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CULTURE ET SOLIDARITÉ
Rencontre organisée par ARCADI au Comptoir Général (Paris) le 15 décembre 2009
Le 15 décembre 2009, Arcadi a organisé, dans le cadre du cycle Valeurs communes,
territoires communs, une rencontre autour du thème Culture et solidarité.
Lʼobjectif de ce cycle étant de débattre de ce qui peut aujourdʼhui nous rassembler, il nous a
semblé important de commencer ce cycle par le thème de la solidarité.
Ce choix correspondait aussi à la volonté de se questionner sur nos pratiques, de faire du
lien à partir dʼexpériences de professionnels, de mettre en regard nos actions et les valeurs
que nous souhaitons porter.
Intervenants
Marie-Claude Blais, maître de conférence au département sciences de lʼhomme et de la
société de lʼuniversité de Rouen et auteur du livre « La solidarité. Histoire dʼune idée »
Philippe Henry, maître de conférence au département dʼétudes théâtrales de lʼuniversité
Paris VIII et auteur du livre « Spectacle vivant et culture dʼaujourdʼhui »
Sébastien Cornu, membre du conseil d'administration de l'Union fédérale d'intervention des
structures culturelles (Ufisc)
Vincent Rulot, directeur de la Clef (Saint-Germain en Laye)
Rémy Bovis, directeur de la coopérative De rue de cirque (2R2C).
Introduction
La solidarité dans le secteur culturel prend des allures variées : solidarité
interprofessionnelle, solidarité pour lʼaccès des publics aux spectacles, solidarité par le biais
des fonds ou systèmes de redistribution professionnels, réseaux, coopératives…
La diversité de ces exemples révèle la complexité de la notion de solidarité voire sa
polysémie.
Le mot, souvent utilisé dans la sphère publique, par les partis politiques de tout bord, par les
associations, par des institutions, est difficile à définir, et semble avoir plus de valeur que de
sens.
Afin de mieux appréhender les dimensions que recouvre ce mot, Marie-Claude Blais,
historienne, a présenté pendant la rencontre son origine et les évolutions de sens et de
formes de la solidarité.
Origines de la notion
« La clef de la solidarité est que tout le monde participe. » (Léon Bourgeois)
La solidarité exprime le sentiment de sympathie des humains les uns envers les autres.
Cʼest une valeur qui peut se rapprocher de certains termes utilisés à dʼautres époques, telles
que la charité ou la fraternité.
Le terme est utilisé dans le code civil dans lʼexpression « obligation in soliduum »,
engagement par lequel les personnes sʼobligent les unes pour les autres et chacune pour
tous.
Premières apparitions du terme dans la sphère publique
Le principe de solidarité, inscrit dans la Constitution, est apparu lors de la première révolution
industrielle en 1830, lorsque percent les questions sociales relatives aux conditions de travail
des ouvriers. La révolte des Canuts suscite des actions dʼentraide, par exemple à Paris, où
des ouvriers se mettent en grève par solidarité avec leurs pairs lyonnais.
Par ailleurs, le mot est utilisé dans des ouvrages théoriques où la solidarité est posée
comme une caractéristique essentielle de toute société humaine.
Pierre Leroux* est le premier à donner une définition de cette notion : selon lui, la solidarité
est la loi dʼinterdépendance entre tous les êtres humains, qui fait quʼaucune personne ne
peut vivre seule, et qui caractérise lʼhumanité.
A cette époque, la société républicaine est de plus en plus fragmentée, atomisée, en raison
notamment de lʼabolition des corporations. Les progressistes se saisissent alors de cette loi
pour appuyer leurs idées : pour eux, cette interdépendance doit permettre de créer du lien
social. Dans une société qui nʼest plus encadrée politiquement par la religion, cette idée est
comme une révélation : elle devient le nouveau dogme, où les individus sont unis, reliés, où
chacun doit être solidaire. Les progressistes ne sont dʼailleurs pas les seuls à sʼappuyer sur
cette valeur : elle est reprise par les traditionnalistes, en particuliers chrétiens, et par les
économistes libéraux. Pour ces derniers, la solidarité sʼentend par le libéralisme et
lʼharmonie des intérêts (cf. la théorie de la « main invisible » dʼAdam Smith), qui peut se
résumer de la manière suivante : si chacun poursuit son intérêt, chacun travaille pour le bien
de tous.
Deux conceptions se dessinent donc : une solidarité naturelle (optique libérale), qui ne
nécessite aucune intervention de lʼEtat, et une solidarité qui naît dʼune volonté sociale.
Lʼambigüité de la notion est aussi une des raisons de son succès : elle décrit un fait mais
aussi un idéal.
Vers lʼapparition du service public
A partir de 1848, on entre dans la grande période de la solidarité.
Ce qui se joue à ce moment-là concerne le caractère universel de la notion de solidarité.
Lʼuniversalité de la notion entre en conflit avec le nécessaire cadre administratif des mesures
prises pour sa mise en place. En pratique, ces mesures passent forcément par un cadre
constitutionnel ou juridique, et donc sʼappliquent à une Nation. Le territoire concret dans
lequel les actions solidaires vont sʼinscrire entre en conflit avec la vocation universelle de la
solidarité qui sʼappliquerait à toute lʼhumanité.
Dans les années 1880, la solidarité contractuelle induit quʼon ne peut pas laisser les contrats
à lʼarbitraire des particuliers : cʼest lʼEtat qui va garantir lʼégalité et la justice dans les
contrats.
Léon Bourgeois** avance lʼidée que chacun a une dette vis-à-vis des générations
précédentes, et que vivre en société implique implicitement des charges et des devoirs (cʼest
le « quasi-contrat ») : on peut obliger les citoyens à payer à lʼEtat une certaine somme en
fonction de ce quʼils ont reçu. On arrive ainsi à lʼidée dʼun impôt progressif.
La solidarité est ce qui fait le lien entre deux valeurs : la liberté et lʼégalité. Lʼidée est que
chacun donne à la société en fonction de ses possibilités et sans être dépossédé de toute
propriété privée, mais en étant contraint par lʼEtat : on voit ici lʼapparition du service public.
La première pratique de la solidarité est la mise en place du service public.
Politiques publiques de solidarité et initiatives solidaires issues de la société civile
On voit deux versions de la solidarité.
La première est une solidarité nationale à travers des politiques publiques dites de solidarité,
qui sʼexerce plutôt de manière verticale et passive. Il sʼagit dʼune politique redistributive en
faveur des populations défavorisées, qui peut être perçue comme une manière de pallier les
déficits de la politique ultralibérale. Les risques sont de développer un modèle de droit, dont
la base ne serait plus la participation de chacun mais plutôt la revendication des droits par
chacun.
La deuxième forme de solidarité est une solidarité horizontale, prise en charge par la société
civile, à travers le développement de toute forme dʼengagement humanitaire (exemple : les
fondations dʼentreprises). Cette version se déploie hors de lʼespace politique, ce qui peut
poser problème en reproduisant des corporatismes.
La solidarité est donc cette articulation entre la liberté individuelle et la responsabilité de
tous.
Par ailleurs elle pose la question du collectif de référence : parfois elle sʼapplique à un niveau
local, parfois national ou mondial. Avec la mondialisation, nous sommes de plus en plus
interdépendants : la solidarité revient en tête des valeurs invoquées. Le rôle de lʼEtat et des
collectivités publiques est plus fondamental que jamais même si de nombreuses
associations solidaires se développent. En effet, les niveaux de concertation et de
coopération se font de plus en plus dans la sphère privée, dans une société où dʼun côté le
risque est désocialisé pour les riches (on ne se préoccupe pas des effets) et où dʼun autre
côté grandit lʼexigence de sécurisation et de prévention. Il faut trouver le lien entre les actions
de la société civile et lʼaction politique.
Quʼen est-il aujourdʼhui de cette valeur, comment se traduit-elle à travers la profession et les
projets ?
Des formes de solidarité dans le secteur culturel
Lors de la rencontre, nous avons souhaité inviter des acteurs culturels à présenter leurs
structures ou leurs projets au regard de cette notion.
UFISC
Sébastien Cornu représentait lʼUFISC, Union fédérale dʼintervention des structures
culturelles, qui a rédigé en 2007 le Manifeste pour une autre économie de lʼart et de la
culture, et dont les intentions et déclarations sont sous-tendues par la valeur de solidarité.
Le premier rôle de lʼUfisc est un travail de réflexion, de prospection et dʼobservation. Cʼest
aussi un syndicat qui œuvre pour la structuration professionnelle, et qui travaille sur le
champ de lʼéconomie sociale et solidaire.
LʼUfisc, en partenariat avec la Fédurock, a mis en œuvre une observation participative,
partagée et permanente. Lʼidée portée par lʼUfisc est que chacun peut – voire doit –
sʼimpliquer dans ces démarches et que ce travail nécessite de la transparence.
Sébastien Cornu insiste sur le fait que lʼobservation sert surtout à lʼacteur. LʼUfisc tente de
changer la relation observant / observé en sʼinscrivant dans une démarche participative.
Lʼobservation est une première étape vers lʼévaluation qui permet aussi de travailler sur les
complémentarités de chacun et de stopper des logiques de concurrence. En effet, le principe
de solidarité dans les musiques actuelles nʼest pas forcément évident car historiquement, les
initiatives proviennent souvent de volontés individuelles plutôt que de la puissance publique.
La Clef
Cette compétition sʼobserve aussi entre les structures. La Clef, qui est le lieu de diffusion des
musiques actuelles amplifiées le plus important du département des Yvelines, se retrouve
confronté à cette difficulté.
Vincent Rulot explique que la solidarité peut se déployer à des endroits différents. Du côté de
la gestion du lieu par exemple. Il existe un principe de solidarité intrinsèque à la gestion du
lieu : en effet, les recettes issues des inscriptions des usagers à des pratiques culturelles
permettent de financer la programmation du lieu. Depuis 20 ans, les adhérents financent et
votent en Conseil dʼadministration le projet, même sʼils ne viennent pas aux concerts.
La problématique qui se pose à son endroit est celle du travail en réseau : comment
continuer à se développer tout en laissant de la place pour les autres ?
Avec la création du CRY (centre de ressources en Yvelines pour les musiques actuelles), La
Clef a souhaité montrer la volonté et la nécessité de travailler en lien avec les autres
structures du territoire.
Par ailleurs La Clef est adhérente au RIF (réseau des réseaux franciliens de musiques
actuelles) et à la Fédurock. Par le biais de ces réseaux, la structure sʼest nourrie des
expériences des autres. Pour Vincent Rulot, il sʼagit plus dʼune coopération que dʼun travail
solidaire. Lʼaccompagnement des jeunes artistes est un bon exemple de ce travail en
réseau.
Les coopérations les plus fructueuses sont celles qui ne portent pas sur les questions dʼordre
artistique : la concertation sur les programmations se fait très peu, elle reste encore dans le
terrain concurrentiel. La mise en place dʼune Charte de programmation devrait permettre de
mettre en première place les valeurs partagées contre un système dʼhyperconcurrence entre
les structures.
Vincent Rulot : « Mon point de vue, qui nʼest pas partagé par tous les autres
programmateurs, est quʼen se concertant, en coopérant, en définissant des éléments de
solidarité, on pourra peut-être éviter que dans quelques années très peu de lieu restent
autonomes dans leurs choix de programmation ».
Par ailleurs, les programmateurs sont jugés sur les artistes quʼils programment plutôt que sur
les actions artistiques mises en place.
Ce système a des effets pervers : les structures qui ont le plus de moyens vont parfois à
lʼinverse des valeurs du service public : elles contribuent à rentrer dans des logiques de
marché plutôt que de sʼen extraire pour concevoir un espace de travail en commun. Enfin,
les artistes sont quasi absents du débat public, et ne portent pas les projets de mise en
réseau.
Vincent Rulot ajoute que le travail en réseau fonctionne dʼautant mieux quʼil est élaboré dans
le temps et quʼil sʼexerce sur un territoire limité. Par ailleurs, il questionne la raison même de
ce travail en réseau : est-il la solution à la coopération entre les acteurs ?
Coopérative De rue de cirque
Pour Rémy Bovis, directeur de la Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) De rue de
cirque, cʼest la réciprocité qui est la clef de la coopération. La forme juridique choisie
correspondait à cette volonté de réciprocité ainsi quʼà celle de sʼinscrire dans le champ de
lʼéconomie sociale et solidaire.
La SCIC permet de répondre à des besoins collectifs. La répartition du pouvoir suit les règles
coopératives : la répartition du pouvoir se fait sur la base dʼune voix par personne et tous les
associés participent à la vie de lʼentreprise et aux décisions de gestion.
« Elle présente un intérêt collectif et un caractère dʼutilité sociale garanti par sa vocation
intrinsèque d'organiser, entre acteurs de tous horizons, une pratique de dialogue, de débat
démocratique, de formation à la citoyenneté, de prise de décision collective... et par sa
vocation d'organisme à but non lucratif ». (source : http://www.scic.coop/entreprisecooperative.htm).
Un point essentiel de la coopérative, où lʼon retrouve cet aspect solidaire, est de définir un
objet commun à tous, une base sur laquelle tout le monde se retrouve, un intérêt commun
qui engage solidairement chaque membre. Tous ces acteurs, qui ont des intérêts différents,
se retrouvent à un moment autour de cet intérêt commun auquel ils adhèrent (par le vote en
Assemblée générale).
La transparence est garante du bon fonctionnement de la structure. La puissance publique
contrôle tous les cinq ans la Scic pour son agrément préfectoral. Elle vérifie si lʼobjet social,
fondé sur la coopération et un intérêt commun, a été tenu pendant les cinq dernières années.
Le choix de ce statut correspond à lʼadhésion à des valeurs coopératives et solidaires, où
lʼintérêt collectif prime au-delà des intérêts individuels, et où cet intérêt collectif doit être
défendu par tous.
En guise de conclusion
Le point de vue de Philippe Henry
« Le principe de solidarité, ce sont les conditions de la survie ».
La solidarité réside peut-être dans les conditions de la survie plutôt que dans des valeurs
idéales. Historiquement, on a constaté que la solidarité était toujours issue de situations
économique et sociale particulières : aujourdʼhui aussi, nous nous trouvons dans un contexte
complexe. Il existe un tropisme français qui consiste à aller chercher du coté de la morale
universelle, des valeurs idéales : il nous faut revisiter et remettre en question ce schéma. Il
nous faut redevenir des initiateurs dʼune nouvelle conception de la solidarité, qui repartirait
des réels freins, difficultés, contraintes. On voit des structures qui se mettent en
interdépendance : syndicats, organisations régionales… Cʼest à ce niveau, et non pas au
niveau de lʼEtat, que ce renouvellement se conçoit.
*Pierre Leroux : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Leroux
**Léon Bourgeois : http://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Bourgeois