Poupées Russes

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Poupées Russes
Poupées Russes
Une nouvelle de Julia Bettach
Le téléphone sonna, je décrochai.
« Oui ? Bonjour, pourrais-je parler à Maya s’il vous plaît ?
- Euh… C’est moi, répondis-je surprise, qui est à l’appareil ?
- Salut Maya ! C’est Marie du cours d’Espagnol, je t’appelle au sujet du devoir de jeudi. »
C’était donc ça. Je me disais bien que personne n’avait jamais appelé chez moi pour que l’on
parle de ma vie. Je n’avais vraiment pas d’amis.
Donc après une longue conversation sur les verbes à diphtongue, j’allai me terrer dans ma
chambre pour continuer de dessiner mes poupées. Mes poupées Russes. Depuis ma plus tendre
enfance, je m’étais prise de passion pour ces poupées. Je les trouvais belles et élégantes.
Passion peu commune qui ne m’amenait pas à faire beaucoup de rencontres mais de toute
façon, je leur consacrais tout mon temps, bien que les seules que je possédais soient très
vieilles, usées par les années et sales, offertes par mon arrière-grand-mère. Je souhaitais un
jour obtenir une belle figurine propre et joliment décorée. Cela faisait un bout de temps que j’en
parlais à mes parents, je les tannais, les suppliais mais nos modestes moyens ne nous
permettaient pas d’acheter une si belle chose. Alors je me contentais de redessiner mes vieilles
figurines afin de leur redonner un nouveau visage.
« Maya ! Viens ici s’il te plaît. Ton père a quelque chose pour toi. »
Connaissant mon père, je devinais qu’il ne m’apporterait qu’un nouveau porte-mine pour mes
croquis. C’était mal le connaître. Lorsque j’arrivai dans le salon, une grosse boîte rectangulaire
trônait au milieu de la table. Mon père avait un sourire jusqu’aux oreilles et il était fier comme un
paon.
Je l’interrogeais du regard :
« Ma chérie, j’ai enfin trouvé une poupée Russe digne de ce nom qui plus est, à un prix ridicule.
Le vendeur était juste en bas de la rue et il avait l’air bien heureux de s’en débarrasser. »
Je restai ébahie un court moment, puis la joie me submergea. Je lui sautai dans les bras et me
jetai ensuite sur la boîte. Ma poupée Russe ! Peau de porcelaine éclatante, yeux brillants et un
sourire enjôleur. Elle avait des cheveux de paille couleur or et peinte en robe rose de princesse.
Elle était envoûtante et avait ce petit je-ne-sais-quoi indescriptible qui lui donnait un charme hors
du commun. Je montai précipitamment dans mon antre et commençai à lui déballer ma vie. Elle
devint très vite ma confidente, mon amie. Je lui parlais désormais tous les jours de l’école et peu
à peu je réussis à me décoincer et à m’ouvrir aux autres. Mon ascension sociale était
entièrement due à Elia, comme j’appelai ma poupée.
En fin de trimestre, on nous remit nos livrets de notes et bien que certaines matières
m’encourageaient, les principaux professeurs me méprisaient et critiquaient la qualité de mon
travail. Les professeurs principaux, et en particulier le professeur de physique qui me
descendait constamment en flammes. Lorsque le soir même je contai cela à Elia, celle-ci adopta
une étrange expression qui me fit horreur. Je me faisais sans doute des idées, mais il me sembla
que son visage avait noirci, son sourire était plus effacé… Je mis mes effrayantes constatations
sur le compte de la fatigue et je me hâtai de m’endormir. Le lendemain matin, lorsque je posai mes
yeux sur Elia, son visage arborait une immense satisfaction. J’en étais certaine cette fois,
quelque chose avait changé ! Prise de frayeur, je reculai de deux pas et décidai de laisser de
côté mes idées obscures et délirantes pour essayer de trouver une solution raisonnable et
rationnelle sur ce brusque changement d’expression.
Son visage occupa toutes mes pensées jusqu’au cours de physique. Le professeur avait décidé
de nous initier aux expériences scientifiques. Pour ce faire, elle avait besoin de fils et de courant
électrique. À peine eut-elle fait se toucher les deux fils qu’une explosion se produisit. Le
professeur eut quelques blessures sans gravité et la classe fut évacuée. Durant toute cette
semaine-là, des événements aussi étranges que dangereux eurent lieu en salle e
physique/chimie et malgré les recherches, aucun coupable ne fut trouvé. La poupée, elle,
continuait de paraître comblée et c’est alors que je la vis : un soir que je lui racontais mes
inquiétudes envers mes professeurs, je la vis rouler des yeux discrètement. Mais je continuai à
nier, à croire que j’hallucinais et les délits ne se stoppaient pas. Je ne voulais en aucun cas
croire qu’une simple statuette puisse commettre ce genre d’actes et surtout qu’elle puisse être en
vie ! Non ! Paniquant devant mon impuissance, je décidai d’épier Elia ce soir-là.
Je me mis au lit tôt et lorsque la maison dormait, quelque chose bougea sur ma table de chevet et
alla s’écraser par terre. Je n’ouvris pas les yeux. La porte s’ouvrit doucement et la chose se
glissa dehors. C’est le moment que je choisis pour sortir du lit. Lorsque je fus dans le couloir, je la
vis qui titubait pour se diriger vers l’escalier. Je poussai un gémissement de dégoût et de peur à
la vue de la poupée, elle se retourna. Ses yeux lançaient des éclairs et elle avait un rictus
méprisant au visage. Elle fit demi-tour lentement, tel un zombie. Mon sang battait dans mes
tempes et je me mis à sangloter d’horreur. Soudain, Elia jeta sa tête en arrière et éclata d’un rire
démoniaque.
« - Non, tu ne peux pas être… vivante ! Sanglotai-je, le cœur battant à tout rompre.
- Ah oui ? Répliqua Elia de sa voix mielleuse, écœurante. Eh bien, tu dois avoir raison, je ne suis
qu’une vision de cauchemar. »
Elle se mit à rigoler doucement, de façon angoissante, avançant encore un peu.
« Vois-tu, durant des années, j’ai été enfermée car, j’étais en vie et mon seul but était de venger
les gens que mon sauveur n’aimait pas. Mais j’ai décidé que je t’avais assez vengée et
dorénavant, nous échangerons les rôles : tu me vengeras des gens que je hais. Mon esclave !!
- Non ! »
Je devais rêver : « Non, c’est impossible voyons ! Elle est en bois. Non, c’est un affreux
cauchemar, je vais me réveiller. » Prise de dégoût, je me jetai sur la poupée qui hurlait que je la
lâche, je pus la taper avec une lampe et la détruire. Je ramassai les morceaux de bois éparpillés
et je les jetai à la poubelle. Je ne croyais pas ce que je venais de voir. En état de choc, je
remontai dans ma chambre et allumai la lumière tremblante.
Je m’effondrai sur le sol et tout à coup, toutes les têtes de mes anciennes poupées se
retournèrent vers moi dans un grincement sourd, leurs yeux sortant de leurs orbites, d’un coup,
me fixèrent et elles explosèrent toutes de rire en même temps.