Manet chroniqueur : scènes de la vie parisienne
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Manet chroniqueur : scènes de la vie parisienne
Manet chroniqueur : scènes de la vie parisienne Alexandre CABANEL-Portrait de l'Empereur Napoléon III-1865-230x171-Compiègne, m nat château de Compiègne Ce portrait de Napoléon III vient ici pour nous souvenir que l’essentiel de l’œuvre relatif aux scènes parisiennes se place sous le règne de l’empereur. Il s’agit de son dernier portrait officiel. A la fois majestueuse et familière, selon le vœu de l'impératrice Eugénie ellemême, cette effigie renouvelait le genre. Elle figure Napoléon III dans le cadre luxueux du grand cabinet de Napoléon Ier aux Tuileries, le manteau d’hermine brodé d’abeilles d’or et les regalia - couronne impériale, sceptre et main de justice - disposés derrière lui. Cependant, il est vêtu non plus de l’uniforme de général de division, mais d’un habit noir barré du grand cordon de la Légion d’honneur, avec culotte à la française et bas de soie. Cette tenue de cour et le naturel de sa pose confèrent à l’Empereur une distinction très moderne. Franz Xaver WINTERHALTER-L ‘Impératrice Eugénie entourée de ses dames d'honneur-1855-295x420-Compiègne, musée national d château de Compiègne Composition commandée pour l'Exposition universelle de 1855, vraisemblablement par l'impératrice Eugénie sur sa cassette personnelle, ce grand portrait collectif met en scène la souveraine et les dames de sa Maison, chargées de la seconder : la princesse d’Essling, grande maîtresse, à sa droite, la comtesse de Bassano, dame d’honneur, à sa gauche, et les six dames du Palais, la baronne de Pierres, la vicomtesse de Lezay-Marnésia, la comtesse de Montebello, la baronne de Malaret, la marquise de Las Marismas et la marquise de La Tour-Maubourg, de gauche à droite. Parmi ses compagnes, elle apparaît rayonnante et affiche une certaine simplicité. On estima surtout qu'elle manquait de majesté. Peut-être était-ce l'indice d'une certaine modernité. Eugène LAMI-Souper à Versailles en l'honneur de la reine d'Angleterre, le 25 août 1855-1855-aquarelle-48,5x66,5Versailles, musée national du château de Versailles Napoléon III et l’impératrice Eugénie séjournèrent pour la première fois en Angleterre du 16 au 22 avril 1855. Ils furent reçus au château de Windsor et, le 18 avril, la reine Victoria décora l’empereur de l’ordre de la Jarretière. Cette première rencontre des souverains français et britanniques fut un réel succès diplomatique, et très vite s’imposa l’idée d’une visite officielle de la reine d’Angleterre en France. La tenue de l’Exposition universelle à Paris en 1855 pouvait en être l’occasion privilégiée et, le 18 août, l’empereur Napoléon III accueillait la reine Victoria et le prince Albert de Saxe-Cobourg à Boulogne-sur-Mer. Le couple britannique fut reçu au palais de Saint-Cloud. L’impératrice Eugénie avait personnellement veillé à l’aménagement des appartements royaux, où tout devait rappeler à la reine sa résidence de Windsor. Le séjour de la souveraine fut ponctué de nombreuses cérémonies officielles, de visites et de divertissements : visite du Salon des beaux-arts et de l’Exposition universelle, du château de Versailles, du Louvre, du palais des Tuileries, du château de Saint-Germain-en-Laye ; réception et banquet à l’hôtel de ville de Paris ; soirée à l’Opéra ; fête nocturne, souper et bal à Versailles. Le 27 août 1855, la souveraine quitta la France enthousiasmée de l’accueil chaleureux qu’elle y avait reçu, séduite par la forte personnalité de Napoléon III et conquise par les attentions amicales de l’impératrice Eugénie. Elle représente le souper donné le 25 août 1855 en l’honneur de la souveraine dans la salle de l’Opéra du château de Versailles. Le dîner fut servi entre la première et la seconde partie du bal. La table avait été dressée pour quatre cents convives. Ils soupèrent au parterre et sur la scène, au milieu des fleurs, à la lumière des candélabres, au son d’un orchestre invisible. Les couples impérial et royal, la princesse Mathilde et le prince Napoléon, son frère, avaient pris place dans la loge d’honneur, ainsi que les petits princes britanniques. Dans son journal la reine Victoria écrivit : « Il est merveilleux que cet homme, envers lequel nous n’étions certainement pas particulièrement bien disposés, soit arrivé par la force des circonstances à se lier si intimement avec nous et à devenir un mai personnel » . C’est bien le début de l’entente cordiale quarante ans après Waterloo. La visite officielle de la reine Victoria en France est le signe tangible qu’une page de l’histoire des relations franco-anglaises a été tournée : l’Angleterre n’est plus l’ennemi héréditaire. Gustave BOULANGER-La Répétition du Joueur de flûte dans l'atrium de son altesse le Prince Napoléon-1861Versailles, musée national du château de Versailles La maison pompéienne rêvée pour la comédienne Rachel par le prince Napoléon-Joseph (1822-1891), cousin germain de Napoléon III et frère de la princesse Mathilde, fut élevée entre 1855 et 1860 avenue Montaigne, à l'emplacement du pavillon des beaux-arts de l'Exposition universelle de 1855. L'ensemble, complet, correspond exactement au goût pour l'Antiquité. Edouard Manet s’inscrit donc par sa situation de grand bourgeois dans un monde où paraître est une obligation, un devoir mais aussi un plaisir ou un divertissement. Edouard MANET-La Musique aux Tuileries-1862-76x118-Londres, The National Gallery « À cette époque, rapporte Théodore Duret, le château des Tuileries où l’empereur tenait sa cour était un centre de vie luxueuse qui s’étendait au jardin. La musique qu’on y faisait deux fois par semaine, attirait une foule mondaine et élégante ». Duret, in Histoire d’Edouard Manet et son œuvre 1902. Manet allait presque chaque jour aux Tuileries pour ses études en plein air, souvent en compagnie de Charles Baudelaire. Ce tableau, peint en atelier, est le produit de ces études dessinées et aquarellées et est l’image même de cette société élégante du second Empire que Manet a groupé sous les arbres, les femmes généralement assises et les hommes debout. L’orchestre invisible est certainement à la place du spectateur. L’identification des personnages a été rendue possible grâce au travail de l’historien allemand Julius Meier-Graefe en 1912 (E Manet). On distingue, de gauche à droite, un premier groupe de personnages masculins parmi lesquels son ancien compagnon d'atelier Albert de Balleroy, Zacharie Astruc (assis), Charles Baudelaire debout, et derrière Baudelaire, à gauche : Fantin-Latour. Parmi les hommes, Manet a placé son frère Eugène, Théophile Gautier, Champfleury, le baron Taylor (inspecteur des musées et passionné d’art espagnol). La première dame habillée en blanc en partant de la gauche est Mme Lejosne, femme du commandant Hippolyte Lejosne chez lequel Manet a fait la connaissance de Baudelaire et Fréderic Bazille. À côté de Mme Lejosne se trouve Mme Offenbach. Au centre, Eugène Manet, légèrement incliné vers la gauche, devisant avec une autre femme et derrière lui Jacques Offenbach. Le peintre s’est lui-même représenté sous les traits du personnage barbu le plus à gauche de la composition. A droite, le personnage qui soulève son haut de forme est Charles Monginot (1825-1900), peinte et ami de Manet. Ce sont certainement ses conversations avec Charles Baudelaire qui venait de rédiger « le peintre de la vie moderne » à propos de Constantin Guys, (écrit fin 1859, début 1860), refusé dans les journaux et publié en 1863) qui sous-tendent le projet de réaliser un tel tableau qui va bien au-delà d’un portrait de groupe. Manet reprend l’idée de Baudelaire de traiter « le spectacle de la vie élégante et des milliers d’existences flottantes qui circulent dans le souterrain d’une grande ville ». Baudelaire poursuit : « la vie parisienne est féconde en sujets poétiques et merveilleux. Le merveilleux nous enveloppe et nous abreuve comme l’atmosphère ; mais nous ne le voyons pas. Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. L’amateur de la vie fait du monde sa famille (…) ; l’amoureux de la vie universelle entre dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité ». Manet faisait preuve ici d’une modernité sans doute plus que dans le déjeuner sur l’herbe ou Olympia car nous avons ici le modèle de la représentation de la vie contemporaine en plein air ou dans des lieux publics populaires. Edouard MANET-Le Bal masqué à l'Opéra-1873-1874-60x73-Washington, National Gallery Dix ans plus tard, il peint ce bal des artistes. Ce n’est pas le fameux bal costumé et masqué qui avait lieu tous les ans à la mi-carême à l’opéra mais bien de celui masqué également qui avait lieu dix jours plus tard. Le bas des artistes de l’opéra de la rue Peletier. 3 Figurez-vous la salle e l’Opéra pleine jusqu’aux combles, les loges garnies de tout ce qu’il y a à paris de jolies actrice, le foyer plein de charmantes jeunes femmes, en costumes charmants ». Manet y assistera et les croquis d’il put prendre lors de cette soirée aboutirent à cette œuvre quelques mois plus tard. On voit ici une assemblée majoritairement masculine, parmi laquelle circules de jeunes femmes, telles des colombines, certaines portant dominos. Des groupes se sont formés dans des attitudes diverses dans une composition rigoureusement horizontale, sous un balcon qui traverse toute la longueur de la toile et d’où émerge une paire de jambes… audace qui annonce celle d’Un bar aux FoliesBergères. Il est possible aussi que le sujet lui ait été inspiré par un ouvrage des Frères Goncourt, une pièce de théâtre intitulée « Henriette Maréchal ». La scène de bal, durant le premier acte, met en place face à face des hommes du monde, aux louis pleins les poches, venus pour s’amuser et trouver à l’opéra des grisettes qui tentent leur chances. Là encore posent ses amis (Emmanuel Chabrier à gauche à cote du Domino), mais il est difficile des les identifier, de même pour les femmes. L’opéra de la rue Peletier fut détruit par un incendie en octobre 1873, au moment où Manet travaillait à ce tableau. Edouard MANET-Les Courses au bois de Boulogne-1872-73x92-Collection particulière Sujet traité également par Degas, les courses sont aussi un lieu de prédilection des mondains. La scène a été en partie peintre sur nature, Manet ayant travaillé au moulin près du champ de course au Bois de Boulogne. Mais il a pu bien évidemment avoir à l’esprit les gravures sportives anglaises aussi bien que le Derby d’Epson de Géricault (1821-91x122-Paris, muse du Louvre). En particulier pour la reprise du galop volant visible dans ce tableau et que nous retrouvons dans ce lui de Manet. Manet avait raconté à Berthe Morisot que ne sachant pas peindre les chevaux, il les imitait sr ceux qui le savaient mieux que lui… les courses sont donc un sujet moderne et nous voyons à l’arrière-plan des voitures pleines de spectateurs qui illustraient ce que Baudelaire décrit comme des campements de voiture. Il n’y au plus de toiles consacrées aux course mais le 10 avril 1879, Manet y pensait encore puisqu’il écrivit au préfet de la Seine pour lui proposer une série de toiles destinées à décorer le nouvel hôtel de ville. « Peindre une série de compositions représentant, pour me servir d’une expression aujourd’hui consacrée et qui peint bien ma pensée, le ventre de paris, avec les diverses corporations se trouvant dans leur milieu, la vie publique et commerciale de nos jours . J’aurai Paris-Halles, Paris-Chemins de fer, Paris-Port, Paris-Souterrain, Paris-Courses et Jardins ». Manet pourtant ne se consacre pas seulement à la représentation du spectacle mondain mais aussi à celui de la rue où à des milieux sociaux moins favorisé. Edouard MANET-La Rue Mosnier aux paveurs-1878-64x80-Cambridge, Fitzwilliam Museum De 1872 à 1878, Manet occupe un atelier au premier étage du 4 rue de st Pétersbourg, dans le quartier de l’Europe. Ses fenêtres donnent sur la rue Mosnier devenue depuis 1884, rue de Berne, et connue à cette date, si l’on en croit Zola dans Nana, comme une rue mal famée. Les paveurs achèvent ici les travaux de la rue qui doit être prête pour l’Exposition universelle de 1878 et la fête nationale du 30 juin 1878. C’est un paysage urbain parisien comme les impressionnistes, Monet ou Pissarro, avec des vues du jardin des Tuileries ou des boulevards, avaient pu en présenter. La rue vue en perspective depuis la fenêtre de l’atelier, avec des personnages non identifiables mais individualisés, soulignant l’empathie sociale pour ceux qui travaillent dans la rue, qui nous rappelle que pendant de nombreuses années Paris fut un chantier permanent. A l’arrière, les fiacres attendent, si l’on en croit toujours Zola, les messieurs en visite galante. Les bacs de gaz signifient bien que Paris est maintenant éclairé avec le gaz. La pancarte de réclame à gauche « sur mesure, les enfants au goût du jour », rappelle que le quartier a des commerces et notamment ceux destinés aux jeunes ! A l’arrière, un camion de déménagement, montre la vie de ces logements… on part, on s’installe… Edouard MANET-Le Café, place du Théâtre Français-v.1877-pastel-1878-32,4x45,7-Glasgow, Burrel Collection Les femmes, une certaine catégorie de femme, les femmes galantes, les théâtreuses, les demi-mondaines, les courtisanes déjà aperçues dans un Bal à l’opéra, vont être l’objet de toiles quelquefois critique… Edouard MANET-Femme dans un tub-1878-pastel-1879-55x45-Paris, musée d'Orsay il s’agit sans doute de Mery Laurent, qui avait commencé sa carrière dans la galanterie en apparaissant quasiment nue sur plusieurs scènes du Second empire et qui aurait pu inspirer le personnage de Nana de Zola. On dit aussi qu’elle aurait été la maitresse de Manet. Ce pastel va certainement inspirer Degas pour une série de femmes au Tub. Edouard MANET-Devant la glace-1876-1877-92,1x71,4-New York, The Solomon Guggenheim dans un registre proche des gravures romantiques sur l’iconographie du corset. Edouard MANET-Nana-1877-154x115-Hambourg, Kunsthalle 15 ans après Olympia, Manet reprend de façon plus claire le thème de la courtisane. Le titre et le sujet de cette œuvre pourraient faire penser à Zola, mais les premiers chapitres du roman n’ont été écrits qu’un an et demi plus tard, à l’automne 1878 et la première parution date d’octobre 1879, en feuilleton dans le journal le Voltaire. Cependant le personnage de Nana apparaît dans l’Assommoir paru dans la République des lettres à l’automne 1876. Le sujet était donc dans l’air, ce thème naturaliste on le retrouve également chez Degas, Toulouse-Lautrec, Constantin Guys, Manet, Zola, les frères Goncourt. Zola n’a donc pas pu inspirer le sujet mais il inspirera le titre. Le critique Félicien Champsaur a résumé dans une lettre du 10 avril 1879 son sentiment sur le tableau : « Quand paru le roman de M. Zola l’Assommoir, M. Manet peignit, en se conformant à l’impression donnée par le livre, une Nana à l’âge de 18 ans, grandie et déjà garce. C’est essentiellement une parisienne, une de ces femmes devenues grassouillettes avec le bien-être, de taille frêle, élégante ou excitante… Depuis Nana a grandi. Elle s’est transformée dans le cerveau de son père, M. Zola, en une fille opulente, blonde, plantureuse, superbe, d’une fraicheur paysannesque ressemblant peu à la Nana de M. Manet. Qui a raison de l’impressionniste ou du naturaliste ? » la Nana de Manet n’est plus la courtisane dramatique d’Olympia, mais une cocotte parisienne assez gouailleuse. Manet a fait poser Henriette Hauser, une jeune actrice protégée du prince d’Orange (qui l’avait surnommée Citron). Le tableau fut refusé au salon mais exposé chez Gisoux, 43 bd des Capucines, où il provoqua presque une émeute. Il reste cependant dans la tradition XVIIIe. Edouard MANET-La Modiste-1881-85,1x73,7-San Francisco, De Young Museum un tableau en demi-teintes, assez sombre pour 1881. Mais est-ce une vraie modiste avec son épaule découverte, ou une modiste qui arrondit ses fins de mois… Edouard MANET-La Liseuse ou La Lecture de l'illustré-1879-61,7x50,7-Chicago, Art Institute Voici un autre type de femme qui fréquente les cafés. Une jeune femme d’un milieu social plus aisé a emprunté un périodique au porte-journal du café, du genre de la Vie moderne, chronique de la vie artistique, littéraire et mondaine de la capitale qui paraissait depuis peu. Joliment chapeautée, le cou dans une étole, manteau ajusté, gantée… elle respire la beauté et le bien-être. Et Manet pose un regard tout en douceur… La jeune femme qui a posé était connue sous le nom de Trognette et aux yeux de Manet elle représente la femme moderne, la Parisienne.