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C h a p i t re V I :
Neui lly - en- Donjon
endant longtemps, la petite église de
Neuilly-en-Donjon a souffert d’un discréditdelapartdesreprésentantsofficiels.
Au siècle dernier, Henri Focillon, figure
tutélaire de l’histoire de l’art médiéval, la
déprécieenquelqueslignessévèreslarangeant pratiquement au magasin des accessoiresromans.TotalementexcentréeparrapportauxautreséglisesduBrionnais(elleest
situéesurlarivegauchedelaLoire),ellen’offreàl’attention
dupèlerinqu’unportailornéd’unmagnifiquetympandatéde
1140.L’édificeenlui-même,appareillédegrèsetdecalcaire
particulièrementgrossierdétonneparrapportàlaseuleornementationduportail.Lesplusbellespierresontétéutilisées
pourlaréalisationdesarchivoltesdécoréesdepalmettesetde
guirlandes, pour le tympan, le linteau et les chapiteaux surmontantlesdeuxcolonnesdechaquecôtédelaporte.
Une représentation de cette nature se lit en respectant le
codage luni-solaire utilisé dans toutes les églises romanes et
pourlacompréhensiondesmotifs,toujoursdubasverslehaut.
Ici,ducôtélunairedonc,noustrouvonsunépisodedelavie
deSimonleMagicien,quivivaitenSamarie,selonlesactes
desApôtres(N° 1).Ilsefaisaitappelerla« PuissancedeDieu ».
Unefoisbaptisé,ilproposaàsaintPierredel’argentpourlui
acheterlepouvoirdel’Esprit-Saint.Ilmeurtensejetantdans
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BRIONNAIS
SYMBOLIQUE ET ROMAN
n’ontquevingt-troispieds.Ledeuxièmegroupededisciplesà
partirdeladroiten’aquetroisjambespourdeuxpersonnages !
Question :quelapôtreétaitunijambiste ?
La composition du tympan s’ordonne autour d’une vierge
assise en majesté sur sa cathèdre, selon la mode des vierges
noires35,etprésentantsonfilsàl’adorationdesmages.Depart
etd’autredelascènecentrale,deuxangesmontentsortantd’un
replidelaterre(ouduciel),enjouantdel’olifantpourannoncer
lareconnaissancedel’enfant-roiàtoutelaterre.Aupieddela
Vierge,reposentdeuxvouivresailées.Enfin,auplushautdans
leciel,setrouvel’étoilequiaguidélesmagesjusqu’àlacrèche.
Ellesetrouvesymboliquementtransforméeenunemagnifique
fleur,unerosealchimiquecachantdanssoncœurdeuxrangs
épanouis.
Notonsquetouslesélémentstraditionnelsassociésàlanaissance de Jésus, de la crèche à la présence de Joseph, sont ici
inexistants.C’estuneprésentationroyaleàlaquellenousavons
affaire.
Les deux vouivres sont intéressantes, car elles servent de
baseàtoutelaconstructiondumotif.Celledegaucheressemble
àunevacheailée,reconnaissablefacilementàsessabots,alors
quecellededroiteal’apparenced’unlionporteurégalement
d’ailes,maistoutesgriffesdehors.
Lavacheestunsymbolelunaire,liéàl’allaitement,c’estle
symboledelaterrenourricière.
Le lion, lui, est le symbole solaire par excellence. RobertJacquesibaultnousapprendquelalunesiègenaturellement
----35/ C’est-à-dire, entre autres, ne portant aucun attribut chrétien. Le
globeterrestrequetientlefilsneporteaucunecroix,àcompareraveccelui
peintàParay-le-Monial,parexemple.Deplus,leChristprésentéàl’adorationdesmagesn’estpasunpetitbébé,emmaillotédansseslanges,maisdéjà
unadolescent.
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N E U I L LY- E N - D O N J O N
enCanceretqu’aveclesigneduLion,ilssontlesdeuxpoints
deLumièreetlessourcesdevieduzodiaqueetduthèmedela
nativité36.Maisn’oublionspasquecesdeuxanimauxsontailés,
manifestantainsiquetoutl’essorettoutel’énergiedelamatière
sedirigeverslehaut.
Dans sa construction, l’imagier a fait en sorte que les trois
roismagessoientsurélevésparlesailesdelavachelunaire.C’est
unsymbolefortparrapportàl’incarnationchristiquesurlaterre.
Enface,seull’angeneportantpasdecorreposesurlespiedsde
lavouivresolaire,annonciatricedufutur« liondeJuda ».
SeulelaViergeenmajestéalepouvoirdesereposersurces
deux vouivres, sur l’énergie de la lune, terre et eau, et sur la
forcesolaire,feuetair.Ellereçoitcettedoubleénergiequ’elle
retransmetparseslonguesmainsàsonfils.Onesticitotalement
danslareprésentationcodéedesViergesnoiresauvergnatesdu
xIIe siècle.
Cette symbolique perdurera à travers les siècles sous des
formesdifférenteset,encoreaujourd’hui,lesstatuesdesvierges
deLourdesoudeFatima,montrentbienqu’ellesmaîtrisentla
puissancedesmondesd’enbas,lunairesetchtoniens,matérialiséeparleserpentqu’ellesgardentàdemeuresousleurspieds.
Lesmagesnefontpasvenusoffrirdescadeauxàunnouveau-né, mais venus faire allégeance au véritable roi de ce
monde. Le premier est agenouillé en signe de soumission et
embrasselamaindroitedel’enfanttenantleglobe dumonde,
unpeucommeunfidèlequibaiseraitlabaguedesonévêque.
Lesmagesviennenthonorerl’enfantentantqueroi,prêtreet
prophète.
Sinousportonsunmodesteregard« philosophique »...à
suivre!
----36/ Robert-Jacquesibault, Dictionnaire de l’Art Roman.Éditions
Dervy,1994.
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