Le nouvel Economiste - Cabinet Saint-Paul

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Le nouvel Economiste - n°1717 - Du 6 au 12 juin 2014 - Journal d’analyse & d’opinion paraissant le vendredi
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DOSSIER CRÉATION D’ENTREPRISE
AFFACTURAGE
L’affacturage pour les entreprises en croissance
Dos and don’ts
La théorie, les pratiques et les écueils de l’affacturage à l’usage
des jeunes entreprises
SIPA
De plus en plus d’entreprises décident de faire appel à l’affacturage par
manque d’accès au crédit bancaire, pour soulager leur trésorerie, ou
simplement pour diversifier leurs sources de financement. Une solution
à laquelle ont notamment recours les très jeunes entreprises en phase
de démarrage. Car déléguer la fonction de gestion du poste client peut
permettre aussi de mieux se concentrer sur le développement même de
la jeune structure. Mais à l’heure où l’offre en la matière poursuit son
développement et n’a jamais été aussi large, il convient, pour choisir le
contrat le mieux adapté, de respecter quelques règles de base : bien
définir ses besoins en matière de financement, étudier attentivement
les différents contrats, bien négocier avec le factor, et envisager la sortie
du contrat. Devant la richesse et la complexité croissante de l’offre, le
recours à un courtier indépendant peut s’avérer intéressant.
Par Antoine Pietri
S
L’offre en matière d’affacturage
s’est beaucoup diversifiée au
cours des dernières années,
et un contrat donné n’est pas
forcément adapté à tout type
d’entreprise
i la démocratisation de
l’affacturage dans
l’Hexagone est relativement récente, en
comparaison notamment des pays
anglo-saxons, la progression de
cette solution de financement
parmi les entreprises françaises ne
se dément pas. Bien au contraire :
les chiffres témoignent même
d’une accélération. Selon les
données de l’Association française
des sociétés financières (ASF), le
marché de l’affacturage, ou factoring, a ainsi affiché une croissance
de plus de 14 % au premier
trimestre par rapport à la même
période l’an dernier. Du jamais vu.
Sur les trois premiers mois de
l’année, l’enveloppe totale de l’affacturage a représenté près de
52 milliards d’euros de créances.
“Après une période de ralentissement,
la tendance de fond s’est inversée à
l’été 2013, et l’on est maintenant très
clairement dans une phase d’accélération de l’activité” souligne l’ASF,
qui rappelle que des contrats de
factoring ont été souscrits par près
de 40 000 entreprises l’an dernier.
Et sur l’ensemble de l’année 2013,
ce sont 186 milliards d’euros qui ont
été traités par les sociétés d’affacturage, contre moins de 21 milliards
dix ans plus tôt.
Une solution de crédit
liée au cycle d’exploitation
Cette tendance s’explique tout
d’abord par le fait que l’image de
l’affacturage a progressivement
évolué depuis son introduction en
France dans les années 1960. Si le
factoring a longtemps été utilisé en
grande majorité par des sociétés en
détresse financière, et considéré
par certains partenaires financiers
comme “l’antichambre” du dépôt
de bilan pour les entreprises, les
mentalités ont changé.
“Aujourd’hui, l’affacturage est
d’abord considéré comme une diversification des lignes de financement.
De plus en plus de sociétés saines y
font appel sans que les observateurs
extérieurs y voient une connotation
négative. Il y a vraiment eu une
grande évolution dans ce domaine”,
constate DanielTournay, associé au
cabinet Saint Paul, courtier en
affacturage et en assurance-crédit.
Un point de vue partagé par
Philippe Lepoutre, le directeur
général de CGA, la branche d’affacturage de Société Générale.
“Aujourd’hui, l’affacturage n’est plus
une béquille pour les entreprises
malades, c’est un outil pour les entreprises de croissance. Il permet de les
accompagner dans la gestion du poste
client et de leur fournir des solutions
de financement optimisées et adaptées qui apportent un vrai plus”,
ajoute-t-il. D’autant plus que la
diversification de l’offre permet
aux factors de s’adresser à un panel
d’entreprises de plus en plus vaste,
allant de la PME aux grands
comptes. CGA commercialise ainsi
Express Pro, un contrat destiné aux
petites entreprises, qui propose des
offres de financement de 20 000 ou
30 000 euros. La multiplication de
ce type de contrats a permis à une
nouvelle clientèle d’accéder à l’affacturage : celle des très jeunes
entreprises. Certains chefs d’entreprise n’hésitent d’ailleurs pas à
négocier les conditions de leur
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contrat avant même de débuter
leur activité, pour se prémunir
contre les tensions au niveau du
BFR.
L’explosion du marché de l’affacturage en France s’explique également par le besoin croissant des
entreprises de se financer à court
terme. “L’affacturage est l’un des
seuls crédits qui soit totalement lié au
cycle d’exploitation”, explique
Bozana Douriez, directrice générale de BNP Paribas Factor. “Il
permet à l’entreprise de gérer au
mieux sa trésorerie et d’obtenir le
règlement de ses factures dans les
délais légaux de règlement. C’est la
raison pour laquelle c’est un marché
qui n’a cessé de progresser malgré la
crise.” En effet, le factoring consiste
à céder tout ou partie de ses
créances à un organisme extérieur,
ou factor. Ce dernier crédite en
retour le compte courant de l’entreprise, permettant à celle-ci de
disposer de liquidités immédiates.
Or, les entreprises françaises
peinent aujourd’hui à se voir
accorder des financements traditionnels. Certes, la Banque de
France a constaté une légère
amélioration de l’accès au crédit
bancaire au premier trimestre :
70 % des PME ont obtenu “totalement ou en grande partie” les
financements souhaités en matière
de crédits de trésorerie, contre
68 % fin 2013. Mais 3 demandes sur
10 restent encore insatisfaites.
Et pour cause : les banques sont
affectées par les règles de Bâle III.
Élaborées à la suite du cataclysme
financier de 2008, ces règles
prudentielles imposent au secteur
bancaire des ratios de solvabilité
plus élevés. Résultat : une hausse
de l’aversion au risque de la part du
secteur bancaire, qui se traduit par
un resserrement du crédit. Dans ce
contexte, les établissements
bancaires préfèrent donc parfois
refuser d’accorder aux entreprises
des financements traditionnels, et
pousser celles-ci vers une solution
d’affacturage – chaque établissement détenant une filiale spécialisée en la matière.
L’identification des besoins
et le jeu de la concurrence
L’un des premiers écueils à éviter
lors de la souscription d’une solution de factoring est justement de
signer un contrat dans l’urgence
auprès de son établissement
bancaire historique, sans prendre
le temps de sonder le marché. “Le
dirigeant ou le créateur d’entreprise
se trouve souvent face à un conseiller
clientèle qui refuse de lui autoriser tel
type de découvert, mais qui lui
propose de le mettre en relation avec
le département factoring de la même
banque”, explique Charles-Henri
Rossignol, gérant du courtier en
affacturage Facto Expert. “Le fait
de souscrire ce contrat auprès de la
même banque que celle où l’entreprise a placé son compte courant
donne une carte supplémentaire au
banquier. Il est crucial de solliciter
plusieurs banques, non seulement
pour faire jouer la concurrence, mais
également pour limiter la dépendance de l’entreprise à un établissement unique”, recommande-t-il.
Il est donc important de débuter
cette démarche par un travail préalable qui doit servir à cerner au plus
près les besoins de la société. En
effet, l’offre en matière d’affacturage s’est beaucoup diversifiée au
cours des dernières années, et un
contrat donné n’est pas forcément
adapté à tout type d’entreprise. Le
marché se découpe en trois modèles
principaux. Le full factoring, ou
subrogation, est la solution la plus
complète, et celle qui est recommandée pour les très jeunes entre21
CRÉATION D’ENTREPRISE
Quelle solution pour bien démarrer
AFFACTURAGE
“La première question à se poser
consiste à savoir ce que le chef
d’entreprise recherche à travers
cette solution.”
Patrice Coulon, GE Capital.
prises. Dans ce contrat clé en main,
le factor finance la facture et gère le
recouvrement de celle-ci, déchargeant le chef d’entreprise de
plusieurs tâches chronophages en
plus de fournir un financement.
L’affacturage notifié non géré, moins
coûteux, mais souvent réservé aux
entreprises structurées, permet à
l’entreprise de céder ses créances à
la compagnie d’affacturage tout en
conservant la main sur le recouvrement. Enfin, l’affacturage confidentiel permet de dissimuler au client le
fait que sa facture est financée par
un factor. Ces différents contrats
peuvent par ailleurs inclure différentes options, comme une assurance-crédit intégrée. “La première
question à se poser consiste à savoir ce
que le chef d’entreprise recherche à
travers cette solution, estime Patrice
Coulon, de GE Capital. Est-ce que j’ai
besoin d’un spécialiste qui gère au
mieux mes créances commerciales de
façon sécurisée et professionnelle ?
Est-ce que j’ai besoin d’une assurancecrédit qui me protégera contre l’éventuelle insolvabilité de mes créditeurs ?
Quel est exactement l’usage du financement que je vais tirer du factor ? De
quel montant ai-je besoin ? Tous ces
points doivent permettre de définir un
cahier des charges, qui est le préalable
à la bonne mise en place d’un contrat
d’affacturage.”
Il est aussi possible de faire appel à
un courtier indépendant, dont le rôle
est de sélectionner les meilleures
offres du marché en fonction des
demandes du chef d’entreprise
parmi les filiales de banques, mais
aussi chez les factors indépendants.
“Le marché est vaste, avertit Daniel
Tournay. Si le chef d’entreprise veut
faire une étude sérieuse lui-même, il va
passer beaucoup de temps à recevoir des
compagnies d’affacturage, puis sélectionner les deux ou trois meilleures
offres et faire un audit de process, avant
que le dossier ne passe en comité de
crédit. C’est un processus très chronophage pour les gens qui n’ont pas d’expertise.” Autre avantage : le courtier
peut se charger des négociations
avec le factor.
Le prix, ses composantes
et ses variables
L’enjeu majeur de ces négociations
est évidemment d’obtenir les tarifs
les plus avantageux. Le coût de l’affacturage résulte de l’addition de la
faire la balance entre le coût interne,
souvent mal cerné, et le coût externe,
qui entre dans la commission d’affacturage. Le factor est souvent mieux
structuré que l’entreprise pour les
problématiques de recouvrement, et
son action permet souvent de dégager
une réduction significative en termes
de délai moyen de recouvrement”,
explique Philippe Lepoutre. C’est
notamment le cas en ce qui concerne
une TPE en phase de démarrage. De
son côté, la commission de financement, qui représente le coût de l’argent, est facturée à un taux indexé
sur l’Euribor et majorée d’un spread
qui varie en fonction de la situation
financière de l’entreprise. “Certains
très grands comptes, comme Air France
ou Norbert Dentressangle, peuvent
réussir à obtenir des taux extrêmement
bas, de l’ordre de 0,10 % pour la
commission d’affacturage et de 0,50 %
pour la commission de financement”,
Il est crucial de solliciter plusieurs banques,
non seulement pour faire jouer la concurrence,
mais également pour limiter la dépendance
de l’entreprise à un établissement unique
commission d’affacturage et de la
commission de financement. La
première rémunère les services délivrés par le factor. Celle-ci varie en
fonction des options choisies : assurance-crédit, gestion du recouvrement, du lettrage… “Il faut savoir
remarque Charles-Henri Rossignol.
Si les factors n’hésitent pas à casser
les prix pour conclure des contrats
avec les poids lourds du CAC 40, la
situation est tout autre pour les PME
en démarrage ou en mauvaise santé
financière, ou les sociétés dont le
cœur de métier se situe sur un
secteur en difficulté. Le problème se
pose également pour les très jeunes
TPE dont la qualité du portefeuille
de factures est difficile à jauger pour
le factor. Dans de tels scénarios, il
n’est pas rare d’être contraint à payer
au total autour de 5 % des sommes
confiées. “Si on prend l’exemple d’une
entreprise d’une dizaine de millions
“Dans certaines situations,
l’affacturage est un outil trop lourd
pour les entreprises.” Charles-Henri
Rossignol, Facto Expert.
d’euros de chiffre d’affaires, en bonne
santé, sur un secteur classique tel que
le négoce, le coût moyen va tourner
autour de 2 % tout compris”, estime
Charles-Henri Rossignol. Certains
paramètres, comme la qualité du
portefeuille de factures ou l’efficacité du processus de recouvrement,
ont un impact décisif sur la grille tarifaire.
Au-delà du prix, d’autres variables
peuvent également faire l’objet de
négociations. La date du définancement, par exemple, qui correspond
au moment où la facture sera débitée
e t re n d u e à l ’ e n t re p r i s e .
Généralement fixée à 20 ou 30 jours
après la date d’échéance de la
facture, elle est en réalité très
variable. “Certains factors définancent
jusqu’à 45 jours, et la plupart d’entre
eux sont ouverts au dialogue sur ce
point”, explique Daniel Tournay. Il
est par ailleurs essentiel que le
produit d’affacturage choisi s’intègre
bien dans le fonctionnement interne
de l’entreprise, notamment au
niveau des services financier et
comptable. Là où certains factors
gèrent toute la documentation de
Reverse factoring
Gagnant-gagnant-gagnant par excellence
Le reverse factoring, ou affacturage inversé,
est en général utilisé par un grand donneur
d’ordres faisant appel à un grand nombre
de fournisseurs. Cette solution consiste
pour celui-ci à proposer à ses fournisseurs
de faire financer leurs factures avant
l’échéance contractuelle par le biais d’une
société d’affacturage. Le factor règle le fournisseur de façon anticipée et se fait ensuite
payer par le client à la date d’échéance de la
facture. Pour le donneur d’ordres, l’intérêt
de la manœuvre est de conserver ses délais
de paiement fournisseur sans mettre en
péril la trésorerie de ceux-ci. L’entreprise
cliente peut ainsi pérenniser la relation avec
ses fournisseurs et s’assurer un approvi-
puisqu’il est en relation non pas avec de
petits fournisseurs potentiellement fragiles,
mais avec un grand compte à la solidité
financière éprouvée.
En 2012, l’affacturage inversé représentait
environ 10 % du marché total de l’affacturage. Apparu dans les années 1980 dans les
secteurs à forts volumes d’achats, comme
l’automobile ou la grande distribution, ce
montage financier s’est développé notamment avec le vote de la loi LME, selon
laquelle tous les délais de paiement doivent
être inférieurs à 60 jours. Comprenant le
potentiel de ce marché, les sociétés d’affacturage ont su en jouer en diversifiant leurs
offres en la matière, et en s’appuyant sur
L’entreprise cliente pérennise la relation avec ses fournisseurs
et s’assure un approvisionnement régulier en les soutenant
dans un contexte économique parfois tendu
sionnement régulier en les soutenant dans
un contexte économique parfois tendu. Un
enjeu de taille, tout particulièrement concernant les fournisseurs stratégiques. De son
côté, le fournisseur est assuré de recevoir
un paiement comptant dès réception des
marchandises ou services, puisque le règlement part généralement après 24 à
48 heures au maximum. Un point essentiel,
puisque le succès d’un programme dépend
bien sûr de l’intérêt du donneur d’ordres,
mais aussi de l’adhésion d’un grand nombre
de fournisseurs pour faire jouer au maximum l’effet volume. Enfin, le factor est
rémunéré grâce à une commission prélevée
sur les transactions. Il bénéficie par ailleurs
d’un contexte moins risqué que dans le
cadre d’un contrat d’affacturage classique,
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des plateformes informatisées facilitant le
travail du poste client. Celles-ci permettent
de fluidifier le processus en dématérialisant
la supply-chain grâce à une gestion informatisée en temps réel des factures, des règlements et des autorisations. L’autre enjeu
pour les factors consiste à diversifier leur
cible en captant le marché des entreprises
de taille intermédiaires en concevant et
commercialisant des solutions permettant
de traiter des volumes d’achats plus
modestes.
A.P.
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