Une ZUP modèle

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Une ZUP modèle
Une ZUP modèle ? La Villeneuve à Grenoble (*)
Les deux ZUP jumelles de La Villeneuve (au sud de la ville de Grenoble) et d’Échirolles,
commune limitrophe, ont été le cadre d’une tentative de réalisation de véritables quartiers sur le
site de l’ancien aéroport de Grenoble-Mermoz. Un premier projet, élaboré en 1965 par
l’architecte Henri Bernard (Grand Prix de Rome), a été écarté par les deux communes. Aux
élections municipales de 1965, Hubert Dubedout, initiateur d’un « Groupe d’action municipale »
(1) composé de citoyens sans expérience politique, est élu maire de Grenoble et une coopération
confiante s’établit entre cette ville et la commune d’Échirolles. Un syndicat intercommunal pour
l’étude des problèmes d’urbanisme de l’agglomération et une agence d’urbanisme (municipale
puis d’agglomération) ont été mis en place. Le nouveau plan d’aménagement (choisi parmi trois
projets) établi dans ce cadre a été approuvé par les collectivités locales en 1967, puis par l’État au
début de 1968.
Le plan, cohérent avec le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de
l’agglomération, prévoyait trois quartiers dans la ZUP de Grenoble-Villeneuve et trois autres dans
celle d’Échirolles (entre Grenoble et le tracé de la rocade autoroutière). Chacun de ces quartiers
est prévu pour 2 000 logements. Selon le projet, cette double opération aura un centre urbain
appelé à devenir le centre secondaire de l’agglomération, desservant tout le sud de celle-ci et
accueillant des équipements et des services qui ne peuvent trouver place dans le centre de la ville.
Des zones d’activités sont également planifiées, en particulier des petites zones insérées dans les
quartiers d’habitat. Un programme très généreux d’équipements publics (de proximité pour
certains, à rayonnement plus large pour d’autres) vise à rompre avec les grands ensembles et les
ZUP contemporaines pour créer une véritable vie sociale et culturelle locale.
Les principes d’aménagement sont également en rupture avec les pratiques courantes à l’époque :
mixité de l’habitat, simultanéité de la réalisation des logements et des équipements, priorité aux
transports en commun et aux itinéraires piétonniers, zones d’activités intégrées aux équipements
et au centre urbain, réalisation d’équipements intégrés (2) (réunissant plusieurs fonctions et
recevant, pour leur construction et leur fonctionnement, des subventions des différents
ministères compétents), mise en place sur le terrain d’une équipe pluridisciplinaire (« l’équipe
Villeneuve », animée par Jean-François Parent). Le centre urbain est localisé au sud-ouest de La
Villeneuve, entre celle-ci et la ZUP d’Échirolles.
Les deux premiers quartiers sont situés à l’ouest et à l’est d’un grand parc de 11 hectares (le parc
Jean Verlhac, qui a reçu le nom de l’adjoint à l’urbanisme, très impliqué dans le projet). Le
premier quartier (à l’ouest), celui de l’Arlequin (ainsi baptisé en raison de ses façades de diverses
couleurs), entrepris en 1970, est habité à partir de 1972. Il est composé d’immeubles collectifs
hauts, mais de hauteur variable ; trois quarts des logements sont locatifs, en majorité des
logements sociaux construits par plusieurs organismes d’HLM. Ils constituent un immeuble très
long (plus d’un kilomètre), parcouru par des coursives en rez-de-chaussée. La coursive est aussi
l’unité qui dessert une trentaine d’appartements. Elle dessert également de nombreux
équipements de proximité et a pour vocation de devenir le lieu de rencontre et de sociabilité. Les
équipements collectifs à l’échelle du quartier (ou de l’agglomération pour certains) sont implantés
en bordure du parc, les activités importantes et les parcs de stationnement du côté opposé, les
activités peu nuisantes et de petite taille près des logements. Le second quartier (à l’est du parc),
celui des Baladins (et son prolongement au sud : Les Géants), réalisé entre 1978 et 1981 en même
temps que le parc a été achevé, présente une architecture plus variée (petits immeubles collectifs
et quelques maisons individuelles) et accorde une place plus grande à l’accession à la propriété
(trois quarts des logements). Les zones d’activités accueillent notamment des activités innovantes,
en particulier dans l’informatique. Dans le même temps, la ZUP d’Échirolles construit les
quartiers des Esserts et de Surieux, puis celui des Granges. Le centre urbain est mis en service en
1975, comportant un grand centre commercial, Grand Place, mais aussi des bureaux et des
équipements et services.
La Villeneuve fait alors figure d’opération modèle. Des cadres supérieurs viennent y habiter, et
même des personnalités comme le cinéaste Jean-Luc Godard ou le philosophe Gilles Lipovetsky.
On vante cette réalisation d’esprit autogestionnaire, la qualité des équipements, la diversité de
l’habitat, la richesse de la vie sociale, la convivialité.
Cependant, en 1983, H. Dubedout, battu aux élections municipales, est remplacé par Alain
Carignon. La nouvelle majorité municipale de Grenoble (celle d’Échirolles a été réélue) qui, dans
l’opposition, avait largement critiqué l’opération de La Villeneuve, impose des orientations
différentes. Le troisième quartier, au sud du parc (Constantine), n’est pas achevé. Les zones
d’activités sont modifiées. La Villeneuve ne compte finalement que 4 200 logements (environ 11
000 habitants actuellement – plus de 13 000 à l’origine), tandis qu’à Échirolles, 2 450 logements
ont été construits aux Esserts et à Surieux. Cependant, la première ligne de tramway de Grenoble,
planifiée depuis 1981, traverse La Villeneuve avec plusieurs stations et la relie à la gare. Les
différents aspects « autogestionnaires », caractéristiques de l’action des GAM, ne sont plus
encouragés. Par exemple, la méthode pédagogique Freinet, adoptée dans les écoles, est
abandonnée. Surtout, tout comme dans les grands ensembles et dans les autres ZUP, la loi du 3
janvier 1977 sur la réforme du financement du logement conduit les habitants des classes
moyennes (ou les jeunes ménages en ascension sociale) à s’installer ailleurs dans une maison
individuelle en accession à la propriété. Les appartements qu’ils laissent vacants sont attribués à
des ménages de revenus modestes, parmi lesquels une forte proportion d’immigrés. Le caractère
du quartier se modifie peu à peu. Le bâti se dégrade parfois, malgré les efforts, peu couronnés de
succès, de la nouvelle municipalité socialiste (élue en 1995) pour améliorer leur entretien. Bref, La
Villeneuve connaît une évolution de même nature que les grands ensembles des Trente
Glorieuses et n’apparaît plus comme un quartier modèle.
Cependant, même si les trafics divers (de drogue, d’objets volés, etc.) s’y développent et si les
actes d’incivilité de la part de certains jeunes se multiplient, La Villeneuve reste relativement
calme et la sécurité y est moins problématique que dans de nombreuses « cités » : par exemple,
elle n’est pas touchée par les émeutes de novembre 2005. Mais, dans la nuit du 15 au 16 juillet
2010, la mort d’un délinquant récidiviste, tué par les gendarmes qu’il tentait de fuir et sur lesquels
il avait tiré avec une arme de guerre, entraîne trois nuits d’émeutes qui traumatisent les habitants.
Bien que ces incidents ne soient le fait que d’une infime minorité de jeunes, l’image de La
Villeneuve est définitivement cassée.
En octobre 2010, La Villeneuve a même été choisie par une chaîne de télévision comme cadre
d’un reportage sur la violence dans les « cités ».
Ce constat ne peut qu’inquiéter, quand on réfléchit aux moyens qui permettraient de remonter la
pente dans les grands ensembles des années 1955-1975.
(*) La bibliographie concernant l’expérience de La Villeneuve de Grenoble est abondante. On citera en particulier :
Jacques Joly et Jean-François Parent, Grenoble de 1965 à 1985, paysage et politique de la ville, Presses universitaires de
Grenoble, Grenoble, 1988, 195 p.
(1) De nombreux autres GAM se sont créés dans d’autres villes.
(2) Le collège, dans la maison de quartier en bordure du parc qui lui sert de terrain de jeux et de récréation.
-----------Pour citer cet ouvrage : extrait de Pierre Merlin, Les grands ensembles. Des discours utopiques aux
« quartiers sensibles », coll. « Les Études de la Documentation française, Direction de l’information
légale et administrative, Paris, 2010, encadré pp. 91-92.