Réponse à Bernard Fischer sur le pacte germano

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Réponse à Bernard Fischer sur le pacte germano
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FISCHER BERNARD
Camarades
Vous trouverez ci dessous un message pour le forum de discussion du site
www.comite-valmy.org suite à la publication par le site d'un message d'un journaliste
russe relatif aux soixante dixième anniversaires du pacte germano soviétique.
Salutations militantes
Le 3 septembre 1939, il y a soixante dix ans, une semaine après la signature du
fameux pacte germano soviétique, c'est l'invasion de la Pologne par l'Allemagne de
Hitler, c'est le début de la deuxième guerre mondiale.
Toute l'histoire de la deuxième guerre mondiale est contestable. Depuis
soixante dix ans, il y a suffisamment de versions relatives aux principaux évènements
de cette guerre, la signature du pacte germano soviétique est effectivement un
évènement important de cette guerre. Aucune nouvelle version ne sortira cette année
ni de RIA Novosti ni de ce site ni de nulle part ailleurs et aucun jugement moral dans
aucun sens ne changera rien à l'histoire.
De mon point de vue, les questions les plus importantes sont les questions des
causes de la deuxième guerre mondiale, la question de la situation politique en
Allemagne entre 1933 et 1939, la question de la lutte contre le fascisme, la question de
la politique du parti communiste allemand entre 1933 et 1939, la question des
relations entre l’Allemagne et l’Union soviétique entre 1933 et 1939 et la question des
conséquences effectivement de ces relations du point de vue des gouvernements d’un
certain nombre de pays européens géographiquement intermédiaires, comme par
exemple la Finlande, la Pologne et la Tchécoslovaquie, c’est la fameuse question de la
signature des accords de Munich et de l’annexion de la région des Sudètes par
l’Allemagne de Hitler. En Pologne, il y a une question de vérité historique importante
par rapport à la question des massacres de Katyn. En Union soviétique, il y a la
question des relations entre Staline et l’état major de l’armée rouge, par exemple un
certain Toukhatchevsky.
Vous connaissez certainement ces questions et vous en avez certainement une
opinion particulière. Ma seule question est la suivante. Combien d’historiens
travaillent aujourd’hui par rapport à ces questions, en Russie, en France ou bien dans
d’autres pays ? Posons la question par exemple à Annie Lacroix Riz ou bien à Bruno
Drweski.
Salutations militantes
Bernard Fischer
RÉPONSE
À BERNARD FISCHER SUR LE PACTE GERMANO-SOVIÉTIQUE ET
QUESTIONS LIÉES, 30 AOÛT 2009
Cher camarade,
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Le tambour du pacte germano-soviétique a commencé à retentir, après celui de
Katyn il y a quelques mois, et à toutes autres occasions possibles (on ne manque pas
d’anniversaires et commémorations). Mme Marie Jégo, dont les jours et les nuits sont
hantés par les bolcheviques, qu’ils soient ou non aux affaires, ironisait hier Le Monde
sur « Moscou tenté de réhabiliter le pacte », tranchant ainsi: « Signé le 23 août 1939
par Viatcheslav Molotov et Joachim von Ribbentrop, les ministres des affaires
étrangères de l'URSS et de l'Allemagne nazie, le pacte “de non-agression” s'est mué
très vite en une alliance entre Staline et Hitler, prompts à dépecer l'Europe de l'Est et
du Nord, de la Finlande aux pays baltes en passant par la Pologne. »
Ce discours aussi catégorique qu’erroné est conforme à la prose que Le Monde a
livrée de longue date à ses lecteurs, son dossier constitué pour le cinquantième
anniversaire de la mort de Staline ayant en mars 2003 marqué un des sommets de
cette activité notable du « quotidien de référence ». Mais il ne suffit pas à un employé
du « quotidien des affaires Vedomosti […,] le journaliste Andreï Kolesnikov », de
donner dans le genre psycho-tragique (« Le cocktail Molotov-Von Ribbentrop est à
détonation lente. Il explose dans la tête des gens. Il mutile la conscience de la nation
russe ») pour transformer une journaliste antisoviétique en historienne sérieuse.
J'ai dans Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930,
Paris, Armand Colin, 2006, 671 p., réédité en 2007, et dans De Munich à Vichy,
l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008, 408 p.,
longuement étudié les questions internationales soulevées par ton courrier de ce
jour : ce que tu appelles « la question des conséquences effectivement [des] relations
[germano-soviétiques] du point de vue d’un certain nombre de pays européens
géographiquement intermédiaires, comme par exemple la Finlande, la Pologne et la
Tchécoslovaquie, c’est la fameuse question de la signature des accords de Munich et
de l’annexion de la région des Sudètes par l’Allemagne de Hitler. En Pologne, il y a
une question de vérité historique importante par rapport à la question des massacres
de Katyn. En Union soviétique, il y a la question des relations entre Staline et l’état
major de l’armée rouge, par exemple un certain Toukhatchevsky » - lequel fut
incontestablement coupable de haute trahison (voir les tables des matières et index,
et sur l’affaire Toukhatchevski stricto sensu, Le choix de la défaite, p. 393-399).
Sur Katyn, on lira avec profit l'interprétation de mon collègue britannique
Geoffrey Roberts, dans Stalin’s Wars: From World War to Cold War, 1939-1953,
New Haven & London : Yale University Press, 2006. Cet excellent ouvrage, comme
tous ceux qu’il avait rédigés auparavant (The unholy alliance : Stalin’s pact with
Hitler, Londres, Tauris, 1989, et The Soviet Union and the origins of the Second
World War. Russo-German relations and the road to war, 1933-1941, New York,
Saint Martin’s Press, 1995), n'est malheureusement pas traduit en français, alors que
tous les livres accablant Staline (de sa naissance à sa mort) et son entourage sont
traduits dans l'année qui suit leur publication : notamment les balivernes horrifiantes
du publiciste Simon Sebag Montefiore sur La cour du tsar rouge ou Le jeune Staline).
On en trouvera écho dans la longue recension, « Geoffrey Roberts, Stalin’s
Wars: From World War to Cold War, 1939-1953 : un événement éditorial », que j'ai
mise sur mon site (www.historiographie.info) en 2007, ci-jointe, « Geoffrey Roberts,
Stalin’s Wars, From World War to Cold War, 1939-1953 : un événement éditorial ».
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Tu trouveras aussi dans mon article « Le PCF entre assaut et mea culpa : juin
1940 et la résistance communiste » (www.historiographie.info) également joint à
mon courrier électronique, des éléments de réponse à la polémique aussi inlassable
qu’infondée sur le pacte germano-soviétique et ses conséquences sur le mouvement
ouvrier international, en l'occurrence français. Cet article visait démontrer la
malhonnêteté d’une énième opération médiatique vouée à un immense tapage, le
livre, pitoyable par l’absence d’information et de documentation originale, de JeanPierre Besse et Claude Pennetier : Juin 40, la négociation secrète. Les communistes
français et les autorités allemandes. Vénéré par Le Monde et Libération (entre
autres), il avait logiquement trouvé grand crédit auprès du PCF, accoutumé depuis
qu’il a gagné sa respectabilité de membre de la « gauche européenne » (et renoncé du
même coup à son identité communiste) à battre sa coulpe sur son très honorable
passé. De Munich à Vichy, largement consacré aux questions intérieures (et
notamment à la répression anticommuniste), traite de l’aspect « français » du pacte
germano-soviétique pour la période qui précède celle de l’article.
Comme je l'ai rappelé hier à un ami belge qui me sollicitait à propos du pacte
germano-soviétique, non sans évoquer les « perversions » présumées du stalinisme
(terme intellectuel minimal, dans la gamme des crimes et horreurs staliniens dont la
population française, « européenne », etc. est abreuvée quasi quotidiennement), je
n'ai pu faire publier la critique du livre très important de Roberts « dans les présumés
Cahiers d’histoire critique, héritiers (dévoyés) des Cahiers d'histoire de l'institut de
recherches marxistes que j’ai accompagnés naguère, au motif que ladite revue
critique ne pouvait supporter de “couvrir” mon indulgence pour les Soviets : ce que
j’ai écrit sur la Pologne des colonels et son rôle abominable dans l’entre-deux-guerres
(Le choix de la défaite et De Munich à Vichy), ce que Roberts, Carley et moi-même
montrons de l’isolement diplomatique et militaire de l’URSS à l'époque de la “guerre
d’hiver” donne un tout autre éclairage à la “tuerie” alléguée que l’URSS aurait dû
reconnaître et expliquer, si elle l’a bien commise (je conserve une sorte de doute, vu à
la fois, d'une part, la nature de la décision et son caractère strictement unique, et,
d'autre part, l’absence de toute information archivistique internationale sur ces
événements du début de 1940 – mais j’ai peut-être “raté” les bons courriers); de
même qu’elle aurait dû reconnaître et expliquer, au moins après la guerre,
l’incontestable accord secret sur le “partage” germano-soviétique de 1939 des zones
d'influence, Pologne incluse) » (extrait d’un courrier du 29 août).
Je visais ci-dessus aussi l’excellent ouvrage de l’historien américano-canadien
Michael Jabara Carley, 1939, the alliance that never was and the coming of World
War 2, Chicago, Ivan R. Dee, 1999, par bonheur traduit, 1939 : l’alliance de la
dernière chance : une réinterprétation des origines de la Seconde Guerre mondiale,
Presses de l'Université de Montréal, 2001, au surplus disponible en ligne. Carley
déteste le commissaire du Peuple aux Affaires étrangères Molotov, auquel il prête
selon la mode du temps tous les caractères de l’affreux stalinien borné; il regrette
beaucoup son prédécesseur Litvinov, remercié le 3 mai 1939 en raison à la fois du
comportement des Anglo-Français et de ses propres illusions sur ces derniers; mais il
reconnaît autant que Roberts (puis moi-même) l’absence de responsabilité des
Soviets dans l’événement du 23 août 1939, et le maintien strict de la ligne extérieure
soviétique à l’ère Molotov.
J'ai appris hier, après avoir rédigé le message cité ci-dessus, que les autorités
russes venaient de publier une série de documents sur la politique extérieure
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polonaise depuis 1934. J’ai cru comprendre que ces textes comportaient les accords
secrets entre Berlin et Varsovie, consécutifs à la signature de « l'accord d'amitié »
germano-polonaise du 26 janvier 1934 (conclu pour dix ans). Je les lirai avec d'autant
plus de plaisir que les archives françaises et allemandes (notamment) des années
1933-1939 m’en ont déjà livré bien des détails. Rappelons que, auprès de Pilsudski, le
décisionnaire officiel polonais de l’événement, le colonel Beck, était un stipendié
notoire de Berlin selon les archives originales diplomatiques et militaires françaises
(c'est aussi clair dans les allemandes publiées), et qu’il le demeura au-delà même de
la défaite ignominieuse de la Pologne (aussi ignominieuse que la débâcle française).
Pilsudski l’avait fait chef de la politique extérieure polonaise depuis l’automne
1932, et Beck recueillit en mai 1935 la succession de son bienfaiteur (alors décédé) à
la tête de la dictature. Ces deux officiers d’une armée en ruines dès ses origines (voir
le texte d’archives joint, « L’Armée polonaise au début des années vingt ») n’étaient
que les mandataires des privilégiés polonais, tels que « le prince Janusch Radziwill,
un des propriétaires fonciers les plus importants non seulement de Pologne, mais de
l’Europe entière » : soudé non seulement aux Junker allemands mais aux grands
sidérurgistes allemands, ce noble de naissance allemande fut un des principaux
inspirateurs d’une politique pro-allemande qui signifiait la mort de la Pologne en tant
qu’État, et d’une dictature parfaitement adaptée, surtout depuis le coup d’État de
Pilsudski de 1926, à « l’intérêt des grands propriétaires » (EMADB, renseignement
militaire Depas 866, 17 juin 1935, 7 N 3024; « Principales personnalités que pourra
rencontrer » le MAE (Laval, lors de son voyage à Varsovie), note jointe à la lettre 247
de Laroche à Laval, Varsovie, 10 avril 1935, URSS 1918-1940, 982, archives du MAE).
La Pologne du trio infernal Beck-Pilsudski-Radziwill passait pour un pivot du
« cordon sanitaire » franco-anglais, ce qui lui avait valu en 1920-1921 l’octroi, grâce à
l’aide militaire française, via Weygand (et son adjoint de Gaulle), de la Galicie
orientale pourtant promise par la « Ligne [ethnique] Curzon » à la Russie. Elle se
mua en caniche du Reich hitlérien à partir de l'accord du 26 janvier 1934, sans
abdiquer ses fonctions de chien de garde du « cordon sanitaire » utile à tous,
« Alliés » occidentaux compris; ni de garant de la soumission du peuple polonais à
une des dictatures (régime convenant à particulièrement à la mission de « cordon
sanitaire ») comptant parmi les plus sanglantes de l’entre-deux-guerres : dans le
riche attirail est-européen français, Varsovie se disputait à cet égard le premier rang
avec Belgrade et Bucarest; on sait par ailleurs quel cas Paris, champion des « droits
de l'Homme » alors comme aujourd'hui, fit de la « démocratie bourgeoise » régnant à
Prague. Le rouleau compresseur de la propagande nous a cependant seriné depuis les
années 1990 que l’Europe orientale avait « retrouvé » avec la chute de l’URSS et la
libération consécutive des nations satellites esclaves « la démocratie » qu’elle avait
perdue « depuis 1945 » (1918-1939, un paradis démocratique; 1939-1945, le nirvana
démocratique).
On trouvera dans les deux ouvrages cités ci-dessus confirmation de mes
affirmations qui peuvent sembler brutales, et notamment information documentée
sur la participation directe des colonels polonais, Beck en tête - « vautours » ou
« hyènes » selon les aimables qualificatifs de leurs complices allemands, français,
anglais, etc. -, à la liquidation de la Tchécoslovaquie, à celle de la Petite Entente
(théoriquement) antiallemande qui groupait Tchécoslovaquie, Yougoslavie et
Roumanie, et à la persécution des juifs de Pologne. J’y apporterai des précisions
supplémentaires et présenterai de nouvelles sources dans ma contribution en vue du
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colloque international de Varsovie prévu à la mi-octobre sur la campagne de Pologne
de 1939 (« La Pologne dans la stratégie politique et militaire de la France (octobre
1938-août 1939) », colloque auquel participera Geoffrey Roberts.
Que la politique polonaise ait été conduite en complicité totale avec le Reich
hitlérien n'atténue en rien, comme le montrent lesdits travaux, l'écrasante
responsabilité des dirigeants économiques et politiques de la France, ivres
d’antisoviétisme, aussi prompts à l'aplatissement devant l'Allemagne que leurs
homologues polonais, et acteurs de premier plan dès 1938 de la persécution des juifs
de Pologne réfugiés en France (entre autres juifs étrangers), question traitée dans De
Munich à Vichy . Notons que les dirigeants « républicains » avaient laissé toute
liberté aux fascistes italiens et nazis allemands pour poursuivre leurs ennemis sur le
territoire français respectivement depuis 1922-1923 et 1933 (voir Le choix de la
défaite). Ceci vaut évidemment pour les Apaiseurs de Londres et de Washington. La
Pologne était une petite puissance soumise aux grandes puissances impérialistes,
France alors incluse, et les responsabilités qu’assumèrent ses dirigeants 1° dans les
crimes commis contre les peuples slaves (Polonais compris) et contre les juifs et 2°
dans sa disparition en tant qu’État de 1939 à 1945 furent largement partagées par ses
tuteurs étrangers. Pour ne citer qu’un exemple, ce n'est pas la Pologne qui avait seule
le pouvoir d’interdire à l’armée rouge l’entrée du territoire polonais en 1938 (pour
sauver la Tchécoslovaquie) ou en 1939 (pour sauver la Pologne elle-même) mais ses
maîtres français et anglais, qui avaient en outre sur le papier « garanti » ses frontières
en mars-avril 1939, et qui l’encouragèrent à traiter Moscou en « valet de ferme »
selon l’expression de Jdanov (juin 1939). Exactement comme les élites
tchécoslovaques cédèrent, par souci de classe et par effroi de voir sauver leurs
frontières par l’armée rouge, aux pressions exercées par Paris et Londres pour obtenir
d’elles la destruction de leur propre État.
Les dirigeants russes paraissent disposés, pour des raisons qui leur
appartiennent, à aborder leur histoire nationale de l’entre-deux-guerres et de la
Deuxième Guerre mondiale d’une façon plus sérieuse que ce ne fut le cas depuis, non
pas même la fin de l’URSS, mais l’ère khrouchtchévienne. Laquelle traitait avec un
haut degré de fantaisie l’histoire des années 1920-1950, ainsi que l’avait observé dès
1964 dans La Russie en guerre l’excellent journaliste et écrivain britannique
Alexander Werth, père, longtemps russophile, du pape français d’une « soviétologie »
érigée en histoire des « crimes de Staline », Nicolas.
L’historienne que je suis se réjouit de ce tournant perceptible depuis quelque
temps, et apprécie au moins autant que s’annonce la fin de la phase d’intoxication
pure et simple qui a caractérisé les trois dernières décennies concernant l’URSS et
son histoire.
La citoyenne aussi. Les deux attendent avec impatience de savoir comment
l’idéologie dominante va nous rendre compte en mai-juin 2010 du 70e anniversaire
de la Débâcle française de mai-juin 1940, sur laquelle il y a tant à dire.
Bien cordialement,
Annie Lacroix-Riz