Mingming et l`art de la navigation minimaliste

Transcription

Mingming et l`art de la navigation minimaliste
Roger D. Taylor
Mingming
et l’art de la navigation minimaliste
La Découvrance
2012
Du même auteur :
Voyages of a Simple Sailor, The FitzRoy Press, 2008.
Afin de minimiser le coût et l’impact écologique de ce livre, nous
avons choisi de ne pas y mettre de photographies en couleur. Des images
et des vidéos en relations avec ce texte sont disponibles sur le site web :
http://www.thesimplesailor.com/france.HTML
Avertissement
Nous avons gardé, sauf lorsque le nom en français est familier, l’ensemble des noms dans leur langue d’origine y compris les accentuations
nordiques.
Voyages de Mingming, 2007-2009
Préface
“Ce monde, mon garçon, est un monde mouvant ;
Ses Riddough’s Hotel sont perpétuellement jetés bas ;
Jamais il ne se maintient, et ses sables sont à jamais croulants.”
Redburn, d’Herman Melville,
traduit par Armel Guerne, édit. Gallimard.
L
e premier livre de cette série, Voyages d’un Simple Marin,
qui est une introduction au présent volume, a bénéficié
d’une gestation extrêmement longue et d’une naissance
des plus surprenantes. Il a sauté dans le monde, achevé et rongeant son frein en seulement quelques semaines. Il m’a plutôt
pris par surprise ; j’avais depuis longtemps abandonné toute
idée de l’arrivée d’un rejeton littéraire.
Ayant pris goût à l’écriture, j’ai été poussé à continuer.
Cela n’a pas été plus facile au deuxième essai ; et de très loin.
L’inspiration a été remplacée par un travail laborieux. Deux
mille mots, tôt le matin, ont été réduits dans un dur travail de
mineur à cinq cents. Cela a été une tâche rude, mais plaisante,
car pourrait-il y avoir un plaisir plus grand que d’écrire sur
mon petit voilier Mingming ? Mon affection pour ce minuscule
coureur d’Océan, et ma gratitude envers lui pour les aventures
que nous avons partagées, n’ont pas de limites. Ce livre est la
célébration de notre partenariat.
J’ai également été mené par un autre impératif : montrer
que la navigation océanique simple, harmonieuse, non agressive et patiente peut rapporter la plus riche des gratifications. Le
navigateur moderne est souvent noyé dans un bourbier technologique. La surcharge obscurcie la vision. Un excès de données
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numériques voile le vrai monde. Une précipitation perpétuelle
rend aveugle. Ma préférence personnelle est de lutter directement avec l’Océan dans un combat doux et sensuel qui me
permet de mieux le connaître. Ma tâche consiste à l’observer
dans ses moindres détails et d’en décrire chaque nuance.
Je n’aime pas toujours la mer  ; parfois je la déteste. Néanmoins,
je suis éperdument sous son charme. Elle me reprend toujours.
Ce n’est qu’en écrivant sur elle, que je peux commencer à sonder l’attrait de cette dernière et fragile étendue de vie sauvage.
—
PREMIÈRE PARTIE
—
LES DAUPHINS PILOTES
Leur but était clair, ils allaient droit sur Mingming.
Les lignes de têtes bulbeuses bondissantes, étalées
sur presque un mille de mer, certaines se rapprochant rapidement, d’autres encore des tâches
intermittentes à la limite de ma vision, convergeaient vers un seul point, aussi précisément et
aussi délibérément que si elles avaient été dirigées
par un organisme de contrôle performant. Elles
l’étaient peut-être. Quelle que soit la raison qui les
conduisait vers nous, elle était d’une impérativité
sans équivoque ; nous étions le point focal de cette
bande qui s’approchait. Je n’avais jamais, au grand
jamais vu quelque chose de semblable. Les yeux
écarquillés, je les regardais approcher.
11
Chapitre 1
—
J
’avais longtemps abrité, au plus profond de moi, une envie
brûlante de naviguer dans le Grand Nord. C’est le froid,
le gris, le mauvais temps qui m’attiraient. L’exposition
aux éléments hostiles exerçait son charme. Mes envies récurrentes de partir en haute mer sur Mingming, un voilier sans
moteur de proportions modestes, choquaient de nombreux
amis qui les considéraient déjà comme étant à la limite de la
folie. Que ma destination favorite soit le Grand Nord confirmait, à leurs yeux, ma démence. Cela ne me dérangeait pas.
La santé mentale est un continuum sans fin ; empruntez suffisamment loin la voie de la déraison et elle vous
mènera au bon sens et à un comportement sain d’esprit.
À chaque fois que je sortais mes cartes pour ruminer sur ce qui
pourrait faire un bon voyage pour Mingming à l’été 2007, mes
yeux étaient irrémédiablement attirés vers le Nord. Les côtes
froides et nues des îles Féroé, de l’Islande, du Spitsberg et consort
exerçaient sur moi une attraction magnétique. Les consonances
étrangement euphoniques des noms nordiques éparpillés avec
parcimonie dans des anfractuosités isolées ou des failles très
découpées sonnaient dans ma tête comme l’extinction du tintement des épées vikings dans une saga longtemps oubliée :
Tjaldavik, Hvannasund, Tórshavn, Stykkisholmur, Seyðisfjördur,
Husavik. Ils évoquaient quelque chose d’anguleux, de carré, de
solide, sans compromis. C’était un monde où toute prétention
serait mise à nu, où un homme se montrerait pour ce qu’il est.
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Par contraste, je n’étais pas du tout attiré par les rêves de
navigation plus conventionnels des plaisanciers comme, par
exemple, les eaux chaudes et douces de la Méditerranée. Je
n’avais aucune envie de rejoindre les flottilles, les adorateurs du
soleil et les siroteurs de sangria ou de spumante. La perspective
de toute cette consommation du plaisir me laissait de glace.
Non, ce dont j’avais besoin était une épreuve rude et chargée de sens. Les contraintes de mes activités professionnelles
faisaient que je ne pouvais m’allouer que six semaines. Soirée
après soirée, pendant tout le début de l’hiver, j’étudiais la pile
des cartes que je m’étais commandée. N’y a-t-il pas plus grand
délice, quand la nuit tombe, que d’étaler sur le tapis devant
un bon feu dans la cheminée une lourde carte de l’Amirauté
encore vierge de pli ? Alors tout est encore possible. Toutes les
mers peuvent être traversées du bout du doigt. Le vent contraire
n’existe pas. Les caps rocheux peuvent être frôlés sans peur. Les
tempêtes fondent au loin. Le pack de glace aussi. Des grands
et merveilleux voyages peuvent être accomplis en une seule
minute. C’est le moment du rêve.
Petit à petit les rêves ont été canalisés dans un projet réalisable.
Des heures et des heures d’étude, de réflexion, de mesures et de
consultations laborieuses des guides de navigation ont donné
naissance à une synthèse fusionnant l’extrêmement improbable
avec le difficilement possible. Mes folles et très vagues élucubrations ont été usées sans relâche, avec du papier de verre à
gros-grain, jusqu’à ce quelles prennent la forme de quelque
chose de faisable. Là réside, peut-être, un des plaisirs de la planification d’un voyage en mer. C’est une jubilation parallèle,
un peu bizarre. De toute façon cette précipitation romantique
à vouloir dépasser l’horizon le plus lointain doit être réconciliée avec les pesantes contraintes matérielles – les réalités du
temps, des distances, du climat, les ennuyeux engagements de
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la vie et les considérations non-secondaires liées aux impératifs
de la survie. Le résultat est un compromis soigneusement équilibré. Pendant des mois un grand débat intérieur fait rage. Le
rêveur détaille ses folies pulsionnelles ; ses arguments sont poétiquement riches et méprisent les c­ onsidérations bourgeoises. Il
nous ferait naviguer, s’il le pouvait, sans escale jusqu’à la lune.
Son imagination sans borne n’a pas de répit. Puis le rationaliste rentre en scène, implacable, désaffecté, Il tient toutes les
statistiques à portée de main. C’est celui qui connaît la hauteur
des vagues, les vents et les systèmes météorologiques. C’est un
expert en avitaillement. Il sait calculer la consommation d’eau
au millilitre près. Il peut vous rappeler votre moyenne journalière parcourue depuis la nuit des temps. Il peut abattre chaque
argument, apparemment bien ajusté mais en fait fumeux, avec
un flot de chiffres et une logique impitoyable et ennuyeuse. Pas
à pas les négociations avancent. Pièce par pièce un accord se
forge. Le blocage n’est pas une option ; nous allons naviguer.
Ainsi, donc mon plan prenait forme. L’objectif principal serait
de franchir le cercle polaire arctique ceci pour la seule raison
que cela maintiendrait mon cap au nord. Cela me donnerait
une cible en latitude légèrement supérieure à 66° N. Avec des
vents raisonnablement favorables, cela serait juste faisable dans
ma contrainte de temps serrée de vingt et un jours aller et vingt
et un jours retour. Depuis ma maison située à Burnham-onCrouch (sur la rive nord de la Tamise) cela veut dire remonter
quatorze degrés de latitude ; une distance en ligne droite légèrement inférieure à neuf cent milles.
Cependant je n’avais pas l’intention de naviguer bêtement
plein nord. Que serait un projet, sans âme ni imagination, qui
ne ferait rien d’autre que de monter au nord pour croiser une
ligne de démarcation complètement imaginaire, une construction quasi-immatérielle qui n’a rien à montrer ou à dire en
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soit, avant de faire demi-tour pour faire la même route en sens
inverse. De joindre le cercle polaire peut être un objectif, mais
pas d’une manière aussi obsessionnelle. Le culte moderne, aussi
présent dans la navigation océanique que dans n’importe qu’elle
autre activité, du plus loin, du plus rapide, du premier à faire
ceci ou cela ne m’intéresse absolument pas. C’est une sorte de
non-sens puéril fondamentalement autodestructeur.
Ceci dit, je disposais d’un temps limité et ne pouvais en
aucun cas m’appuyer sur l’hypothèse de vents favorables. J’ai
finalement choisi quatre routes possibles pour réussir la croisière. La première, l’option par défaut, si la longue remontée le
long de la côte des îles Britanniques prenait beaucoup plus de
temps que prévu, consistait à naviguer autour de la pointe Nord
de l’archipel des Shetland, puis de repartir au sud par l’extérieur
de l’Irlande. La destination finale du voyage était Plymouth,
comme pour toutes les autres options. Si la progression vers le
nord était meilleure, ma trajectoire s’allongerait pour inclure
les îles Féroé et, pourquoi pas, Rockall. Un voyage vers le nord
encore plus rapide m’emmènerait, je l’espère, vers la côte est de
l’Islande avant que je ne tourne au sud pour contourner Rockall
et l’Irlande en route pour Plymouth.
Seules des conditions extrêmement favorables me permettraient d’atteindre le cercle polaire arctique lui-même dans le
temps imparti. Pour le franchir il faudrait que je navigue juste
quelques milles au nord de l’extrémité nord-est de l’Islande. J’ai
choisi ce point, pour franchir le cercle polaire, car cela me permettait, sous réserve d’avoir les bons vents, de rentrer dans l’un
des grandioses fjords du nord-est de l’Islande. Celui qui semblait le plus attirant, vue sous l’angle de la navigation, était le
Seyðisfjördur, celui le plus au nord, l’un des plus larges et à seulement soixante milles environ de l’Arctique.
À force de laisser courir mon imagination et mon doigt
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fébrilement sur la carte, quatre trajectoires elliptiques se sont
finalement décantées. Elles partaient toutes de Burnham-onCrouch et aboutissaient à Plymouth. Elles s’étalaient en éventail
dans le Nord, des Shetland au nord-est de l’Islande. Chacune
avait sa courbure propre et portait ses satisfactions particulières. Je serai heureux de parcourir chacune d’entre elles lors
d’un voyage. Elles me fournissaient un éventail de choix et
d’options. Elles me laissaient libre comme l’air. Je pourrai choisir, selon les conditions de navigation, tout au long du voyage. Je
n’avais qu’à partir et voir venir. Trop de pré-ordonnancement,
un excès de rigidité volent à l’aventure ses franges les plus délicieuses. J’avais l’impression d’avoir, maintenant, une structure
qui seulement dans les circonstances les plus défavorables et
imprévues ne délivrait pas un voyage vraiment satisfaisant, se
transformant en un aller et retour ; mais une structure qui restait souple et suffisamment arbitraire pour me maintenir dans
le délicieux équilibre stimulant de l’incertitude.
Les nuits d’hiver se faisaient plus prégnantes, devenaient
plus sombres, plus froides, mais cela m’importait peu. J’avais
du travail à faire. J’avais beau avoir l’intention de partir et de
m’adapter aux conditions de navigation rencontrées, cela ne
présupposait en rien d’une approche laxiste du projet. La vraie
liberté en mer, en particulier pour un marin embarqué sur un
petit bateau sans moteur, ne peut que découler d’une préparation particulièrement rigoureuse. Plus de cinquante ans de
pratique de la voile ont aiguisé ma prudence et l’ont rendu aussi
tranchante que le fil d’un rasoir. Ayant conçu les grands traits
de mon projet de voyage je devais maintenant usiner le moindre
détail de la navigation. Chaque aspect de chaque route potentielle devait être exploré. Je devais envisager toutes les situations
adverses possibles pour être certain que, dans le pire des cas, je
ne mettrais en danger ni moi-même ni Mingming.
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À un micro-niveau mon projet de voyage était tissé de danger.
J’allais avoir à négocier, en solitaire et sans moteur auxiliaire,
le dédale des écueils et des bancs de sables de l’estuaire de la
Tamise et des côtes de l’East Anglia. Je devais planifier une série
de routes possibles adaptées aux différentes conditions de navigation. Ces eaux, déjà naturellement difficiles, sont aujourd’hui
recouvertes d’un semis de plates-formes d’exploitations de gaz
naturel qui contraignent et compliquent encore plus les options
possibles d’un passage en sécurité. Il n’y aura pas de répit, une
fois passé la côte du Norfolk, pendant la traversé du Wash et
de l’estuaire de la rivière Humber, peu profonds et infestés de
navires.
Une fois Humber passé, je pourrais, enfin, commencer à
acquérir un peu de mer à courir en faisant route plein nord.
La côte du Yorkshire part au nord-ouest. Il ne faudra pas longtemps pour avoir environ quatre-vingts milles d’eau libre. J’en
aurai besoin. En cas de coup de vent du nord-est, il n’y a aucun
abri le long de cette côte. Je devais aussi garder en mémoire que,
en mer du Nord, je serais constamment dans des eaux dangereusement peu profondes. Mon mantra de sécurité habituel
– un minimum de cent milles d’eau libre et deux cent mètres
de fond – était inatteignable. Plus au nord j’aurai à passer par
les fourches caudines d’une autre zone semée de plates-formes,
du pétrole cette fois. Encore une fois je devais planifier des
routes appropriées pour la traverser avec une marge de sécurité, quelque soient les conditions rencontrées. En approchant
des Shetland, j’aurai à me rapprocher de la terre. À l’ouest ce
serait d’abord Pentland Firth puis le canal de Fair Isle. D’être
contraint de passer par l’un ou l’autre de ces deux points, parmi
les plus mauvais des îles Britanniques, dans des conditions non
appropriées était une perspective impensable. J’ai passé de
nombreuses heures à étudier les cartes et les guides pour les
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îles Féroé. Ma carte principale était un délice, une glorieuse
compilation à l’ancienne de l’Amirauté. Les données dataient
de relevés du gouvernement danois de 1895 à 1903. En cette
ère de course permanente au changement c’était curieusement
rassurant de pouvoir s’appuyer sur des chiffres centenaires. Les
hauteurs étaient encore en pieds et les sondes en brasses. Les
pentes raides et des contours tortueux étaient amoureusement
gravés dans un chef d’œuvre d’interprétation. Quelle pitié ce
navigateur d’aujourd’hui qui recueille toutes ses données sur
un écran d’ordinateur criard, maladroitement pixellisé et sans
aucune personnalisation ni aucun sens de l’histoire. Rien que
d’ouvrir cette carte, avec son papier épais et crémeux, patiemment et artistiquement dessiné suffisait à élever mon esprit, à
faire augmenter légèrement mon pouls et à faire naître l’aventure au bout de mes doigts.
En plus d’une familiarisation générale avec la zone j’essayais, en essence, de déterminer s’il me serait possible, soit en
cas d’urgence, soit purement pour le plaisir, d’assister à notre
entrée dans un des ports de ces îles. Dans de bonnes conditions,
Torshavn, la capitale, semblait approchable mais je disqualifiais tous les autres lieux, sauf en cas d’absolue nécessité. Le
courant peut atteindre douze nœuds entre ces îles particulièrement rapprochées. Des marées féroces courent autour. La côte
est principalement constituée de falaises massives hautes de
plusieurs milliers de pieds. Tout en voulant naviguer suffisamment près pour avoir une bonne vue de cet archipel intrigant
j’étais déterminé à prendre une bonne marge, si jamais j’arrivais aussi loin. Comme toujours mon vrai refuge serait la haute
mer elle-même.
Mes recherches se poursuivaient maintenant sur la côte
nord-est de l’Islande. Vue à grande échelle l’Islande ressemble
à une grande tache d’encre régulière. À part une péninsule
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charnue à la forme extravagante se déployant au nord-ouest,
sa côte a l’air d’une uniformité fade. Lorsque l’échelle décroît
le caractère réellement nordique de l’île se révèle. À part le
contour rectiligne de la côte Sud une myriade de fjords profonds pénètre la montagne sur la plupart de la circonférence de
l’île. La côte Sud peut bien être dénuée de fjords elle a aussi ses
propres merveilles, une série de glaciers monumentaux qui se
dressent quasiment a pic, vertigineux, vierges et immaculés à
seulement un ou deux milles de la mer.
Sur le côté nord-est j’avais choisi le fjord nordique
Seyðisfjördur comme étant le plus facile à pénétrer, si j’arrivais
aussi loin. Cependant dans son sud environ cinq autres fjords
étaient tout aussi attirants, des eaux alléchantes et profondes
et des flancs encaissés et profondément indentés. Les marées
y sont modestes et il y a peu de dangers. Le plus grand risque,
dans une région où les tempêtes peuvent se lever très rapidement et dans laquelle les vents d’est sont largement dominants,
était, comme toujours, la côte sous le vent. La position sous le
vent crée un déventement systématique et permanent de la côte.
Pendant toute mon étude de la navigation autour de l’Islande,
un message revenait d’une manière récurrente : la côte Sud
devait être évitée. Les eaux peu profondes, les courants forts
portants à terre et la difficulté à voir la basse frange côtière
étaient signalés encore et encore. Ce ne serait pas un endroit
où emmener mon petit Mingming. C’est un message que j’aurai
l’occasion de me remémorer.
Puis je devais considérer le retour au Sud vers Plymouth.
En suivant mes vieilles habitudes j’ai établi quelques règles de
bon sens pour éviter les situations dangereuses. Je passerai à
l’extérieur Rockall, ce faisant me conférant un petit honneur de circumnavigation. Rockall étant à environ deux cent
milles dans l’ouest des Hébrides extérieurs est l’avant-poste le
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plus isolé et le plus occidental des îles Britanniques. J’espérais,
contre toute espérance, que les conditions m’autoriseraient à
l’approcher suffisamment pour me permettre d’apercevoir ce
petit bout de granit totalement inutile. Pourquoi, je n’en sais
rien. Je n’avais aucune illusion sur le fait que d’apercevoir un
pinacle rocheux de vingt mètres de haut, soit d’une façon ou
d’une autre un évènement séminal dans ma vie. N’étant pas
très porté sur mon auto-promotion, je n’avais pas de motivation à acquérir le droit, rare, de pouvoir me vanter d’avoir vu
la chose. D’avoir vu ou non Rockall était de peu d’importance
par rapport au défit beaucoup plus grand et plus vaste d’avoir
emporté un petit bateau dans son ouest. Peut-être était-ce le
défaut qui nous affecte tous, j’étais fouinard, juste simplement
curieux.
La côte Ouest de l’Irlande serait contournée de loin. Les
dépressions d’été balayent suffisamment souvent Sole et
Shannon. Je me maintiendrais bien à l’ouest du plateau continental afin de pourvoir subir n’importe quel mauvais temps
dans une longue mer pélagique avec une salutaire marge d’eau
à courir sous mon vent. Ma position la plus proche des côtes
d’Irlande serait dans le sud-ouest, au large du Fastnet, lorsque
je mettrais le cap vers la mer Celtique. C’est l’endroit où, je
me le répétais constamment, je devrais exercer le maximum de
vigilance. C’est l’endroit où toutes les forces naturelles peuvent,
dans le pire des cas, se conjuguer pour créer une mer particulièrement difficile et dangereuse. Le fond de la mer remonte
rapidement, d’une profondeur de quatre mille mètres à deux
cents mètres ou moins, en quelques milles de distance. Le courant Atlantique pousse la mer vers le nord-est. Dans le même
temps les masses de terres de l’Irlande, des côtes du pays de
Galles et d’Angleterre agissent comme un gros entonnoir en
comprimant les trains de vagues. Les marées deviennent plus
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fortes. Il suffit alors d’une tempête de vent du sud-ouest pour
magnifier ces ingrédients en un vrai cocktail royal. Ce que je
souhaitais le moins était de me faire prendre dans la gueule
du piège et d’être obligé de courir au nord-est, de plus en plus
loin dans le canal Saint-Georges, les options pour s’échapper
tombant les unes après les autres au fur et à mesure de ma progression. Maintenant j’appréhendais la sensation de ce que ce
voyage pouvait apporter. Dans mon imagination j’avais navigué toutes les routes possibles sous les conditions des plus aux
moins favorables. J’avais essayé de démasquer tous les pièges
possibles et de bâtir une stratégie pour déjouer chacun d’entre
eux. Je savais suffisamment qu’il y avait un gouffre quasiment
infranchissable entre l’imaginé et la réalité. Cela ne diminue,
cependant, en rien le rôle de l’imaginé ou le rend moins nécessaire en tant qu’élément de préparation.
L’élément principal du succès ou de l’échec partiel ou total
de mon voyage, et le moins prédictible, était bien sûr le temps.
J’avais étudié la rose des vents de la région du Nord et les données météorologiques des Pilot Charts de l’Amirauté encore et
encore. En été la trajectoire des dépressions atlantiques se décale
au nord, donc je pouvais escompter une tempête ou deux. Il y
avait aussi une forte probabilité de vent du nord ou du nord-est.
Le brouillard était prévisible au alentour des îles Féroé.
En réalité ces prévisions ont été partiellement réalisées. J’ai
eu, en effet, un bon lot de vent du nord et du nord-est. Je me
suis retrouvé dans le brouillard, plusieurs fois, dans la zone des
Féroé. Ce que je ne pouvais pas prévoir quand, nuit d’hiver
après nuit d’hiver, je faisais obstinément ma préparation c’est
que l’été 2007 apporterait une situation météorologique exceptionnelle, que des perturbations alimentées par des jet-streams
allaient altérer radicalement le schéma usuel de la météo estivale autour des îles Britanniques. Pendant que je faisais mes
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plans j’étais allégrement inconscient qu’un des pires et des plus
tempétueux été, depuis de nombreuses années, était en préparation. Une ignorance miséricordieuse et béate m’a protégé
de l’anticipation du fait que le pays et les mers avoisinantes
allaient bientôt être frappés par plusieurs tempêtes parmi les
plus vicieuses et destructrices que nous ayons subies depuis
longtemps. Elles étaient de toutes beautés. J’allais naviguer droit
dedans.
—
Table des illustrations
—
Voyages de Mingming, 2007-2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
La nouvelle ferrure de tête de mât de Mingming en acier inox . . . . . . 245
Cône du traînard de Jordan attaché à son aussière. Le traînard de Mingming a
quatre-vingt-six cônes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Mingming amarré dans la marina Queen Anne’s Battery, entre (G.) le dragon
modifié d’Alexei Fedoruk, Fason, et le Kingfisher 20, Golden Dragon de Graham
Jewitt. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Départ de la rade de Plymouth avec Jester, lui-même, et son skipper Trevor Leek,
derrière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
Le combiné table à carte, bureau et table de salle à manger de Mingming. Il pivote
pour donner accès au réchaud à alcool à un feu. . . . . . . . . . . . 247
L’intérieur de Mingming en regardant vers l’avant. Les conteneurs marqués
contiennent un ensemble des éléments de repas principaux. . . . . . . 247
Mingming et moi-même, quelques minutes après notre arrivée à Praia
da Vitoria. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
Adieu les Açores. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
L’île de Foula… « des falaises d’ébonite devant de l’or liquide chauffé
à blanc.­ » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 401
En approche de la pointe sud de Jan Mayen. . . . . . . . . . . . . . 401
Près d’Eggoya, la pointe centrale de Jan Mayen. . . . . . . . . . . . . 402
En navigation le long de la base du Mount Beerenberg, le volcan de deux mille
mètres de hauteur de Jan Mayen. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402
« Les glaces flottantes luisaient. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403
« …un bord de sucre filé… » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403
417
« … d’énormes pierres précieuses… » . . . . . . . . . . . . . . . . 403
« … il y avait les formes et dispositions les plus extraordinaires. » . . . . 404
« … une corniche extrêmement fine se projetant loin au-dessus de l’eau. » 404
« C’était une scène de la plus haute désolation qui faisait chaud au cœur. » 404
En approche de Straumnes, le cap au nord-ouest de l’Islande. . . . . . . 405
Pénétrant Aðalvìk. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405
Quittant Aðalvìk avec le cap Ritur derrière. . . . . . . . . . . . . . 406
Naviguant dans le détroit du Danemark, sous le vent du Snaefellsjökull. . 406
Navigation sous traînard de Jordan. . . . . . . . . . . . . . . . . . 407
L’auteur photographié quelques heures après son arrivée. . . . . . . . . 407
Mingming de retour à Whitehills, après quarante-huit jours en mer. . . . 407
Mingming . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 408
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Table des Matières
—
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Première partie
Les dauphins pilotes . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Chapitre 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Chapitre 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Chapitre 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Chapitre 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Chapitre 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Chapitre 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Chapitre 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Chapitre 12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Chapitre 13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Chapitre 14 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Chapitre 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Chapitre 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Chapitre 17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Chapitre 18 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Chapitre 19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Chapitre 20 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
Chapitre 21 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Deuxième partie
Vent debout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
419
Chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Chapitre 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Chapitre 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Chapitre 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Chapitre 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Chapitre 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Chapitre 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Chapitre 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Chapitre 12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Chapitre 13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Chapitre 14 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
Chapitre 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
Chapitre 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Chapitre 17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
Post-scriptum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Troisième partie
Les glaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
Chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
Chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
Chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
Chapitre 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274
Chapitre 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
Chapitre 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
Chapitre 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
Chapitre 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
Chapitre 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298
Chapitre 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304
Chapitre 12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309
Chapitre 13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Chapitre 14 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
Chapitre 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324
Chapitre 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330
420