Célébrer ensemble les Laudes et les Vêpres

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Célébrer ensemble les Laudes et les Vêpres
Célébrer ensemble
les Laudes et les Vêpres
“Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance, car c’est la
volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus.” (1Th 5, 16-18)
La première lettre de Paul aux Thessaloniciens est probablement le plus ancien écrit chrétien
qui nous soit parvenu ; il date de l’année 51, soit une vingtaine d’années après la mort et la résurrection de Jésus. Cette exhortation de l’apôtre doit donc nous apparaître comme un élément
essentiel de la vie chrétienne. Il ne s’adresse pas à des spécialistes, à des “permanents de la
prière”, mais à l’Eglise. Quelques points de repère pour essayer de mieux vivre cet appel, dans
la continuité de la question que je posais dans un autre article : les catholiques savent-ils célébrer autre chose que la messe ?
Priez sans cesse...
La proposition peut paraître tout à fait démesurée. En caricaturant, on en viendrait à imaginer que nous sommes invités à nous abstenir de toute autre activité : certains groupes charismatiques ont malheureusement pu
donner cette impression, au risque de verser dans le ridicule ou de faire de la prière une cause de démobilisation. “Aide-toi, le ciel t’aidera” : à défaut d’être évangélique, l’adage est réaliste. Notre activité humaine et ses
fatigues ne sont pas une punition du péché originel, comme on l’a si souvent prétendu, citant la Bible :
“Le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera
germer pour toi l’épine et le chardon 1, et tu mangeras l’herbe des champs. A la sueur de ton front tu mangeras du pain...”
(Gn 3, 17c-19a)
car le premier homme n’a pas été mis dans le jardin pour bronzer :
“Le Seigneur Dieu planta un jardin en l’Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Le Seigneur
Dieu fit germer du sol tout arbre à l’aspect attrayant et bon à manger. Le Seigneur Dieu prit l’homme et
l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder.”
(Gn 1, 8-9a.15)
Le travail de l’homme fait donc partie du plan d’amour de Dieu : la création n’est pas livrée à l’humanité “clé
en main”, l’humanité est invitée à y participer par son travail. Travailler, ce n’est pas perdre un temps qu’on aurait pu consacrer à la prière.
Mon but ici n’est pas d’opposer travailler et prier, ni de tenter une synthèse entre prière et action, mais d’aider à comprendre la portée de la demande de Paul. Premier point de repère : prier, ce n’est pas dire des prières ;
prendre la place qui nous revient dans le plan de Dieu, c’est déjà nous associer à l’Esprit qui prie en nous.
Qui prie ?
J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer des anciens combattants ou des champions olympiques du chapelet. Si
notre place au paradis se juge au nombre de fois où nous avons “récité” des “Je vous salue, Marie”, ils auront
droit à un fauteuil doré et bien rembourré juste à côté du Trône, de l’Agneau, des quatre Vivants et des vingtquatre Anciens de l’Apocalypse ; moi, je me contenterai d’un tout petit strapontin au fond de la salle. Tant
mieux pour eux, mais la caricature (souriante, je n’ai rien contre le chapelet !) nous permettra de mieux comprendre que prier, ce n’est pas “dire des prières”. Je m’explique.
Dans chaque dizaine du chapelet, n’oublions pas qu’il y a avant tout un “Notre Père”. Et quand nous prions
ainsi, nous laissons les mots du Christ entrer en nous : pour paraphraser Saint Paul (Ga 2, 20) “ce n’est plus moi
De ce point de vue, mon propre jardin est une belle illustration de ce qui attend l’homme pécheur, je dois en
être un fameux spécimen. S’il existe des organistes jardiniers et désœuvrés, ils sont les bienvenus...
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qui prie, c’est le Christ qui prie en moi.” Prier, ce n’est pas “dire des prières”, c’est laisser l’Esprit nettoyer en
nous l’espace nécessaire pour que le Christ lui-même nous investisse et prie en nous. Il prie ainsi, si nous le
voulons, sans cesse, à travers toutes nos activités, pour la gloire du Père, dans la dynamique de son plan
d’amour sur l’humanité et sur la création. Notre travail humain est béni et il devient prière s’il entre dans ce cadre. Nous pouvons chanter, avec Raymond Fau :
“Prends ma vie, Seigneur, prends ma vie,
que ma vie soit prière...
que ma vie ressemble à ta vie.”
Nous pouvons mieux comprendre cette phrase de Marthe Robin, dont l’action immobile n’avait pas d’autre dynamisme et pas d’autre fécondité : “je suis la prière”.
Fuseaux horaires...
A l’heure où j’écris (environ 15 h), les New-Yorkais sont à peine levés, et à Tokyo, on s’apprête à se coucher.
Saint Paul n’en était pas conscient, mais l’universalité de l’Eglise, “ré-pandue à travers le monde”, donne un
autre relief à son invitation. A travers le monde, à chaque instant, il y a un homme qui prie. Et comme, nous venons de le voir, personne ne prie simplement pour soi mais que toutes nos prières se fondent en Christ, la prière
qui monte vers le Père, faite de toutes les voix ajoutées à travers les fuseaux horaires et sur la surface du globe,
n’a pas de cesse.
Prier ensemble
Comme la prière nous fond dans le Christ, elle nous unit aussi profondément entre nous. Une dimension dont
bien des chrétiens pourraient prendre conscience quand ils sont à la messe, surtout dans nos églises souvent
démesurées pour de petites assemblées dispersées. Une catéchiste m’a un jour déclaré qu’il n’était pas question
pour elle, à l’occasion du geste de paix, de se tourner pour serrer la main d’un voisin qu’elle ne connaît pas,
qu’elle n’a pas l’intention de connaître, et peut-être qu’elle déteste. Je lui ai demandé si ça ne lui faisait pas un
drôle d’effet de venir communier ensuite. “Pas du tout, m’a-t-elle répondu, la communion, c’est une affaire entre Dieu et moi !” Bien sûr, elle a tout faux : si l’acte de communier nous unit bien sûr à Dieu, il nous unit aussi
les uns aux autres. Si rien dans notre cœur ne nous y prépare, nous risquons de passer à côté de Dieu, même en
recevant l’hostie.
De même, “assister” à la messe et passer son temps à prier le chapelet (ou autre chose), voire venir communier et tendre une main à peine ouverte barrée par un chapelet - sur laquelle on ne sait pas où déposer l’hostie pour bien montrer sa profonde dévotion, c’est se tromper d’adresse. Certains se plaignent qu’à la messe, on n’a
plus le temps de la prière personnelle parce qu’il se passe toujours quelque chose et qu’on n’a pas de temps “à
soi”, ils font la même erreur. A la messe, nous sommes là à titre personnel, mais tous ensemble.
Pour l’organiste, parfois isolé sur une tribune abandonnée par la chorale et simplement fréquentée par les anges, il peut y avoir un danger d’oublier l’assemblée dont il fait pourtant partie intégrante. Je me souviens d’un
organiste qui profitait de l’homélie pour lire son journal, ce qui l’absorbait au point qu’il n’avait pas toujours
rejoint son clavier au moment d’entonner le Credo. Même s’il se sent parfois à l’écart, l’organiste est un membre à part entière de l’assemblée, il prie avec elle. S’il est vrai qu’il lui est difficile de s’éloigner de l’orgue, il
serait peut-être aussi sympathique de lui proposer de lui apporter la communion : le meilleur moyen de s’intégrer à une communauté. Ça ne devrait pas être à lui de quémander, mais au prêtre de prendre l’initiative.
Il n’y a pas que la messe ! J’avais suggéré d’autres occasions de célébrer dans un précédent article. Je voudrais proposer quelques pistes pour mettre en œuvre une célébration communautaire de Laudes et Vêpres.
“L’Office divin”
Les ministres ordonnés - évêques, prêtres et diacres - mais aussi les religieux, religieuses, isolés ou regroupés
en communautés sont tenus de prier à des heures plus ou moins régulières ce qu’on connaissait naguère sous le
nom de bréviaire et qu’on appelle actuellement “prière du temps présent”.
Les premiers moines (par exemple Saint Antoine, en Egypte, au 3ème siècle) ont eu beaucoup de mal à vivre
la solitude : l’illustration nous en est fournie dans les nombreuses peintures parfois hallucinantes produites au
moyen-âge imaginant les tentations de Saint Antoine 2. La seule possibilité était de compenser la solitude par la
prière, qui unit à l’humanité à travers le Christ qui prie en nous. Tous ceux qui ont vécu la solitude en ont fait
l’expérience. Plus près de nous, Charles de Foucault ne disait pas autre chose.
Le monachisme érémitique a rapidement évolué vers une vie plus communautaire. La prière commune a
constitué un pilier de toutes les règles monastiques, de Saint Benoît (Bénédictins) à Saint Bernard (Trappistes)
en passant par Saint Bruno (Chartreux). Elle était une vocation de ces hommes et ces femmes qui se retiraient
du monde pour être prière au cœur du monde. Peu à peu, elle s’est étendue à tout le clergé. Le Concile Vatican
II a confirmé son caractère communautaire mais l’a réformée pour faire mieux coïncider les moments de prière
avec les grandes heures de la journée : louange pour la journée qui s’ouvre, le matin au lever (laudes) ; prière
du milieu du jour au moment du repas ; louange du soir au moment où le soleil décline (vêpres) ; prière du soir
avant de se coucher (complies) . A cela s’ajoute une prière de méditation qui peut être plus personnelle, à travers de grands textes de la Bible, des Pères ou des docteurs de l’Eglise (l’office des lectures) et dans certaines
communautés monastiques d’autres moments dans la journée et même encore dans la nuit.
Célébrer ensemble l’Office
Les diacres, ministres ordonnés comme les prêtres, participent eux aussi à la “prière du temps présent”. Se
voulant réalistes, comme beaucoup de diacres ont une famille et une profession, les évêques de France (et le
droit canonique) ne leur imposent que Laudes (le matin) et Vêpres (le soir). Ce sont les plus importantes, mais
peut-être aussi celles où il est le plus difficile de trouver les conditions pour prier au milieu des occupations familiales, alors que complies, quand les enfants sont couchés, ne pose plus de problème. Il suffit que j’ouvre le
livre pour qu’un enfant me demande un renseignement pour un devoir de classe ou pour que le téléphone sonne.
Je me vois difficilement dire à ma femme “chérie, occupe-toi des enfants, je ne veux pas être dérangé, je prie”.
Beaucoup de prêtres rencontrent les mêmes problèmes (les enfants mis à part).
De plus, la prière peut être personnelle, mais comme la messe, l’office prend tout son sens quand la dimension de communion en Christ que contient toute prière est réalisée visiblement dans une communauté rassemblée 3. La prière de l’office n’est pas réservée à des spécialistes ordonnés, elle est une action du peuple de Dieu.
Aussi est-ce bien triste d’imaginer des prêtres seuls chacun dans son presbytère en train de prier à peu près au
même moment une prière d’Eglise. Naguère, on proposait le dimanche soir la prière communautaire des vêpres.
Cette prière a disparu, sous le prétexte, d’ailleurs fondé, que les chrétiens désertaient la messe au profit de dévotions eucharistiques comme le salut du Saint Sacrement qui concluaient les Vêpres. Et on a jeté le bébé avec
l’eau du bain : sous prétexte de recentrer la piété eucharistique sur la messe - bien ! - on a supprimé toutes les
autres célébrations et confiné l’office dans des chambres de presbytère ou des chapelles de monastères, d’où il
sort tout au plus sous la forme de disques, compacts ou non.
Une solution ?
Aller jusqu’au bout de la démarche initiée par le concile :
-
pour redonner tout son sens à la célébration eucharistique, célébrer la messe tous les dimanches mais seulement le dimanche, comme le faisait la primitive Eglise dans les premiers siècles ; j’entends déjà les objections
sur le chapitre messes demandées et casuel, elles sont sérieuses, il faut aussi les examiner, mais ce n’est pas de
mon ressort.
-
célébrer (éventuellement en regroupant les paroisses) dans la semaine certains jours de semaine soit vêpres,
soit laudes, plutôt que de célébrer la messe.
-
ne pas chercher à imiter Solesmes ou Ligugé, car l’assemblée ne vient pas pour écouter, fût-ce beau à vous
arracher des larmes, mais pour participer et chanter elle-même, sans complexe ; et donc rechercher un répertoire nouveau, accessible à une assemblée standard, lui permettant de chanter les psaumes et les cantiques. Il en
existe actuellement de nombreux styles, priants et méditatifs comme les œuvres du Père Gouzes, aussi bien que
Si vous en avez l’occasion, faites un détour au Musée Unterlinden à Colmar et venez y contempler l’un des
plus grands chefs-d’œuvre de la peinture de la fin du moyen-âge, le Rétable d’Issenheim de Mathias Grunewald. Il comporte, outre une Tentation de Saint Antoine très suggestive, une Crucifixion impressionnante et
une Résurrection saisissante de dynamisme.
3 La règle initiale des chartreux prévoyait une vie érémitique pour toutes les activités, mais un rassemblement
de la communauté pour la prière. Les monastères chartreux modernes ont assoupli la rigueur de la vie quotidienne mais toujours maintenu le rassemblement pour l’office.
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moderne, éventuellement revisités et très bien actualisés par Jean Debruyne. Il n’est pas de ma compétence de
proposer plus précisément un répertoire : c’est du ressort des responsables liturgiques, à tous les niveaux, paroissial, interparoissial, diocésain, voire national. A tous les échelons, la compétence des organistes peut être en
l’occurrence précieuse.
Bien sûr, d’autres problèmes vont se poser : prier et comprendre les psaumes ne va pas de soi... comment
trouver l’heure idéale... quel public va être intéressé... Et sans doute d’autres questions. Sans doute, une patiente
éducation du Peuple de Dieu reste nécessaire. Et les problèmes ne seront pas les mêmes suivant les lieux. Peutêtre le passage du troisième millénaire peut nous donner une occasion de proposer autre chose pour être plus
encore fidèle aux appels qui nous sont adressés à travers l’histoire : ne perdez aucune occasion de rendre gloire
au créateur, que toute votre vie soit prière, et par dessus tout, soyez dans la joie !