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Atelier d’écriture / Lydia Schettini « Les Carnets » à La Roque d’Antheron, le 02/07/16
Textes de Paule Brajkovic :
Les ruelles
Les mots ont porté mon regard. Je vois plus loin désormais. L'écho intrigue les voix. Au bout des
mots, deux hommes et des cigales. La foule écoute le corps qui lit son journal intime.
Et puis j'ai vu la route.
Du haut des trois marches, je porte le bleu du ciel sur la porte. La pierre trahit la brique par endroit.
Calvin au détour d'une ruelle. Trop ensoleillée... Sur le goudron, la ruelle d'après ,un tracé bleu. La
marque d'une future entaille dans le corps de la terre. Je suis la ligne. Elle m'amène devant un pot de
fleurs et une boite aux lettres sans nom, un mur. L’anonymat du N°5, nom de rue ? Inconnue...
Place de l'entraide, des arceaux nus, vides, qui n'arrivent pas à se toucher. La fontaine aux eaux
mortes... Personne... J'entends encore l'homme qui lit son journal, les jours passent, le temps n'a
plus de réalité.
Deux portes avec le même numéro. N°20. Peut-on vivre à deux endroits à la fois ? Peut-être qu'à
l'intérieur les couloirs se rejoignent...La rue d'après résiste aux Provinces de France. Camus en
embuscade, une ruelle à gravir. Il faut se donner du mal pour comprendre cet homme... C'est une
impasse... J'arrive sur la place aux deux noms : Kleiber Roche ou De la Pompe... Peut-on remplacer
le passé sans changer l'histoire... Les voix ne sont plus qu'un souffle perdu sous le soleil. Sous la
tonnelle, des vies.
Atelier d'écriture
La première hypothèse est la recherche d'ombre. Et puis le vent, les mots viendront. Ce temps est
réservé, je n'envisage pas d'autres choses à faire qu'écrire. Je trouve entre le château et la rivière une
vision de verdure. Un grillage nous sépare et je sens l'humidité de l'eau. Assise sur la pierre, stylo
ouvert, je bouscule ma main. Deux yeux m'observent. Sous le châssis d'une voiture un chat ouvre
des yeux ronds. Fini sa tranquillité. Je viens de prendre sa place.
Je suis en atelier d'écriture comme on est en pèlerinage. La bulle sensorielle, l'esprit en parallèle.
J'ai un sentiment de trahison. J'écris. Mais ce n'est ni pour préparer mes ateliers ni pour prolonger
mon manuscrit. Comme un vol de mots par le carnets de notes. Je sais qu'il me les rendra plus tard
mais pour l'instant mon souffle se coupe en saccade. De cet atelier, j’espérai des portes. Je suis
exigeante. Je suis toujours trop exigeante. Je veux des sensations, des impressions limites qui me
poussent hors de moi. Je ne cherche pas le danger, je me cherche. Parfois je me dis que je suis au
coin d'une rue. Parfois dans le caniveau. Et j'observe l'eau couler.
Textes de Christine Zottele
1. Carnet déambulatoire
Partir du Café du marché – marquise et enseigne vertes – Stridulation des cigales plus forte que
voix masculine haut-parlée – Descendre à gauche, la rue du Poilu – calme et bignone exubérante
par dessus le muret – prendre à droite la rue de l’ Église - cliquetis de clés derrière toi, flap-flap des
tongs et homme sifflotant te dépassant – se surprendre du silence de l’enfant à ses côtés – Suivre un
moment femme fuchsia jambes à fleurs mouvement de balancier du chapeau rose au bout du bras
gauche – Emprunter (penser à la rendre) la rue Paul Cézanne à gauche – Lire Musée-Four banal Bibliothèque - Place Paul Cézanne – Lever la tête : oiseaux (martinets, hirondelles ?) jouant dans la
cour du ciel - vol bas, rasant, piaillant - s’arrêtant un instant contre l’auvent en tuiles romaines puis
repartant aussitôt explorer le périmètre rectangulaire de cette cour du ciel – une colonne en pierres :
Barret L.S. 1851 – Se remettre en marche et tomber sur un homme en short qui lève aussi les yeux
vers les martinets et les bâtiments : « Je découvre, comme vous » - femme en blanc à poussette –
bifurquer à droite la rue Jeanne d’Arc –pente raide – puis à gauche rue de l’Église – passer devant la
Flûte enchantée (école de musique) – jeter un regard vers l’église – de dos la silhouette rouillée
d’une femme voilée, mains d’orante – deviner une statue de la Vierge – passer devant la plaque
neuve de marbre gris qui confirme en lettres dorées: Ce monument a (il manque l’accent sur le
« a ») la Vierge Immaculée a été érigé en 1866 par Mr Rey curé ; béni par Mgr Chalardon, et
restauré à l’occasion de la mission de 1923. – rue Louis-Emmanuel laisser le château de Florans sur
sa gauche – remonter sur la droite la rue Georges Clémenceau – gagner le trottoir de gauche à
l’ombre et constater qu’il est 11h41 – hâter le pas pour ne pas être en retard – apercevoir une
maison à vendre au bout de l’impasse Aristide Briand – prendre le temps de répondre à la passagère
avant d’une voiture qui s’arrête à ton niveau – fort accent d’une famille cherchant refuge – désolée
de ne pas savoir s’il y a quelque chose à louer avec un geste de la main se voulant oiseau égaré –
retrouver la place – maintenant c’est la voix électrique du micro qui semble gagner sur les cigales
encore très virulentes.
À la table d’écriture, le groupe autour de Lydia est presque au complet.
2. Journal en temps réel
Intime. Au plus près. Intime-toi. Sans complaisance. Ne t’apitoies pas sur ton sort sinon tu ne t’en
sortiras pas. Intime-toi l’ordre de l’intime – le fameux Connais-toi toi même… Maintenant, tu la
regardes la femme au voile rouillée. Tu n’aperçois qu’une seule de ses mains d’orante. Tu as beau la
saisir de trois-quarts dos, tu sais très bien qui elle est. Tu sais que son journal intime se tient dans
ses yeux levés vers le Ciel. Tu ne dis pas les « cieux » ? Non, tu veux bien concéder une majuscule
mais tu dis « Ciel » parce que tu n’es pas la Vierge Immaculée aux majuscules en lettres dorées sur
marbre gris veiné. Elle écrit l’intime avec ses mains et ses yeux tournés vers Lui (majuscule) au vu
de tous.
Toi, tu es minuscule.
Tu pirouettes, tu t’échappes encore une fois.
Le vent et le vol ivre des martinets t’extime.
Tu n’entres pas dans l’intime.
Tu as peur de quoi ? Parce qu’il s’agit bien de peur n’est-ce-pas ? Tu préfères parler du vent sur ta
peau plutôt que du vide dessous – tu devrais biffer ces clichés, mais quelle importance après tout
puisque personne ne les lira ?
Tu peux parler de la légèreté de tout ton être sur ce solide banc de pierres. Tu t’adosses au solide et
massif de ce mur de l’église comme tant d’autres avant toi, avec ou sans carnet à la main. On ne te
demande ni de te juger ni même de t’évaluer. Personne ne te demande rien d’ailleurs. Tu es libre, tu
as le choix d’entrer en toi ou de regarder la belle main de la femme au voile. Tu peux aussi faire
dialoguer le dehors et le dedans. La plénitude n’est pas celle des mots.
Texte de Claude Camilleri Salaün :
« Ma chaise quittée »
J'ai alors franchi d'autres périmètres.
Un figuier très odorant m'espace.
Impasse Albert Camus
Impasse des Provinces de France
Impasse de la Résistance
C'est peut-être un lieu à part, ou peut-être rien.
Voix
« Tu ne montes pas c'est dangereux ! »
Les uns montent, les autres descendent.
Nous nous croisons.
On murmure par intermittence.
On regarde fixement deux bancs vides, dans un grand espace ombragé.
C'est peut-être un lieu à part, ou peut-être rien.
Envie de pousser le portail, d'entrer, de m'installer chez les Anciennes qui m'attendent
patiemment, silencieusement.
Mais leurs lèvres remuent imperceptiblement. Elles disent que j'ai mis du temps à venir.
Elles bercent le poète disparu le 1er juillet.
Celui qui, un jour, m'a attendue…
Moi dans la souffrance de ne pas être choisie, invitée dans un lieu à part.
Meurtrie, je suis redevenue invisible.
Mais les Anciennes me disent d'avancer, qu'elles seules peuvent me consoler de cet oubli.