres communiqués par le Syndicat National des Editeurs Phonographiques (SNEP). V. en ligne : <http://www.disqueenfrance.com/actu/ventes/stats2003_4.asp>. 175 42 représentent environ 20% des frais. Donc des 190 millions d'euros de perte, 152 millions auraient été à compenser. Peu importe ces chiffres, le principe de la rémunération équitable est acquis. 86. Nous le disions, la rémunération pour copie privée doit nous servir de modèle dans la rémunération pour la licence obligatoire accordée au bénéfice du public. D’autres solutions ont néanmoins été étudiées par la doctrine. William Fisher propose par exemple d’augmenter l’impôt sur le revenu, ce qui aurait de multiples avantages (notamment un apport de revenus évaluable facilement, un coût administratif réduit, et une influence minime sur le comportement des consommateurs)181. Il convient cependant de reconnaître qu’augmenter l’impôt sur le revenu serait hautement impopulaire, parce que des contribuables pourraient payer pour un service qu’ils n’utilisent jamais ou très peu, parce que l’on pourrait craindre que l’argent ainsi collecté soit détourné à d’autres fins182, et enfin parce que les impôts sur le revenu financerait des œuvres que certains contribuables refusent de tolérer (les œuvres pornographiques, notamment). 87. A l’inverse, la proposition de Neil Netanel nous semble plus opportune183. L’auteur propose en effet une taxe184 qui « serait levée sur les fournisseurs commerciaux de tous les produits de consommation et services dont la valeur est substantiellement accrue […] par le partage de fichiers P2P » (notre traduction)185. Devraient ainsi par exemple verser la rémunération, les fournisseurs de services Peer-to-Peer commerciaux, d’accès à Internet186, de produits électroniques utilisés pour copier, stocker, exécuter ou 181 Voir Fisher, supra note 150, à la p. 25. Rappelons à ce titre le principe de non affectation de l’impôt qui veut qu’aucune affectation de l’impôt ne soit déterminée à l’avance par la loi. 183 Notons tout de même que William Fisher s’y rallie lui-même, ayant constaté les faiblesses d’une augmentation de l’impôt sur le revenu. 184 Il serait plus juste de parler ici de redevance. Voir à ce sujet Commission du Droit d’auteur, décision Copie privée I 1999, à la p.17 : « La redevance pour la copie privée n’est pas une taxe, mais une charge obligatoire imposée conformément à un régime de réglementation lié directement au droit d’auteur. Elle vise à assurer un paiement, sous forme de redevance, à titre de rémunération à l’égard de la reproduction d’oeuvres protégées par un droit d’auteur par suite de la légalisation de la copie privée d’oeuvres musicales enregistrées. ». Voir également pour un point de vue français, Christophe Caron, « Rémunération pour copie privée » (19 Novembre 2001) JCN Propriété littéraire et artistique, fasc.1510, au n° 4. 185 Voir Netanel, op.cit, à la p.42. 186 La récente proposition de l’ADAMI d’établir une licence légale pour Internet (v. http://www.adami.fr/portail/affiche_article.php?arti_id=699&rubr_lien_int=324) tiendrait les fournisseurs d’accès pour uniques débiteurs de la rémunération. Si cette solution a le charme de la simplicité, il nous semble cependant qu’elle serait injuste pour les nombreux abonnés à Internet, débiteurs finaux de la rémunération, qui ne sont pas usagers des services P2P. Elle ciblerait également de 182 43 diffuser des fichiers numériques (ordinateurs, lecteurs audio portatifs,…), et de matériels de stockage. Bien sûr, « [à] mesure que la technologie évolue, la [rémunération] pourrait également s’étendre à de nouveaux produits et services » (notre traduction)187. 88. Il s’agirait ainsi d’une adaptation du régime de rémunération pour copie privée pour lequel l’article L.311-4 dispose que : La rémunération [pour copie privée] est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3º du I de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports. Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d'enregistrement qu'il permet.188 A titre d’illustration, un nouvel article du code de la propriété intellectuelle pourrait disposer que : La rémunération [pour la licence obligatoire] est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3º du I de l'article 256 bis du code général des impôts, de produits utilisables pour la reproduction numérique et la communication au public d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces produits, ainsi que par le prestataire de services permettant cette communication au public. Le montant de la rémunération est fonction du type de produit et de service. 89. Il est cependant entendu que tous les produits et services répondant à cette définition ne doivent pas faire supporter la rémunération à leurs fabricants, prestataires, importateurs ou acquéreurs intracommunautaires. De même, tous n’y participeront pas à même proportion. Un accès Internet à haut débit dont l’on sait qu’il est presque essentiel à l’utilisation de réseaux Peer-to-Peer donnera probablement davantage lieu à rémunération qu’un simple disque dur dont l’utilisation est variée. Il faut donc déterminer avec soin les produits et services visés ainsi que les taux de rémunération auxquels ils ouvrent droit. façon discriminatoire les fournisseurs d’accès à Internet, alors que bien d’autres fournisseurs de produits et services bénéficient du partage d’œuvres musicales sur Internet. 187 Ibid. 188 Art.L311-4 du CPI. 44 b – la désignation d’une commission chargée d’établir les taux de rémunération 90. Pour cette mission, le régime de rémunération de la copie privée prévoit que « les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l’Etat »189, et composée de façon paritaire, avec pour moitié les représentants des titulaires de droit d’auteurs, et pour autre moitié les représentants des consommateurs et des industriels. 91. On voit ainsi par ce mode de composition que la volonté du législateur est d’établir une négociation équilibrée190 entre ceux qui perçoivent la rémunération, et ceux qui en sont débiteurs directs (les fabricants et importateurs de supports) et débiteurs finaux (les consommateurs). Ca n’est qu’en cas de partage des voix que le président a voix prépondérante pour arrêter la décision de la commission191. 92. La création d’une telle autorité administrative indépendante est essentielle pour assurer une réactivité du régime aux développements technologiques et industriels ainsi qu’à l’évolution des usages de consommation192. Il faut en effet que la rémunération s’adapte aux nouveaux supports et à leur utilisation pour refléter au mieux les réalités sociotechniques193. 93. Le mode de rémunération qui assurerait la perception d’une rémunération adaptée devrait suivre ce modèle et ainsi donner lieu à la création d’une commission sui generis. Notons qu’aux Etats-Unis, le Copyright Office pourrait arbitrer les taux de 189 V. art.L.311-5 du CPI. On pourra cependant mettre en doute le parfait équilibre des négociations lorsque l’on remarque le risque de division des voix. 11 groupements différents représentent les consommateurs et les marchands, alors que 4 seulement, dont 2 bénéficient solidement de 5 voix, représentent les ayants droits. V. arrêté du 24 février 2003 (J.O. n°53 du 4 mars 2003, p.3801). 191 V. art.L.311-5 al.3 du CPI. 192 V. sur ce point le quatrième considérant de la décision n°1 de la Commission Brun-Buisson du 4 janvier 2001. 193 On s’étonnera à ce titre que la disquette « 3 pouces et demi » permettant de ne stocker que 1,44Mo de données, dont l’utilisation est de plus en plus abandonnée, ait été ajoutée dans une décision du 2 juillet 2003 ! (J.O n°151 du 2 juillet 2003 à la p. 11121). 190 45 rémunération pour chaque catégorie de services et produits déterminés194, alors qu’au Canada, cette charge serait confiée à la Commission des droits d’auteur, qui arbitre d’ores et déjà les taux de la rémunération pour copie privée195. 94. La plus grande différence entre la commission pour copie privée et la commission qui serait instituée dans le cadre d’une licence obligatoire pour Internet réside dans les critères de fixation des taux de rémunération pour les différents produits et services visés. Concernant la copie privée, l’article L.311-4 du code de la propriété intellectuelle pose une règle simple : « le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d’enregistrement qu’il permet »196. Or la durée d’enregistrement est un critère évidemment non pertinent lorsque l’on souhaite imposer une rémunération, par exemple, à des fournisseurs d’accès à Internet. Un nouveau critère plus subtile doit donc être calculé : la part de la valeur du bien ou du service due à la diffusion des œuvres sur Internet. 95. A l’image de la commission pour copie privée, la commission désignée pour la licence obligatoire devra être paritaire, et cette exigence est d’autant plus importante qu’en raison de la subtilité du critère appliqué, les négociations seront difficiles. Elle établira les taux de rémunération à percevoir pour chaque catégorie de produits et services ajoutés par la commission, ainsi que les modalités de versement, directement dépendante de la façon dont est organisée la perception de la rémunération. 2 – La perception organisée de la rémunération a – le rôle central des sociétés de gestion collective 96. De façon très théorique, chaque ayant droit à la rémunération pourrait aller voir les commerçants (fabricants, importateurs ou acquéreurs intracommunautaires) et exiger la part qui lui est due. Evidemment, une telle approche serait beaucoup trop lourde à 194 V. Netanel, op.cit, à la p.44. V. Loi sur le droit d’auteur (Canada), art.66 et s, 81 et .s, et à titre d’illustration, v. la décision Copie Privée 2003-2004, disponible en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/c12122003-b.pdf>. 196 Art.L.311-4 al.2 du CPI. 195 46 gérer, et sans aucun doute irréalisable. C’est pourquoi il faut accorder un rôle central aux sociétés de gestion collective dont la mission est déjà depuis plus de deux siècles de s’occuper de ce genre de perceptions. Ces sociétés seront les « créanciers ‘intermédiaires’ en ce sens qu’elles perçoivent pour ensuite répartir la rémunération »197. 97. Concernant la rémunération pour copie privée, l’article L.311-6 du code de la propriété intellectuelle dispose ainsi que « la rémunération prévue à l’article L.311-1 est perçue pour le compte des ayants droit par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du présent livre »198, c’est-à-dire par des sociétés de perception et de répartition des droits. La société SORECOP perçoit ainsi la rémunération de la copie privée sonore, tandis que COPIE FRANCE perçoit au titre de la rémunération pour copie privée audiovisuelle. 98. Là encore, la rémunération prévue par le régime de licence obligatoire sera plus efficacement perçue si les sociétés de gestion et de répartition des droits s’en voient confiées la charge. Forte de son expérience, la société SORECOP devrait logiquement étendre ses attributions pour percevoir cette nouvelle rémunération. La SORECOP, créée spécialement en 1985, est une société commune à la SDRM (laquelle est ellemême une société commune de la SACD, la SCAM et la SACEM), l’ADAMI, la SPEDIDAM, la SCPP et la SPPF199. Les sommes perçues par la SORECOP sont donc réparties entre ces différents associés, avant d’être redistribuées aux ayants droit finaux. b – la difficile question des sommes réservées aux actions culturelles 99. C’est le code de la propriété intellectuelle qui établit les clés de répartition pour la rémunération perçue au titre de la copie privée. L’article L.311-7 indique ainsi que « la rémunération pour copie privée des phonogrammes bénéficie, pour moitié aux auteurs au sens du présent code, pour un quart aux artistes interprètes et pour un quart 197 Ch. Caron, « Rémunération pour copie privée », op.cit, au n°20. Art.L311-6 al.1 du CPI. 199 Pour une tableau des différentes sociétés de perception et de répartition des droits en France, v. en ligne : <http://www.culture.gouv.fr/culture/cspla/sprdliste.pdf>. 198 47 aux producteurs »200. Les sommes perçues par la SORECOP sont donc réparties comme suit : - 50% à la SDRM (SACD, SCAM, SACEM) pour les auteurs - 25% à l’ADAMI et la SPEDIDAM pour les artistes interprètes - 25% à la SCPP et la SPPF pour les producteurs 100. Cependant, l’article L.321-9 1° du code de la propriété intellectuelle exige que 25% des sommes provenant de la rémunération pour copie privée doivent être utilisées à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes. De même, sont réservées à ces actions culturelles l’ensemble des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée, mais « qui n’ont pu être réparties, soit en application des conventions internationales auxquelles la France est partie, soit parce que leurs destinataires n’ont pas pu être identifiés ou retrouvés avant l’expiration du délai prévu au dernier alinéa de l’article L.321-1 »201. 101. Si en principe, le ministère de la culture est chargé de vérifier le montant et l’utilisation de ces sommes202, en pratique force est de constater que grande souplesse est donnée dans l’interprétation des actions que peuvent financer les sociétés au titre de l’article L.321-9. Un rapport resté très confidentiel de la cour des comptes de février 1997 en avait d’ailleurs révélé les travers203. 102. Le principe de ces 25% alloués aux actions culturelles est déjà très contesté204, mais c’est peut-être plus encore l’allocation des « irrépartissables » qui provoque le plus de remous. Par exemple, les artistes interprètes et producteurs américains dont les œuvres ne sont pas « fixées pour la première fois en France » 205, ne bénéficient pas du principe du traitement national disposé dans la Convention de Rome, à laquelle les 200 Art.L311-7 du CPI. V. art.L.321-9 2° du CPI. 202 V. art.L.321-10 du CPI. 203 Rapport d’audit Bolliet/Beck de février 1997 (audit de l’ADAMI). 204 Le Sénateur Michel Charasse, qui a fait instituer une commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, se demandait ainsi à propos de la règle des 25% « ce qu’on entendrait si on imposait les chercheurs sur leurs salaires pour financer la recherche ». (voir interview en ligne : <http://fr.peoplesound.com/news/interview/charasse1.htm>. 205 V. art.L.311-2 du CPI. 201 48 Etats-Unis ne sont pas signataires206. Pourtant, la SORECOP perçoit les rémunérations pour ces œuvres qui n’y ont droit (ils étaient 54% en 2000, selon la SACEM207). Aussi en résultat, « moins de 50% de la rémunération est répartie aux légitimes ayants droits »208. 103. Dès lors, si l’on souhaite se servir comme modèle du régime de rémunération de copie privée dans la création d’une licence obligatoire pour la diffusion des œuvres sur Internet, il est essentiel de prendre en compte ces imperfections et de les corriger. Mieux vaut sans doute réduire l’assiette de la redevance que de percevoir indûment au nom de titulaires qui n’auraient droit à leur légitime rémunération, et ne pas inclure la rémunération due à la licence obligatoire dans la règle des 25%. B – Une répartition équitable de la rémunération 104. Une fois l’assiette de la rémunération établie et versée au niveau macro économique, il faut encore s’intéresser au niveau micro-économique, c’est-à-dire à la redistribution de ce fond entre l’ensemble des titulaires de droits. Rappelons que le troisième test209 exige que le régime imposé à l’auteur par l’Etat ne porte pas préjudice de façon injustifiée à ses intérêts légitimes. Il faut donc trouver un mécanisme qui permette de répartir la rémunération entre les auteurs de façon équitable. 105. En théorie, si l’on prend exemple sur le régime de rémunération pour copie privée, la rémunération doit être répartie entre les ayants droit par les sociétés de gestion collective « à raison des reproductions privées dont chaque œuvre fait l’objet »210. Même si les technologies qui s’appuient sur le réseau Internet permettent d’atteindre un niveau de précision bien plus élevé en la matière, il n’en reste pas moins 206 Sur la question des irrépartissables étrangers, v. P.-Y. Gautier, Propriété Littéraire et Artistique, 4e ed., PUF, coll. Droit Fondamental, 1991, au n°165. V. également A. et H.-J. Lucas, Propriété littéraire et artistique, 2e ed., Litec 2001, n°708. 207 V. rapport parlementaire de Didier Migaud du 13 décembre 2001 sur « la rémunération pour copie privée ». Disponible en ligne : <http://www.assemblee-nat.fr/rap-info/i3466.asp>. 208 André Bertrand, op.cit., à la p.72. 209 V. test des trois étapes, supra au n° 64. 210 V. art.L.311-6 du CPI. 49 qu’il est impossible de compter très exactement le nombre de reproductions de chaque œuvre. De plus, comme nous le verrons, le critère du nombre de reproductions n’est pas satisfaisant dans le cadre d’Internet. 106. Aussi comme l’indique Fisher, qui propose une très bonne analyse du problème, « notre objectif serait de rendre la part du pot de chaque artiste proportionnelle à la valeur totale que les consommateurs, durant une année donnée, ont tiré de sa création » (notre traduction)211. Toute la difficulté étant bien sûr de déterminer cette valeur. Quoi de plus incertain et subjectif en effet que la valeur d’une œuvre artistique ? Dès lors, il faut trouver des moyens détournés permettant d’estimer cette valeur de la manière la moins préjudiciable possible pour l’ensemble des créateurs. 107. Dans cette optique, il semble qu’exiger l’enregistrement des œuvres aurait de nombreux avantages pour fiabiliser le mode de répartition (1). De plus, un tel système assurerait une protection accrue de l’artiste (2). 1 – Un mode de répartition fiable a – une précision croissante de la répartition 108. La première méthode envisagée pour tenter de mesurer la valeur accordée par les internautes à une œuvre serait de compter le nombre de téléchargements effectués, et de rémunérer les titulaires des droits en conséquence. On serait alors très proche du système actuel où les auteurs et producteurs sont rémunérés en fonction du nombre de ventes de leur CD. Seulement cette façon de rémunérer les créateurs, déjà imparfaite actuellement, n’aurait aucun sens sur Internet avec les téléchargements. Enormément d’internautes téléchargent des fichiers MP3 qu’ils n’écoutent que très rarement, voire jamais. L’usage du P2P comme outil de « sampling » (télécharger un morceau pour le découvrir la première fois) est très répandu. De plus, le téléchargement étant gratuit, il serait très facile de tricher en programmant une série de téléchargements depuis son propre ordinateur ou depuis un réseau. 211 Fisher, Supra note 150 à la p.35. 50 109. La méthode la plus simple actuellement serait donc de s’en remettre au système de sondage déjà éprouvé pour la copie privée ou la licence légale. « C'est pour tenter d'atteindre [une rémunération proportionnelle à la diffusion réelle de l’oeuvre] que les sociétés de gestion vont utiliser les sondages, les enquêtes, recenser les diffusions, étudier la composition des génériques, classer les artistes, etc. »212. Cette tâche d’ordinaire très difficile est rendue plus accessible et précise dans l’environnement Internet. L’ensemble étant entièrement numérisé et automatisé, il serait possible d’obtenir un grand échantillon d’individus pour obtenir des résultats le plus précis possible213, en les choisissant néanmoins au hasard et alternativement pour réduire les risques de tricherie. Plus l’échantillon est important, plus les chances sont grandes de couvrir l’ensemble des artistes dont les œuvres sont téléchargées et échangées sur Internet. Cependant bien que les techniques statistiques déjà employées par exemple par Nielsen semblent donner des résultats précis214, il est évident que le progrès technologique devra conduire les sociétés de gestion à adopter un système de répartition de plus en plus basé sur le nombre d’écoutes et de visionnages effectifs des œuvres. Seul ce système permettra de garantir une véritable « rémunération équitable » telle que demandée par les traités internationaux. 110. Néanmoins, pour automatiser les systèmes de comptabilisation du nombre de lectures des œuvres, chaque œuvre numérisée devra se doter d’un dispositif qui permettra d’identifier l’œuvre musicale lue et ainsi d’en rapporter la lecture. Certaines technologies existantes pourraient venir à l’appui d’un système basé sur le nombre d’écoutes d’une œuvre215. On peut par exemple marquer l’empreinte numérique d’un fichier pour le reconnaître à la volée216, ou utiliser un numéro d’identification inclus directement dans le fichier MP3 créé et distribué par l’artiste ou le producteur. Le dispositif de lecture utilisé rapporterait alors à un serveur de comptabilisation qu’il est entrain de lire l’œuvre. 212 Ch.Caron, supra note 121, au n°23. Pour une illustration jurisprudentielle, v. CA Paris, 8 janv. 1991 : RIDA 1991, n° 148, p. 142. 213 A condition d’apporter des garanties suffisantes de protection de la vie privée. V. Netanel, supra note 147 à la p.55. 214 V. Fisher, supra note 150 à la p.40. 215 V. Netanel, Supra note 147 à la p.54. 216 A titre d’illustration, v. Audible Magic <http://www.audiblemagic.com/>. 51 111. Ce dernier système basé sur un numéro unique est sans doute le plus simple à gérer techniquement, et connaît déjà une certaine réalité217. Il appelle en tout cas à se pencher sur la question d’un enregistrement des œuvres auprès d’une autorité qui délivrera ledit numéro unique. b – la mise en place d’un enregistrement des oeuvres 112. S’il semble hérétique chez les défenseurs du droit d’auteur de prôner la création d’une nouvelle licence obligatoire, qui plus est si large, il l’est encore plus d’avancer l’idée qu’exiger l’enregistrement des œuvres serait bénéfique à la protection des auteurs. La Convention de Berne a toujours appelé à une protection per se des œuvres218, et cette solution est celle du code de la propriété intellectuelle qui dispose, comme nous l’évoquions en première partie, que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (nos italiques)219. 113. Pourtant, cette conception continentale n’a pas toujours été universellement admise. Il n’en a pas toujours été ainsi par exemple aux Etats-Unis, où l’on n’accordait protection qu’aux œuvres déposées auprès du Copyright Office et marquées comme telles (par le fameux signe ©). L’adhésion des Etats-Unis à la Convention de Berne en 1989 a provoqué l’abandon de cette exigence220, mais certains le regrettent amèrement221. Le système avait en effet l’avantage de démontrer clairement quelles œuvres pouvaient être utilisées librement, et quelles autres nécessitaient autorisation. 114. Revenir vers un système d’enregistrement aurait pour notre proposition de licence obligatoire d’autres avantages plus pragmatiques. Il permettrait comme nous le disions d’identifier les œuvres grâce à un numéro délivré par une autorité centrale au lieu de fixation de l’œuvre (aux Etats-Unis, il s’agirait du Copyright Office, au Canada de la 217 Il existe déjà un système volontaire international d’identification des œuvres numériques, le DOI (Digital Object Identifier), qui reprend le principe des cotes ISBN de bibliothèques. 219 Art.L.111-1 al.1 du CPI. 220 Pour plus d’information, voir P.-Y. Gautier, supra note 205, à la p.189 (note 1). 221 V. par exemple l’ouvrage de Lawrence Lessig, Free Culture, The Penguin Press, New York, 2004, au chapitre 14. Disponible en ligne sous licence Creative Commons : <http://www.freeculture.cc/freeculture.pdf>. 52 Commission des Droits d’auteur), voire même par les sociétés de gestion collective, selon un standard de numérotation commun à toutes. Mais ce numéro permettrait également de faciliter la rémunération due au titre d’œuvres dérivées, comme nous le verrons en fin d’étude222. 115. Enfin, un régime d'enregistrement pourrait limiter le montant de la rémunération à verser par les professionnels en limitant le total de la juste rémunération à percevoir. Toutes les oeuvres non enregistrées seraient réputées « dans le domaine public d'Internet » et ne donneraient donc droit à rémunération pour leurs auteurs223. Cependant, l'on pourrait se servir de l’enregistrement dans un sens totalement contraire qui faciliterait paradoxalement la conformité du régime aux conventions internationales. Le numéro délivré par l'autorité d'enregistrement pourrait désigner aux systèmes informatiques les œuvres dont les auteurs ont accepté la libre diffusion en contrepartie de la rémunération fixée224. Toutes les autres œuvres, a contrario, seraient réputées exclues du système et continueraient de bénéficier des dispositions actuelles du droit d’auteur. Que l'on soit en faveur de l'une ou de l'autre de ces conceptions, l'enregistrement, lui, semble nécessaire en toutes hypothèses. 2 – Une protection accrue de l'artiste a – la désignation des bénéficiaires 116. On a beaucoup glosé sur le sort des artistes dans la façon dont toute l'industrie culturelle est organisée actuellement. Les pratiques contractuelles, le plus souvent imposées sans grandes négociations aux auteurs et artistes interprètes, ne sont que très rarement (pour ne pas dire jamais) en leur faveur225. Le droit d'auteur, pourtant censé protéger les intérêts de ceux qu'il vise traditionnellement (les auteurs), semble éloigné de ces préoccupations au nom du principe de la liberté contractuelle. 222 V. infra, au n°123. En faveur de la création d'un « domaine public d'Internet » par l'exigence d'un enregistrement, v. Fisher, supra note 150, aux p.7 et s. 224 En faveur de l'amènagement d’une possibilité d’opt-out pour les auteurs, v. Jessica Litman, supra note 69, aux p.30 à 34. 225 Pour une couverture détaillée des pratiques contractuelles dans le secteur de l'industrie du disque, v. Richard Shulenberg, Legal Aspects of the Music Industry, Billboard Books, New York, 1999. 223 53 117. Le régime de la copie privée fait tout de même exception à cette règle en indiquant des clés de répartition claires entre les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs. L'article L.311-7 du code de la propriété intellectuelle dispose ainsi que « la rémunération pour copie privée des phonogrammes bénéficie, pour moitié, aux auteurs au sens du présent code, pour un quart, aux artistes-interprètes, et pour un quart, aux producteurs »226. En chiffres, les auteurs reçoivent donc 50% de la rémunération contre 25% aux producteurs, lorsque les accords contractuels avec les producteurs n'accordent aux auteurs et interprètes que rarement plus de 10% des revenus issus des ventes de phonogrammes. 118. De même, le régime de régime équitable pour la licence légale disposée à l'article L.214-1 du code la propriété intellectuelle prévoit un partage égal de la rémunération entre les artistes interprètes et les producteurs. 119. Le système de licence obligatoire pour la diffusion des oeuvres sur Internet devra probablement s'inspirer d'une telle protection des intérêts patrimoniaux des artistes. Toutefois si certains témoignent d’une certaine rancœur contre l’industrie du disque et souhaiteraient qu’un système de licence obligatoire ne rémunère que les créateurs et non leurs producteurs227, il nous semble exagérer d'écarter ainsi de la rémunération ceux qui permettent aux artistes d'enregistrer leurs oeuvres et d'en faire la promotion. Des clés de répartition juste devront être fixées après avoir étudié leurs conséquences économiques sur chacune des parties, ce qui n'est pas ici l'objet de notre étude. b – le sort des oeuvres dérivées 120. Dans un environnement où l'accès et la diffusion des oeuvres est totalement libre, il peut sembler absurde de refuser que ces oeuvres soient employées par d'autres pour adaptation228. Contrairement au droit canadien qui fait expressément mention de droits 226 Art.L.311-7 al.1 du CPI. V. par ex. l'avis de Jessica Litman, supra note 69 à la p.24. 228 Ce qui, de toute façon, est déjà une pratique courante puisque l'oeuvre créée sans autorisation peut facilement être diffusée sur Internet. V. à titre d'illustration le cas du Grey Album, créé depuis l'album White des Beatles, et diffusé par des centaines de sites Internet après que EMI ait refusé d'accorder le droit d'adaptation : <http://www.greytuesday.org/>. 227 54 exclusifs d'adapter une oeuvre229, « curieusement, le code de la propriété intellectuelle ne dénomme ni ne réglemente le droit d'adaptation en tant que tel, comme il le fait par exemple pour le droit de reproduction »230. Seule mention est faite de l'oeuvre composite définie comme « l'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière »231. Il faut donc considérer le droit d'adaptation, en France, comme faisant partie intégrante des droits patrimoniaux. 121. Mais avant tout, l'oeuvre dérivée (ou composite) risque d'entrer en conflit avec les droits moraux de l'oeuvre princeps. L'auteur jouit, on le sait particulièrement bien en France, du droit au respect de son oeuvre232. Nulle licence obligatoire ne saurait retirer à l'auteur ce droit qui protège, au delà de l'oeuvre, sa propre personnalité. 122. Au delà, « les auteurs d'adaptations des oeuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par [le code de la propriété intellectuelle] », mais ce « sans préjudice des droits de l'auteur de l'oeuvre originale »233. Toute la problématique d'intégrer le droit d'adaptation aux droits cédés par la licence obligatoire réside donc dans la préservation pour l'auteur de l'oeuvre originale, de ses droits moraux d'une part, et de ses droits patrimoniaux d'autre part. 123. Cette problématique nous ramène à celle étudiée plus tôt d'un possible système d'enregistrement des oeuvres234. En effet, relativement aux droits moraux d'une part, l'on peut imaginer que le titulaire des droits de l'oeuvre originale actionne la personne morale chargé d'enregistrer l'oeuvre dérivée et que celui-ci, en cas d'atteinte manifeste au respect de l'oeuvre, bloque la délivrance du numéro d'identification. Ensuite, relativement au droit patrimoniaux, l'auteur de l'oeuvre dérivée aurait obligation lors de l'enregistrement d'indiquer à l'organisme les numéros d'identification des oeuvres originales utilisées pour sa propre composition. Ceci permettrait de s'assurer que les titulaires des oeuvres employées en soient équitablement rétribués. 229 V. art.3(1) de la Loi sur le droit d'auteur. P.-Y. Gautier, supra note 206, à la p.554. 231 Art.L.113-2 al.2 du CPI. 232 V. art.L.121-1 al.1 du CPI. 233 V. art.L.112-3 al.1 du CPI. 234 V. Supra, aux n°112 et s. 230 55 124. Ici encore, la question de la rémunération équitable nous ramène au délicat problème de l'appréciation du critère à employer. Une règle prédéterminée en la matière est à exclure. La part de l'oeuvre originale employée dépend considérablement de l'oeuvre composite créée. On a pu suggéré à cet effet que c'est l'auteur lui-même qui devrait indiquer la part de l'oeuvre originale qu'il a utilisé dans son oeuvre composite235. Ajoutons qu'une solution pourrait être de donner la possibilité aux ayants droit des oeuvres originales de contester la répartition par un système d'arbitrage inspiré de ce qui se fait déjà pour les noms de domaine236 ■ 235 V. Fisher, Supra note 150, à la p.52. La procédure UDRP (Uniform Domain-Name Dispute-Resolution Policy)place à la charge de celui qui se prétend violé dans ses droits la démonstration du bien fondé de sa demande. Un arbitre ou un collège arbitral peut alors corriger l'assignation du nom de domaine. Le demandeur est également toujours celui qui paye les frais d'arbitrage, ce qui évite les procédures abusives. V. en ligne : <http://www.icann.org/udrp/udrp.htm>. 236 56 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES • Bertrand A., La musique et le droit de Bach à Internet, Paris, Ed. Litec, 2002. • de Broglie G., Le droit d'auteur et Internet, Paris, Ed. PUF, 2001. • Ficsor M., The Law of Copyright and the Internet – The 1996 WIPO Treaties, their interpretation and implementation, New York, Ed. Oxford University Press, 2002. • Gautier P.-Y., Propriété Littéraire et Artistique, 4e éd., Paris, Ed. PUF, 2001. • Geist M., Internet Law in Canada, 3e éd., Concord, Ed. Captus Press, 2002. • Lessig. L., Free culture, New York, Ed. The Penguin Press, 2004. • Lessig. L., The Future of Ideas, New York, Ed. Vintage, 2001. • Lucas A., Propriété Littéraire et Artistique, 2e éd. Paris, Dalloz, 2002. • Lucas A. et H.-J., Propriété littéraire et artistique, 2e ed., Paris, Litec 2001. • Pontier J.M., Ricci J.-C, Bourdon J., Droit de la culture, 2e éd., Paris, Ed. 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Convention – de Berne, 55, 59, 63, 64, 73, 83, 112. de Rome, 83. Cour Suprême – du Canada, 15. – des Pays-Bas, 32. Cryptage, 11, v. également Mesures de protection technique. – D- Directive « sur les droits d'auteur et les droits voisins », 11, 64, 78, 83. Directive « de renforcement des droits de propriété intellectuelle », 9. DivX, 2. Domaine public – accès au, 44. – d'Internet, 45. Dons, 49. Droit d'auteur – adaptations, v. oeuvres dérivées.. balance du, v. équilibre du droit d'auteur. équilibre du, 10, 15, 16. exceptions au, 39, 44, 78. exclusifs, 20, 36, 39, 51, 73. objectifs du, 20. origines du, 20. protection par le, 20, 21, 39. simplification du, 74. DRM (Digital Rights Management), v. Mesures de protection technique. Droit moral, 121-123. Droits voisins, 53. – – – – – – – – – E- Edition – Filtre traditionnel de, 20. – Multiplication de, 21. Enregistrement – Avantages, 11', 115, 123. – Conformité aux accords internationaux (non), 112. – Conformité aux accords internationaux (oui), 115. EUCD, v. Directive sur les droits d'auteur et les droits voisins. – H- Hébergeurs, Responsabilité des, 7. – I- IFPI, International Federation of the Phonographic Industry. – Poursuites, 4. Information – accès libre à, 27. – assimilation des oeuvres à, 11, 27, 29. Internet – spéficitifés, 21. activités sur, 22. IP, adresses – données personnelles, 6. IP Enforcement Directive, v. Directive de renforcement des droits de propriété intellectuelle. 59 – L- LEN, v. Loi sur la confiance dans l'économie numérique. Licence légale, 51, 53, 55. Licence obligatoire – Alternatives à, 48-49. – Champ d'application, 62-76. – Commission, 90-93, 95. – Conformité au droit international, v. test des trois étapes. – Droits accordés, 72-76. – Oeuvres visées, 62-71. – Principe, 13, 50 – Rémunération pour, 83-89, 94. Licences – de copyleft, v. copyleft Loi « sur la confiance dans l'économie numérique » (LEN), 7. – M- Marché économique du disque, 3, 80, 85. Mesures de protection technique (MPT) – Contrôle par les, 16, 40. – Dérives par les, 44-46. – Fiabilité (non), 41. – Protection des, 19, 42, 43, 45. MP3, 2, 19, 32. Musique en ligne – Disponibilité, 29. – Plateformes légales de, 18, 19. – N- Napster, 31. – O- Oeuvres – catégories, 63, 66, 67, 70. – communication au public, 51, 75. – dérivées, 76, 120-124. – diffusion, 75. – mise à disposition, 35, 36. – protection, 20, 112. – télédiffusion, 75. OMPI, Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. – Accords, 11, 35, 42, 64, 75. – P- P2P, v. Peer-to-Peer. Peer-to-Peer (P2P) – Effets du, 27. – Légalité des partages, 33, 61. – Pérénité des services, 38. – Pousuites contre les services de, 31. – Principe du, 1. – Types de réseaux, 31. Poursuites – contre les services P2P, 31, 32. – contre les utilisateurs, 4, 33, 38. Piraterie – chiffres de la, 2. – plan d'action contre la, 5. – sanctions, 8, 9. – R- Radiodiffusion, 51-55. Rémunération équitable, 83-85, 118. Réseaux – Peer-to-Peer, v. Peer-to-Peer – Sociaux, 37. Répartition, de la rémunération – critères, 108-110, 124. – détermination, 117 – principe, 105. Res communes, 28. RIAA, Recording Association of America. – Membres de la, 3. – Poursuites par la, 3, 31. – S- SACEM, v. Sociétés de gestion collective SNEP, Syndicat National des Editeurs. Phonographiques – Campagne du, 4. Sociétés de gestion collective – autorisations par les, 52, 54. – perceptions par les, 59, 97. – Rôle des, 96. – T- Trois étapes, test des, 64, 78-79, . – U- Upload, 35, 75. – W- WPPT, WCT, v. accords de l'OMPI. 60