le role des historiens dans le proces

Transcription

le role des historiens dans le proces
VITEAU DAVID
Année 2000-2001
Mémoire
LE ROLE DES HISTORIENS DANS LE PROCES
Directeur de mémoire : M. Le Professeur Taisne
Membre du jury : M. Dauchy
UNIVERSITE Lille II-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
D.E.A. Droit et Justice
1
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tout particulièrement MM. Taisne et Dauchy
pour leur aide précieuse.
Je tiens également à faire part de ma reconnaissance à toutes les personnes qui
ont bien voulu répondre aux renseignements que je leur demandais et
principalement : Mme Tissot, Me Varaut, M. Wyffels, et l'ensemble des
personnels des tribunaux (français ou internationaux) avec lesquels je suis entré
en contact.
Mes pensées vont aussi à ma famille et mes amis qui ont eu la gentillesse de me
soutenir et de me donner leurs avis.
à E..
2
SOMMAIRE
Introduction
1.LES RAISONS DE L'INTERVENTION DES HISTORIENS DANS
LE PROCES
1.1.Le domaine partagé du juge et de l'historien
1.2.La nécessaire intervention de l'historien
2.LES HISTORIENS DANS LE PROCES : DU RENDEZ-VOUS
MANQUE A LA REDEFINITION
2.1.L'instrumentalisation des historiens
2.2.Repenser la participation des historiens : une meilleure utilisation de
l'interdisciplinarité
Conclusion
3
INTRODUCTION
La comparaison entre l’historien et les acteurs judiciaires a été très fructueuse au cours
des siècles. La tradition classique compare l’historien à un avocat dont le but est d’emporter la
conviction par son argumentation et son éloquence et non par la production de preuves. Pascal
écrit au XVII° siècle que : « l’histoire est incapable de progrès parce qu’elle ne relève ni du
raisonnement, ni de l’expérience mais seulement du principe d’autorité »1. Mais, à partir du
XVIII° siècle2 un changement s’opère dans l’appréciation de la méthode de l’historien. Celuici n'est plus comparé à l’avocat mais au juge. Son travail ne relève plus de la rhétorique. Le
Jésuite, Henri Griffet, en 1769 dans son « Traité des différentes sortes de preuves qui servent
à établir la vérité en histoire » compare l’historien à un juge qui passe au crible preuves et
témoignages. Cette rencontre entre le juge et l’historien était promise à un brillant avenir. A la
fin du XIX° siècle, en 1895, Lord Acton affirme dans son discours inaugural du cours
d’histoire moderne de l’université de Cambridge : « L’historiographie, quand elle se fonde
sur des documents, peut s’élever au-dessus des controverses et devenir un tribunal »3. Si
l’Ecole des Annales dans les années 1930
remet en cause l’historien comme juge de
l’histoire4, elle ne touche pas à l’apport de Griffet, à savoir que l’historien doit, comme le
juge, fonder sa sentence sur des preuves établies selon une méthode rigoureuse. Les juristes, à
la différence des historiens, n’acceptent pas cette comparaison. En effet, une controverse naît
suite aux affirmations d’Aubry et Rau5 dans la 4è édition de leur Cours de droit civil français
d’après la méthode de Zachariae en 1878. Ils y écrivent que « la preuve judiciaire qui, comme
toute preuve historique, ne peut conduire à une certitude absolue a pour objet de convaincre
le juge de la vérité des faits sur lesquels elle porte ». Bartin, dans la reprise de leur Cours6,
souligne pour sa part tout ce qui oppose les deux preuves : le juge n’est pas libre d'en
1
Cité in Carbonnel (C-O.), L'historiographie, Que Sais-je?,5e édition, P.U.F., 1995, chapitre 8
Sur l’ensemble de cette évolution, voir GINZBURG (C.), Le juge et l'historien: considérations en marge du
procès Sofri, édition Verdiers, Lagrasse, 1997, p. 17 et suiv.
3
Cité in GINZBURG, Le juge et l’historien, op. cité, p. 18
4
L’Ecole des Annales représente le courant dominant de l’historiographie française. Il a été fondé par M. Bloch
et L. Febvre. Il rejette l’histoire événementielle du courant méthodique et propose une histoire problème. M.
Bloch fait de l’historien un chercheur dont le but est la connaissance. L’historien n’a pu à juger mais uniquement
à expliquer. Il doit chercher l’objectivité tout en en reconnaissant les limites. Pour une approche plus complète
voir DOSSE (F.), L'Ecole des Annales: histoire d'une conquête, in RUANO-BORBOLAN (J-C.) (Coord. Par),
L'histoire aujourd'hui, Sciences humaines, Hors-série n°18, Auxerre, 1999
5
AUBRY et RAU, Cours de droit civil français d'après la méthode de Zachariae, Tome huitième, 4e édition,
Imprimerie et librairie générale de jurisprudence, Paris, 1878, P. 132
6
Cité in ESMAIN (P.), Aubry et Rau, Cours de droit civil français, tome douzième, 6e édition, Librairie
technique, Paris, 1958, p. 52
2
4
déterminer l’objet et l’étendue, ni de choisir les moyens et procédés à employer ; la loi lui
impose de prendre une décision ; une fois la décision prise l’autorité de la chose jugée interdit
de la critiquer. Cette première rencontre entre le juge et l’historien dans les débats
historiographiques et juridiques du XIX° siècle se concentre sur des questions d’ordre
méthodologique et théorique. A aucun moment n’est envisagée une complémentarité pratique.
Elle montre que les juristes sont réticents face à l'apport des autres disciplines. Cette rencontre
théorique entre le juge et l’historien est donc féconde puisqu’elle permet de réfléchir aux
méthodes et à la définition du rôle de chacun. Mais, elle demeure limitée et n’a pas eu de
suite : chaque discipline s’est repliée dans sa propre sphère.
De nos jours, la situation semble avoir évolué. Les rencontres entre les juges et les historiens
se multiplient au cours de colloques. Celui de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) qui
s’est tenu le 2 mars 2001 à Paris sur le thème Vérité judiciaire - vérité historique7 a réuni
historiens et juristes de renom parmi lesquels H. Rousso, R. Badinter, M-O. Baruch.... . Mme
Marie-Laure Robineau, directrice adjointe de l’ENM, dans son allocution d’ouverture a
d’ailleurs appelé au « refus du repli corporatiste »8. Cette ouverture du monde judiciaire sur
les autres disciplines est un phénomène récent qui est loin d’avoir produit encore toutes ses
conséquences. Certes, la justice française s'est déjà ouverte à certaines disciplines techniques
ou scientifiques dans le cadre des expertises mais les sciences sociales restent à l'écart de ce
mouvement. Aux Etats-Unis9, le rôle tenu par ces sciences dites "molles" durant le procès est
plus important. Il semble que l’ouverture du procès ait pourtant une origine française,
notamment à travers les travaux de Saleilles et de Gény10 à la frontière du XIX° et du XX°
siècle. Ils ont, en effet, cherché à trouver les sources du droit en dehors de la loi et notamment
dans la jurisprudence. Or, celle ci devait trouver ses fondements dans la société et l’histoire.
La doctrine française, tout comme la pratique judiciaire, n’a retenu de leurs travaux que
l’élargissement des sources du droit à la jurisprudence. Au contraire, aux Etats-Unis, les
juristes ont vu les possibilités qu’ouvrait cette doctrine. Si c’est l’évolution de la société qui
dicte les normes juridiques, si l’on veut tout de même donner un fondement rationnel aux
litiges, il est nécessaire d’avoir recours aux sciences sociales. La participation de sociologues
7
DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, rapport de synthèse, www.enm.justice.fr/centre de
ressources/syntheses/veritehistorique/verite/htm.
8
Cité in DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, op. cité
9
Voir CALVES (G.), France-Etats-Unis: deux cultures juridiques, in Le droit dans la société, Cahiers français,
n° 288, octobre-décembre 1998
10
C’est en tout cas l’analyse de M. Jamin dans son cours de doctrine juridiques, DEA droit et justice Université
de Lille II 2000-2001
5
ou d’historiens au procès est une situation relativement courante. En France, cette pratique est
encore sous-développée. Cependant, des historiens sont intervenus dans des procès très
médiatisés tels que ceux de Barbie, Touvier et Papon. Même s’il s’agissait de cas
exceptionnels de par leurs implications pour toute la société française, cette participation crée
un précédent et attire les regards sur le rôle que peut tenir l'historien dans le procès. Ce sont
essentiellement les historiens11 et parfois les philosophes12 ou les journalistes13 qui se sont
intéressés à ce sujet. Les juristes ont été relativement discrets. Pourtant, cette participation des
historiens au procès soulève de réelles questions pour les juristes. On est en droit de se
demander si le manque d’intérêt porté à ce problème ne relève pas de la timidité des juristes
face aux autres disciplines et d’un certain repli corporatiste. La pratique, de nos jours, a
devancé la doctrine.
En faisant intervenir un élément extérieur à la sphère judiciaire dans le procès, cette rencontre
pose de nombreuses questions à la justice (qu'est-ce qu'un jugement ? Quel peut être le rôle de
la connaissance dans celui-ci ? Comment intégrer des historiens dans la procédure ? , …) et
plus généralement à la société (quels sont les rôles tenus par le juge et l’historien dans la
société ? Quelles places le juge et l'historien tiennent-ils vis-à-vis de la mémoire nationale ? ,
…). Les historiens qui se sont très rapidement emparés du sujet ont essentiellement concentré
leur réflexion sur leur propre discipline. Est-ce le rôle de l'historien de participer à un procès ?
Quelle place peut-il jouer ? N’y a-t-il pas un risque pour sa liberté intellectuelle ? Le cadre du
procès est-il adapté à sa démarche ? Toutes ces questions sont fondamentales. Mais, elles ne
prennent en compte qu’une partie du problème. La participation des historiens au procès pose
également des questions au juge et plus généralement aux juristes. Comment le juge utilise-t-il
les données apportées par l’historien ? Pourquoi la justice a-t-elle recours à l’historien ?
Comment se répartissent les compétences entre le juge et l'historien ? Quel problème peut lui
poser le recours à une science sociale par opposition aux sciences dures ou comment prend-il
en compte les spécificités du discours historique ? Il est donc nécessaire de s’arrêter sur cette
question et d’étudier le rôle des historiens dans le procès en France.
11
Par exemple, JEANNENEY (J-N.), Le passé dans le prétoire, l'historien, le juge et le journaliste, Seuil, Paris,
1998 ; ROUSSO (H.), La hantise du passé, Textuel, Paris 1998 ; AZEMA (J-P.), L'histoire au tribunal, in Le
débat, dossier Vérité historique et vérité judiciaire, n°102, novembre/décembre 1998.
12
BENSAID (D.), Qui est le juge? Pour en finir avec le tribunal de l'histoire, Fayard, 1999
13
LE MONDE, Condamné et libre, Mars 1998.
6
Le nombre de cas où des historiens sont intervenus dans un procès en France est très
faible. Il existe tout de même un domaine où leur présence est relativement importante, c'est le
contentieux de la responsabilité de l'historien. Ainsi, dans une affaire mettant en cause
l’historien israélien Zeev Sternhell14 de nombreux historiens sont venus témoigner. De même,
le contentieux concernant le négationnisme a pu voir des historiens participer au procès. Mais
ces cas d'intervention sont spécifiques et ne peuvent permettre d'appréhender le fond du
problème posé. C'est en fait la façon de raconter l'histoire qui est jugée. Les historiens
interviennent parce que leur discipline est en cause. Leur participation semble donc assez
normale. Ils ne sont pas appelés parce que la justice a besoin de leur savoir. En effet, il ne
s’agit pas d’établir des faits historiques mais d’évaluer les atteintes portées à des personnes.
Ainsi, dans les procès pour négationnisme, l’important n’est pas de savoir si les chambres à
gaz ont existé ou non mais si les propos de quelqu’un niant les chambres à gaz portent
atteintes à la mémoire des victimes. Par conséquent, si cette intervention peut fournir des
points de comparaison, elle ne peut constituer le cœur de notre étude. Ce qui semble plus
intéressant, ce sont les cas où le juge a besoin de la connaissance de l'historien pour juger,
c'est-à-dire les cas où les faits soumis au juge ont une nature historique. L'historien intervient,
alors, non parce que sa discipline est en cause mais parce que le litige touche des faits dont il a
eu à connaître dans l'exercice de ses fonctions. Or, en France, hormis, les trois grands procès
issus de la Seconde guerre mondiale, il ne semble pas que des historiens soient intervenus. Par
exemple, les listes auprès des Cours d'appel ne mentionnent aucun historien (hormis des
historiens de l’art). Leur intervention est marginale.
Nos recherches ont pris plusieurs formes. Tout d’abord, il existe, bien que mince, une
littérature sur le sujet. Elle est essentiellement le fruit de la réflexion d’historiens. Il était donc
nécessaire de la compléter par une dimension juridique, notamment pour ce qui concerne le
statut de l'historien dans le procès. De plus, elle reste bien souvent fort abstraite. Pour pouvoir
confirmer et démentir ces dires, il fallait analyser de manière plus précise les procès dans
lesquels les historiens étaient intervenus. C’est pour cela qu’une étude du compte-rendu
sténographique de l’ensemble des interventions des historiens dans le procès Papon et le
visionnage des interventions des historiens dans le procès Barbie15 étaient nécessaires. Il
14
Cette affaire sur laquelle nous reviendrons opposait Bertrand de Jouvenel à Zeev Sternhell à propos d’un livre
« Ni droite, ni gauche, les origines françaises du fascisme » dans lequel Sternhell rappelait la passé du
politologue de Jouvenel et ces idées proches du fascisme. Voir à ce sujet, ASSOULINE (P.), Enquête sur un
historien condamné pour diffamation, L'histoire, n°68, juin 1984
15
Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver le compte-rendu du procès Touvier. Nous avons donc dû
nous contenter d’ouvrages de seconde main par ailleurs fort complets. Pour la bibliographie, voir ultérieurement.
7
fallait également recueillir les impressions des protagonistes de ces procès. Les historiens se
sont exprimés sur ce sujet dans leurs écrits16, il ne paraissait donc pas utile de les rencontrer.
Par contre, le point de vue des gens de droit était plus difficilement connu, ceux-ci étant restés
discrets sur le sujet (par devoir ou par désintérêt ?). Qu’est-ce qu’un juge attend de la
participation des historiens ? Comment les avocats se comportent-ils face à eux ? Les
tentatives pour entrer en contact avec différentes personnalités, notamment les protagonistes
du procès Papon ont été assez décevantes. Seul Me Varaut17 a bien voulu nous recevoir. Pour
comprendre ce rôle, il fallait également avoir une vision un peu plus précise du travail de
l’historien. Pour ce faire, outre une littérature abondante, la rencontre avec un professeur
d’histoire en la personne de Mme Tissot18 semblait pertinente. Nos recherches ne pouvaient se
limiter à la France. En effet, des comparaisons avec les justices étrangères étaient nécessaires.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons tenté de rechercher les cas d’intervention des
historiens à l’étranger pour permettre une approche comparative de la question. De plus, il
était également important de rechercher des cas où l’historien aurait pu intervenir et où il n’a
pas été appelé afin de chercher à comprendre pourquoi.
En France, l’intervention des historiens dans un procès qui concerne des faits passés
est exceptionnelle et se déroule dans un contexte exceptionnel. En effet, les trois grands
procès auxquels ils ont pris part ont été fortement médiatisés et présentés comme engageant la
société dans sa globalité. En quoi le propos des historiens est-il vraiment de nature à éclairer
la décision du juge ? Le juge et l’historien sont tous les deux des acteurs majeurs de toute
démocratie. Le juge est le garant de la paix sociale et l’historien participe à la construction de
la mémoire collective. Chacun occupe une place spécifique que l’autre ne saurait lui contester.
L’un juge, l’autre cherche par son œuvre scientifique à développer la connaissance.
Cependant, le juge est amené à connaître des faits dont l’historien est le spécialiste. Afin
d’éviter une confusion des genres qui toujours menace, l’intervention des historiens devient
alors nécessaire. Ils peuvent dans ce cadre apporter leur connaissance au juge, à condition
qu’une répartition des rôles soit établie.
Cependant, il est également possible de se demander pourquoi l’historien n’intervient que
dans les cas où les faits passés engagent l’ensemble de la société, où les procès revêtent un
16
BEDARIDA (F.) Touvier, Vichy et le crime contre l'humanité, Seuil, Paris, 1996 ; Baruch (M-O.), Impressions
d'audience, in Le Débat, n°102 novembre-décembre 1998
17
Avocat au barreau de Paris et défenseur de Maurice Papon
18
Professeur agrégée d’histoire enseignant à l’IEP de Lille
8
caractère exceptionnel. N’existent-ils pas d’autres cas où il pourrait intervenir ? Dans le cadre
des trois grands procès où ils sont intervenus les historiens ont connu de graves difficultés :
leur statut et le discours historique sont apparus peu compatibles avec le cadre judiciaire. De
plus, bien qu’on ait fait appel à eux, les raisons de leur intervention sont peut-être moins
avouables qu’il n’y paraît. Le recours à l’interdisciplinarité semble davantage être un alibi
qu’une réelle nécessité. Cela témoigne de la difficulté de la justice française à recourir à
l’histoire et peut-être de manière plus générale aux sciences sociales en général. Mais plus
qu’un échec, cette intervention, malgré toutes les questions qu’elle soulève, est également une
chance. En effet, bien que limitée et instrumentalisée, l’intervention des historiens souligne
leur utilité et invite à repenser l’interdisciplinarité.
Le rôle de l’historien dans le procès repose sur un paradoxe : leur intervention paraît
nécessaire mais elle soulève des controverses : quel est le rôle des historiens dans le procès ?
En quoi peuvent-ils aider le juge ? Dans quelles mesures leur intervention est-elle compatible
avec le procès ? Dans quels cas interviennent-ils ? Quelles améliorations sont envisageables ?
Notre étude revêt donc une double dimension : une dimension analytique et théorique qui
cherche à comprendre pourquoi les historiens doivent et peuvent intervenir dans certains
procès ; une dimension critique et prospective qui souligne les problèmes posés et cherche à y
apporter des améliorations.
L'intervention des historiens dans les procès issus de la Seconde Guerre mondiale est
inévitable. Elle permet, semble-t-il, une meilleure administration de la justice et évite, en
principe, une confusion des rôles sociaux du juge et de l’historien (1). Cependant, l’étude
précise de l’intervention des historiens dans ces procès tend à montrer qu'il s'agit d'un rendezvous manqué où l’historien est instrumentalisé. Mais plus qu’un échec, cette première vague
d’intervention de l’historien peut être l’occasion de réfléchir à une meilleure utilisation par la
justice de l’interdisciplinarité (2).
9
1.LES RAISONS DE L’INTERVENTION DES HISTORIENS DANS LE
PROCES
Pourquoi des historiens interviennent-ils dans un procès ? A priori, les juges et les
historiens ont des champs d’intervention clairement délimités et qui n’ont pas vocation à se
recouper. Les uns participent activement à la vie publique en étant détenteur d’un des trois
pouvoirs qui constituent les démocraties, les autres sont des chercheurs qui ont un but
scientifique de connaissance ; les uns cherchent à rendre viable la vie collective présente, les
autres cherchent à comprendre le passé de cette collectivité. Cependant, jugement et
connaissance ne sont pas cloisonnés. Le juge a besoin de connaissance pour juger. C’est
notamment le cas lorsqu’il a recours à des experts. Dans ce cadre, les juges ont parfois fait
appel à des historiens. Pour quelles raisons ? Il s’agit de déterminer les hypothèses dans
lesquelles le juge a eu recours à des historiens et de comprendre pourquoi cette intervention a
eu lieu. Quelle est son utilité ? Pourquoi se limite-t-elle à des procès issus de la Seconde
guerre mondiale ? L’historien remplit-il les conditions nécessaires pour participer à un
procès ?Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’analyser les cas où ils sont
intervenus mais également de manière plus théorique de disséquer les relations qui existent
entre le juge et l’historien.
Le juge voit son domaine d’investigation s’étendre. Il doit trancher des litiges
remontant à la Seconde guerre mondiale et qui engagent l'ensemble de la société. Cette
extension peut engendrer une confusion des genres. Amenés à exercer leur compétence sur les
mêmes faits, le juge et l’historien peuvent entrer en concurrence et chercher à exercer le rôle
de l’autre (1.1.). Cependant, cette confusion peut trouver une solution dans l’intervention des
historiens dans le procès. Ceux-ci apportent leur compétence et permettent ainsi une meilleure
répartition des rôles (1.2.).
1.1.Le domaine partagé du juge et de l’historien
Par trois fois, le procès Barbie, le procès Touvier et le procès Papon, des historiens ont
participé à des procès en France dont les faits étaient relatifs à la Seconde Guerre mondiale.
Or les procès se passaient près de quarante ans après les faits : le procès Barbie s’est déroulé
10
devant la Cour d’assises du Rhône du 11 mai au 3 juillet 1987, le procès Touvier a eu lieu
devant la Cour d’assises des Yvelines du 17 mars au 20 avril 1994 et le procès Papon devant
la Cour d’assises de Gironde du 8 octobre 1997 au 2 avril 1998. Le juge est donc amené à
connaître de faits passés qui entrent habituellement dans le domaine de compétence de
l’historien. Pourquoi le juge doit-il et peut-il connaître des tels faits ? Quelles sont les
conséquences sur la répartition des rôles du juge et de l’historien dans la société ?
La demande de vérité sur le passé passe de plus en plus par le biais judiciaire.
L’historien et le juge sont donc amenés à traiter de faits identiques (1.1.1.). Cette concurrence
dans le domaine d’intervention peut créer une confusion quant aux compétences de chacun.
En effet, le juge et l’historien portant leur attention sur les mêmes faits, ils peuvent avoir
tendance à s’emparer du rôle de l’autre (1.1.2.)
1.1.1.La passé devant la justice
Le juge est amené à se prononcer sur des faits dont l’historien est le spécialiste, des
faits passés ancrés dans l’histoire. « La manie compulsive de juger » (D. Bensaïd) entraîne le
passé devant les tribunaux. Cette évolution récente (le procès Barbie ne date que de 1987)
s’inscrit dans le cadre plus large de la judiciarisation des questions de société. La justice a su
sortir de l’état de dépendance dans lequel le pouvoir politique l’avait placée. L’affirmation de
ce « tiers-pouvoir » (D. Salas) qui fait jonction entre les instances politiques incarnant l’Etat et
la société civile s’est faite parallèlement à la remise en cause de l’Etat-providence et de la
société traditionnelle pour répondre aux attentes des citoyens. La justice s’est donc chargée
(ou plus exactement a été chargée par les justiciables) de toutes les questions que la famille,
l’école ou les institutions ne savent plus traiter. Elle est donc amenée à trancher des questions
de société19 : appréciation des politiques de santé publique (affaire du sang contaminé,
amiante, ...), définition d’une religion (affaire de l’Eglise de scientologie), .... De plus, une
accélération du temps est également à l’œuvre. Ce qui hier paraissait encore proche entre
désormais plus rapidement dans le passé. L’histoire du temps présent se développe20. Ce
double mouvement implique que le juge a plus facilement à connaître de faits appartenant à
l’histoire. Le juge et l’historien voient donc leur domaine d’intervention entrer en
19
JEAN (J-P.), La judiciarisation des questions de société, revue Après-demain, octobre 1997
11
concurrence. Pourquoi la demande de vérité sur le passé passe-t-elle par le biais judiciaire ?
Quels sont les faits soumis au juge ?
Certaines conditions sont requises pour que le juge ait à connaître de faits passés : des
conditions sociologiques leur permettent de ressortir du passé et de prendre une orientation
judiciaire ; des conditions juridiques sont nécessaires pour passer du stade de l’action en
justice à celui du jugement.
1.1.1.1.Les conditions sociologiques
Pour quelles raisons des faits anciens, principalement issus de la Seconde Guerre
mondiale remontent-ils à la surface et prennent-ils une tournure judiciaire ? Il est nécessaire
de suivre l’évolution de la perception de ce « passé qui ne passe pas » (Rousso et Conan). En
effet, la mémoire de Vichy et de la Shoah occupe une place particulière dans la société
française21. Cela conduit ces événements sur le terrain judiciaire selon un processus qui part
de la prise de conscience des faits. Mais ce processus s’étend désormais à d’autres événements
de l’histoire nationale. Avant de commencer cette analyse, il faut souligner que notre propos
n’est pas ici de porter un jugement sur cette évolution mais simplement de la constater et de la
comprendre. Les intervenants au Colloque organisé par l’Ecole Nationale de la Magistrature le
2 mars 2001 sur le thème "vérité historique, vérité judiciaire" ont parfaitement souligné les
raisons de l’émergence de la demande de vérité judiciaire sur le passé.22 Ce processus est le
fruit d’une longue maturation qui comporte plusieurs étapes.
Ce besoin tardif de vérité judiciaire s’explique tout d’abord par l’«amnésie postévénementielle». A la suite de crimes commis pendant des événements particulièrement
graves et déchirants, l’acceptation et le dévoilement de la vérité nécessite une période de
latence. Les victimes éprouvent souvent une grande difficulté à se replonger dans les crimes23
20
La création de l'Institut de l'Histoire du Temps Présent en est une manifestation. Voir à ce sujet, ROUSSO, La
hantise du passé, op. cité, 2e partie
21
Voir CONAN (E.) et ROUSSO (H.), Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, Paris, 1994.
22
Voir DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, op. cité
23
Ainsi, Sylvie Pantz qui a dirigé pendant dix-huit mois le Département de s Affaires Judiciaires de la Mission
des Nations Unies au Kossovo constate les difficultés des victimes à exposer leur souffrances immédiatement.
12
et souhaitent avant tout qu’on les oublie24. La volonté de juger dès la fin des événements
traduit davantage un besoin d’en finir qu’un mouvement expiatoire. Par exemple, à la fin de la
Deuxième guerre mondiale en France, si l’épuration n’a pas été bâclée comme on le dit
souvent25, elle s’est effectuée selon les critères de l’époque. La volonté de montrer une France
résistante domine pour se repositionner sur la sphère internationale et fermer les cicatrices du
passé. Le procès Bousquet26 de juin 1949 montre que des éléments pourtant fondamentaux ont
été sous-estimés. René Bousquet, investigateur de la rafle du Vel d’Hiv’ où 13 152 Juifs
(3118 hommes, 5919 femmes et 4115 enfants) furent déportés les 16 et 17 juillet 1942, n’est
condamné qu’à cinq ans de dégradation nationale alors que ces faits étaient connus. Le refus
ou l’impossibilité de juger convenablement des faits au moment présent décale le processus
judiciaire. Les juges ont besoin de recul.
Mais ces événements ne sombrent pas dans l’oubli. Un besoin de vérité se fait sentir.
L’historien joue un rôle dans ce processus. Les écrits des historiens permettent une maturation
des esprits. Le rôle des livres scolaires pour les nouvelles générations est alors fondamental.
La banalisation des avancées historiques permet à l’ensemble du corps social de comprendre
le passé et de l'accepter. Les historiens peuvent également avoir un rôle actif dans l’émergence
dans la sphère publique de certains faits historiques. Il suffit de penser au rôle tenu par
l’œuvre de Paxton dans la perception de Vichy27. Les années 1960 et 1970 permettent de sortir
de la logique judiciaire qui avait jusque là été très présente dans le traitement des événements
de la seconde guerre mondiale. En effet, les premières histoires de Vichy (notamment celle de
Raymond Aron publiée en 1954) se plaçaient sur le même terrain que les procès d’épuration.
L’accent n’était pas mis sur le génocide juif mais sur la question de savoir si Pétain était un
traître. La « révolution paxtonienne » a cherché à entrer dans une logique historienne et non
dans une logique judiciaire. Cependant sur cette base, un nouveau processus judiciaire s’est
engagé. Le développement de la connaissance historique a permis la prise en compte des
persécutions antijuives.
24
Suite à la Deuxième Guerre mondiale, les Juifs Français avaient davantage le souci qu'on les oublie afin qu'ils
puissent se réintégrer plutôt qu'on les différencie.
25
Voir pour un point de vue synthétique, WIEVIORKA (O.), L’épuration a-t-elle eu lieu ?, in L’Histoire, n°222,
juin 1998 et pour plus d’informations, NOVICK (P.), L’épuration française, Le Seuil, Paris, 1991
26
Pour la déroulement de la vie de Bousquet, voir LAMBERT (B.), Bousquet, Touvier, Papon, dossiers
d’accusation, FNDIRP, Paris, 1991
27
Sur cette évolution, voir, ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p.110 et suiv.
13
Les victimes tiennent le rôle principal. Elles ont choisi la voie judiciaire pour faire
apparaître la vérité. Pourquoi ?
Les historiens n’ont pas un statut qui leur permet de
convaincre la collectivité et d’imposer la vérité dans l’ensemble du corps social28. C’est pour
cette raison que le débat change de sphère et passe du champ historique au champ judiciaire.
Les victimes ne voient pas dans l’histoire un moyen d’assouvir leur besoin de réparation mais
elles constatent en fait que l’histoire ne parvient pas à faire passer la vérité dans la société.
L’histoire permet la maturation mais pas le dévoilement. Le procès en revanche, grâce à son
caractère solennel, assure la reconstitution du lien social en y incorporant le passé et non en le
laissant dans l’oubli. La méthode de Serge Klarsfeld29, avocat et président de l’Association
des Fils et Filles de déportés juifs de France est caractéristique. Pour lui, seul le passage
devant la justice permet à la vérité d’être dévoilée. C’est le sens de ses travaux. Il part de la
recherche historique existante et souvent il la complète afin de parvenir à un procès. Après des
actions brutales parfois illégales en Allemagne pour obliger les Allemands à prendre en
compte leur passé, son action s'est concentrée sur la France. Au début des années 1970, il se
rend compte que le rôle de Vichy ne se trouve dans aucun manuel scolaire et que ceux-ci
écrits par des agrégés véhiculent une théorie falsificatrice puisque la plupart des Juifs ont été
arrêté par des uniformes français. Or il n’existe pas de mention de cela. Il a choisi de
poursuivre les personnages représentant les institutions qui avaient persécuté les juifs, c’est-àdire Bousquet pour le gouvernement et la police, Leguay pour la police, Touvier pour la
milice et M. Papon pour la préfectorale. Il pense que le développement judiciaire de ces
affaires apportera une connaissance du rôle qu’a eu Vichy aux cotés des Allemands. Sa
démarche judiciaire s’inscrit donc aussi dans le cadre du développement de la connaissance
historique. Il part d’une connaissance historique en partie établie pour l’amener sur le terrain
judiciaire.
La demande de vérité sur le passé passe désormais par le biais judiciaire. Cela explique
que la justice ait à se prononcer sur des événements passés, partie intégrante de l’histoire
nationale : une prise de conscience est nécessaire. Cependant, ce processus de judiciarisation
du passé ne s’est pas fait sans difficulté30. Les magistrats français ont été particulièrement
réticents. On peut noter que dans toutes les affaires concernant la Seconde Guerre mondiale, le
ministère public n’a jamais pris l’initiative des poursuites. Or, d’autres affaires concernant des
28
29
Intervention de J-C Martin, in DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, op. cité
Voir l’interview de Serge Klarsfeld sur www.diplomatiejudiciare.com
14
faits passés se sont également retrouvées devant la justice mais les conditions juridiques
n’étaient pas remplies et par conséquent les procédures n’ont pu être menées jusqu'à leur
terme. C’est notamment le cas d’affaire concernant la Guerre d’Algérie. Il nous faut donc
étudier les conditions juridiques qui permettent à des faits passés de se retrouver devant un
tribunal.
1.1.1.2.Les conditions juridiques.
La justice traite habituellement d’affaires récentes. En effet, son rôle est de permettre
le bon fonctionnement de la société au présent, non de rechercher dans le passé et de rouvrir
les cicatrices. Au contraire, elle doit faire taire le passé pour assurer la cohésion de la société.
Le juge est donc réticent à voir le passé arriver au prétoire. Par conséquent, on est en droit de
se demander par quel mécanisme la justice peut être amenée à traiter de faits passés et
pourquoi ces faits concernent uniquement la Seconde Guerre mondiale.
Le long processus de maturation implique un décalage temporel important entre les
faits et le procès. Or, le droit commun de la procédure pénale est constitué par la prescription
de l’action publique et de la peine31 : il devient impossible de poursuivre des faits
logiquement sanctionnables et punissables (prescription de l’action publique) ou de faire
appliquer une peine prononcée (prescription de la peine) après un certain temps. C’est
principalement la prescription de l’action publique qui nous intéresse. Celle-ci est définie en
matière pénale par le Code de procédure pénale aux articles 7, 8 et 9. Pour les faits qui nous
intéressent, il s’agit de crimes, la prescription d’après l’article 7 est de dix ans32. Les
justifications de la prescription permettent de mieux en comprendre la signification. Elle
repose sur l’idée que l’infraction doit au bout d’un certain temps être oubliée afin de permettre
à la collectivité de continuer à avancer sans se retourner constamment sur son passé. C’est
donc dans un intérêt de tranquillité sociale que les crimes sont prescrits. La prescription est
également justifiée par une considération psychologique : le coupable qui a échappé aux
poursuites a dû vivre dans l’inquiétude. Mais en réalité, l’une des raisons premières de la
30
Voir DEPERCHIN (A.), Vérité, historique, vérité judiciaire, op. cité
A ce sujet voir les manuels de procédure pénale, par exemple, CONTE (P.) et MAISTRE DU CHAMBON,
Procédure pénale, Armand Colin, Paris, 2001 ou STEFANI (G.) et autres, Procédure pénale, Dalloz, Paris, 2000
32
Il existe des cas particuliers où la prescription est de trente ans, notamment en matière de terrorisme ou de
trafics de stupéfiants
31
15
prescription est le dépérissement des preuves. Plusieurs années après le crime, les indices et
les témoignages permettant d’établir la véracité des faits sont difficiles à trouver ou ont perdu
une partie de leur force probatoire. Le risque d’erreur judiciaire apparaît. Cependant, la
prescription connaît des critiques dans son fondement même : la doctrine pénaliste dans sa
large majorité considère que le temps ne saurait atténuer ni supprimer le danger que le
délinquant représente pour la société. La prescription étant la règle de droit commun, les faits
anciens (supérieurs à 10 ou 30 ans) peuvent difficilement se retrouver devant un tribunal.
Cependant, il existe une exception à la prescription en matière pénale : le législateur
français dans la loi n°64-1326 du 26 décembre 1964 constate l’imprescriptibilité des crimes
contre l’humanité33. Cette loi dispose dans son unique article : « les crimes contre l’humanité,
tels définis par la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, prenant acte de la
définition des crimes contre l’humanité, telle qu’elle figure dans la charte du tribunal
internationale du 8 août 1945, sont imprescriptibles par leur nature ». Comment justifier une
telle entorse au droit commun ? Plusieurs raisons peuvent être avancées. Nous avons vu que la
proximité des événements ne permet pas bien souvent d'en comprendre la portée.
Contrairement aux crimes de droit commun, les preuves apparaissent avec le temps, une fois
que l’amnésie post-événementielle s’efface et que les historiens commencent leur travail. De
plus, ces crimes dépassent les concepts juridiques traditionnels. Ils engagent l’ensemble de la
société. Dès lors, le bien-être de la société ne réside plus dans leur oubli mais au contraire
dans leur acceptation. La loi prévoit la rétroactivité de l’imprescriptibilité puisqu’elle
s’applique aux faits de la Seconde Guerre mondiale mais elle vaut également pour les faits
futurs. Une fois que cette règle est inscrite dans notre droit et bien qu’à l’origine elle avait
essentiellement pour but d’éviter que des criminels allemands voient leur crimes prescrits, nul
ne peut plus empêcher la justice de se mettre en marche. Comme le souligne Marc Robert34, la
question de la légitimité des poursuites ne se pose plus. La réponse légale apportée par la loi
évite les interrogations sur l’opportunité du procès. Dès lors des procès concernant des faits
anciens sont possibles et la demande sociale de vérité judiciaire peut trouver un
aboutissement.
33
Voir, LAQUEZE (A.), Le débat de 1964 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, in Droits, n°31,
2000
34
Cité in DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, op. cité
16
Pour que des faits anciens puissent être examinés par un tribunal, il est nécessaire
qu’ils soient qualifiés de crimes contre l’humanité. Or la justice française s’est montrée très
restrictive dans son appréciation de cette notion. Seuls des faits relatifs à la Seconde Guerre
mondiale ont été qualifiés ainsi et même dans ces cas les magistrats ont été très réticents. En
effet, la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation35 définissant le crime
contre l’humanité a eu recours en 1985 à la notion d’«Etat pratiquant une politique
d’hégémonie idéologique»36. Même si par la suite le législateur (article 212-1 pour les crimes
contre l’humanité de Nouveau Code pénal) a défini de manière plus large le crime contre
l’humanité, cette loi n’étant pas rétroactive, c’est toujours la définition de la Cour de cassation
qui s’applique pour les faits antérieurs à 1994. Il est donc nécessaire que les crimes
s’inscrivent dans une entreprise collective de destruction et d’avilissement de l’homme. En
effet, la Cour affirme : « les crimes contre l’humanité sont des crimes de droit commun
commis dans certaines circonstances et pour certains motifs particuliers précisés dans le
texte qui les définit37 ».
Donc, contrairement au droit commun, le mobile est une des
composantes obligées de l’élément moral de l’infraction. Ce dol spécial est la participation
délibérée à « la politique d’hégémonie idéologique » des puissances de l’Axe impliquant
notamment l’extermination du peuple juif. Pourquoi les magistrats ont-ils ressenti le besoin de
fixer des conditions aussi strictes prenant en compte le contexte38? Pour certains, cela tient au
fait que la Cour de cassation ait voulu que ce crime ne pèse que sur les Allemands ou le
limiter aux Français collaborateurs, comme semblait le souhaiter le législateur de 1964. Le but
était d’éviter surtout le jugement de Français pour des actes isolés. Pour Jean-Paul Jean, cela
tient également à une culture souverainiste des magistrats ainsi qu’à une question
générationnelle. Ils ont connu la période de l’Occupation et appartiennent donc à une classe
d’âge qui a du mal à regarder son passé car il les touche personnellement. Enfin, il semble
difficile de faire le procès d’un fonctionnaire sans poser la question de l’attitude de la
magistrature sous l’Occupation. Or, dans un corps où il existe des dynasties de magistrats ces
questions se révéleraient embarrassantes. Dans le procès Papon, Me Varaut39 n’a pas manqué
d’interroger les historiens sur le comportement de la magistrature sous l’Occupation. Ainsi,
35
Sur cette jurisprudence, voir CONAN (E.) et ROUSSO (H.), Vichy, un passé qui ne passe pas, op. cité, p. 126
et suiv. et GRYNFOGEL (C.), Touvier et la justice, une affaire de crime contre l’humanité ?, in Revue de
sciences criminelles, n°1, 1999, p. 61
36
Voir arrêt Barbie Cour de cassation chambre criminelle 20 décembre 1985, JCP 1986, II, n°20655
37
Article 6 du statut de Nuremberg
38
Voir DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, op. cité
39
Le procès Papon, compte-rendu sténographique, Albin Michel, Paris, 1998, 1er tome, p.318-319
17
les crimes contre l’humanité ne semblent pouvoir toucher que des faits relatifs à la Seconde
guerre mondiale et principalement à l’extermination des Juifs. Cela renvoie également à
l’Unicité de la Shoah qui occupe une place particulière dans l’histoire de l’humanité40. Même
si des évolutions sont possibles et réclamées par certains41, l’état actuel du droit impose de
dire que seuls des faits relatifs à la Seconde guerre mondiale sont susceptibles d’être invoqués
devant un tribunal sans être soumis à la prescription (à l'exception des faits postérieurs à 1994
où les dispositions du nouveau code pénal s’appliquent). Les guerres coloniales et notamment
la Guerre d’Algérie, malgré une mémoire qui se réveille, ne peuvent pas pour l’heure être
soumises à un tribunal : cela imposerait de reconnaître que le pouvoir de l’époque menait une
politique d’hégémonie idéologique.
Le passé peut donc, sous certaines conditions, entrer dans le prétoire. Cela amène les
juges à connaître de faits dont l’historien est le spécialiste. Cependant, cela ne devrait pas
amener une confusion des genres. En effet, le juge et l’historien n’ont pas en principe les
mêmes compétences et les mêmes fonctions. Mais, traitant de faits identiques, le risque est
grand.
1.1.2.Le risque de confusion des genres
Le juge entre en concurrence avec l’historien : il connaît des faits qui sont
habituellement réservés à celui-ci. Cependant, chacun occupe une place particulière au sein de
la société et a des compétences propres. Dès lors, ils peuvent avoir affaire à des faits
identiques mais les traiter de manière différente. Cependant, un risque de confusion des genres
existe. Le juge connaissant de faits historiques peut être tenté de dire l’histoire. Mais ce
mouvement n’est pas univoque et l’historien dépourvu de pouvoir normatif peut adopter une
attitude moralisante et émettre des jugements de valeur éloignés de sa prétention scientifique.
Le domaine et les faits traités par le juge et l’historien n’étant pas clairement délimités, chacun
s’arroge les compétences de l’autre. La ligne de démarcation entre le juge et l’historien
apparaît plus floue. Chacun empiète sur le terrain de l’autre : l’historien se fait juge et le juge
se fait historien. La réflexion a pour but de montrer que si en principe chacun a un rôle propre,
40
MARRUS (M.), L’holocauste dans l’histoire, Flammarion, Paris, 1994, p. 39 et suiv.
Par exemple, Etienne Balibar demande dans un tribune de Libération du 17 octobre 2000 que l’Etat français
soit condamné pour crime contre l’humanité à propos des massacres de Paris en 1961
41
18
en pratique ces rôles se confondent parfois mais également d’analyser les relations qu’ils
entretiennent.
Le juge et l’historien occupent chacun une place propre au sein de la société mais il
peut arriver que les uns jouent le rôle des autres au risque d’une confusion des genres. Ce
problème connaît une acuité toute particulière dans le domaine du contentieux de la
responsabilité des historiens. C’est dans ce cadre, où le juge est amené à définir et à contrôler
le travail de l’historien, que les rapports de force entre les deux professions se dégagent.
1.1.2.1.Répartition et confusion des rôles sociaux
Le juge et l’historien sont deux acteurs majeurs de la société démocratique, l’un est le
garant de la paix sociale, l’autre est le garant d’une connaissance effective et exacte du passé.
L’un fait un travail de connaissance, l’autre prononce un jugement. Mais quel est plus
précisément leur rôle social ? En quoi chacun peut-il empiéter sur les compétences de
l’autre au sein de la société ? En effet, malgré des compétences pourtant clairement distinctes,
parfois le juge fait de l’histoire et l’historien se fait juge.
Le juge et l’historien participent à la formation de la société et tissent du lien social. Ce
sont tous les deux des acteurs fondamentaux pour le respect du civisme. L’un y éduque,
l’autre en garantit le respect. Etant revenus de la tendance nationaliste qui a existé en France à
la fin du XIX° siècle, les historiens cherchent désormais à faire comprendre le fonctionnement
politique et social de la nation. Leur but est de permettre aux élèves de prendre part à la vie
sociale. De ce rôle majeur, chacun tire un statut spécifique au sein de l’Etat. En effet, ils
doivent être libres. Or, seul l’Etat peut leur donner cette liberté qui évite de tomber sous le
joug des intérêts privés et du marché42. Mais, ils doivent également être indépendants des
organes temporels de l’Etat pour ne pas être sous leur influence. Or un Etat démocratique ne
peut s’accommoder d’une histoire officielle telle qu’elle se pratiquait dans les anciens pays du
bloc de l’Est pas plus qu’il ne peut tolérer une justice dépendante du pouvoir politique.
Cependant, le juge et l’historien n’ont pas le même positionnement vis-à-vis de la société.
Chacun a une responsabilité propre. L’historien a un rôle de surveillance sociale. Comme le
42
C’est pour cela sans doute que les historiens professionnels (en plus de l’onction du diplôme) ont une autorité
supérieure aux non-professionnels. Voir infra
19
rappelait Lucien Febvre, la fonction sociale de l’historien est d’ « organiser le passé en
fonction du présent ». Il doit être vigilant par rapport aux risques de déformation de la
mémoire. C’est son rôle d'intellectuel. Il doit éviter d’écarter, de mettre sous silence les
déchirures du passé mais au contraire éviter l'oubli. Si la mémoire demeure le pivot central de
notre existence sociale et que les historiens sont par nature des acteurs de la construction de la
mémoire, il convient avec F. Bédarida de « prendre garde et de résister à un certain
confusionnisme ambiant (...). Le devoir de mémoire ne doit pas conclure à une
sacralisation »43. La mémoire collective rend le passé présent, de façon immédiate et
sélective. L’histoire, elle, nous permet d’appréhender la distance qui nous sépare de lui44. Plus
qu’un devoir de mémoire, l’historien est le garant d’un devoir d’histoire.
Le juge est le garant de la paix sociale. Son objectif n’est pas de gérer l’ensemble de la
société mais de permettre de sanctionner chaque individu qui rompt le pacte social. Le juge
marque une fin dans un processus. Il donne une sentence définitive. Par contre, l’historien est
toujours dans un processus. Il n’est qu’un moment dans le processus de dévoilement d’une
vérité toujours relative. L’historien est celui qui réveille le conflit social pour permette à la
société de regarder son passé en face. Il permet de « connaître le présent en fonction du passé
mais aussi de connaître le passé en fonction du présent. L’histoire nous instruit sur les
possibilités de l’homme, sur la façon dont il réagit aux problèmes auxquels nous nous
trouvons confrontés »45. Il éveille la conscience de la société face à sa responsabilité
collective. La justice, elle, examine les responsabilités individuelles pour permettre à la
collectivité de continuer à vivre : elle sanctionne les infractions et permet le respect des règles
qui régissent la société.
Si le rôle de l’historien et celui du juge sont difficilement hiérarchisables au sein de la société,
il est cependant nécessaire de remarquer que le statut de juge ainsi que sa déontologie sont
définis légalement. Le juge occupe au sein de la société une fonction éminente qui nécessite
une définition légale. En effet, tout le monde ne peut s’arroger le droit d’être juge. Par contre,
la définition de l’historien est beaucoup plus floue. Qui est historien ? Est-ce le professeur
d’histoire reconnu par un diplôme ? Est-ce l’historien amateur ? Cette question est ardue et
c’est le juge qui au final semble donner la définition de l’historien. C’est donc au juge que
revient de révéler les règles déontologiques de l’historien. Il le fait à travers le contentieux de
43
BEDARIDA (F.), L’histoire entre science et mémoire ?, in J-C. Ruano-Borbalon (Coord. Par), L’histoire
aujourd’hui, Sciences Humaines, Hors-série n°18, Auxerre, 1999, p. 337
44
Voir HALBWACHS (M), La mémoire collective, Paris, P.U.F., 1968, p.77 et suiv.
45
BEDARIDA (F.), L’histoire entre science et mémoire ?, op. cité
20
sa responsabilité. Mais avant d’en arriver là46, il faut noter que si leurs fonctions sociales sont
normalement clairement distinctes, il arrive qu’elles se confondent.
Parfois l’historien se fait juge. « Comprendre ou juger ». Tel est le dilemme que M.
Bloch pose aux historiens. Il y répond à sa façon par le fameux : « Robespierristes,
antirobespierristes, nous vous crions grâce ; par pitié dites-nous uniquement qui fut
Robespierre »47. L’historien devrait donc uniquement comprendre sans jamais porter de
jugement. Cette position soulève de nombreuses questions. Si elle peut se comprendre dans le
contexte de l’époque où les historiens avaient encore tendance à mener une histoire orientée, il
est possible également de se demander si l’historien n’a pas aussi à certains moment un devoir
de juger. Primo Levi affirme : « Comprendre la décision ou la conduite de quelqu’un cela
veut dire les mettre en soi, se mettre à sa place (...) Eh bien aucun être normal ne pourra
s’identifier à Hitler, ... »48. L’historien est donc amené à certains moments à juger car il
exerce une responsabilité en tant qu’intellectuel. Il porte des jugements moraux et
idéologiques. Cependant, cette fonction doit être distinguée de son travail de recherche. En
effet, il s’agit d’un second temps dans sa démarche. Dans un premier temps il doit expliquer ;
puis il peut porter un jugement mais en le séparant de son explication. L’historien est engagé
mais son travail de recherche ne l’est pas forcément. Ainsi, la controverse autour du Livre noir
du communisme a bien montré que le jugement porté par S. Courtois dans la préface du livre
ne relève pas du travail scientifique de l’historien mais de son engament idéologique.
Contrairement au régime nazi avec le procès de Nuremberg, le système communiste n’a pas
été soumis au juge. L’historien se sent alors le devoir de juger49. Cela renvoie à la fameuse
maxime : l’histoire jugera. Ce rôle est de moins en moins assumé par l’historien, sans doute à
juste raison, qui se veut avant tout un scientifique. Le jugement de l’historien n’a que peu de
chose à voir avec le jugement de la justice. En effet, il n’a qu’une force morale. Ainsi, la
tribune organisée par Libération autour de R. Aubrac50 et qui a suscité tant de réactions n’était
pas un tribunal. Comme le remarque H. Rousso51, rares sont les procès où l’accusé convoque
lui-même ses juges. Même lorsqu’un juge est amené à porter des jugements moraux, ce qui
46
Voir infra
BLOCH (M.), Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Armand Colin, Paris, 1997
48
Cité in MARTIN (J-C), La démarche judiciaire face à la vérité historique. Juges et historiens, in Droits et
société, Dossier : Vérité historique-Vérité judiciaire, n°38, 1998
49
ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p. 89
50
Libération du 17 juillet 1997
51
ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p.92-93
47
21
peut choquer les juristes puristes mais ce qui se fait cependant, son jugement n’est pas
uniquement moral car il revêt la force obligatoire de la vérité légale. Par exemple, les juges du
tribunal de Grande instance de Nanterre par un jugement du 23 septembre 1987 condamne M.
Le Pen « nonobstant l’absence de textes législatifs »52. Les juges portent un jugement moral
sur une personne qui ramène les chambres à gaz et l’extermination des Juifs à un « détail de
l’histoire ». Mais ce jugement a force obligatoire. Cependant, il arrive également que les
historiens se portent sur le domaine juridique. En effet, ils cherchent à qualifier juridiquement
des faits. Bernard Lewis53, professeur à Princeton, accorda le 11 janvier 1993 un entretien au
journal Le monde où il conteste le fait que les massacres de 1915 à 1916 aient été commandés
par un plan d’extermination. Yan Thomas54 constate que l’historien s’est lui-même positionné
sur le plan juridique en déniant l’emploi du mot génocide pour ces massacres : « en se
prononçant sur le préjugement d’où résulte une sanction juridictionnelle, il prenait le risque
d’être attaqué non comme historien mais comme polémiste auteur d’un dommage ». Ainsi,
les historiens oublient parfois leur rôle avant tout scientifique de connaissance et de
compréhension pour se placer sur le plan du jugement, voire du droit. La confusion ne porte
pas sur les faits mais sur les compétences.
Mais, ce mouvement n’est pas univoque. Il arrive que le juge soit également amené à
faire œuvre d’histoire. Le juge qui connaît de faits passés peut avoir tendance à dire l’histoire.
C’est ainsi qu’au moment où la recherche historique évoluait vers la mise en évidence d’une
responsabilité propre de Vichy dans la déportation des juifs, l’accent a été mis sur la notion de
complicité de crimes contre l’humanité. Or, la jurisprudence chargée de définir cette notion a
eu recours à la notion « d’Etat pratiquant une politique d’hégémonie idéologique ». La
Chambre d’accusation de la Cour d'appel de Paris dans l’affaire Touvier prononce un non-lieu
contre celui-ci le 13 avril 199255 au motif qu’à Vichy ne régnait pas une politique idéologique
cohérente et précise. Par conséquent, Paul Touvier ne pouvait être responsable de complicité
de crime contre l’humanité puisque milicien il ne dépendait que de Vichy. Dans cette affaire
qui a fait grand bruit, les juges se sont octroyés le droit de dire l’histoire en qualifiant le
régime de Vichy. Cependant, cette définition était rendue inévitable par la définition même de
52
Cité in Le Masson (J-M.), La recherche de la vérité dans le procès civil, in Droits et Société, n°38, 1998, p.22
Pour les références ultérieurs à cette affaire, voir TGI Paris 21 juin 1995, Petites affiches septembre 1995,
n°117, p17, note Roumelian ; JEANNENEY (J-P.), Le passé dans le prétoire, op. cité, p.37 et LE CROM (J-C.),
Juger l’histoire, in Droits et société, n°38, 1998 , p. 33
54
THOMAS (Y.), La vérité, le temps, le juge et l’historien, in Le débat n°102 novembre-décembre 1998
55
GRYNFOGEL (C.), Touvier et la justice, op. cité
53
22
l’infraction. Une réelle confusion des genres naît56. Le juge se fait historien parce que le droit
prend part à la discussion historique. Cette confusion a été renforcée par la loi du 13 juillet
199057 qui ajoute à la grande loi sur le presse de 1881 un article qui dispose que : « Seront
punis (...) ceux qui auront contesté (...) l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité
tels que définis à l’article 6 du Tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres
du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée
criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne coupable de tels
crimes par une juridiction française ou internationale ». Cette loi a évidemment pour but de
lutter contre le négationnisme. Elle assigne au juge la tâche d’apprécier l’histoire pour
condamner une personne. Celui-ci impose donc parfois une histoire officielle éloignée de
toute vérité scientifique. Ce n’est pourtant pas son rôle et cette loi a été durement critiquée.
Le juge et l’historien, bien qu’ayant des rôles sociaux différents, voient parfois leur
compétence s’entremêler. Cependant, ils n’ont pas les mêmes pouvoirs l’un envers l’autre. Le
juge est revêtu de la légitimité démocratique et ses sentences ont force obligatoire. Par
conséquent, il peut imposer ses visions historiques tandis que l’historien ne peut faire
prévaloir ses jugements qui n’ont qu’une force morale. C’est dans le cadre du contentieux de
la responsabilité de l’historien que ce rapport de force prend tout son sens.
1.1.2.2.Le contentieux de la responsabilité de l’historien.
Le juge est amené à connaître du travail de l’historien. Dans ce cadre, ce ne sont pas
les faits étudiés qui placent le juge et l’historien en concurrence mais le travail même de
l’historien. Or, le rôle de l’historien dans le procès ne peut se comprendre sans étudier le
regard que le juge porte sur l’histoire. En effet, selon que le juge s’arroge ou non le droit de
dire l’histoire, la place que peut acquérir l’historien dans le procès varie. Si le juge dit à
l’historien ce qu’est l’histoire dans une affaire, il semble difficile qu’il ait recours à lui dans
une autre pour lui demander son avis de spécialiste sur tels ou tels faits passés. Un important
contentieux de la responsabilité de l’historien s’est développé. Que dit le juge sur l’historien ?
56
57
CONAN (E.) et ROUSSO (H.), Vichy, un passé qui ne passe pas, op. cité, p. 142 et suiv.
Voir, RIBERIOUX (M.), Le génocide, le juge et l’historien, in L’Histoire, n°138, novembre 1990
23
Quelle position adopte-t-il par rapport à lui ? Il ne s’agit pas ici d’avoir une vue d’ensemble de
ce contentieux58 mais plutôt de dégager les grandes lignes du regard du juge sur l’historien.
Le droit de l’histoire est une matière en plein développement. Le juge59 est surtout
saisi d’affaires concernant le caractère diffamatoire de certains écrits60. Par exemple,
l’historien israélien, Zeev Sternhell61, a publié un livre, en janvier 1983, intitulé « Ni droite,
ni gauche, l’idéologie fasciste en France ». Il tente de démontrer en quoi l’idéologie fasciste
s’est développée en France dans les années 1930. Or, Bertrand de Jouvenel, intellectuel de
réputation internationale, est régulièrement cité dans ce livre. Il considère que les accusations
portées par Sternhell sont diffamatoires. Il charge donc, en mars 1983, son avocat de citer
l’historien devant la dix-septième chambre du Tribunal de grande instance de Paris pour
diffamation publique envers particulier car plusieurs pages du livre le présentent comme ayant
manifesté des sympathies pro-allemandes et comme un des théoriciens du fascisme à la
française. De plus en plus saisi, les juges ne peuvent cependant dire l’histoire sans cautionner
une histoire officielle en contradiction avec la liberté de recherche scientifique de l’historien.
Cependant, le juge peut-il laisser tout dire à l’historien ? Qu’est-ce que le juge entend par
historien ? Sans entrer dans le caractère technique de ce contentieux (le fondement des
attaques, latitude du juge face à la bonne foi, ...)62 nous nous contenterons de déterminer ce
que dit le juge sur le travail historique : qui est historien ? comment contrôler son travail ?
Bien souvent pour se défendre, la personne attaquée soutient qu’elle n’est pas
historienne et qu’elle fait œuvre d’imagination. Le juge doit alors définir qui est historien. Estce qu’est historien uniquement le professionnel de l’histoire ? Ou encore celui qui dispose de
tel ou tel diplôme ? La justice semble adoptée une vision particulièrement extensive de
58
Voir à ce sujet par exemple, MALLET-POUJOL (N.), Diffamation et « vérité historique », Dalloz, 2000,
juris., p. 226, BREDIN (J-D.), Le droit, le juge et l’historien, in Le débat, novembre 1984, p. 111 ou LE CROM
(J-C.), Juger l’histoire, op. cité
59
C’est la 17e chambre du TGI de Paris qui est spécialisée dans ces affaires
60
Parmi ce contentieux, il existe notamment tous les cas de négationnisme. En effet, face à tels propos dont la
non-scientificité et l’inexactitude historique, sont démontrées, l’histoire qui revendique son statut de science
relative est incapable de donner efficacement le change. Seul le juge peut y parvenir. C’est pourquoi avant même
qu’une loi en ce sens n’existe, le tribunal de grande instance de Paris avait déjà le 8 juillet 1981 avait déjà
condamné Robert Faurisson parce qu’il niait l’existence des chambres à gaz. La loi antiraciste adoptée le 30 juin
1990, dite « loi Gayssot » fournit une base légale à ses accusations contre les historiens en faisant de la négation
des crimes contre l’humanité un délit
61
Pour toutes les références ultérieures à cette affaire, voir ASSOULINE (P.), Enquête sur un historien
condamné pour diffamation, op. cité et JEANNENEY (J-P), Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 105 et suiv.
62
Voir MALLET-POUJOL (A.), Diffamation et « vérité historique », op. cité et LE CROM (J-P.), Juger
l’histoire, op. cité
24
l’historien63. Les diplômes, les spécialités universitaires n’y ont pas cours. Selon le tribunal
est historien celui qui s’engage dans la recherche de la vérité historique. C’est ainsi que M.
Faurisson est qualifié d’historien car il s’engage dans ce domaine en cherchant à défendre une
thèse fustigeant les idées acquises d’une « histoire officielle ». Le juge adopte donc une
définition très large. Mais, une fois qu’une personne est considérée comme historienne que
peut dire le juge sur ses écrits ? L’historien a-t-il des obligations supplémentaires ou est-il au
contraire davantage protégé par son statut ? Les juges a priori ne peuvent rien dire sur son
travail puisqu’ils adoptent une position de neutralité complète vis-à-vis de l’histoire. « Le juge
n’a ni qualité, ni compétence pour juger l’histoire »64. Cette position de neutralité semble
avoir pour fondement la démocratie dans laquelle il ne saurait y avoir d’histoire officielle.
L’histoire est politiquement libre. S’il existe une vérité historique, elle est en perpétuelle
évolution. M. Le Masson65 souligne pour sa part que cette neutralité tient davantage à
l’attachement du juge à la tradition accusatoire qui limitait ses moyens d’instruction. Le juge
se reconnaît incompétent pour déterminer une vérité officielle et donc mettre les moyens qui
sont à sa disposition pour faire apparaître la vérité historique qui relève de la compétence des
spécialistes. La justice, institution de l’Etat, se doit de rester neutre face à la recherche
scientifique.
Le juge va tout de même se prononcer non sur le résultat du travail de l'historien, mais
sur sa méthode et sa déontologie66. L’historien doit rester libre dans sa recherche. Il peut
douter qu’une vérité établie soit vraie et chercher à le remettre en cause mais son doute doit
être fondé. Or pour vérifier cela il faut tout de même poser une certaine responsabilité de
l’historien dans sa méthode. C’est notamment ce qui s’est passé dans l’affaire Faurisson où le
tribunal déclare que « sans avoir à rechercher si un tel discours constitue ou non une
« falsification de l’histoire » (...), M. Faurisson manque aux obligations de prudence, de
circonspection objective et de neutralité intellectuelle qui s’imposent au chercheur qu’il veut
être »
67
. Le juge ne se prononce pas sur l’histoire mais sur la méthode. Dans un cas
complètement différent, dans le procès opposant Bertrand De Jouvenel à Zeev Sternhell, le
tribunal a reconnu l’historien coupable de diffamation et lui a refusé l’excuse de la bonne foi
63
Pour la définition jurisprudentielle de l’historien, voir EDELMAN (B.), L’office du juge et l’histoire, in Droits
et société, n°38, 1998 , p. 47
64
Par exemple, tribunal de Grande instance de Paris, 25 Mai 1987, Gazette du Palais, 1987.1.369
65
LE MASSON (J-M.), La recherche de la vérité dans le procès civil, op. cité
66
Voir EDELMAN (B.), L’office du juge et l’histoire, op. cité
67
TGI Paris 8 juillet 1981, Dalloz, 1982, juris., p.59
25
au motif qu’il aurait dû questionné les témoins de l’époque et qu’il a récusé le témoignage de
De Jouvenel lui-même. Le juge ne se prononce pas sur l’existence ou non des faits historiques
mentionnés mais sur le caractère diffamatoire ou attentatoire à la mémoire des récits des
historiens.
Cette séparation s’avère parfois difficile. Ainsi, dans l’affaire Lewis68, le juge a
condamné Bernard Lewis. Cependant , il constate qu’il ne lui revient pas de qualifier ou non
les massacres arméniens de génocide (alors que ce terme est un terme juridique) parce que
s’agissant d’événements se rapportant à l’Histoire, « les tribunaux n’ont pas pour mission
d’arbitrer ou de trancher les polémiques ou controverses qu’ils sont susceptibles de
provoquer, de décider comment doivent être représentés et caractérisés tel ou tel épisode de
l’Histoire nationale ou mondiale ».
Il le condamne cependant en se fondant sur sa
responsabilité : « l’historien engage sa responsabilité envers les personnes concernées
lorsque par dénaturation ou par falsification, il présente comme véridiques des allégations
manifestement erronées ou omet, par négligence grave, des événements ou opinions
rencontrant l’adhésion de personnes assez qualifiées et éclairées pour que le souci d’une
exacte information lui interdise de les passer sous silence »69. Ainsi, le juge condamne
Bernard Lewis en le soumettant aux discours d’autres historiens. La séparation des
compétences entre la liberté de l’historien et l’office du juge qui se prétend extérieur à
l’histoire n’est pas toujours évidente. Cependant, ces cas sont exceptionnels et peuvent se
justifier puisque B. Lewis s’est lui-même situé sur un plan quasi-juridique. Cependant, il faut
noter que le juge se réfère à l’avis d’autres historiens. Ceux-ci ont donc un rôle à jouer dans
ces procès.
Des historiens participent à ces procès. C’est notamment le cas lors du procès
Faurisson de 1981. Madeleine Ribérioux, historienne de renom, a été entendue comme témoin
afin de dire ce qu’elle savait du gazage et du génocide. De même dans l’affaire opposant
Bertrand De Jouvenel à Zeev Sternhell, de nombreux historiens sont venus témoigner. Un seul
a témoigné en faveur de Bertrand De Jouvenel, John Braun universitaire de l’université de
68
Cette affaire opposait l’historien Bernard Lewis à diverses associations parce que celui-ci niait le caractère de
génocide aux massacres arméniens. Il faut noter que ce procès est très différent d’un procès pour négationnisme.
En effet, Bernard Lewis ne conteste aucunement les massacres contre les Arméniens. Il critique seulement que
ces massacres puissent être qualifiés de génocides.
69
Cité in JEANNENEY (J-N.), Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 40
26
Waterloo au Canada qui consacre sa thèse de doctorat à De Jouvenel. Zeev Sternhell n’a pour
sa part produit que des témoignages d’historiens de renommée internationale : Ersnt Nolte de
l’université libre de Berlin, François Furet de l’Ecole des hautes études en sciences sociales,
Raoul Girardet de l’Institut d’études politiques de Paris, Maurice Agulhon de l’université de
Paris I, Jean-Pierre Azèma de l’Institut d’études politiques de Paris, René Rémond Président
de la Fondation nationale des sciences politiques, Eugen Weber de l’université de Californie,
Hugh Trevor-Roper de l’université d’Oxford, Stanley Payne et George Mosse de l’université
de Wisconsin, ... . Si les historiens interviennent, c’est parce que c'est l'histoire qui est en jeu.
Le juge ne pouvant se prononcer directement sur elle, la présence des historiens peut se
justifier pour l'aider à dire si les faits décrits par l’historien dont la responsabilité est mise en
jeu sont ou non diffamatoires et si cet historien a oui ou non effectué son travail selon les
règles de l’art. Ainsi dans le procès Sternhell, l’objectif du juge n’est pas de savoir si De
Jouvenel a été ou non fasciste mais si Sternhell a effectué convenablement son métier. Le juge
entend donc des historiens pour se faire une opinion sur le travail de l’historien. Il applique le
système du contradictoire à l’histoire. Il ne se prononce pas sur une vérité officielle mais après
avoir entendu les historiens, il tranche sur la qualité du travail de l’historien. Cette
appréciation du travail de l’historien est sans doute à méditer lorsque l’historien intervient sur
des faits passés. Le juge doit alors également faire jouer le contradictoire mais aussi prendre
en compte les personnes éclairées.
Le juge et l’historien sont donc amenés à traiter de faits identiques. Un risque de
confusion des genres est une dérive possible pour chacun. L’historien peut se faire juge mais
surtout le juge peut se faire historien lorsqu’il a à connaître de faits passés. Il se situe dans un
rapport de force favorable face à l’historien puisque sa sentence a par nature une force
obligatoire. Il est capable d’imposer une vérité, ce que l’historien, détenteur d’une science
relative, ne peut faire. Cela explique notamment, pour certains, le recours au juge dans les cas
de négationnisme. Cependant, dans le cadre du contentieux de la responsabilité des historiens,
le juge affirme qu’il se garde de dire l’histoire. Il s’intéresse davantage à la méthode de
l’historien qu’il évalue dans le cadre d’un débat contradictoire où les historiens ont un rôle à
jouer. Cette participation de l’historien n’est pas le cœur de notre devoir puisque les faits du
procès ne sont pas historiques. C’est la manière de raconter l’histoire qui y est mis en cause.
Cependant, l’attitude du juge dans ce cadre est sans doute à méditer pour des procès
historiques. En effet, une telle répartition des rôles serait sans doute la meilleure chance
27
d’éviter les confusions. L’historien a donc un rôle à jouer lorsque ce sont des faits passés qui
sont devant le tribunal car le juge a besoin de sa connaissance pour juger de tels faits.
1.2.La nécessaire intervention des historiens dans le procès.
L’intervention des historiens a eu lieu lorsque des faits historiques se sont trouvés
devant le tribunal (procès Barbie, Touvier et Papon). L’historien est alors utile puisque c’est
sa spécialité. Son intervention paraît dès lors nécessaire tant pour la bonne administration de
la justice que pour l’organisation du procès. Quels peuvent être les apports des historiens ?
Comment garantir une répartition des compétences dans le procès pour éviter que la confusion
des genres au niveau de leur rôle social ne se retrouve dans le procès ?
La participation des historiens au procès permet sans aucun doute au tribunal de rendre
la justice dans de meilleures conditions lors des procès historiques (1.2.1.). Mais, malgré de
réelles complémentarités, la répartition des compétences au sein du procès est plus
problématique (1.2.2.).
1.2.1.Les apports des historiens
Il faut déterminer avec plus de précision en quoi les historiens sont nécessaires au
procès. Ils sont intervenus par trois fois. Dans le procès Barbie, Léon Poliakov a dressé un
tableau de la politique antisémite et d’extermination menée par l’Allemagne Nazie et Jacques
Delarue s'est concentré sur la Gestapo. Dans le procès Touvier, Messieurs René Rémond,
Robert Paxton et François Bédarida et Jacques Delarue sont venus témoigner sur le régime de
Vichy et sur la vie de Paul Touvier. Dans le procès Papon, le nombre d’historiens ayant
participé au procès est encore plus important. Durant l’instruction trois historiens nonprofessionnels (MM. Delarue, Gouron et Bellion) ont effectué un rapport, annulé par la suite,
puis ils sont venus témoigner et un politologue, spécialiste d’histoire de l’administration, M.
Bergès, a été entendu. Durant l’audience à proprement parler, des historiens professionnels et
non-professionnels (M. Amouroux) sont intervenus. M. Paxton et M. Amouroux ont décrit la
nature du régime de Vichy, Jean-Pierre Azéma et René Rémond la législation antisémite,
M.Burdin la collaboration de l'administration dans la fonction publique et M. Baruch le
fonctionnement de cette administration. Quel est l’apport de ces historiens pour les juges ?
28
Comment leur intervention s’insère-t-elle dans le procès ? Il s’agit de chercher à comprendre
quel rôle concret rend nécessaire la présence de l’historien, à travers des exemples.
L’historien peut avoir deux fonctions distinctes dans le procès : soit il doit s’occuper
des faits précis du dossier et dans ce cas il intervient de préférence durant la phase
d’instruction, soit il est chargé de déterminer le contexte et son intervention se déroule plutôt
durant l’audience. Dans les deux cas, cette intervention permet d’éviter toute confusion des
genres. Chacun occupe la place qui lui est assigné dans la société : le juge ne dit pas l’histoire
et l’historien ne juge pas.
1.2.1.1.L’historien et les faits du dossier
L’historien peut jouer un rôle par rapport aux faits précis du dossier, c’est-à-dire des
faits qui concernent directement l’accusé et les lieux où ils se trouvaient. Quel peut être cet
apport ? A quel niveau intervient-il de préférence ? Si la phase d’instruction semble a priori la
plus adéquate à ce type d’intervention, c’est à l’audience que ce rôle a été la plupart du temps
joué.
Au cours de la procédure d’instruction du procès Papon qui a été particulièrement
longue, le juge chargé de celle-ci a rendu le 29 février 1984 une ordonnance nommant en
qualité d’expert M. Roger Bellion, M. Jacques Delarue et M. André Gouron70. Ceux-ci étaient
chargés au terme de cette ordonnance de « rechercher et étudier les documents se rapportant
aux arrestations et aux déportations des Juifs du département de la Gironde du 5 juin 1942
au 28 août 1944 (documents placés sous scellés ouverts aux archives départementales de la
Gironde ; documents versés au dossier ; documents produits par les parties civiles,
documents des Archives de France, du « Jury d’Honneur », des Ministères de l’Intérieur et de
la Défense nationale, du Secrétariat aux Anciens Combattants, documents pouvant être
déposés au Centre Jean Moulin à Bordeaux, au Centre de Documentation Juive
Contemporain ou en tout autre lieu). Dire à la compétence de quelles autorités ressortissaient
70
L'histoire de cette expertise est assez particulière. En effet, bien qu'annulée, elle a ensuite été publié par Me
Varaut, avocat de Maurice Papon et joint au dossier sous cette forme. Se référer pour le contenu intégrale de
cette expertise et les explications de Me Varaut, Fonctionnaire sous l'Occupation, présentation du dossier
Papon, Thésaurus, Paris, 1993
29
les « Questions juives » dans le département de la Gironde et notamment ... »71. Les trois
experts préviennent dans l’introduction de leur rapport rendu le 11 janvier 1985: « Nous avons
étudié l’ensemble des documents susceptibles d’éclairer notre mission d’expertise et , en
particulier, la totalité des documents placés sous scellés ouverts aux Archives
départementales de Gironde, ceux des Archives de l’Intendance de Police ainsi que divers
documents provenant des Archives Nationales, des Archives Allemandes (Armée et Police), du
Centre de Documentation juif contemporain ».72 Les trois experts ont donc effectué un travail
d’historien d’études de documents d’archives. Ce ne sont pourtant pas des historiens
professionnels même s’ils ont une certaine compétence en la matière. En effet, si Roger
Bellion est préfet honoraire, il est également Président du Groupe d’Histoire du Corps
préfectoral. De même, Jacques Delarue est Commissaire divisionnaire honoraire mais il est
également membre du groupe d’Etude de la collaboration au Comité d’Histoire de la
Deuxième guerre Mondiale. Enfin, André Gouron est doyen honoraire de la Faculté de Droit
de Montpellier et est donc qualifié en histoire du droit. Leur rapport se divise en cinq parties :
« Autorités compétentes en matière de questions juives », « Autorités habilitées à donner les
instructions relatives aux arrestations, incarcérations, internements, regroupements dans les
camps », « Rapport entre Maurice Papon et les polices aux questions juives », « Attitude de
Monsieur Papon lors des arrestations, internements et transfert de Juifs » et « Interventions a
objet individuel émanant de Monsieur Papon en faveur des Juifs ». Ce rapport apporte donc
des éléments factuels. En effet, il se concentre sur le rôle joué par M. Papon pendant
l’occupation. Le juge d’instruction considérait donc utile que des historiens apportent leur
concours à l’établissement du dossier. Cependant, ce rapport a été annulé par la Cour de
cassation suite à une erreur technique du juge d’instruction. La procédure fut reprise mais
aucune nouvelle expertise ne fut ordonnée. L’apport des historiens a donc été radié. Cette
partie de la procédure pose des questions. Il est semble-t-il nécessaire de s’interroger sur ce
retrait et surtout sur la volonté de la deuxième instruction de ne pas saisir de nouveau les
historiens. Mais, il faut également se demander pourquoi ce sont des historiens non
professionnels qui ont été appelés73.
71
Ibid., p. 27
Ibid., p. 28
73
Voir infra
72
30
Le juge peut sentir le besoin de recourir au savoir-faire d’historiens pour constituer son
dossier. De même toujours dans le cadre du procès Papon, un politologue74, Michel Bergès est
intervenu. Celui-ci a participé à l’instruction. Il occupe une place un peu particulière. En effet,
c’est à lui que l’on doit la découverte dans les archives de la préfecture de Gironde, des
documents signés Maurice Papon et reproduit par la suite dans le Canard Enchainé. C’est
donc à lui que l’on doit le procès. L’avocat général va jusqu'à dire que c’est à lui que l’on doit
l’information de la justice. Or, il est intervenu pendant la phase d’instruction75. En effet, il
avait connaissance des documents centraux de l’affaire. Il a été par exemple convoqué par le
premier juge d’instruction suite à la saisine des avocats des parties civile pour expliquer au
juge ce que sont les documents découverts dans les archives. Dans le cadre de la seconde
instruction il a également été auditionné pendant deux heures par le nouveau juge
d’instruction, le juge Léotin. Il a donc participé à l’instruction. Mais comme il le souligne,
durant la seconde instruction son intervention a été beaucoup plus minime. Ainsi, les
historiens peuvent-ils intervenir durant la phase d’instruction pour apporter des éléments de
faits. Cependant, cette intervention est très limitée en pratique comme le souligne l’annulation
de l’expertise ou le fait encore que M. Bergès dise ne pas avoir été « convié à l’instruction »76.
Mais, l’historien peut également venir discuter des faits précis de l’affaire comme
témoin durant l’audience même. En effet, les historiens dont il a été question durant la phase
d’instruction ont également été entendus comme témoin durant l’audience. C’est pour eux
l’occasion de réaffirmer les faits dont ils sont les détenteurs voire d’en apporter de nouveaux.
Ainsi, M. Bergès venant témoigner le 19 janvier 1998 apporte des documents nouveaux versés
au dossier77. Il revient durant sa déposition sur la situation dans le Bordelais. (« Les Allemands
vont déployer une tutelle pour limiter les libertés publiques dans tout le Bordelais »78). Il
effectue un travail de technicien. Ainsi, sur l’un des points stratégiques les listes d’arrestation,
il a effectué une comparaison79 entre les convois vers Mérignac et les convois vers Drancy
74
Peut-on l’assimiler à un historien ? C’est d’ailleurs une question que l’avocat général lui pose durant le procès.
Il répond ainsi : « J’ai écrit un thèse de 2000 pages sur le fonctionnement de la police. Je suis politologue. (...).
J’estime avoir le droit de commenter des documents sur lesquels j’ai travaillé pendant quinze ans »74. Puis par la
suite il affirme : « Je suis historien ». On peut donc considérer en première analyse que M. Bergès peut être
assimiler à un historien. Voir le procès Papon, op. cité, 2e vol., p. 126
75
Ces faits sont tirés de sa propre déposition lors du procès Papon, Le Procès Papon, op. cité, 2e vol., p. 112 et
suiv.
76
Ibid., p. 124
77
Ibid., p. 112
78
Ibid., P. 112
79
Ibid., p. 116
31
pour évaluer le rôle de M. Papon dans le « sauvetage de juifs déportés ». C’est donc un rôle
précis sur les faits. De même, M. Gouron et M Delarue viennent rappeler leur travail
d’expertise80. Ces historiens interviennent donc directement sur les faits et permettent au
tribunal de mieux comprendre la complexité des rapports de force durant l’occupation. De
même, lors du procès Touvier, deux historiens faisant partis de la Commission Rémond (René
Rémond lui-même et François Bédarida) sont venus témoigner. Or, ces historiens ayant
travaillé sur des archives proches de celles des juges durant la phase d’instruction à la
demande de Mgr Decourtray avaient une connaissance précise des faits et de l’accusé.
L’historien est appelé à témoigner pour faire part de sa connaissance des documents
d’archives dont il est le spécialiste. Il a l’habitude de les manier et de les comprendre. Il peut
donc apporter des connaissances factuelle à la cour. Un exemple un peu particulier de ce rôle
avait déjà existé dans l’histoire judiciaire. En effet, lors du procès Zola81 suite à l’affaire
Dreyfus des historiens étaient intervenus. Or, leur participation dans cette affaire, qui
n’impliquait pas de faits anciens, était cependant due à leur connaissance des archives et des
documents écrits. Ils participaient comme expert en écriture. Ils étaient chargés de montrer
que le document accablant Dreyfus était en fait de la main d’Esterhazy. Cette anecdote
souligne que les historiens sont bien des spécialistes des archives quant au contenu mais aussi
quant à la forme.
Les historiens ont donc un rôle quant aux faits précis du dossier. Mais,
paradoxalement, ils ne le jouent pas lors de l’instruction ce qui semblerait logique mais durant
l’audience. D’ailleurs, ce rôle est limité par rapport à celui qu’ils jouent vis-à-vis du contexte.
1.2.1.2.Les historiens et le contexte
Surtout, la plupart des historiens sont intervenus dans un objectif bien précis : fournir
le contexte de l’époque. Face à la durée qui sépare les faits du procès, la présence de
l’historien s’avère nécessaire. Pour le procès Papon, cette durée a sans doute été la plus longue
jamais enregistrée. Comme le remarque Jeanneney, « c’est comme si on avait jugé Ravaillac
en 1665, l’affaire du Collier de la reine au milieu de la monarchie de Juillet, le duc
d’Enghein à la fin du second Empire, les responsables de Panama à la Libération, Esterhazy
80
Ibid., p. 490 et suiv.
32
au temps du gouvernement de Pierre Mendès-France ou encore les mutins de 1917 après Mai
1968 »82.Cet écart est la raison de l’intervention des historiens. Ainsi, lors du procès Papon
suite à la mise en cause de M. Paxton par Me Varaut faisant valoir que les historiens n’avaient
pas juridiquement leur place dans le procès, la cour rend un arrêt le 3 novembre 1997 où elle
déclare : « attendu que la connaissance des faits reprochés à l’accusé, en regard de leur
ancienneté et du caractère historique particulier dans lequel ils s’inscrivent, ne peut être
appréhendée sans le recours à l‘éclairage des historiens »83. La cour souligne donc le
caractère indispensable de la connaissance du contexte. De même, interrogé sur le rôle de
l'historien par Me Varaut, M. Paxton répond : « il (l'historien) a un rôle bien précis à jouer
dans le procès. (…); Les historiens ont témoigné et leur rôle n'étaient pas de parler de ce
qu'ils avaient vu mais de fournir le contexte, fondé sur une documentation aussi complète que
possible à la lumière de laquelle certaines affirmations ne sont plus possibles tout comme
certaines informations deviennent plus laires. Les historiens ont le rôle de situer, de décrire le
contexte des faits»84.
Cet écart pose problème pour des jurés qui n’ont souvent pas connu l’époque. Ainsi,
ceux-ci semblent vouloir connaître le contexte de l’époque afin de pouvoir juger la personne.
Les jurés ont en effet besoin de compléter des connaissances souvent lacunaires. Ils semblent
intéressés par la présence de l’historien comme le montre leur attention fasse aux historiens et
leur prise de note permise par l'article 340 du Code de procédure pénal85. De même, ils posent
des questions aux historiens. Ainsi, lors du procès Papon, suite à la déposition de M. Paxton,
un juré s’interroge sur la situation en Italie86. Cela permet à Paxton de dresser une
comparaison entre les deux pays et aux jurés de se rentre compte des différences. De même
suite à la déposition de René Rémond, un juré par l’intermédiaire du premier assesseur
demande quelle est la différence entre la zone libre et la zone occupée87. Cette question
montre l'existence d'une connaissance historique minimum nécessaire.
81
Voir Le procès Zola, compte-rendu sténographique in extenso, réed. Paris, Stock, 1998, p. 540 cité in
JEANNENEY, Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 16
82
JEANNENEY (J-P.), Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 69
83
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 337
84
Ibid, p.317
85
Entretien avec Me Varaut du 23 avril 2001
86
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p.312
87
Ibid, p. 409
33
Le but est d’éviter l’anachronisme,88 c’est-à-dire de juger comme si à l’époque l’on
savait déjà ce qu’on a su par la suite. En effet, il faut tout faire pour juger la personne comme
si elle avait toujours l’âge qui était le sien quand elle a accompli les actes dont on l’accuse.
Cet exercice est difficile et l’historien est la personne la mieux placée pour aider le juge à y
parvenir en restituant le contexte de l’époque. Plus qu’un témoin, il est capable d'en rendre
compte. Dans l’exercice de sa profession, il est sans cesse confronté au risque d’anachronisme
et son objectif est de montrer les multiples possibles du passé. Il est plus efficace que les
puisque son
métier est de parvenir à l’impartialité et que ses méthodes d’analyse lui
permettent un recul plus grand.
Le jugement doit se concentrer sur les actes entrant dans le champ d’inculpation et non sur le
futur de l'accusé. Sa carrière ultérieure entre dans le débat. Ainsi, dans le procès Papon, a été
nécessairement abordée toute la carrière administrative de celui-ci afin de comprendre la
personnalité de l’accusé. Cependant, certains faits ont été évoqués et ont certainement
influencé les jurés, notamment les événements de 1961 lorsque M. Papon était préfet de police
de Paris et qu’il a fait réprimer violemment des manifestations. Le politologue qui est
intervenu pour décrire ces événements, M.Einaudi a certes tenté de décrire ce qu’il savait de la
situation. Mais en rapportant des faits qui ne concernaient pas les actes incriminés, il a risqué
d’accroître les anachronismes. Le jugement doit concerner les faits contenus dans l’acte
d’accusation et eux seuls. L’historien doit situer le contexte, mais le contexte des faits
incriminés sinon il risque de rajouter à l’anachronisme. Cependant , cette dérive concernant le
futur de l’accusé est difficilement évitable. Ainsi, dans le procès Papon, l’historien qui a
découvert les éléments à l’origine de la procédure n’y aurait sans doute pas prêter la même
attention si M. Papon n’avait pas été ministre par la suite. L’anachronisme concernant la
personne est très difficilement occulté. On peut d’ailleurs se demander si pour des faits si
anciens cela n’est pas normal. Certes, l’imprescriptibilité va dans le sens contraire et le juge
n’a pas à s’interroger sur les conséquences d’une telle mesure mais que se passe-t-il si la
personne a réellement évolué et changé ? L’historien qui étudie une personne sur la longue
durée peut-être confronté à ce problème. Mais telle n’est pas la mission essentielle qui lui est
demandé. Il faut juger comme si l’on se trouvait à l’époque des faits. Pour cela le contexte est
indispensable et l’historien est le mieux placé pour en parler.
Il existe des éléments qui s’ils paraissent actuellement évidents ne l’étaient sans doute pas à
l’époque. Là, l'historien est amené à jouer pleinement son rôle pour éviter les anachronismes.
88
JEANNENEY, Le passé dans le prétoire, op. cité, . p. 69
34
L’historien doit faire le récit du contexte pour comprendre la situation dans laquelle se
trouvait l’accusé. Par exemple, durant le procès Papon une des questions fondamentales car
d'elle dépendait la qualification de complicité d’assassinat, était celle de la connaissance par
l'accusé de la Solution finale. Or, des historiens et notamment René Rémond ont témoigné
pour dire que s'il existait des moyens pour connaître, dans l’ensemble les gens ne savaient pas.
Le jury en a tenu compte puisque M. Papon a été acquitté de ce chef d'accusation.
Le contexte est partie prenante de l’infraction de crime contre l’humanité. Il est donc
nécessaire de le définir pour déterminer si l’infraction a eu lieu ou non. Ainsi, lors du procès
Barbie, le procureur général M. Truche justifie la présence des historiens comme suit : « Si on
doit entendre aujourd’hui ces témoins d’intérêt général (dont deux historiens M. Poliakov et
M. Delarue), c’est parce que l’on se trouve dans le cadre de crimes contre l’humanité. (...) Le
crime contre l’humanité c’est quelque chose qui a fait suite à un complot, la Cour de
cassation dit « politique d’hégémonie idéologique », c’est-à-dire qu’il faut que j’établisse que
ce que Barbie a fait à Lyon il l’a fait au non d’une doctrine de l’Etat nazi et qui visait à
imposer sa main mise sur une population et qui visait à les décimer. Alors dans cette mesure
là les témoins d’intérêt général qui viennent vous dire ce qu’est le nazisme, c’est vraiment le
procès » 89.
La présence des historiens est donc nécessaire au procès impliquant des faits anciens.
Ils peuvent être utiles pour ce qui concerne les faits précis du procès car ce sont des
spécialistes des archives, mais, dans ce cadre leur compétence est assez peu utilisée. Par
contre, en ce qui concerne le contexte, ils jouent un rôle très important. Cependant, il ne faut
pas que ce rôle crée une confusion des genres. Ainsi, P. Truche dans son allocution met-il en
garde contre les dérives possibles des témoins d’intérêt général. Le procès doit rester le procès
d’une personne que les juges sont chargés de juger. Ils n’ont pas à juger l’histoire en faisant
peser sur l’accusé une responsabilité qui le dépasserait. C’est pour cela qu’une claire
répartition des tâches doit être établie afin d’éviter les confusions des genres que
l’intervention de l’historien doit justement résoudre.
1.2.2.La répartition des compétences dans le procès
89
Audience n°17, www.histoire.fr/jaune/html/evenements.htm
35
L’historien qui participe au procès par ses apports permet au juge de ne pas se
prononcer sur l’histoire. Le but est d’éviter que chacun ne joue le rôle social de l’autre. Pour
cela, il faut que leurs méthodes respectives se complètent. Quelles sont ces méthodes ?
Comment éviter que la confusion des rôles ne se répercute dans le procès lorsque l’historien
intervient ? Ils ont une préoccupation commune : établir la vérité des faits. Mais jusqu'où leur
démarches convergent-elles ? Dans quelles mesures peuvent-elles se compléter ?
Après avoir comparer les méthodes de l’historien et du juge, il faut s’interroger sur
leur complémentarité afin que l’organisation du procès soit efficace.
1.2.2.1.Méthode historique - méthode judiciaire
La participation de la participation de l’historien au procès pose la question de la
recherche de la vérité par chacun. Avant toute réflexion sur la répartition des rôles dans le
procès, il est nécessaire de s’interroger sur leurs méthodes respectives. Sans cette étude
préliminaire, il est difficile de comprendre comment leurs rôles peuvent s’articuler. La
méthode du juge est déterminée par la procédure que constitue un ensemble de normes
juridiques. Pour l’historien, la méthode est beaucoup plus libre comme le soulignent les
tribunaux. Cependant, elle est limitée par le statut scientifique auquel prétend l’histoire. A
travers, la comparaison entre ces différents acteurs, il est possible de déterminer le rapport de
chacun à la vérité. Ce n’est, certes, pas le lieu pour débattre de ce qu’est la vérité. Cette
question a été l’objet de débats philosophique constants. Il faut noter qu’il est courant de
parler de vérité judiciaire ou de vérité historique. C’est comme s'il existait autant de vérités
que d’objets de connaissance. La vérité ne serait pas la même pour l’historien et pour le juge.
Une comparaison s’avérerait dès lors hasardeuse. Cependant, on peut noter avec M. Le
Masson qu’« il suffit simplement de retenir la définition aristotélicienne de la vérité faisant
résider celle-ci non pas dans un objet (…) mais dans un rapport de causalité. Dans cette
perspective, la notion repose entièrement sur un fondement logique, postulant la noncontradiction d’un système de jugement »90. La vérité peut donc se définir avant tout par
l’accord de l’esprit à la réalité. Elle naît d’un rapport de causalité. Suivant une démarche
similaire, le juge qu’il soit civil ou pénal et l’historien recherchent tout d’abord la réalité des
faits à travers des preuves avant d'en tirer les conséquences logiques pour faire éclater la
36
vérité. Derrière cette unité de démarche se cache une différence : le juge est encadré par la loi
mais celle-ci donne à ses résultats la force de la vérité légale tandis que l’historien, s’il est
plus libre, ne semble pas en mesure de tirer des conclusions définitives. De plus, le juge civil
et le juge pénal ne sont pas tenus par les mêmes règles. Le recours au droit processuel permet
d’aborder ces différences d’esprit. Les méthodes du juge et de l’historien suivent une
démarche similaire : tout d’abord la recherche des faits puis leur utilisation.
L’administration de la preuve permet au juge et à l’historien d’établir la réalité des
faits qui est la première étape dans la recherche de la vérité. S’ils semblent avoir une méthode
générale commune reposant sur la délimitation des faits concernés et la critique des preuves,
des réelles différences existent dans l’encadrement de cette recherche. Ayant un même
objectif mais des moyens différents pour y parvenir, une véritable complémentarité apparaît
entre le juge et l’historien.
Depuis le XIX° siècle, les méthodes du juge et de l’historien ont évolué. L’historien a petit à
petit acquis un caractère professionnel et scientifique91. Il est devenu actif dans la recherche
des preuves qu’il avance. A la fin du XIX° et au début du XX°, sous l’influence du
positivisme allemand de Von Rancke, les historiens français, tels Langlois et Seignobos, sans
tomber dans le scientisme et reconnaissant la subjectivité dans l’étude des documents, ont
adopté la méthode critique. L’historien s’est ainsi rapproché de la méthode du juge, d’autant
que le juge civil longtemps considéré comme étranger à la vérité a évolué vers la méthode
inquisitoriale.
Ils suivent désormais une démarche analogue dans la détermination et la recherche des faits à
prouver. Certes, l’article 1 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC) maintient le
principe dispositif puisqu’il dispose que seules les parties introduisent l’instance. Cependant,
le juge civil a désormais la possibilité d’intervenir dans la détermination des faits. Il est libre
de demander des faits supplémentaires et d’exploiter les informations qui lui sont
communiquées par les parties92. Surtout, l’article 10 du Code civil dispose : « Chacun est tenu
d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ». Dès lors,
l’objectif du juge civil est de parvenir à une information la plus complète possible sur les faits
litigieux. Il peut selon l’article 11 du NCPC demander des mesures d’instruction. Il dispose
90
LE MASSON (J-M.), La recherche de la vérité dans le procès civil, op. cité
Voir pour ce qui concerne les évolutions historiographiques en France, DELACROIX (C.) et autres, Les
courants historiographiques en France (19e – 20e siècle), Armand Colin, Paris, 1999
92
Article 7 al. 2 et article 8 du NCPC
91
37
donc des moyens nécessaires pour qu’apparaissent la réalité des faits. Il se rapproche du juge
d’instruction en matière pénale qui a des pouvoirs étendus. En effet, la matière pénale mettant
en jeu une atteinte au pacte sociale, l’établissement préalable de la réalité des faits est
indispensable. Surtout, il faut noter que pour le juge le droit commande le fait : le juge ne tient
compte que des éléments de fait qui correspondent au problème de droit. Certes, l’historien
semble beaucoup plus libre dans la détermination de l’objet de sa recherche93. Mais pour
déterminer les faits qu’il va étudier l’historien avant de chercher des preuves doit définir son
problème. C’est le passage de "l’histoire-narration" à "l’histoire-problème" (L. Febvre). Cette
démarche est parallèle à celle du juge par rapport au droit. Les similitudes se retrouvent
également dans la preuve des faits. En effet, un fait qui n’est pas prouvé n’a pas plus de valeur
pour le juge que pour l’historien. Or, les méthodes de recherche et d’évaluation des preuves
sont voisines de même que les matériaux nécessaires à la preuve94. Des limites existent au
pouvoir de preuve du juge civil. D’une part, ces moyens de preuves sont limitativement
énumérés à l’article 1316 du code civil, d’autre part un système de preuve légale existe
toujours. Cependant, le système de la preuve morale est de plus en plus présent. L’historien et
le juge civil ou pénal se retrouvent bien souvent dans des situation similaires pour faire la
preuves de faits qu’ils ont à connaître. Ils doivent déterminer la fiabilité des faits selon leur
intime conviction. Par exemple, face aux témoignages, ils cherchent tous les deux à vérifier la
sincérité du témoin. M. Pycke affirme : « le juge souhaite voir accumuler les moyens de
preuve qui en se recoupant renforceront sa conviction ou l’ébranleront (…) il fonde sa
décision sur la convergence des données fournies par différents moyens de preuve (…)
l’historien fait de même »95.
Cependant, malgré ces similarités, les juges sont plus limités que l’historien et le juge civil est
plus limité que le juge pénal dans la recherche de la réalité des faits. D’une part, durant la
phase d'instruction de l'affaire, le juge civil contrairement au juge pénal ne recherche pas une
vérité objective ce qui explique que ce sont les parties qui fixent l’objet du débat. Il ne peut
fonder sa décision sur des faits qui n’appartiennent pas au débat, c’est-à-dire que les parties
n’ont pas introduit96. Le juge pénal est dans la même situation. Par exemple, durant la phase
d'instruction, il est saisi in rem, c'est-à-dire sur les faits et uniquement sur eux. Cependant,
93
Cependant, il faut noter que les impératifs universitaires et la demande sociale puissent également lui imposer
un domaine de recherche un peu comme les parties ou le ministère public au juge.
94
Pour une comparaison entre les méthodes du juge et de l'historien, voir GODDING (P.), Introduction à la
critique historique, (?), 3e édition, 1988 et plus précisément sur l'appréciation des preuves p. 79 à 146
95
PYCKE (J.), La critique historique, Academia-Erasme, Louvain-la Neuve, Belgique, 1992
96
article 7 du NCPC
38
dans le cadre pénal, un magistrat du Ministère public peut saisir un juge car c'est le pacte
social qui a été rompu. La recherche de la réalité des faits se fait donc sans l'intervention des
parties et le juge saisi doit rechercher dans les limites de sa saisine toute la vérité à charge et à
décharge. D'autre part, le juge civil est dans certaines matières soumis au système des preuves
légales. La force probante attachée aux preuves écrites prime sur la preuve testimoniale dans
le cadre de l’article 1341 du Code civil. La procédure civile donne donc une importance toute
particulière aux écrits : un acte authentique sera présumé faire acte de vérité. Certes, les
historiens de la fin du XIX° siècle accordaient eux aussi la primauté aux écrits et cette
tradition n’a pas totalement disparu de l’historiographie française, et le juge pénal accorde
également une place particulière aux écrits. Cependant, même dans ce cadre, c’est toujours
l’intime conviction qui prime après une analyse critique précise de ces documents. Enfin, le
juge pénal et le juge civil par rapport à l’historien sont tous les deux tenus par la loi qui les
encadre : la procédure. P. Godding déclare : « C’est un peu comme si l’historien ne pouvait
utiliser que les matériaux que ses lecteurs auraient inspectés »97 . Les juges se situent donc à
un niveau inférieur P. Godding peut ainsi affirmer : « on pourrait en conclure que la tâche du
juge en quête du passé est simplifiée par rapport à celle de l’historien (du fait de la limitation
des faits) si la preuve des faits n’est pas rapportée dans les règles, le juge ne pourra y avoir
égard. (…) Pour atteindre (la vérité), la méthode du juge se situe donc volontairement en
deçà de celle de l’historien »98. L’historien connaît également des limites mais d’un autre
ordre. Il ne dispose pas de la force ni de la loi pour obtenir ses preuves ce qui parfois le limite.
Surtout, les faits qu’il a à prouver sont plus éloignés et les preuves qu’il doit apporter reposent
sur des bases scientifiques. Il ne peut affirmer n’importe quoi pour éviter la remise en cause
de son statut scientifique99. De plus, l’historien n’a à connaître que des faits passés et
embrasse également des faits collectifs tandis que le juge lui n’est concerné que par des faits
individualisables. L’historien recherche la complexité tandis que le juge cherche un réel
simplifié, limité au litige qu’il doit trancher. Ce dernier ne va par exemple pas rechercher
l'exonération de la responsabilité dans des causes générales inhérentes à la société100. Dans ce
cadre, leur rôle se démarque obligatoirement de celui du juge qui se contente toujours de juger
97
P. Goddind, Introduction à la critique historique, op. cité, p. 178
Ibid, p178
99
Ainsi, A. Prost constate que toutes les techniques d’administration de la preuve ne se valent pas. Les exemples,
même multiples, ne prouvent rien s’ils ne reposent pas sur une méthode systématique
100
L’Ecole des Annales a cherché justement à s’éloigner de l’histoire factuelle. Cela ne signifie pas que les
historiens de cette école ne faisaient plus reposer leurs analyses sur des faits mais qu’ils privilégiaient l’étude des
faits sur le temps long à travers l’étude de structures et d’organisation en se rapprochant de la sociologie
98
39
des hommes et non des concepts. L’historien et le juge ont donc des méthodes différentes
d’administration de la preuve et les juges eux-mêmes ne sont pas tous identiques.
La vérité historique comme la vérité judiciaire ne sont pas les simples fruits de la
réalité des faits. Certes, cette dimension constitue une base pour la recherche de la vérité.
Cependant, seule l’utilisation de ces faits peut être qualifiée de vraie ou de fausse. En effet,
l’osmose entre la matérialité des faits et la vérité semble incompréhensible puisque ni le juge
ni l’historien ne prétendent établir une vérité fondée sur une réalité certaine et immuable. Ils
cherchent tous les deux la vérité par leur raisonnement qu’ils souhaitent le plus objectif
possible. Cette seconde étape dans le dévoilement de la vérité est fondamentale. C’est là que
la causalité entre en jeu et que le résultat de la recherche de chacun se dégage. L’utilisation
des faits passe par des démarches similaires et aboutit à deux vérités relatives. Cependant,
elles n’ont pas la même force.
Le juge et l’historien sont tous les deux amenés à utiliser les faits révélés. Si l’on laisse de
coté le contenu de ces faits, on s’aperçoit que la démarche utilisée par chacun est proche. La
vérité judiciaire se dégage d’une décision de justice qui applique la bonne qualification
juridique à des faits avérés. C’est le résultat du syllogisme judiciaire qui a pour majeure la
règle de droit et pour mineure les faits. C’est au juge que revient cette démarche. Par exemple
pour le juge civil l’article 12 du NCPC dispose que « le juge tranche le litige conformément
aux règles de droit qui lui sont applicables ». Le juge utilise les faits et leur applique la règle
de droit qui convient. L’historien fait de même à travers ce qu’on peut appeler la synthèse
historique101. L’historien ne cherche pas à restituer le passé mais à le reconstruire afin de lui
donner du sens. Les faits en eux-mêmes ne disent rien. Cette utilisation passe par l’application
d’un raisonnement aux faits. L’historien cherche les liens de causalité entre les événements.
Tous les deux interprètent les faits qui sont à leur dispositions et cherchent une explication
causale102. Ils vont chercher des faits dans le passé plus ou moins lointain et les ramènent dans
le présent pour les expliquer. Certes, l’historien cherche les causes multiples là où le juge au
contraire cherche la simplification et l’individualisation. Mais bien souvent l’historien
applique une hypothèse qu’il considère comme prédominante. Surtout, le juge et l’historien
sont enfermés dans les règles de procédures dont naissent leurs vérités. Comme le remarque J-
101
102
GODDING (P.), Introduction à la critique historique,op. cité, p. 155 et suiv.
Ibid., p.162 et suiv.
40
C Martin, « les règles sont supérieures aux résultats »103. Ils ne cherchent pas une vérité
absolue mais le respect de règles permettant dans un cas identique d’aboutir aux mêmes
conclusions104. En effet, la procédure et les règles de droit permettent en principe d’aboutir
partout sur le territoire national à des conclusions identiques lorsque les affaires sont
similaires.
Reposant sur une même démarche, les vérités dégagées par le juge et l’historien sont relatives.
Elles dépendent davantage de leur méthode que du résultat. Cependant, ces méthodes si elles
fournissent un cadre à respecter et parviennent à dégager une vérité, sont remises en causes
par la subjectivité de chacun. Ni l’historien ni le juge ne peuvent prétendre à la vérité absolue.
Leurs résultats sont obligatoirement relatifs. Certes, la relativité de la matérialité des faits y est
pour beaucoup. Mais avec les mêmes faits, ils peuvent aboutir à des résultats différents malgré
les règles qui les encadrent. L’histoire est toujours modelée par les préconceptions de
l’historien. Telle est la thèse défendue par Hayden White105. Il n’y a plus de vérité historique.
Chaque historien impose sa propre subjectivité à ses écrits. Cette thèse est jugée excessive par
une grande partie des historiens : un récit historique, bien qu’influencé par la subjectivité de
son auteur n’est pas une pure fiction mais un récit subordonné à des critères de vérité. Cette
subjectivité permet de comprendre qu’il existe des courants historiographiques différents106.
L’histoire est aussi affaire d’opinion. La subjectivité de l’historien l’empêche de prétendre à
une scientificité absolue. L’herméneutique, science de l’interprétation, permet de dépasser
l’alternative opposant conception scientiste et relativisme intuitif107. De même, le jugement ne
se contente pas d’appliquer mécaniquement le droit aux faits. Bien souvent, plus qu’une
décision vraie, c’est une décision équitable et raisonnable qui est affirmée108. Leur propre
103
MARTIN (J-C.), La démarche historique face à la vérité judiciaire, op. cité
L’affirmation de J-C. Martin dans la démarche historique face à la vérité judiciaire selon laquelle « chaque
communauté d’historiens est responsable de ses énoncés tels que légitimer dans leur fondement méthodologique,
leur vocabulaire et leur cohérence » est également valable pour le juge
105
WHITE (H.), Metahistory: the historical imagination in nineteenteh century in Europe, Johns Hpokins
University Press, 1973.
106
Par exemple, il est possible de noter que l'analyse de la Révolution a donné lieu à des histoires différentes
selon que l'historien était communiste ou libéral.
107
En France, Henri-Irénée Marrou est l’héritier de cette tradition. Celle-ci repose sur la volonté de faire de
l’histoire une science tout en reconnaissant ces faiblesses. « C’était se fourvoyer que d’aligner l’histoire sur les
sciences de la nature, de faire de l’objectivité le critère suprême en un sens unique de la vérité. (...). Le
malheureux historien introduira toujours dans la connaissance quelques éléments personnels » Puis il ajoute :
« l’histoire est bien susceptible d’une vérité qui peut-être authentique encore qu’elle soit relative aux instruments
qui ont permis de l’élaborer » Voir MARROU (H-I.), De la connaissance historique, Seuil, Point histoire, Paris,
1954, p. 214 et 234
108
Même si le jugement en équité est en principe prohibé par les textes de procédure, il faut bien remarquer que
la réalité est souvent tout autre. Le désormais célèbre arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2000 en est
un exemple frappant.
104
41
subjectivité touche donc leur raisonnement mais le but est de la diminuer le plus possible afin
que celui-ci reste le plus pur possible. Différents procédés permettent d’y parvenir. La
recherche de la légitimité de leurs résultats passe en premier lieu par leur méthode mais
d’autres moyens permettent également de contrebalancer leur subjectivité. La recherche de
l’impartialité nécessite une éthique professionnelle. Le recours au regard de ses pairs par la
collégialité chez le juge et par la reconnaissance de la communauté scientifique109. chez
l’historien sont également des éléments importants dans la recherche du contrôle de la
subjectivité. Enfin chacun recherche l’assentiment : l’adhésion de la population autour de
valeurs communes110 pour le juge et l’adhésion de la communauté scientifique pour
l'historien. La vérité dégagée par la juge et l’historien est donc relative. Cela pose de sérieux
problèmes pour la complémentarité entre l’historien et le procès, d’autant plus que la force de
chaque sentence est différente.
Le juge et l’historien ne parviennent pas du tout au même résultat. Le juge doit trancher un
litige tandis que l’historien fait un travail à vocation scientifique dont le but est la
connaissance. L’un peut imposer sa vérité tandis que l’autre ne peut que reconnaître les
limites de son travail. Le jugement fait acte de vérité car il est couvert de la vérité légale :
l’autorité de la chose jugée. Même si par la suite des changements interviennent le jugement
ne sera que très difficilement remis en cause. En effet, malgré une recherche relative, une fois
la décision prise, elle a un caractère absolu afin de rétablir la paix sociale. Ce qui importe c’est
que les parties se conforment à ce jugement et le considèrent comme vrai. Par contre une
vérité historique peut être remise en cause par la découverte de faits nouveaux. L’historien n’a
que sa scientificité pour imposer sa vérité et celle-ci est donc menacée d’être remise en cause
constamment. C’est sans doute sur ce point que réside la principale différence entre le juge et
l’historien111. Dans le cadre de tous les procès, il faut noter que ceux les procès en dernier
ressort sont revêtus du sceau de la vérité irréfragable. Dans les autres cas, la vérité dévoilée
peut toujours être remise en cause par le jugement. Ainsi, même lorsque le juge ne fait que
porter un jugement moral, comme l’historien, il a force obligatoire et s’impose comme une
109
Cette idée est notamment développé par Kuhn dans les structures des révolutions scientifiques, Flammarion,
Paris, 1983. Nous reviendrons dessus ultérieurement.
110
Voir VARAUT (J-M.), Faut-il avoir peur des juges ?, Plon, Paris, 2000 qui souligne que la logique judiciaire
n'est pas centrée sur l'idée de vérité mais sur celle d'adhésion. Dans le même sens, SALAS (D.), Le tiers-pouvoir,
vers une autre justice, Hachette, Paris, 1998
111
Il est intéressant de remarquer qu’au civil si une nouvelle preuve apparaît une nouvelle instance peut être
engagée. Au pénal la situation est différente. En effet, on considère que les recherches des preuves étant plus
poussées, aucun recours sur les mêmes faits n’est à nouveau possible. Seul un procès en révision peut être engagé
et celui-ci requiert des conditions qui sont difficiles à établir
42
vérité intangible. Ainsi, alors que le droit tient compte de la différence entre le juge civil et le
juge pénal dans la recherche de la vérité (le juge pénal menant une enquête plus poussée, sa
décision a une autorité supérieure à celle du juge civil), l’historien qui sur les faits passés
dispose de moyens et de la liberté la plus importante, voit sa vérité dévaluée par rapport au
juge.
Les méthodes du juge et de l’historien malgré des démarches similaires diffèrent donc
quelque peu. Après cette étude, il est nécessaire de s’arrêter sur leur complémentarité.
1.2.2.2.Une difficile complémentarité
Les méthodes historique et judiciaire se complètent-elles ? En quoi l’historien peut-il
permettre au juge d’administrer convenablement la justice ? Certes, l’apport de l’historien
apparaît fondamental mais encore faut-t-il pour que la justice soit rendue dans de bonnes
conditions que la répartition des rôles dans le procès soit clairement délimitée. Dans les
procès où l'historien est intervenu, l'accent a été mis sur la complémentarité entre le juge et
l'historien. Cependant, des zones d'ombre subsistent.
Le juge et l’historien appliquent dans la recherche des faits une démarche similaire
reposant sur un « paradigme indiciaire » (C. Ginzburg). Certes, leurs motivations (le
jugement et la connaissance) sont différentes, mais, bien que le juge connaisse des limites plus
fortes que l’historien, leur objectif est le même : parvenir au plus proche de la vérité.
Certains112 affirment que, pour le juge civil au moins, la recherche de la réalité des faits est un
objectif secondaire. Les preuves seraient davantage un moyen de légitimer le jugement sous
l’apparence de règles tendant à la recherche objective de la réalité. Ces analyses s’appuient sur
le fait que le juge civil à recours à la fiction, notamment à travers les présomptions. Cette
vision doit cependant être nuancée. En effet, si pendant longtemps le juge civil n’a pas eu
pour objectif la vérité, l’article 10 du Code civil lui impose désormais d'en faire une priorité.
La recherche de la matérialité étant un préalable à la déclaration de la vérité, il semble qu’il
faille également en faire un objectif du procès. Si cette recherche de la matérialité est en fait
limitée cela tient d’une part à la tradition qui fait que les juges n’exploitent pas totalement les
112
Voir la thèse défendu par X. Lagarde, LAGARDE (X.), Vérité et légitimité dans le droit de la preuve, in
Droits, n°23, 1996
43
moyens mis à leur disposition par le droit et d’autre part aux contingences du procès. La
nécessité de trancher le procès dans un délai raisonnable113 lui impose parfois de recourir à
une réalité approximative. Le recours à la fiction n’est pas intrinsèque au juge civil, la
découverte de la matérialité des faits est souvent la base du jugement. Pour le juge pénal, le
problème est différent et il est généralement admis que la recherche de la matérialité des faits
est un objectif prioritaire même s’il est également tenu à une certaine célérité. Il doit
rechercher une vérité objective pour permettre le rétablissement du pacte social. Le juge
(même s’il faut poser quelques réserves pour le juge civil) a donc comme objectif la
découverte de la matérialité des faits. Or, pour l’historien, celle-ci est fondamentale. Elle
légitime sa fonction, son but étant la connaissance du passé. Cependant, il ne peut restituer le
passé tel qu’il était. Il cherche davantage sa reconstitution.114 Son résultat est perfectible car
de nouvelles sources peuvent être trouvées. Mais cette recherche est une obligation
déontologique comme le prouvent a contrario les négationnistes.
De cet objectif commun peut se dégager une certaine complémentarité. Lorsque le juge
a à connaître de faits passés, l’historien peut apporter la technique qu’il a su acquérir dans
cette recherche (notamment vis-à-vis des documents d’archive). Plus libre que celui-ci dans sa
recherche, ayant plus de temps, il peut être utile au juge et lui éviter des démarches parfois
longues. Quant à l’analyse historique, le problème vient de sa relativité. L'historien ajoute du
« relatif au relatif »(Me Varaut). Dans le cadre de son analyse, il ne peut se déclarer détenteur
d’une vérité sûre et certaine. Mais qui peut se dire détenteur d’une telle vérité ? La
« falsibilité » (Popper) n’est-elle pas le propre de toute science ? Mais dans ce cas, l’historien
ne risque-t-il pas de créer du trouble dans l’esprit des juges ? Une vision de l’histoire doit-elle
primer sur une autre ? Le juge ne doit cependant pas valider une histoire officielle et
l’historien ne doit pas faire dévier le procès. Le procès ne doit pas être l'occasion d'aboutir à
une nouvelle confusion des genres. Au contraire, l'intervention des historiens doit permettre
au juge de rendre la justice sans s'attribuer des compétences qui ne sont pas les siennes. C’est
pour cela qu’une claire répartition des compétences est nécessaire.
Le juge ne doit pas jouer un rôle d’historien. La notion de procès pour l’histoire est
souvent invoquée à propos des trois grands procès sur la Seconde Guerre mondiale. Or la
113
FORIERS (P.), Considérations sur la preuve judiciaire, in FORIERS (P.) et PERELMANN (sous la dir..), La
preuve en droit, Bruylant, Bruxelles, 1981
44
connaissance historique n’est pas le but de ces procès pas plus qu’ils n’ont vocation à juger un
régime tout entier et ainsi à dire l’histoire. La connaissance historique doit uniquement être un
des fondements qui permettent de juger une personne. En effet, il n’existe pas de
responsabilité collective dans le droit français. Le principe veut donc que l’on ne fasse pas
peser sur l’accusé des responsabilités qui ne sont pas les siennes115. C’est sans doute une des
raisons pour lesquelles la plupart des historiens trouvent que la connaissance historique ne
progresse pas durant ces procès. Certains vont encore plus loin et affirment que la
connaissance historique régresse même. En effet, ils constatent que des thèses historiques qui
sont désormais rejetés par la communauté des historiens réapparaissent durant ces procès.
C’est ainsi que H. Rousso116 constate que la thèse du Bouclier selon laquelle Vichy aurait
accepté la collaboration afin de protéger la France est réapparue notamment dans la bouche de
M. Amouroux. Comment expliquer que des thèses aujourd’hui discréditées par la
communauté scientifique reviennent ainsi ? Cela tient au fait que le juge se refuse à dire
l’histoire. Il laisse les historiens disserter librement sur le contexte. Le juge n’a pas à imposer
une histoire officielle aux historiens. Au contraire, il doit entendre différentes thèses débattues
devant lui contradictoirement et trancher en fonction de cela et uniquement de cela. En effet,
il ne peut se fonder que sur ce qui est entré dans le débat. Ainsi, la justice n'a pas pour objectif
de valider la vérité de thèses historiques mais uniquement de fournir différentes
interprétations au juge. Celui-ci doit fonder sa décision non sur ce qui est la vérité historique
d’un régime mais sur ce qui est son intime conviction vis-à-vis des crimes de l’accusé. Le juge
peut donc éviter de dire l’histoire puisque ce sont les historiens qui le font. Comme dans le
cadre du contentieux de la responsabilité de l'historien, le juge applique à la vérité historique
sa propre méthode de dévoilement de la vérité, à savoir le contradictoire. Cette façon de
procéder permet en principe au juge d'éviter de dire l'histoire. Il se décharge sur les historiens
et prend en compte les limites de la vérité que ceux-ci dévoilent. Il ne tranche pas l'histoire
mais en tire des conséquences.
La complémentarité des méthodes et la répartition des rôles dans le procès doivent également
prendre en considération la place de l'historien par rapport à la justice. Les historiens en tant
que citoyens engagés dans la cité s’insurgent contre l’idée d’une responsabilité collective117. Il
s’inscrit dans la lignée de 1789 et rejette toute notion de responsabilité collective. Mais en tant
114
GODDING (P.), Introduction à la critique historique, op. cité, p. 174
Voir ARENDT (H.), Eichmann à Jérusalem, Gallimard, Paris, 1966
116
Le procès papon, op. cité, 1er volume, p. 317
117
JEANNENEY, Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 79
115
45
qu’historien, leur travail implique une certaine part de généralisation. Cependant, « voilà à
nouveau l’historien en plein malaise : si dans son cabinet il se livre à des généralisations qui
le heurtent tant d’autre part, ne risque-t-il pas de renforcer les partisans avoués de la
responsabilité collective et ceux, plus discret, du principe du bouc émissaire ? »118. M.
Jeanneney affirme que tel n’est pas le cas car l’historien avant de généraliser distingue. Ce
n’est qu’une fois qu’il a distingué qu’il généralise. « Mais à ce point il sera loin du prétoire et
ne risquera pas de l’encourager à la déviance »119. Surtout, l’argumentation universitaire
n’est pas obligée de rester dans le mode binaire du procès. En effet, au stade où les historiens
interviennent, le fait de savoir si l’accusé est coupable ou non n’entre pas en ligne de compte.
Le juge a besoin d’un savoir préliminaire pour trancher mais on ne demande pas aux
historiens de trancher de la culpabilité de l’accusé. L’historien peut donc apporter son savoir
indépendamment de l’accusé. Son objectif est de permettre au juge de comprendre le contexte
dans lequel les faits passés qu’il a jugés ce sont déroulés. C’est le spécialiste de cette question.
Certes, il ne peut affirmer une vérité certaine mais il est le mieux placé pour remplir cette
mission qui est indispensable. L'historien peut donc rester à sa place tout en aidant le juge.
Ainsi, il semble qu'une répartition des rôles dans le procès soit possible. Chacun reste exerce
sa compétence.
Cependant, le juge n'est-il pas également amené comme dans le contentieux de la
responsabilité de l'historien à faire référence à l'autorité ? Sinon, comment le juge peut-il
trancher entre les différentes interprétations ?120. De plus, cette complémentarité affichée pose
problème puisque les procès historiques ont également une vocation pédagogique, les
personnes qui engagent les procédures le déclarent. Dès lors, les historiens ne risquent-ils pas
de devenir les juges d'un régime incarné par l'accusé ? C’est d’ailleurs ce que rappelait le
procureur général, Pierre Truche, en présentant les témoins d'intérêt général au procès
Barbie121. Le juge et notamment le président a le pouvoir d’interrompre les débats lorsque
ceux-ci s’écartent trop du propos du tribunal et risquent de faire dévier le procès122. Ainsi lors
du procès Papon, le président intervient pour dire à Me Varaut lorsque celui-ci pose des
questions à M. Paxton sur le bilan moral de Vichy : « Nous sommes maintenant bien loin des
118
Ibid., p. 85
Ibid
120
Pour la réponse à ces questions voir infra
121
Audience n°17, www.histoire.fr/jaune/html/evenements.htm
122
L'article 309 du code de procédure pénal dispose: Le président à la police de l'audience et la direction des
débats
119
46
débats » 123. Cependant, ces dérives ne peuvent être toujours évitées dès lors que le juge
accepte que le procès soit placé sous le signe de la mémoire. Les historiens participent alors
pleinement à cet aspect spectaculaire (au sens que donne Debord à ce terme) de la justice.
L'intervention des historiens dans les procès est donc nécessaire. Le juge chargé de
traiter de faits passés doit faire appel à un spécialiste de ces questions. Ainsi, la confusion des
rôles sociaux qui peut parfois se manifester semble pouvoir être évitées. Pour éviter cette
confusion dans le procès, une claire répartition des rôles est indispensable . Chacun intervient
dans son domaine de compétence. Tel est en tout cas ce qui est affirmé. Cependant, dans la
pratique, la participation de l'historien à des procès a soulevé de nombreux problèmes. La
répartition des rôles et la complémentarité des méthodes ne sont pas aussi évidentes qu'il y
paraît. Les historiens n'ont participé qu'à des procès historiques impliquant l'ensemble de la
collectivité. Ces procès imposent la présence de l'historien car les faits soumis au tribunal
sont passés. Mais, engageant toute la société, les dérives et l'instrumentalisation des historiens
sont facilitées. Le fait que l'intervention des historiens soit limité à des procès où les faits
passé sont exceptionnels amène à s'interroger sur le bien fondé de leur participation. En effet,
ne risque-t-on pas de leur confier une tâche qu'un procès ne saurait remplir ? Or, n'y aurait-il
pas des cas où l'historien pourrait également être utile car le passé est également en cause ? Il
est peut-être temps de repenser les rapports de l'historien à la justice.
123
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 319
47
2.LES
HISTORIENS
DANS
LE
PROCES :
DU
RENDEZ-VOUS
MANQUE A LA REDEFINITION
L’intervention de l’historien dans le procès, si elle apparaît nécessaire, s’avère
également problématique. En effet, malgré les explications avancées pour justifier sa
participation, de vives critiques sont nées. Tout le paradoxe du lien entre l’historien et le
procès ressort. L’historien doit participer mais cette participation ne s’effectue pas dans des
conditions et pour des raisons satisfaisantes. Cependant, il pourrait être fort utile au procès à
condition que la justice accepte de repenser ses liens avec cette discipline. C'est pourquoi les
cas d'intervention des historiens, bien qu'ils soient justement critiqués, ne constituent pas un
échec. Ces cas exceptionnels où le risque de confusion des rôles est renforcé doivent
constituer une base de réflexion pour permettre une meilleure intervention des historiens. Sur
quoi portent les critiques ? En quoi soulignent-elles les difficultés de l’intervention de
l’historien ? En quoi amènent-elles à repenser les modalités de cette intervention ?
La rencontre entre l’historien et le procès est un rendez-vous manqué. En effet,
l’argumentation historique s’intègre difficilement dans le cadre procédural. Les historiens qui
participent à des procès se trouvent régulièrement placés en porte à faux vis-à-vis de leur
discipline. Mais surtout, le rôle que le juge leur attribue ouvertement semble cacher un autre
aspect de sa participation. Le recours à l’interdisciplinarité ne serait qu’un alibi (2.1.). Il
s’avère dès lors nécessaire de repenser cette interdisciplinarité en redéfinissant le rôle de
l’historien dans le procès. Cela passe par une révision des modalités et des cas d’intervention
(2.2.).
2.1.L'instrumentalisation des historiens
Des historiens ayant participé à des procès ont par la suite fait part de leur regret de
s’être présentés devant le tribunal124. Des collègues à eux ont également refusé de se
soumettre à la convocation des tribunaux. Ils avaient l’impression d’être (ou de pouvoir être)
instrumentalisés. Le problème vient sans doute des difficultés de la science historique ellemême. L’historien n’est pas un scientifique comme les autres. Du point de vue des historiens,
48
il semble qu’il faille se demander s’ils sont à leur place dans le cadre procédural ou tout du
moins celui auquel ils ont été soumis. Mais, le rendez-vous manqué de l’historien et du procès
vient aussi peut-être de la réelle utilité de l’historien. En effet, que recherche réellement le
juge en faisant appel à l’historien : la vérité ? Quelle vérité ? Que retient-il du discours des
historiens ? N’y a-t-il pas des causes non avouées à son appel ? Il s’agit ici d’appréhender à
travers l’étude de cas concrets le rôle réel et la place tenus par l’historien dans le procès.
Du point de vue de l’historien, le procès est un lieu problématique tant par le statut qui
lui est conféré que par le déroulement du procès (2.1.1.). Du point de vue du juge, on peut
s’interroger sur la réelle utilité de l’historien dans sa prise de décision (1.1.2.)
2.1.1.La place de l’historien dans le procès : statut et risque
L’historien a-t-il sa place dans le procès ? Le cadre procédural lui permet-il
d’intervenir de manière satisfaisante sans remettre en cause les conditions nécessaires au bon
exercice de sa profession ? L’historien ne fait pas son travail en pensant qu’un jour ses
recherches pourraient être utiles à un tribunal. Le fait pour lui de se retrouver devant un
tribunal est donc problématique. Les mots qui reviennent sont "instrumentalisation" et
"logique différente". Deux problèmes doivent être résolus. Premièrement, quel statut convient
le mieux à l’intervention de l’historien ? Cette question a été réglée de manière pratique mais
soulève de réels problèmes. Deuxièmement, le discours historique est-il compatible avec le
procès ? En effet, même si nous avons tenté de montrer que loin de s'opposer méthode
historique et méthode judiciaire pouvaient se compléter, dans la pratique cette
complémentarité est parfois remise en cause. L'historien se trouve alors dans une situation
ambiguë vis-à-vis de sa discipline tant du point de vue éthique que méthodologique.
2.1.1.1.Le problème du statut de l'historien
L’historien qui intervient dans le procès est-il un témoin ou un expert ? Nous avons vu
que les cas de recours à des expertises historiques lors de la phase d’instruction étaient très
124
BEDARIDA (F.) Touvier, Vichy et le crime contre l'humanité, Seuil, Paris, 1996, Baruch (M-O.),
Impressions d'audience, in Le Débat, n°102 novembre-décembre 1998
49
rares voire inexistants. Dans ces cas, les historiens interviendraient comme des experts. Mais
lorsque les historiens déposent durant l'audience ils interviennent juridiquement comme
témoin et non comme expert. Ce statut a été retenu par les différentes Cours d’assises où
l’historien a eu à intervenir mais est-il justifié ? Ne crée-t-il pas des problèmes ?
Lors du procès Papon, Me Varaut, avocat de l'accusé, a soulevé l’illégalité de la
participation des historiens comme témoin sur le fondement de l’article 331125. En effet, le
témoin doit déposer soit sur la personnalité ou la moralité de l’accusé soit sur les faits sur
lesquels porte le litige. Certes, pour les historiens ayant connaissance du dossier, on peut
considérer à l’extrême limite qu’ils s’insèrent dans ce second cas, bien qu’ils n’aient pas eu
une connaissance directe des faits. Mais les historiens qui déposent sur le contexte, eux, ne
parlent même pas indirectement des faits sur lesquels porte le litige. Il est donc possible de se
demander malgré l’avis positif de la Cour d’assises126 de Gironde si les dépositions des
historiens sont parfaitement légales. Il faut noter que la Cour de Cassation s'est déjà prononcée
sur les témoins dits d’intérêt général. Ainsi, dans un arrêt du 31 janvier 1979127, la Cour de
cassation avait à se prononcer sur une affaire de viol impliquant MM. Petrilli, Mouglalis et
Roger. Ceux-ci avaient été respectivement condamnés le 3 mai 1978 par la Cour d’assises des
Bouches du Rhône à 6 ans et 4 ans de réclusion. Or, durant ce procès, la cour a rendu un arrêt
incident refusant l’audition d’un témoin régulièrement cité et qui avait d’ailleurs prêté
serment. Cet arrêt se fondait sur le fait que le témoin, Florence d’Harcourt, députée, n’avait
aucune connaissance directe des faits ni de la moralité ou de la personnalité des accusés.
« Elle admet avoir désiré entretenir la Cour d’assises de la gravité du crime de viol, de ses
incidences sociales et de ses conséquences pour les victimes, enfin des moyens propres à
l’éviter »128. La cour écartait donc ce témoin après que celui-ci ait prêté serment car il ne
rentrait pas dans le cadre de l’article 331 alinéa 5 de Code de procédure pénale. La Cour de
Cassation valide cette interprétation et rejette le pourvoi. Elle ne s'est par contre jamais
prononcée sur le rôle tenu par les historiens - témoins dans le procès. Ainsi, dans l'affaire
Papon, la cour de cassation a refusé de statuer sur le pourvoi formé par M. Papon car il ne
s'était pas constitué prisonnier la veille alors que celui-ci soulevait ce problème129. Il n'est pas
125
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 311
cf. supra
127
Bulletin de la Cour de Cassation, chambre criminelle, 1979, n°1, p.128
128
Ibid.
129
Entretien avec Me Varaut du 23avril 2001
126
50
évident que ce statut soit légal. La Cour d'assise de Gironde s'est prononcée sur le moyen
invoqué par Me Varaut quant à la légalité des historiens. Elle a accepté leur statut de témoins
au motif que leur rôle était indispensable à la compréhension du procès.
Outre le problème de sa légalité, le statut de témoin pose problème à l’historien à
cause des conditions qui s'y appliquent130. Le témoin doit d’après l’article 331 alinéa 3 du
Code de procédure pénale prêter serment avant de déposer. Il doit jurer de dire « toute la
vérité rien que la vérité ». Or qu'est-ce que signifie cette vérité pour l'historien ? En effet,
l'historien n'est dépositaire que d'une vérité toute relative. L'historien ne se situe-t-il pas sur un
registre tout différent par rapport aux témoins habituels ? Du point de vue de la vérité, la
réponse est non. En effet, le témoin malgré son serment n'est pas obligé de dire la vérité dans
le sens où il serait détenteur d'une vérité authentifiée. Il a uniquement l'obligation de dire ce
qu'il sait ou ce qu'il croit savoir, c'est-à-dire de ne pas mentir délibérément. La difficulté ne
tient pas à la différence de nature entre la vérité historique et la vérité judiciaire mais au fait
que ce que raconte le témoin, c'est sa mémoire131. La parole véhicule l'expérience de celui qui
parle. Le témoignage est le symbole de la mémoire vivante et non de l'histoire. Le témoignage
implique un rapport direct aux faits. Or l'historien par définition n'est pas présent au moment
des faits. Plus encore, l'historien n'est pas le détenteur de la mémoire. Au contraire, le rôle de
l'historien est de se séparer de la mémoire et d'éviter de jouer le rôle de témoin. En effet, son
travail repose sur la distanciation. Comme le souligne F. Hartog, « l'historien ne commence à
être historien qu'en s'exerçant à se détacher du témoin »132. Il critique les témoignages et ne
témoigne pas lui-même. Ce qu'affirme l'historien lors de son témoignage c'est ce qu'il croit
être la vérité. Or celle-ci est le fruit d'une interprétation.
De plus, l'article 331 alinéa 3 ajoute : « cela fait, les témoins déposent oralement ». Les
historiens appelés comme témoin ne font donc pas un travail de chercheur mais un travail
d'enseignant qui fait un cours. Or, comme le souligne M-O. Baruch il ne s'agit pas de leur
fonction principale133. Pour cet historien il s'agit même d'une première. L'oralité constitutive
du procès pose des problèmes autrement plus important à l'historien. L'écrit étant leur moyen
traditionnel d'expression et le plus approprié à leur réflexion, l'oralité les place parfois dans
130
Ces questions sont traitées dans les différents articles de la revue Le débat n°102 novembre décembre 1998
ainsi que dans ROUsSO (H.), La hantise du passé, op. cité
131
THOMAS (Y.), La vérité, le temps, le juge et l'historien, op. cité.
132
HARTOG (F.), La conjoncture historiographique, in Le débat, n°102, novembbre-décembre 1998
133
BARUCH, (M-O.), Impressions d'audience, op. cité
51
une situation difficile. Ainsi, au cours du procès Zola, Paul Meyer, directeur de l'Ecole de
Chartes tire un papier de sa poche lors de sa déposition et se fait rappeler à l'ordre par le
Président qui lui dit qu'il ne faut pas lire. Paul Meyer réplique alors : « je ne lis jamais,
monsieur le Président. Seulement, je suis professeur et comme je suis très peu pourvu de
mémoire, je suis toujours obligé de noter, par un mot ou deux, les idées que je veux
exprimer »134. Cette réplique souligne d'ailleurs également que l'historien ne fait pas un récit
de mémoire mais de connaissance. En effet, la mémoire vient instinctivement à l'esprit. De
même M-O. Baruch135 explique comment il a appris par cœur la trame de sa déposition.
Le système de la déposition ne permet pas à l'historien d'intervenir à tout moment dans le
procès. Une fois qu'il a fait sa déposition le témoin n'intervient plus en principe136. En tout
cas, l'historien ne peut corriger une erreur historique commise par un autre témoin lors de sa
déposition. Or, cela pourrait s'avérer fort utile. Ainsi, lors du procès Papon, lorsque Olivier
Guichard137 explique qu'il faut se souvenir que les trois premiers ministres de De Gaulle ont
été fonctionnaires sous Vichy. L'historien aurait pu intervenir pour montrer que cette
assimilation ne correspondait pas à la réalité. En effet, comment ne pas différencier un maître
des requêtes au Conseil d'Etat qui organise dans la clandestinité la mise en place des
commissaires de la République, un professeur de Lycée et un directeur des Finances
extérieures du gouvernement jusque 1943 ?
Enfin, dans sa déposition, l'historien doit également faire attention à ne pas user de trop de
formules toutes faites au risque de voir, oralité oblige, la complexité de sa déposition réduite à
cette formule. Ainsi, lorsque M-O. Baruch parle de « préfet-bis »138 à propos du secrétaire
général de Préfecture, il regrette que ce soit uniquement sur ce point que l'attention se soit
focalisée car il considérait son propos plus riche que cela. L'historien ne maîtrise pas l'art
rhétorique qui est au cœur même du débat judiciaire.
Le statut de témoin ne se limite pas à la déposition. En effet, une fois que la déposition
est accomplie l'historien est soumis aux questions des avocats. Or, ces questions sont
l'occasion pour les avocats de remettre en cause la déposition de l'historien en attaquant ces
positions sous plusieurs formes. Il faut noter avant d'étudier ces différentes formes que les
134
Le procès Zola, op. cité, cité in JEANNENEY (J-P.), Le passé dans le prétoire, p. 27
BARUCH (M-O.), Impressions d'audience, op. cité
136
excepté si l'article 338 de Code de procédure pénale vient à s'appliquer ce qui n'a jamais été le cas pour un
historien
137
Cité in JEANNENEY, Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 87
138
BARUCH (M-O.), Impressions d'audience, op. cité
135
52
avocats se trouvent dans une situation privilégiée par rapport aux historiens. En effet, ceux-ci
ont à leur disposition des documents. Il leur est donc plus facile de chercher à piéger les
historiens. Tout d'abord, l'avocat va chercher à remettre en cause la place tenue par son client
dans le contexte décrit par les historiens. Ainsi, lors du procès Papon, Me Varaut cherche à
bousculer M. Paxton. car comme il l'indique « pour défendre tout est bon »139. Par exemple, il
lui demande : « Dans vos livres où vous consacrez un long développement à l'affaire
Bousquet, avez-vous évoqués le rôle de Maurice Papon ? »140. M. Paxton est obligé de dire
que jamais. De même, Me Varaut cite les dernières lignes de son ouvrage le plus célèbre, La
France de Vichy141 : « lorsqu'il a fallu choisir entre deux solutions - faire son travail, donc
courir des risques moraux et abstraits - ou pratiquer la désobéissance civile donc s'exposer à
des dangers physiques immédiats, la plupart des Français ont poursuivi leur travail. L'auteur
et les lecteurs de cet ouvrage, hélas, auraient peut-être tenté d'en faire autant »142. L'avocat de
la défense se sert donc d'un savoir historique énoncé hors de toutes considérations judiciaires
dans le cadre de sa défense. Il cherche ainsi à disculper son client à travers des références aux
réflexions des historiens qui par nature sont incités à ne pas trop s'attacher aux responsabilités
individuelles.
De plus, les avocats tentent également de remettre en cause l'historien lui-même. Ainsi,
durant le procès Papon, le Président a du intervenir à plusieurs reprises suite à des incidents
d'audience. La remise en cause la plus violente eu lieu à l'égard de M. Amouroux. En effet, les
avocats des parties civiles invoquent ses agissements durant l'occupation pour remettre en
cause son impartialité143. Me Boulanger demande s'il est exact que M. Amouroux a été mise
en cause en 1949 par le journal La Petite Gironde. Le Président intervient contre cette mise en
cause du témoin. Mais, Me Blet insiste en expliquant que connaître le passé du témoin n'est
pas étranger au débat. M. Delarue144 est également par la suite mis en cause. Il faut remarquer
que seuls les historiens non-professionnels ont été attaqués de la sorte. N'étant pas revêtue de
l'onction du diplôme, leur position semble plus fragile. Le but de ces attaques est de montrer
que les historiens ne sont pas détenteurs d'une vérité. L'objectif est donc clair : faire douter de
la validité des thèses historiques défendues par l'historien.
139
Entretien avec me Varaut du 23 avril 2001
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 317
141
PAXTON (R.), La France de Vichy, 1940-44, Seuil, Paris, 1973
142
Ibid., p.318
143
Ibid, p. 334 et suiv.
144
Le procès Papon, op. cité, 2e vol, p.496
140
53
Le statut de témoin que l'on impose à l'historien n'est donc pas, semble-t-il, le plus
approprié. C'est pourquoi dans le cadre du procès Barbie145, un statut particulier avait été
accordé aux témoins d'intérêt général. Ceux-ci pouvaient déposer avec des notes et n'étaient
pas confrontés à l'interrogation des avocats. Seul le Président pouvait les interroger. Ce statut
permettait de régler la plupart des problèmes liés au statut de témoin. Cependant, malgré les
justifications de P. Truche, sa légalité peut poser problème eu égard à la jurisprudence de la
Cour de cassation sur les témoins d'intérêt général. Surtout, cela ne permettait pas de résoudre
la question de savoir si l'historien est réellement un témoin. En effet, si l'on fait appel à
l'historien, c'est, nous l'avons vu, parce que c'est un spécialiste. Or, habituellement, les
spécialistes interviennent en tant qu'expert. Ce n'est pas le cas des historiens. Le contexte de
l'affaire n'est pas une intervention technique. Dans le cadre du procès Zola, où les historiens
témoignaient sur l'étude d'un document, leur rôle aurait pu être assimilé à une expertise car il
s'agissait effectivement d'une mission technique, mais dans les procès sur la Seconde Guerre
mondiale tel n'est pas le cas. A la rigueur dans le cadre du procès Papon, il était possible
comme l'avait fait la première instruction de demander une expertise sur les questions
techniques telles que l'organisation de la préfecture mais aucune expertise n'est possible pour
rendre compte du contexte.
L'historien intervient comme témoin. Ce statut soulève de nombreux problèmes. Il ne
correspond pas à la mission de l'historien, sa légalité est douteuse, il comporte des risques
pour l'historien qui voit son discours remis en cause. N'est-ce pas parce que le discours
historique est incompatible avec la pratique judiciaire ?
2.1.1.2.L'ambiguité de la position de l'historien
L'historien qui participe au procès est soumis au cadre procédural ce qui lui pose des
problèmes. Son statut ne facilite pas le bon exercice de sa fonction. Mais, il est également
possible de se demander si l’intervention de l’historien dans le procès est réellement
compatible avec la pratique historienne. Celui-ci se trouve dans une situation ambiguë vis-àvis de sa discipline. En effet, d'une part, le questionnement judiciaire a un impact sur son
discours ce qui pose des problèmes éthiques à l'historien habitué à la liberté de parole et de
recherche et d'autre part sa rigueur méthodologique est contestée ce qui aboutit à une remise
145
Voir, www.histoire.fr/jaune/html/evenement.htm
54
en cause de sa discipline.
Dans ces conditions, il semble normal que les historiens
s'interrogent sur leur volonté ou non de participer au procès.
Nous avons essayé de montrer que la méthode historique et la méthode juridique loin
de s’opposer pouvaient se compléter. En effet, l’historien en tant que témoin n’a pas à entrer
dans la logique du procès, c'est-à-dire à s'interroger sur la culpabilité de l'accusé.. Cependant,
en pratique, il est beaucoup plus difficile de se départir de ce questionnement146. Un historien
ne peut éclairer un contexte sans lien direct avec le questionnement judiciaire. Comme la
question posée est celle de la culpabilité, toute l’argumentation tourne de manière consciente
ou non autour de celle-ci question. Les historiens sont prisonniers du questionnement
judiciaire. Le statut du témoin a en principe un avantage pour l’historien : il dépose à charge et
à décharge comme le rappelle leur serment. Qu’ils soient cités par l’accusation, les parties
civiles ou la défense, ils ne sont pas tenus par les personnes qui les citent. Ainsi, R. Rémond
cité par la défense au procès Papon n’est pas le témoin de la défense. Cependant, la plupart
des historiens de ce procès avaient peur que leur propos puissent servir la défense. Ils étaient
conscients des conséquences de leur témoignage sur le déroulement du procès. H. Rousso va
plus loin en s’interrogeant « sur le nombre de mensonges, pieux ou pas, proférés durant cinq
mois aux audiences de Bordeaux »147. Il constate que cette situation est fort délicate pour
l’historien qui est chargé d’énoncer une vérité d’expert « alors qu’aucune vérité historique ne
peut s’énoncer hors d’un cadre d’interprétation et d’un questionnement préalable »148. Il note
par exemple que les historiens présents à Bordeaux n’ont pas développé spontanément la
question de la signification des actes de résistance de la part de fonctionnaires par ailleurs
coupables d'actes criminels. Or cette question est importante pour comprendre la fin du
régime de Vichy mais également dans le cas précis de Maurice Papon. H. Rousso remarque
que « le faire aurait été servir, dans la logique des assises mais pas dans la logique
historienne, la cause de la défense »149. De même, lors du procès Touvier, J. Delarue est
revenu sur son rapport de 1970 où il affirmait que les Allemands n’étaient pas intervenus dans
cette affaire pour permettre la condamnation de Paul Touvier150. L’historien intervenant dans
le procès se trouve donc nécessairement influencé par le contexte qui l’entoure. Il est en
146
Sur cette analyse voir, ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p. 100 et suiv.
Ibid., p. 105
148
Ibid., p. 105
149
Ibid, p. 106
150
CONAN (E.) et ROUSSO (H.), Vichy, un passé qui ne passe pas, op.cité, p.148
147
55
contradiction avec sa déontologie et remet en cause sa pratique historienne. Le travail de
recherche et la participation à un procès n'ont que peu de choses en commun. L'historien est
placé dans un cadre qui lui convient mal. Ainsi, la différence de logique entre l'historien et le
procès est toujours sous-jacente et leurs questionnements différents. Certes, il n'est pas
demandé à l'historien de juger mais les questions soulevées par le jugement ne sont pas
forcément celles qui sont sa priorité. H. Rousso remarque que : « la question de savoir si un
secrétaire général de préfecture était ou non un acteur important sous l’Occupation, (lui)
semble en tant qu’historien, très secondaire au regard de la question principale, à savoir le
fonctionnement d’une telle administration dans son ensemble »151.
Dans ces conditions, la rigueur scientifique de l'historien peut être mise à l’épreuve. Le
procès met l’historien dans une situation embarrassante vis-à-vis de la vérité dont il est censé
être le détenteur. Lors du procès Touvier, Me Trémolet de Villiers, avocat de Paul Touvier
finit par dire à M. Bédarida que « l'histoire n'est qu'une opinion »152. Certes, ce dernier
réplique en disant que « plaidoiries et science historique ne font pas bon ménage ! ». Mais
cela montre que, dans le cadre du procès, l'historien est un acteur parmi d'autres et que son
discours n'est pas considéré comme un discours de vérité alors qu’il est justement appelé pour
en énoncer une. L’historien risque à tout moment d’être instrumentalisé. En effet, les avocats
ne cessent de lui rappeler les limites de son travail dont il est conscient dans le cadre de ses
recherches mais qui assurément lui posent problème153. Se pose, en effet, la délicate question
de la scientificité de l'histoire. Les avocats insistent sur ses faiblesses et tout le discours
historique est ainsi remis en cause. De plus, sa liberté scientifique est malmenée. En effet, en
participant au procès, l'historien en toute logique se retire le droit de discourir ailleurs des
faits. Il ne peut donc plus exercer librement sa recherche. Enfin, les historiens sont attaqués
sur leur méthode. Lors du procès Papon, Me Varaut a tenté de montrer en face de Paxton qu'il
n'avait travaillé que sur des archives154. Il lui dit qu'il a écrit une certaine histoire en se fondant
sur les archives et que Raymond Aron en avait écrit une autre en se fondant sur des
témoignages. Les avocats vont encore plus loin et remettent même la qualité d'historien des
intervenants en cause. S'ils n'osent le faire pour les historiens professionnels dont ils se
151
ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p. 100
BEDARIDA (F.) Touvier, Vichy et le crime contre l'humanité, Seuil, Paris, 1996
153
En effet, les historiens sont conscients des limites de leur travail. Cependant, ils ne peuvent eu égard à leurs
prétentions scientifiques admettre que leurs résultats soient totalement remis en cause. Sur ces contradictions,
voir PROST (A.), Douze leçons sur l'histoire, Seuil, Paris, 1996
154
Le procès Papon, op. cité., 1er vol., p. 317
152
56
contentent de remettre en cause les méthodes, ils s'en prennent facilement aux historiens nonprofessionnels. Ainsi, une des premières questions posées par les avocats des parties civiles à
M. Amouroux repose sur sa qualité d'historien155. Celui-ci répond humblement qu'il est
journaliste mais qu'il a certaine compétence en histoire. Les historiens eux-mêmes pourtant
saluent son travail. Michel Bergès s’est sans doute trouvé dans la situation la plus
problématique et illustre tout l’inconfort de la participation de l’historien dans le procès. En
effet, c’est cet historien qui est à l’origine du procès Papon. Or, par la suite, il a accepté d’être
cité comme témoin par la défense de Maurice Papon. Il dit qu’il l’a fait parce qu’il « devai(t)
assumer (s)a part de responsabilité dans le déclenchement de l’affaire »156. Sa situation de ce
fait est très particulière pour plusieurs raisons. D'une part, il est un des rares historiens à avoir
eu accès aux documents du dossier ; d'autre part, sa perception du problème a évolué ; enfin il
incarne tous les doutes de l'historien. Il a été amené à réviser sa position car il le dit qu' « il
n'étudie plus un homme isolé »157. Le problème de la démarche historique face à la démarche
juridique éclate alors. L'historien ne peut se limiter à un individu. Il cherche une
compréhension globale. De plus, M. Bergès a donné une interview au journal Le Monde où il
critique sévèrement l'arrêt de renvoi de la Cour. Certes, il est difficile de le blâmer tant le
procès Papon à donner lieu de la part même des avocats à un mépris vis-à-vis du respect dû à
la Cour158. Cela lui valut de sévères reproches de la part de l'accusation159. Ainsi, l'historien
se trouve dans une situation ambiguë puisque au-delà de son statut, sa fonction et la nature
même de l'histoire sont remises en cause dans le procès : il doit tenir compte du contexte
judiciaire dans ses propos et son travail est disséqué de manière telle que l'on en vient presque
a douté de la possibilité pour l'histoire de dégager une quelconque vérité.
Dès lors que les historiens sont soumis à un statut qui ne leur convient pas et que le
procès les place dans une situation ambiguë où ils doivent jongler avec leurs règles éthiques et
le contexte judiciaire, où leur travail est totalement remis en cause, il peut paraître normal que
des historiens refusent de se présenter devant le tribunal. Pourquoi certains historiens
acceptent-ils de participer au procès et d'autres non ?
155
Ibid., p. 331
Le procès Papon, op. cité, 2e vol., p. 122
157
Ibid., p.122
158
Voir ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p. 107
159
Le procès Papon, op. cité. 2e vol. , p. 126
156
57
Les historiens qui décident de participer au procès invoquent plusieurs raisons tenant
essentiellement à la responsabilité sociale de l’historien160. L’historien est un citoyen, comme
tel il ne peut refuser de participer à la justice. Mais c’est aussi un citoyen particulier qui a une
responsabilité à part. Il a une place originale dans la société qui lui impose des devoirs
spécifiques. Etant au service de la société qui le fait vivre (au moins pour les historiens
professionnels) et leur permet d’acquérir un savoir-faire, ils ne peuvent se déroger à l’appel de
la justice. Comment justifier qu’ils publient des travaux et qu'ils ne puissent pas les défendre
par la suite devant un jury d’assises ?161 De plus, les historiens s’estiment porteur d’un
message de vérité et en participant au procès ils acceptent de mettre en jeu et de confronter
leur discipline à leur vocation. L’historien est également une personne engagée dans la cité.
Suivant une longue tradition, il se sent investi d'un rôle de citoyen actif et non de chercheur
enfermé dans sa sphère. Cependant, ils remarquent tous que cette participation à un procès
leur crée plus de désagréments qu’autre chose. Ils doivent subir les critiques. Ainsi, durant le
procès Papon R. Paxton fait remarquer que « (s)a vie aurait sans doute été plus simple s(‘ il)
avai(t) refusé »162.
Surtout, il semble que les historiens soient tenus comme tout citoyen de répondre à la
convocation faite par un tribunal. En effet, l’article 326 du Code de procédure pénale (pour la
cour d’assise) dispose : « Lorsque le témoin cité ne comparait pas, la cour peut, sur
réquisitoire du ministère public ou même d’office, ordonner que ce témoin soit
immédiatement amené par la force publique devant la cour pour y être entendu, (...). Dans
tous les cas, le témoin qui ne comparaît pas ou qui refuse soit de prêter serment, soit de faire
sa déposition peut, sur réquisition du ministère public, être condamné par la cour à la peine
portée à l’article 109 ». Les historiens sont donc tenus de venir témoigner. Cependant, c’est la
cour qui apprécie souverainement les causes d’excuse d’un témoin163. C’est pour cette raison
que certains historiens ont pu être excusés.
Mais quelles justifications trouvent-ils pour ne pas venir témoigner au procès ? Certains
revendiquent des raisons personnelles. Ainsi, Maurice Rajfus a refusé de comparaître dans le
procès Papon car il se sentait trop impliqué en tant que juif, fils de déporté164. Mais d’autres
historiens ont refusé de comparaître pour des raisons théoriques. Ainsi, en est-il d’André
160
Voir René Rémond, interview radiophonique, Concordance des temps, France-culture
Voir M-O. Baruch, Impressions d'audience, op.cité
162
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 317
163
Voir Crim 26 oct 1884, Dalloz, 1899, 1.388
164
Entretien avec me Varaut du 23 avril 2001
161
58
Kaspi ou encore de Henri Rousso dont la position a donné lieu à bien des débats. Quels sont
les arguments avancés par Rousso ?165 Il les détaille dans une lettre lue par le président durant
l’audience où il affirme : « En mon âme et conscience je pense que l'historien ne peut pas
être « témoin » et que sa capacité d’ «expertise » s’accommode assez mal des règles et des
objectifs qui sont ceux d’une juridiction de jugement. C’est une chose de tenter de
comprendre l’histoire dans le cadre d’une recherche ou d’un enseignement, avec la liberté
intellectuelle que suppose cette activité, c’en est une autre de le faire, sous serment alors que
se joue le sort d’un individu particulier. (...) Ayant été cité contre ma volonté, avec une
publicité que je déplore, et sans avoir au demeurant de rapport direct avec les faits
incriminés, j’ai de très fortes craintes que mon témoignage ne soit un prétexte pour
instrumentaliser des recherches scientifiques ou des interprétations historiques, élaborées et
formulées dans un tout autre contexte que celui d’une cour d’assises. L’argumentation d’un
procès, là encore, n’est pas de même nature que l’argumentation universitaire »166. En réalité,
il souligne tout ce que l’on a pu constater et que la plupart des historiens présents au procès
savent, c’est-à-dire le risque d’instrumentalisation.
Sa prise de position est personnelle comme il le rappelle d’ailleurs : « Cette position est
d’ordre strictement personnel. Elle ne signifie en rien une quelconque appréciation sur la
présence d’autres historiens à ce procès, qu’ils soient cités au titre de l’accusation, des
parties civiles ou de la défense »167. En fin de compte, la présence ou non de l’historien
dépend d’un choix personnel, de quel crédit chacun accorde à sa liberté scientifique ou à son
rôle d'historien engagé, de l'éthique que chacun a de sa fonction et enfin de la compréhension
du juge qui peut ou non accepter ces arguments. Dans le cas présent, le juge a considéré que
ces excuses étaient valables, sans doute, dans la mesure où l'intervention de l'historien contre
son gré serait contraire à sa liberté de chercheur et ne permettrait pas un apport essentiel au
tribunal. Cela tient également au fait que les avocats de la défense qui les avaient cités n'ont
pas insisté.
Ainsi, l'historien qui participe à un procès ne se sent pas obligatoirement à sa place. Il
peut venir par devoir en sachant parfaitement les risques que cela comporte. Du point de vue
de l'historien, l'intervention dans le procès est souvent vécue difficilement. En effet, sa
165
Voir ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité et CONAN (E), Le procès Papon, journal d'audience,
Gallimard, 1998 où l'ensemble de la lettre de Henry Rousso adressée au président de la Cour est reproduite
166
Cité in JEANNENEY, Le passé dans le prétoire, op. cité., p. 18-19
167
Ibid. p. 19
59
position est soumise à rude épreuve. Il se sent instrumentalisé. Cependant, si les avocats, le
ministère public ou les juges eux-mêmes font appel à eux ou acceptent de les accueillir dans le
procès, c'est bien qu'ils considèrent qu'ils y ont une place. Nous avons vu que c'est
essentiellement à sa connaissance qu'ils semblent faire appel. Mais, ils la mettent également
en cause. Dès lors n'y aurait-il pas un autre versant à l'instrumentalisation, n'y aurait-il pas une
raison cachée pour faire appel à l'historien ?
2.1.2.De l'utilité de l'historien
Après avoir adopté le point de vue des historiens pour déterminer leur place dans le
procès, il faut adopter celui des juristes. Si le juge accepte leur participation et si les avocats
font appel à eux, c'est qu'ils estiment qu'ils ont un rôle à jouer dans le procès. Mais quel est ce
rôle ? Nous avons vu que les historiens étaient censés apporter leur connaissance car celle-ci
est utile à la manifestation de la vérité. C'est dans ce but qu'ils doivent éclairer le contexte.
Cependant, lorsque les historiens évoquent leurs souvenirs d'audience et qu'ils considèrent
qu'ils ont été instrumentalisés, c'est essentiellement parce qu'ils pensent que la justice ne fait
pas appel à eux pour de bonnes raisons, que ce n'est pas leur savoir qui est recherché. Qu'en
est-il réellement ? Si ce n'est pas à leur savoir que la justice fait appel pourquoi demander aux
historiens de participer ? Quelle est l'utilité des historiens dans le procès ?
Deux dimensions doivent être étudiées. D'une part, l'utilité de l'historien ressort par le
contenu de son apport. Or, derrière l'appel à la connaissance et à la compétence de l'historien
par les avocats, se cache plus sûrement un appel à son autorité. D'autre part, l'utilité de
l'historien dépend également de ce que le juge retient ou non de son intervention. Sa
participation semble davantage se ramener à un alibi qu'à une véritable volonté de recourir à
l'interdisciplinarité.
2.1.2.1.Connaissance ou autorité ?
L’historien est-il réellement appelé pour son savoir ? N’y a-t-il pas une autre raison à
son intervention ? En fait, l’apport cognitif des historiens est très mince. Son intervention
n’apporte pas de connaissances supplémentaires à la Cour mais l’historien apparaît comme un
60
« sachant » qui apporte avec lui son autorité. Se pose alors la question du choix des historiens
et du rapport du juge à la vérité. Cette étude repose essentiellement sur le procès Papon où le
problème s'est posé avec le plus d'acuité.
L’intervention des historiens dans le procès relève d’un paradoxe parfaitement
souligné par H. Rousso : « La présence d’un historien à la barre n’était légitime qu’à la
condition de ne pas connaître et de ne pas parler du dossier ! Si tel n’était pas le cas alors on
le stigmatisait parce qu’il avait empiété sur des prérogatives qui n’étaient pas les
siennes »168. L’historien doit uniquement apporter une connaissance générale sans lien direct
avec les faits. Ainsi, les historiens qui déposent sur le contexte dans le procès Papon se
contentent de généralités. Ils ne connaissent pas le cas spécifique de Bordeaux. Or c’est là que
se trouvait Maurice Papon. Dès lors, en acceptant de déposer de la sorte, les historiens
acceptent que ce qui est vrai du cas général l’était avec de fortes probabilités dans le cas du
secrétaire général de la préfecture de Gironde. C’est oublier que le contexte ainsi restitué est
lui aussi le fruit d’une généralisation à partir de cas particuliers. L’appel aux historiens ne
relève donc pas d’une volonté pédagogique mais d’une volonté d’instrumentaliser le savoir.
En effet, ce qui est dit du contexte général est bien souvent connu de tous. Ainsi, Rousso
constate que les historiens dans le procès ont été obligés de prononcer des évidences du type :
« Vichy et l’Administration française ont collaboré avec l’occupant »169. Les historiens ne
participent pas aux phases d’instruction, exception faite parfois des historiens nonprofessionnels. Or, c’est dans ce cadre que le savoir des historiens serait le plus utile. En effet,
ils sont spécialistes de l’analyse critique des documents anciens. L’annulation de la première
instruction lors du procès Papon et le fait que le seconde instruction n’ait pas demandé une
nouvelle expertise pose problème. Le nouveau juge n’a pas considéré que l’historien était utile
à ce stade. Pourquoi ? N’est-il pas possible de supposer que le juge n’était pas satisfait par le
résultat de la première instruction qui pouvait paraître trop complaisante vis-à-vis de Maurice
Papon ? Le juge ferait donc appel à l’historien uniquement si celui-ci reste très général ou
apporte une connaissance qui lui convient. De même, la réaction des avocats de parties civiles
et du ministère public contre le changement opéré par M. Bergès abonde dans ce sens. Mais si
168
169
ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p. 107
Ibid., 100
61
la participation des historiens ne se fait pas au nom de la connaissance que celui-ci peut
apporter, pourquoi faire appel à lui ?
L'historien est appelé par les avocats (ou le ministère public) parce qu'il fait autorité.
Cela explique que ces derniers contestent sa légitimité lorsqu'il est appelé par la partie
adverse. Il n'apporte pas sa connaissance. Parfois, cela est même révélé ouvertement dans les
débats. Par exemple, Me Jacob, avocat des parties civiles dans le procès Papon pose une
question à M. Baruch. Celui-ci répond. Puis, l'avocat reprend : « je le savais mais votre
autorité est plus importante que la mienne ».170 De même, l'avocat général fait référence à
« une partie des recherches » de M. Azéma171 ce qui signifie qu'il en connaissait la teneur
avant sa déposition. Les historiens qui interviennent n'apportent donc pas leur connaissance
mais leur autorité. Or, il faut remarquer que seuls les historiens professionnels paraissent avoir
cette autorité. En effet, il semble que l'onction du cursus universitaire soit en France un gage
de sérieux. Ce comportement s'ancre dans la tradition de la méritocratie républicaine qui passe
obligatoirement par la réussite scolaire. Dans ce contexte, le choix des historiens cités relève
d'une véritable stratégie. Les historiens cités au procès Touvier et au procès Papon se
recoupent. Ce sont les spécialistes de ces questions. C'est notamment le cas de Robert Paxton
qui a profondément marqué l'historiographie de Vichy, encore qu'il reconnaisse lui-même qu'il
n'est en rien un spécialiste de la région Gironde et de l'administration172. Quant à René
Rémond si son rôle était justifié dans le cadre du procès Touvier puisqu'il avait été amené à
travailler sur ce sujet, sa présence au procès Papon était plus problématique. En effet, il est
intervenu pour parler de l'antisémitisme. Or, il reconnaît lui-même que cela ne constitue pas sa
spécialité. Les avocats de la défense qui l'ont fait citer ont davantage fait appel à sa notoriété
qu'à sa connaissance. Ce choix reposait peut-être sur l'intention de contrebalancer la notoriété
de Paxton. Bien que les témoins ne soient pas ceux de la partie qui les cite, il est évident, que
celle-ci se les approprie un peu. Loin de participer à la manifestation de la vérité, la citation
d'historiens revêt davantage, un caractère de stratégie judiciaire. Or, leur discours est le fruit
d'une généralisation. Les historiens non-professionnels déposent, pour leur part, sur les faits
mêmes du dossier. En effet, ils ont une connaissance qui se concentre sur le cas spécifique de
Maurice Papon. Or, ces historiens n'ont pas la même autorité. Ce sont eux qui sont mis en
cause personnellement On peut se demander pourquoi les juges lors de la première instruction
170
171
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 425
Ibid., p. 354
62
du procès Papon n'ont pas fait appel à des historiens professionnels. Le manque de temps de
ceux-ci est parfois invoqué. Mais cet argument n'est pas totalement satisfaisant puisque ceuxci parviennent à dégager du temps quand on le leur demande. Tel fut par exemple le cas des
historiens participant à la Commission Rémond173 sur le passé de Paul Touvier. Cela tient
peut-être davantage, mais ce n'est qu'une hypothèse, au fait que les juges ont eu peur que des
historiens professionnels, avec leur autorité, ne prennent leur place et qu'aucun moyen de
contester leur rapport ne soit possible. A moins que ce ne soit par peur que l'expertise nuise à
leur liberté intellectuelle mais dans ce cas ne nuit-elle pas également à celle des historiens
non-professionnels ? Les historiens professionnels sont donc appelés pour leur autorité. Ils ne
peuvent parler des faits. D'ailleurs, ils se sont bien gardés de citer le nom de Maurice Papon
dans leur déposition. Les historiens qui parlent des faits n'étant pas professionnels voient leur
discours plus facilement remis en cause. La sévérité de traitement infligé à Michel Bergès par
l'avocat général lors du procès Papon en témoigne. La justice accepte de se défausser du
contexte général mais refuse presque à l'historien d'aller trop près des faits par peur qu'il ne
devienne juge. Tout le paradoxe éclate. Les historiens qui interviennent sont appelés pour leur
autorité. Or, les historiens qui ont l'autorité la plus importante sont ceux qui ne connaissent
pas les faits exacts174. Ce recours à l'autorité comporte donc un risque : faire passer pour vrai
ce qui est général. Me Varaut note qu'après le procès Papon, un historien amateur est venu
révéler que la Gestapo de Bordeaux comprenait plus de six cents agents175. Il n'est pas sûr que
cet élément, contrairement à ce que l'avocat semble croire, aurait eu un impact si important.
Tout dépend du regard qu'à le juge sur l'historien durant les débats. Cela pose la question du
rapport du juge à la vérité historique. Fait-il lui aussi davantage appel à l'autorité qu'à la
connaissance ?
L’historien professionnel qui parle du contexte suite à une généralisation risque
d’avoir un impact plus fort que les historiens amateurs qui se concentrent sur les faits du
dossier. Or, cela pose le problème du rapport réel du juge à la vérité historique. Les historiens
172
Ibid, p. 307
Les résultats de cette commission sont disponible dans : REMOND (R.) (sous la dir.), Touvier et l'Eglise,
Fayard, Paris, 1992
174
Il faut peut-être nuancer ce propos puisque dans le cas du procès Touvier, il semble que les historiens
professionnels en tout cas au moins ceux qui ont participé à la Commission Rémond aient une connaissance
précise du dossier.
175
VARAUT (J-M.), Faut-il avoir peur des juges?, op. cité, p. 169
173
63
professionnels semblent être appelés pour leur autorité. Or, le juge, comme nous l'avons vu176,
ne veut pas valider une histoire officielle. Il est donc amené à prendre en considération une
pluralité d'interprétations historiographiques. Le juge n'a pas à faire primer l'une de ces
interprétations sur les autres au nom de la vérité. C'est au sein du débat contradictoire qu'il
doit se forger une opinion. Cependant, le juge risque d'être influencé par l'autorité plus ou
moins grande de l'historien. La relativité de la science historique fait que l'historien ne peut
imposer sa vérité qu'en mettant son autorité dans la balance. Ainsi, il peut être utile de
comparer cette situation à celle du contentieux de la responsabilité des historiens. Dans ce
cadre, le juge ne voulant pas valider une vérité officielle
a recours à une pluralité
d'interprétations. Les historiens mettent leur autorité en jeu au sein d'un débat contradictoire.
Ainsi, lors du procès Sternhell, John Braun n'hésite pas à dire qu'il a le sentiment d'être le plus
qualifié des historiens pour commenter les sources du livre en litige. En effet, ayant fait sa
thèse sur De Jouvenel, il met sa condition de spécialiste de la question en jeu. Henri Rousso
dit que des évidences ont été énoncées lors du procès Papon. Peut-être, mais des thèses que
l'on croyait oubliées sont également réapparus. Ainsi en est-il celle du bouclier défendue par
Amouroux177. Le juge ne peut l'écarter d'office. Cependant, faisant davantage confiance à
l'autorité qu'à la vérité, le monde judiciaire va être tenté de croire la communauté scientifique.
Il se réfère donc à la notion de vérité défendue par Kuhn178. La vérité historique serait plus le
fruit d'un consensus au sein de la communauté scientifique qu'une certitude absolue. La justice
doit admettre le contradictoire mais celui-ci repose peut-être moins sur les arguments
défendus que sur l'autorité de chacun. Certes, le juge ne devrait normalement pas prendre en
considération ce qui n'est pas dans le débat, mais la pratique montre qu'il en est autrement.
L'histoire, science relative, pose un problème au juge car, incapable de déterminer des
interprétations définitives, elle repose sur l'autorité. Celui-ci doit reconnaître l'ensemble des
thèses. Mais comme dans le cadre du contentieux de la responsabilité, il doit trancher, au
moins implicitement. Il ne valide pas une histoire officielle mais selon l'autorité de la
personne il va accorder plus ou moins d'importance à ses propos. Plus que le reflet d'une
vérité historique dévoilée selon le mode contradictoire du procès comme le prétend B.
Edelman179, il s'agit de la validation d'une vérité historique défendue par la majorité de la
communauté scientifique, c'est-à-dire d'un paradigme au sens de Kuhn. Ainsi, même si les
176
cf. supra
Le procès Papon, op. cité, 1er vol., p. 320 et suiv.
178
KUHN (T.), Les structures des révolutions scientifiques, Flammarion, Paris, 1983
179
EDELMAN (B.), L'office du juge et l'histoire, op. cité
177
64
jurés du procès Papon ont été admirables de concentration durant tout le procès et que tout le
monde s'est accordé pour leur rendre hommage, il semble que leur attention était plus forte
lorsque M. Paxton déposait que lorsque c'était le cas de M. Amouroux. Le juge semble donc
également accorder une place prioritaire à l'autorité. C'est pour lui un moyen de trancher entre
les différentes interprétations mises à sa disposition tout en tenant compte du rapport ambigu
des historiens à la vérité180.
Ainsi, le contenu de l'apport de l'historien est moins la connaissance que l'autorité.
C'est pour cela qu'il est appelé et le juge est obligé d'en tenir compte. Cela a une répercussion
sur la prise en compte du témoignage de l'historien. Les dires de l’historien professionnel
risquent d’être survalorisés, ce qui peut faire dériver le procès.
2.1.2.2.L’importance réelle de l’historien : une interdisciplinarité de façade
Le savoir apporté par l’historien ne paraît pas fondamental pour le déroulement du
procès. C’est son autorité qui prime. Cela a des conséquences sur l’importance réelle de
l’historien dans le procès. Celui-ci ne serait-il pas un alibi ? L’interdisciplinarité invoquée
n’est-elle pas un leurre ? Pour répondre à ces questions, il faut s’interroger sur la portée réelle
de l’apport de l’historien dans le jugement. Quelle est la place accordée aux discours des
historiens dans la sentence ? Le rôle joué par l’historien dans la sentence est ambigu. Il
intervient en début de procès. Or, pour ces procès qui sont souvent très longs (le procès Papon
est le procès le plus long de l’histoire nationale), n'y a-t-il pas un risque d’avoir oublié ce
qu’étaient venus dire les historiens ? Cet oubli prend plusieurs formes. Parfois, l’oubli est
problématique et conscient : il provient d’un antagonisme entre le droit et l’histoire. Parfois, il
semble inconscient et dans ce cas le juge (c’est-à-dire les jurés) ne retient que ce qu’il savait
déjà avant ou ce qui a été frappant ce qui renvoie à son rapport à la vérité historique. Cette
place laissée à l'historien souligne toute l'ambiguïté des procès historiques. Si l'historien est
appelé, c'est parce ces procès ont une fonction pédagogique avoué. Or, le risque est de voir
ces procès dévier vers une responsabilité collective. L'historien participe de ce mouvement.
Une confusion des genres réapparaît. L'interdisciplinarité n'est qu'une façade puisque l'apport
de l'historien n'est pas pris en compte dans le jugement.
180
Cette méthode est également adoptée aux Etats-Unis où l'arrêt Frye v. United States de la Cour suprême
indique que les preuves scientifiques pour être acceptées doivent être considérées comme fiables par l'ensemble
65
Parfois, les interventions des historiens sont purement oubliées dans la sentence. Cela
provient d’un antagonisme entre la justice et l’histoire. Le cas le plus connu et le plus frappant
de cette inutilité complète de l’historien est le procès Touvier181. Le juge pour condamner Paul
Touvier devait faire fi de l’histoire. Cela tient à la définition du crime contre l’humanité. En
effet, celle-ci repose comme nous l’avons déjà vu sur la notion d’ « Etat pratiquant une
politique d’hégémonie idéologique ». Cette définition est issue de la l’arrêt rendu par la
chambre criminelle de la Cour de cassation en 1985 dans le cadre de l’affaire Barbie. Toute
l’instruction de l’affaire Touvier reposait sur cette définition. Elle cherchait à montrer que
Paul Touvier était un agent de la Milice, organisation officielle créée par le régime de Vichy et
dépendante de lui, c'est-à-dire par un Etat pratiquant une politique d’hégémonie idéologique
contre ses opposants, contre les Juifs, persécutés depuis 1940 et contre d’autres catégories et
ayant organisé des rafles dans le cadre du « plan concerté », à savoir l’extermination
systématique des Juifs décidée par l’Allemagne nazie. Or, d’après la Cour d’assises de Paris,
Vichy ne pratiquait pas une telle politique. Par conséquent, si Paul Touvier avait bien
participé au massacre de Rilleux, celui-ci ne relevait pas du crime contre l’humanité et était
donc prescrit. La Cour de cassation casse partiellement cet arrêt et rend le procès possible,
mais elle en change le sens. En effet, son arrêt du 27 novembre 1992 implique que pour être
coupable Paul Touvier doit être le complice des Allemands dans le massacre de Rilleux. S’il a
agi seul ou sur l’initiative de la Milice ou de Vichy, son crime est prescrit. Cette interprétation
est confirmée par l’arrêt de la Cour de cassation sur le pourvoi fait contre l’arrêt de renvoi où
elle affirme qu’ « il n’importe que les faits poursuivis aient pu être commis à l’occasion de
l’assassinat d’un membre du gouvernement de Vichy appartenant à la Milice, dès lors
qu’exécutés à l’instigation d’un responsable d’une organisation criminelle nazie et
concernant des victimes exclusivement choisies en raison de leur appartenance à la
communauté juive, ils s’intégraient au plan concerté d’extermination et de persécution
systématique de cette communauté, mis en œuvre par le gouvernement national-socialiste
allemand »182. Le crime contre l’humanité comme nous l’avons vu se limite donc
exclusivement aux complices de l’Axe. Or, seules les déclarations de l’accusé permettaient de
faire croire à une intervention allemande dans cette affaire. A l’exception notable de J.
de la communauté scientifique. Voir, DEYSINE (A.), La justice aux Etats-Unis, P.U.F., Q.S.J., Paris, 1998
Sur toutes les analyses qui suivent voir le remarquable travail d'Eric Conan et Henry Rousso dans CONAN
(E.) et ROUSSO (H.), Vichy, un passé qui ne passe pas, op. cité, p. 126 et suiv.
182
Cité in ibid. p. 134
181
66
Delarue qui est revenu sur son rapport de 1970 suite à la découverte d’un soi-disant nouveau
document (en fait il détenait déjà ce document lors de son audition par le juge d’instruction
mais il ne savait pas à l’époque que la participation des Allemands serait nécessaire), les
historiens présents au procès, suivant en cela les meilleurs spécialistes de l’histoire de la
Milice, récusaient toute participation allemande. Mais le discours des historiens ne fut pas
suivi dans la sentence. Paul Touvier a été condamné sur un mensonge historique à cause des
contorsions de la définition de crime contre l’humanité. Le juge n’accorde donc aucune utilité
aux historiens puisqu’il ne tient pas compte de leur avis. Cependant, ce cas est un peu
particulier et relève du problème de la définition du crime contre l’humanité. Mais, si le juge
refuse le savoir et l’autorité de l’historien dans un cas pourquoi ne le ferait-il pas ailleurs ?
Cependant, dans les autres cas et notamment le procès Papon, le rapport du juge à
l’intervention de l’historien est beaucoup plus nuancé. Ainsi, Maurice Papon a été acquitté du
chef de complicité d’assassinat. Cela signifie indirectement que la Cour n’a pas retenu la
connaissance à l’époque par l'accusé de la solution finale. Cet élément est sans doute dû à
l’intervention des historiens. Mais comment savoir ce que la Cour retient de leur intervention
? Comment différencier ce qui y est lié et ce qui lui est extérieur ? Certes, le juge n’a pas à
tenir compte de ce qui n'est pas dans le débat pour former son jugement. Cependant, en ce qui
concerne la connaissance historique, il semble très difficile d'en faire abstraction. En effet,
dans le cadre du procès Papon comme du procès Touvier, toute une orientation
historiographique sous-tend l'acte d'accusation. Ainsi, Michel Bergès a ouvertement critiqué
l'acte d'accusation du procès Papon. Il affirme même à l'audience que « dans l'arrêt de renvoi,
il n'y a aucun éléments à décharge »183. Puis, il énumère une série de postulat historique qui y
sont sous-entendus. Ce sont les découvertes historiographiques qui ont en quelques sortes
permis le procès. En effet, à la différence des procès allemands des années 1970 où juges et
historiens cherchaient de concert une vérité, les procès français reposent sur une connaissance
déjà établie. Cet arrêt a été rédigé par des magistrats sans doute inconsciemment
prédéterminés par l'aura de M. Paxton. H. Rousso constate lui aussi que dans la sentence c'est
la vision de l'histoire selon Paxton qui prime184. Les historiens voient donc leur discours en
grande partie éludé lors de la prise de décision. L'appel à l'interdisciplinarité est un alibi. Au
final, c'est ce que le juge pensait déjà avant le procès qui semble primer. L'historien n'est là
183
Le procès Papon, op. cité, 2e vol., p. 125 et suiv.
67
que pour confirmer ces connaissances antérieures. De même, l'absence des historiens durant la
phase d'instruction renforce cette sensation. Si le juge voulait réellement avoir accès à la
connaissance historique, il ferait appel à lui au moment où il est le plus efficace.
Pourquoi le juge tient-il si peu compte de ce que disent les historiens ? C'est le
problème de la répartition des conpétences qui est à nouveau posé. Le juge ne veut pas que
son autorité soit remise en cause. C'est à lui qu'il revient de juger. Il veut garder le contrôle et
ne pas déléguer son pouvoir. Le juge a donc une certaine appréhension face à
l'interdisciplinarité. Il fait appel à des historiens pour parler d'un contexte trop général pour
être réellement utile. Si l'intervention des historiens n'est pas utile concrètement au jugement
et si le juge a peur de se voir dessaisir de ses compétence, pourquoi les historiens
interviennent-ils dans le cadre de ces procès historique ? C'est parce qu'ils ont une fonction
pédagogique. Les juges acceptent implicitement de se placer sur ce terrain et se soumettent
donc à la volonté des parties civiles. Or, cette fonction n'en est pas le but premier. Dès lors, la
dérive possible du procès apparaît. L’appel aux historiens professionnels et à leur
généralisation ne risque-t-il pas, dans ces conditions, de faire basculer la responsabilité d’un
homme situé dans un contexte précis à une responsabilité plus générale ? N’y a-t-il pas un
risque de faire un procès symbolique ? Cette démarche est d’ailleurs celle de Serge Klarsfeld
qui à travers Touvier veut juger la milice et à travers Papon l’administration préfectorale. En
effet, celui-ci déclare : « Le propre du biais judiciaire est de personnaliser. Cela est beaucoup
plus efficace que de se promener avec des livres ou des documents historiquement irréfutables
(ce que l’on fait parallèlement) qui n’ont qu’un nombre limité de lecteurs. Cette
personnalisation est le meilleur moyen pour faire passer auprès des médias et du grand
public les événements dont les personnages ciblés ont été les acteurs ou les responsables»185.
Les juges ne se sont-ils pas également engagés sur cette voie ? N’y a-t-il pas une volonté,
malgré les rappels incessants du président pour se limiter aux faits du débat, de faire un procès
pour l’histoire ou pour la mémoire ? Cette logique peut se comprendre mais elle n’est pas
appropriée au cadre judiciaire où la responsabilité est par définition individuelle. En acceptant
de recevoir des historiens généralistes dans le procès le juge ne va-t-il pas à l’encontre de cette
individualisation ?
L’historien ne généralise-t-il pas trop pour permettre au débat de se
cantonner à la responsabilité individuelle ? Les objections de M. Jeanneney qui considère que,
184
Cité in ISRAEL (L.) et MOURALIS (G.), Le chercheur en sciences sociales, acteur du procès, in Droit et
société, n° 44-45, 2000
68
bien que l’historien voit toujours au-delà du particulier, il fait toujours le détour par le
singulier et qu’ « ensuite mais ensuite seulement, après ce détour indispensable à toute
intelligibilité du passé, l’historien reviendra aux regroupements qui sont l’aboutissement
naturel et nécessaire de sa démarche. Mais à ce point il sera loin du prétoire et ne risquera
pas de l’encourager à la déviance »186 sont-elles justifiées ? Certes, ce que veut signifier
Jeanneney, c’est que l’historien ne saurait prendre un accusé comme exemple et généraliser ce
qui est valable pour lui à l’ensemble de l’administration sous Vichy. Cependant, sa phrase
peut avoir un autre sens si on la situe par rapport à l’intervention des historiens dans le procès
comme témoin. Les historiens ne risquent-ils pas justement de faire dévier le procès en
présentant à la cour des généralités ? Ainsi, hors de France, lors du procès Eichmann187, un
historien est venu témoigner à la barre, S.W.Baron. Il devait déposer sur l’envergure des
pertes et des destructions subies par le judaïsme depuis son origine. Or, le Dr Servatius,
défenseur d’Eichmann, demande au témoin s’il pouvait, en tant qu’historien, fournir une
explication du « combat négatif contre le peuple juif ? 188» Pour Léon Poliakov le sens de
cette question serait de faire peser sur le peuple juif une fatalité et ainsi de décharger son
client qui ne serait qu’un maillon dans une chaîne qui le dépasserait. De même, il cite Hegel et
Spengler pour dire que « l’histoire est un processus culturel qui se poursuivit sans aucune
influence de l’homme directement ». Il inscrit donc Eichmann dans un processus qui le
dépasse, l’Histoire. L’historien en venant témoigner invite les avocats sur ce terrain. Le
docteur Servatius va jusqu'à laisser entendre que Hitler et Eichmann pourraient avoir été,
contre leur intention, les véritables fondateurs de l’Etat d’Israël puisque « ce que font les
dirigeants politiques ne conduit pas toujours au but souhaité ; plus d’une fois cela mène au
but contraire ; en l’occurrence on a voulu détruire le peuple juif et au lieu de cela a été fondé
un Etat juif florissant »189. Plus près de nous, lors du procès Papon, M.Baruch dit que « l’on
ne pût empêcher que ce procès devienne celui de Vichy à travers le cas de Maurice
Papon190 ». Ainsi, certains avocats des parties civiles ont dressé à propos de Maurice Papon le
portrait d’un « criminel de bureau »191. M-O. Baruch dit qu’historiquement cette notion n’est
pas sans intérêt et s’inscrit dans l’école dite « fonctionnaliste ». Ce « crime de bureau »
185
Cité in, VARAUT (J-M.), Faut-il avoir peur des juges ?, op. cité, p. 167
Ibid., p. 88
187
Voir POLIAKOV (L.), Le procès de Jérusalem. Juger Eichmann, Calmann-Lévy, Paris, 1963
188
Ibid.
189
Ibid.
190
BARUCH (M-O.), L'historien et la justice, in RUANO-BORBOLAN (J-C.) (coord. Par), L'histoire
aujourd'hui, op. cité
186
69
consiste à considérer « comme criminelle l’appartenance, à un niveau de responsabilité
effectif, à une chaîne de décisions ayant participé aux opérations de déportation »192. Cette
notion rappelle que l’attitude d’une personne n’est pas détachable du fonctionnement et des
valeurs qui régissent le système. Cependant, cette analyse est en contradiction avec le droit
pénal français en faisant disparaître la notion de responsabilité individuelle. Ainsi, ne fait-on
pas le procès de Vichy et non celui de Maurice Papon ? Peut-on soutenir que la participation
de l’historien n’est en rien cause de ce dérapage ? En plaçant le débat sur le contexte général
de l’époque ne fait-il pas dévier le débat vers Vichy ?
L'historien dans le cadre du procès est donc instrumentalisé. Ce contexte ne convient
guère à sa pratique d'autant plus que le statut qui lui est imposé ne lui permet pas d'exploiter
au mieux ses compétences. L'historien se retrouve dans une situation où il n'est pas à son aise.
La justice fait appel à lui davantage pour son autorité que pour sa connaissance. Elle se
décharge sur lui du contexte. Or, ce contexte est si général qu'il ne peut réellement être utile
au jugement. Les historiens n'interviennent que dans le cadre de procès exceptionnels où
l'ensemble de la collectivité est engagée. Ces procès ont une fonction pédagogique avouée.
Telle est sans doute la justification profonde de leur présence. Or, le procès n'est peut-être pas
le meilleure endroit pour commémorer la mémoire et faire progresser la connaissance
historique. La fonction première du procès est de juger une personne. Le juge n'acceptent donc
pas l'interdisciplinarité. L'appel à l'historien n'est qu'un alibi justifiant la portée pédagogique
du procès. Or, l'historien a peut-être un autre rôle à jouer. Pour cela, il faut que le monde
judiciaire accepte de s'ouvrir plus largement.
2.2.Repenser la participation des historiens dans le procès : une meilleure utilisation de
l'interdisciplinarité
En France, le recours à l'interdisciplinarité dans le cadre judiciaire semble se faire dans
la douleur. Surtout, dès qu'elle apparaît (comme c'est le cas pour certaines disciplines
techniques telle la balistique), l'interdisciplinarité est accusée de tous les maux et on reproche
à la discipline extérieure de se substituer au juge. Dans le cas de l'historien, non seulement le
nombre de cas est très limité mais en plus le juge n'aurait pas nécessairement besoin de lui.
191
192
Voir LE MONDE, Condamné et libre, Mars 1998.
BARUCH (M-O.), L'historien et la justice, op.cité
70
Dans les hypothèses où son aide serait utile, l'historien n'intervient pas par peur qu'il prenne la
place du juge. Or, les exemples étrangers tendent à montrer que l'intervention de l'historien
peut être utile. C'est donc qu'elle est mal exploitée en France. Le rendez-vous manqué de
l'historien avec le procès est l'occasion de repenser leur rencontre en prenant en compte les
spécificités de la matière historique. Cette démarche doit prendre une double direction :
Comment améliorer la place de l'historien au sein du procès afin que sa compétence soit
utilisée de la meilleure façon possible ? Quels sont les cas possibles de son intervention en
dehors de ceux évoqués jusque-là ?
Il est possible de dégager deux axes de réflexion pour remédier aux problèmes suscités
en France par l'intervention de l'historien dans le procès. D'une part, il semble nécessaire de
réfléchir aux modalités possibles d'une intervention plus efficace de l'historien dans le procès,
ce qui invite à déterminer les liens entre le juge et les représentants des autres disciplines
(2.2.1.). D'autre part, les cas d'ouverture du procès à l'historien sont encore très limités. La
limitation à certains procès exceptionnels souligne que le choix de l'interdisciplinarité n'a pas
été fait mais ouvre également la voie à une extension des domaines d'intervention bien que les
procès historiques soient eux aussi amenés à se développer (2.2.2.)
2.2.1.L'amélioration du statut de l'historien
En l'état actuel du droit et de la pratique judiciaire, l'intervention de l'historien dans le
procès est problématique. Comme nous l'avons vu, le statut de témoin qui lui est
principalement attaché ne lui permet pas d'exercer ses compétences dans de bonnes
conditions. Il peut paraître judicieux de réfléchir à une meilleure utilisation de l'historien et du
savoir historique dans le procès. Cela nous amène à proposer des hypothèses pour permettre
une meilleure utilisation de l'interdisciplinarité. Le recours à des comparaisons peut alors
s'avérer pertinent. D'une part, les justices étrangères semblent moins réticentes que la justice
française face aux autres disciplines. D'autre part, d'autres disciplines sont également appelées
à aider le juge. Or, il est nécessaire de se demander en quoi elles diffèrent de l'histoire et des
autres sciences sociales qui sont absentes du procès mais aussi quel est leur rapport à la
justice. L'intervention d'un spécialiste doit se faire sans que le juge soit dessaisi mais
également permettre la meilleure utilisation possible du savoir extérieur. La phase
d'instruction doit être différenciée de la phase de l'instance proprement dite.
71
2.2.1.1.Pendant l'instruction
En France, le recours aux historiens pendant la phase d'instruction est très faible voire
inexistant. Or, comme nous l'avons vu c'est sans doute à cette occasion que les compétences
de l'historien pourraient être le mieux exploitées. Les exemples étrangers viennent confirmer
cette impression. Cependant, en France, la procédure d'expertise n'est peut-être pas bien
adaptée à l'ouverture aux autres disciplines. Cela traduit les réticences françaises face à
l'interdisciplinarité. Des améliorations sont peut-être envisageables.
Certains systèmes étrangers ont eu recours à des historiens durant la phase
d’instruction. En Allemagne, la réouverture, durant les années soixante193, des procédures
contre les criminels de guerre nazis s’est faite en République Fédérale d’Allemagne suite au
procès Eichmann. Les historiens y ont été très tôt associés. Ils ont joué un rôle déterminant
pour réunir les pièces. Cette association entre les historiens et les juges s’est, cependant,
déroulée dans un contexte bien particulier. En effet, la connaissance historique n’avait pas
encore un degré suffisant de maturité pour permettre de fournir aux magistrats des
interprétations fiables.
En France, le recours à l’historien pendant la phase d’instruction est très rare. Le statut
le plus évident pour intervenir pendant la phase d’instruction est celui d’expert. Or, la
procédure judiciaire encadre très fortement l’expert. Cela témoigne de la réticence de la
justice à s’ouvrir à d’autres disciplines par peur de perdre son pouvoir de décision194. Certes,
le développement de certaines formes d’expertise telles que les expertises balistiques ou
psychiatriques tendent à prouver que le juge a besoin de la science dans ses jugements. Mais,
dans ce cas pourquoi les sciences sociales sont-elles laissées au ban de la justice ? Pourquoi
cette différence de traitement ? Le recours accru à l’expertise est-il réellement le signe d’un
dessaisissement de la justice ? Même dans le cas de recours à l’expertise de sciences dures, le
rapport aux autres disciplines est marqué par l’instrumentalisation. Il arrive que dans
l’accomplissement de son travail, le juge se heurte à des questions qui ne relèvent pas du droit
mais d’une discipline scientifique. Certes, la nécessité de recourir à un savoir extérieur est
193
Voir GAUDARD (P-Y.), Le fardeau de la mémoire, Plon, Paris, 1997
72
parfois incontournable. Mais, il existe également des hypothèses où le juge a recours à une
expertise uniquement dans le but de conforter une solution qui s’esquisse déjà. Dans ce cas, le
scientifique est appelé par confort et pour son autorité, comme dans le cas de l’historien. Deux
conditions sont nécessaires pour que le juge fasse appel à un expert : d’une part, la prise de
conscience des limites de son savoir ; d’autre part, l’acceptation de faire entrer
temporairement dans le champ judiciaire une discipline qui y est étrangère. Cependant, une
fois que l’expert a remis son rapport, le juge peut se désolidariser du rapport d’expertise et en
écarter les conclusions. M. Pecqueur remarque que «l’efficacité d’une telle rencontre implique
assurément qu’elle se déroule dans une totale liberté intellectuelle et que soit maintenu, tout
au long de son déroulement, une parfaite égalité entre les protagonistes. A défaut, la
confrontation ne serait en effet qu’un leurre destiné à cacher l’utilisation abusive par l’un du
discours de l’autre »195. Or, l’organisation de la procédure d’expertise ne garantit pas ces
conditions. Le juge peut choisir qui bon lui semble (article 236 Nouveau Code de procédure
civile). En quoi le juge est-il compétent pour choisir un expert dans un domaine où par nature
il est incompétent ? De même les listes d’experts auprès des Cours ne risquent-elles pas de
créer un lien de dépendance économique pour les experts et porter atteinte à leur liberté
intellectuelle ? Surtout, le juge encadre très fortement le déroulement de l’expertise (article
238 NCPC). Les liens entre le juge et l’expert ne sont donc pas des liens fondés sur l’égalité.
L’approche en termes de pouvoir menée par Laurence Dumoulin196 rend particulièrement bien
compte de ce caractère. Elle démontre que l’expertise est instrumentalisée par le juge dans le
but de confirmer son argumentation.
Cependant, Laurence Dumoulin constate également que l’expertise est contraignante
pour le juge. Le discours scientifique impose une certaine force probante que le juge peut
difficilement contester. Mais, il est nécessaire de faire intervenir une différence fondamentale
entre sciences dures et sciences humaines. Ainsi, un juge d’instruction affirme : « Les
expertises qui portent sur des techniques de sciences exactes, par exemple une autopsie
médico-légale (..), on ne va pas la discuter (…). Par contre, il y a le domaine des sciences
194
Sur les limites de l'expertise, voir PECQUEUR (C.), Les sciences, auxiliaires du droit ?, in Revue autrement,
mai 1994
195
Ibid.
196
Voir DUMOULIN (L.), L'expertise judiciaire dans la construction du jugement : de la ressource à la
contrainte, in Droit et société, n°44-45, 2000
73
inexactes, la psychiatrie, (..). Ce n’est pas une preuve et cela n’en sera jamais une »197. Cette
différence explique en grande partie l’absence de l’historien lors de phase d’expertise. Les
expertises des sciences humaines telles que la psychiatrie ou la psychologie sont
indispensables pour des raisons légales liées à l’application de la peine à une personne
consciente. Cependant, ces expertises sont particulières et n’apportent pas de preuves. Il
semble donc normal que dans ces conditions le juge n’y ait pas recours lorsqu’il n’y est pas
obligé. En effet, les sciences dures reposent sur des règles nettement plus strictes que les
sciences sociales. Les sciences sociales ne sont pas des sciences positives dans le sens où elles
seraient détentrices d’une vérité sures et certaines198. Le choix de l’expert se révèle dès lors
très
problématique.
Comment
choisir
un
expert
dans
les
différents
courants
historiographiques ? L’historien déjà détenteur d’une vérité relative se trouve dans une
situation ambiguë face au juge. Ainsi, ce dernier choisit dans ce que lui apporte l’expert ce qui
peut lui être utile pour aller dans le sens de son argumentation. L’expert est donc
instrumentalisé et le juge a recours à une interdisciplinarité feinte. Cependant, il a déjà été
souligné tout ce que l’historien pouvait apporter au juge dans le cadre de l’instruction. N’estce pas uniquement parce que le statut d’expert ne lui convient pas, parce qu’il est trop
fortement encadré ?
Différentes solutions sont envisageables pour permettre une interdisciplinarité plus
efficace dans le cadre de l’instruction et ainsi permettre à l’historien d’aider le juge dans de
meilleures conditions. La première consisterait à repenser toute l’expertise judiciaire. Le but
serait de permettre une réelle indépendance de l’expert afin qu’il puisse travailler sur un pied
d’égalité avec le juge. Cela pourrait passer par un mécanisme proche de la question
préjudicielle. Dans ce cadre, une instance regroupant les différents courants de la communauté
scientifique pourrait nommer des experts.
La possibilité d’une contre-expertise devrait
pouvoir être ouverte. Une autre solution consiste à séparer complètement la mission de
l’historien du cadre judiciaire. Le juge et l’historien travailleraient séparément sur le plan
hiérarchique mais collaboreraient de manière informelle. C’est notamment ce qui s’est passé
lors du procès Touvier. En effet, suite aux révélations faites autour de Paul Touvier, Mgr
Decourtray a demandé à une commission d’historiens présidée par René Rémond de
rechercher les liens entre Paul Touvier et l’Eglise. La commission faisait donc une instruction
197
Cité in DUMOULIN (L.), L'expertise judiciaire dans la construction du jugement : de la ressource à la
contrainte, op. cité
74
parallèle à l’instruction judiciaire. Se concentrant sur des faits identiques, ils ont été amenés à
collaborer. De même, le développement de l’« histoire commanditée » notamment au Canada
peut inviter à suivre cette voie. Marie-Paule Malouin explique par exemple tout ce que ce
recours à l’historien par les parties au procès dans le cadre de leur défense peut apporter.
L’historien ne participe pas réellement au processus judiciaire. Mais parallèlement, il mène
ses recherches qui seront par la suite débattues contradictoirement devant le juge. L’historien
est beaucoup plus libre d’agir. Il peut aider le juge à prendre sa décision mais sans
obligatoirement se trouver mêlé au processus judiciaire, soit en collaborant avec lui, soit en
collaborant avec les parties. Ainsi, le juge ne voit plus son autorité remise en cause.
Dans le cadre de l’instruction, malgré des exemples étrangers qui tendent à montrer
que la collaboration du juge et de l’historien au stade de l’instruction peut se révéler très
fructueuse, la France n’a pas suivi cette voie. Les possibilités d’intervention de l’historien
durant l’instruction devraient logiquement s’orienter vers la procédure d’expertise. Or, celle-ci
est particulièrement inadaptée aux sciences humaines où leur caractère relatif ne leur permet
pas de s’affirmer et de se départir du pouvoir que la procédure fait peser sur celles-ci. Certes,
des évolutions sont possibles pour redéfinir de manière plus adéquate les relations entre le
juge et l’historien et permettre une véritable interdisciplinarité. Mais c'est surtout au statut de
l'historien durant l'audience qu'il est urgent de réfléchir.
2.2.1.2.Pendant l’audience
En France, l’historien intervient principalement comme témoin à l’audience. Or, ce
statut, comme nous l’avons vu fait peser des risques importants sur la pratique historienne et
ne permet pas une véritable aide au jugement. Les exemples étrangers viennent pourtant
montrer que l’historien peut avoir un rôle plus important et mieux adapté à la procédure
judiciaire. Cependant, cela implique des réformes profondes tant dans la procédure que dans
la culture juridique. En effet, les possibilités d’intervention de l’historien qui existent dans le
droit français sont minces et souvent mal perçues. Devant les difficultés soulevées, la solution
198
Voir HAYEK, (F. von), Scientisme et sciences sociales, Plon, Paris, 1991
75
qui est peut-être la plus réaliste repose sur une collaboration implicite entre le juge et
l’historien.
Une des possibilités envisagées pour permettre à l’historien de participer au procès
sans être soumis au statut de témoin est la création jurisprudentielle de l’amicus curiae. Cette
possibilité n’a pour le moment été admise que dans le cadre de la procédure civile. Cette
innovation a été saluée par une partie de la doctrine199 qui y a vu une possibilité
supplémentaire de parvenir à la « manifestation de la vérité »200. De même, le Premier
Président Drai en a défini l’esprit en des termes positifs : « Pour enrichir les débats qui se
déroulent devant elle, les faire porter au niveau élevé qui doit être le leur, en raison de leur
technicité ou de leur spécificité, la Cour de cassation se doit de les ouvrir aux apports de
l’extérieur, dès lors que les compétences sollicitées sont incontestables, représentatives et de
haute valeur morale et humaine ». En quoi consiste ce nouveau mécanisme ? En quoi peut-il
être utile pour l’historien ? En quoi comporte-t-il également des risques ? L’amicus curiae
consiste à inviter une personnalité à venir à l’audience donner son point de vue sur une
question quelconque et à fournir « toutes observations propres à éclairer les juges dans leur
recherche d’une solution au litige »201. L’appel à cette forme nouvelle d’information du juge
s’inscrit dans la volonté de celui-ci de parvenir à la vérité. L’Assemblée plénière de la Cour de
Cassation a reconnu la légalité de l’amicus curiae et en a consacré la pratique dans un arrêt du
31 Mai 1991202. Dans cette affaire, la Cour de cassation a fait appel au Président du Comité
consultatif d’éthique, M. Jean Bernard. Le premier avocat général a pour justifier son
intervention évoque la notion de « sachant ». La Cour d’appel de Paris l’avait défini en
opposition au témoin et à l’expert. Il s’agit de la liberté du juge de faire appel à quiconque
peut l’éclairer sur l’affaire, c'est-à-dire d’une technique d’information exclusive de tout mode
de preuves. Cette possibilité ouverte en matière civile pourrait être utile pour l’historien.
Certes, des inconvénients importants demeurent : cela risque d’accroître dans le procès civil la
place de l’oralité (mais ce problème ne se retrouve pas au pénal où l’oralité est déjà très
importante), le choix de faire appel ou non à un amicus curiae est toujours laissé au juge, … .
Cependant, le statut d’amicus curiae permet au spécialiste et notamment à l’historien
199
LAURIN (Y.), La consécration de l'amicus curiae devant la Cour de cassation, Gazette du Palais, 14-15 juin
1991, p.22
200
Voir LE MASSON (J-M.), La recherche de la vérité dans le procès civil, op. cité.
201
Cité in Cour d'appel de Paris 21 juin 1988, Recueil dalloz 1989 p. 341, note Laurin
202
Voir LAURIN (Y.), La consécration de l'amicus curiae devant la Cour de cassation, op. cité. Et GOBERT
(M.), M. Le Professeur Jean Bernard, Revue trimestrielle de droit civil, 1992, p. 496
76
d’intervenir dans le procès de manière peut-être plus efficace : il ne doit pas prêter le serment
des témoins, il n’est pas soumis aux questions des avocats,… .Cette procédure existe déjà
dans les pays anglo-saxons. Aux Etats-Unis, notamment, elle permet l’introduction des
sciences sociales dans le procès. Ainsi, la Cour suprême s’appuient sur les travaux
d’historiens, d’économistes ou de sociologues. Cependant, dans ce pays, la doctrine a
également un goût prononcé pour l’interdisciplinarité ce qui se manifeste par la création de
courants de recherche reliant différents domaines : law and economics, critical legal studies,
… . Or, telle n’est pas la culture française. L’introduction de l’amicus curiae qui pour l’instant
se limite au procès civil invite à redéfinir la culture juridique française. L’accueil fait à
l’amicus curiae par une partie de la doctrine montre toutes les difficultés d’une telle évolution
mais également tous les enjeux qu’elle recouvre. Ainsi, dans son commentaire de l’arrêt de
l’Assemblée plénière, M. Gobert souligne l’inutilité procédurale de faire appel à ce sachant.
La Cour de cassation n’en avait pas besoin pour accroître ses connaissances techniques car
celles-ci en l’espèce étaient très répandues même en dehors du monde médical. Elle n’avait
pas non plus besoin de demander l’avis du comité d’éthique dont l’opinion sur la question
était connue par ses rapports. Si la Cour de cassation a fait appel à un amicus curiae, c’est
parce que les magistrats étaient ennuyés d’avoir à prendre une décision dont l’écho,
professionnel, politique ou médiatique pourrait être important. Ils pourraient alors placer leur
décision sous l’autorité morale d’une personnalité éminente. Cela crée une confusion dans les
sources de droit puisque la Cour de cassation se place sous l’égide du Comité national
d’éthique. C’est toute la question des sources du droit qui est posée. Cependant, le juge reste
maître des débats. Malgré tout, cela ouvrirait des possibilités inexploitées jusqu’à présent sur
lesquelles nous reviendrons.
Une autre possibilité d’intervention de l’historien dans le procès serait fondée sur le
témoignage dans le cadre d’une procédure qui lui permettrait de se fonder sur des documents
qu’il expliquerait. C’est dans ce cadre que l’historien et politologue M. James Gow est
intervenu lors du procès devant le Tribunal Pénal international pour l’Ex-Yougoslavie
(TPIY) de La Haye dans l’affaire IT 94-01 Tadic203. L’historien ne dépose pas. Il se contente
de répondre aux questions des avocats. Cette solution à l’opposé de celle de l’amicus curiae,
et comportant des défauts différents tels que le risque d’instrumentalisation, permet
également à l'historien d'exercer ses compétences avec plus d'à propos puisqu'il peut
203
Un compte-rendu sténographique de ce procès se trouve sur www.un.org.icty
77
commenter des documents qui lui sont montrés et qui sont déposés comme pièces à
conviction. Par cet interrogatoire, il montre comment il accomplit son travail. Ainsi, M. Gow
est amené à commenter des cartes, des tableaux, des documents qu'il a lui-même préparés.
Cette procédure proche de la procédure américaine permet à l'historien d'expliquer
réellement sur quoi il se fonde pour faire ses interprétations. Cependant, l'intervention de
l'historien devant le TPIY est un peu particulière. Les juges chargés de cette affaire sont
étrangers au pays où les crimes ont été commis. Leur connaissance de l'histoire et de la
sociologie est donc très faible. Il est donc indispensable de les informer204. Ainsi, James
Gow doit-il rappeler l'organisation administrative de la Yougoslavie et de ses différents Etats
fédérés. Ce type d'intervention ne semble pas être prévu dans le cadre procédural français.
La participation de l'historien dans de meilleures conditions demande donc un effort
d'adaptation du droit ou de la culture juridique française. Mieux encore, un statut particulier
pourrait être prévu. C'est dans ce sens, qu'après le procès Touvier, Jean-Pierre Azéma avait
saisi le premier président de la Cour de cassation205 du problème de l'intervention de
l'historien dans le procès. Mais, rien n'avait été fait pour le procès Papon. C'est pourquoi
envisager des évolutions s'avère difficile du point de vue procédural. Il faudrait sans doute
davantage chercher à influer sur la culture juridique. Mais cette évolution devrait concilier le
nécessaire recours à l'interdisciplinarité et la prise en compte de la peur du dessaisissement du
juge. Pour certains, il faudrait laisser les juges se documenter eux-mêmes206 ou les former à
l'histoire207. En effet, c'est la connaissance historique et non l'historien en lui-même qui est
utile. Cette solution devant le besoin de connaissance historique pourrait certes éviter la peur
du dessaisissement du juge. Dans le même sens Marie-Anne Frison-Roche208 préconise pour
introduire la sociologie dans le jugement, la spécialisation des juges et leur apprentissage de
l'interdisciplinarité Cependant, cette solution peut paraître quelque peu irréaliste et surtout elle
témoigne des difficultés pour le juge à collaborer avec les autres disciplines. Peut-être, là
encore, la meilleure solution serait le recours à l'historien mais dans un cadre informel. Le
juge et le jury se documenteraient par eux-mêmes auprès d'historiens soit directement, soit au
204
ce savoir est parfois très général et dans le cadre national fait parti du fond commun de connaissances
JEANNENEY, Le passé dans le prétoire, op. cité, p. 17
206
Ainsi, lors du procès Papon, Me Varaut a cité dans sa plaidoiries de nombreux historiens dont il a versé les
livres au dossier. Cette solution permet d'avoir accès aux connaissances historiques sans mêler l'historien.
207
Voir, DEPERCHIN (A.), Vérité historique, vérité judiciaire, op. cité
208
FRISON-ROCHE (M-A.), L'utilisation outil sociologique dans l'élaboration de la jurisprudence in Revue de
la recherche juridique n°4, 1993, p. 1271
205
78
gré de lecture. Un historien neutre pourrait les orienter en soulignant les lacunes ou les
orientations historiographiques et idéologiques de tel ou tel.
Ainsi, le recours accru à l'interdisciplinarité est très difficile à imposer dans le cadre
judiciaire français. Le système et les mentalités ne permettent pas forcément une intervention
efficace de l'historien. Une structure informelle est peut-être la mieux adaptée car elle pourrait
concilier l'apport extérieur avec la maîtrise totale du juge. Mais, justice et cadre informel ne
sont pas forcément compatible. Une évolution sur le long terme des structures et de la culture
juridiques est sans doute souhaitable. Cependant, il est urgent de réfléchir à ces questions car
le besoin de connaissance historique se fait sentir et peut être amené à se développer. La
justice doit alors être prête à accueillir de manière plus satisfaisante les historiens.
2.2.2.Un élargissement du champ des possibles.
Pour le moment l'intervention des historiens s'est limitée à des procès historiques. Or,
c'est dans ce cadre que les dérives sont le plus facilement envisageables. A l'étranger, les
interventions des historiens sont plus ouvertes. C'est notamment vrai aux Etats-Unis209. N'estil pas possible d'envisager en France des hypothèses d'intervention plus larges pour l'historien
? Dans certains cas, il pourrait être utile mais il n'intervient pas. Le juge est gêné dans son
recours aux autres disciplines par la peur de son dessaisissement et par le statut inapproprié
qui est accordé à l'historien. Il n'y a donc que peu recours. Cela témoigne de la mauvaise
implantation en France de l'interdisciplinarité. Cependant, un élargissement du champ des
possibles est envisageable et les trois procès exceptionnels pourraient servir de précédents
malgré leur relatif échec. D'un coté, ils invitent à une réforme du statut ; de l'autre, ils laissent
espérer un recours accru aux historiens dans des cas peut-être plus justifiés. Quel est l'impact
du développement du besoin d'histoire ? Dans quels cas, le juge n'a-t-il pas eu recours à un
historien alors que cela aurait pu lui être utile?
209
Nos recherches ne nous ont malheureusement pas permis de trouver de cas concrets de cette intervention.
Pour ce qui concerne les Etats-Unis, les références restent vagues. Nous avons cru pouvoir trouver une
intervention des historiens dans les procès allemands concernant les réparations des confiscations des biens qui
ont eu lieu au moment de la séparation. Mais, il semble que les juges allemands n'est pas fait appel à leur service.
Voir RANIERI (F.), The restauration of Private ownership in the former GDR : the German Courts between
legal history, legal docrine and legal policy, in WYFFELS (a.) (sous la dir.), History in courts, à paraître
79
Une extension du domaine d'intervention de l'historien est envisageable. Il existe des
cas, en dehors des procès historique où son rôle pourrait être important et où il n'intervient
pas. De plus, même si cela reste de l'ordre de l'hypothèse, il semble bien que le procès Papon
ne soit pas le dernier procès où l'histoire entre dans les prétoires français. En effet, le besoin
d'histoire risque de se faire de plus en plus sentir tant la demande de vérité judiciaire sur le
passé s'accroît. Cette situation permet de s'interroger sur cette évolution et par conséquent sur
les relations entre le juge, l'historien et la mémoire.
2.2.2.1.L'extension du domaine d'intervention
Il existe des cas où l'historien aurait pu ou pourrait intervenir. Mais personne n'ayant
fait appel à lui, il ne participe pas au procès. Ces cas peuvent se retrouver au pénal mais ce
sont surtout les cas extérieurs à cette sphère qui sont assez fréquents. En effet, il arrive que des
faits passés se retrouvent en débat devant le juge civil. De plus, il existe un historien un peu
particulier, l'historien du droit qui pourrait jouer un rôle dans le procès. Pourquoi le juge ne
fait-il pas appel à l'historien alors que son intervention pourrait lui être utile ? Pour que tel soit
le cas, il serait nécessaire de repenser les liens entre le juge et l'historien quant à la
construction du jugement.
Au pénal, un type de procès un peu particulier pourrait nécessiter la présence
d'historiens : les procès par contumace. L’article 627 du Code de procédure pénale décrit cette
situation : « Lorsque, après un arrêt de mise en accusation, l’accusé n’a pu être saisi ou ne se
présente pas dans les dix jours de la signification (...) ou en son absence, ... » Le procès par
contumace est donc un procès en l’absence de l’accusé. Cette procédure qui n’existe plus dans
de nombreux pays est une survivance de l’Ancien régime qui permettait au roi de saisir et de
s’approprier l’ensemble des biens de celui qui ne comparaissait pas devant ses juges et de le
déchoir de tous ces droits. Le procès par contumace210 se déroule selon une procédure
particulière qui ne permet pas à l’historien d’intervenir. En effet, après avoir constaté
l’absence de l’intéressé, la cour entend la lecture de l’arrêt de renvoi et se prononce sur
l’accusation après les réquisitions du ministère public. La cour statue sans aucun juré, nul
témoin ne peut être entendu et aucun avocat ne peut participer. Tout le principe du
80
contradictoire qui est cœur du procès est inexistant. Les parties civiles ont le droit d’intervenir
une fois le verdict rendu. Les avocats sont alors entendus et peuvent demander réparation. On
le voit les historiens n’ont pas leur place dans cette procédure. Or quel est son sens ? N’est-ce
pas la célébration de la mémoire tout autant que la poursuite d’une personne qui ne se
présente pas ? Le procès par contumace a été couramment utilisé dans les poursuites contre les
criminels nazis en fuite. Les historiens dans le cadre d’un procès par contumace mettant en jeu
des faits passés (la condition d’imprescriptibilité du crime est donc toujours requise),
n’auraient-ils pas, plus qu’ailleurs un rôle, à jouer étant donné la signification de ce procès ?
L’absence de l’accusé donne au procès une allure particulière. Pour comprendre quelle
pourrait être la place précise de l’historien dans un procès par contumace il faut en saisir le
sens. Prenons donc l’exemple du dernier procès par contumace où l’historien aurait pu
intervenir : le procès d’Aloïs Brunner211. L’objectif d’un tel procès n’est pas de juger un mort
mais un absent, quelle que soit la cause de cette absence. Cela peut être parce que la personne
est en fuite ou parce que la justice a échoué dans ses recherches pour le retrouver. Aloïs
Brunner fut en 1943 et 1944 le responsable du camp de Drancy, antichambre d’Auschwitz. Il
s’est enfui à la fin de la guerre probablement en Amérique du Sud. Serge Klarsfeld a retrouvé
sa trace en Syrie mais Afès el Assad, le président syrien, s’est toujours refusé à l’extrader. A
l’heure du procès personne ne savait s’il était mort ou vivant, et dans ce cas âgé de quatrevingt-neuf ans. Les charges relevées contre lui par l’arrêt de renvoi sont l’enlèvement en
juillet 1944 de 352 enfants arrachés aux centres d’hébergement de la communauté juive de la
banlieue parisienne dont 345 ont été déportés et 284 assassinés. Quelle peut être la
signification d’un tel procès ? L’avocat général Phillipe Bilger, affirme : « J’aimerais pour
une fois que ma parole fût silence, que mon propos fût recueillement, afin que tout ce que
nous disions soit à la hauteur de la dignité nécessaire à ce procès »212. Il place donc ce procès
sous le signe du recueillement, presque de la prière. C’est donc pour lui l’occasion de se
souvenir. Ce procès fournit une catharsis, un lieu de mémoire. Les parties civiles après l’arrêt
condamnant A. Brunner à perpétuité pour crimes contre l’humanité ont souligné la valeur
« hautement symbolique » de ce procès. Ainsi, Serge Klarsfeld affirme : « La justice , c’est
très symbolique. Les gens ne ressuscitent pas avec la justice. Mais il faut terminer »213. Alain
210
Table ronde sur l'imprescriptibilité du vendredi 20 janvier 1999 in Droits, n°31, 2000
Voir Michel ZAOUI, Aloïs Brunner un absent et se juges, in Le Monde du Mardi 6 Mars 2001 et Le monde
du 4-5 mars 2001
212
Cité in Le monde du 4-5 mars 2000
213
Entretien avec Serge Klarsfeld sur www.diplomatiejudiciare.com
211
81
Jakubowicz a rendu hommage à Serge Klarsfeld pour son travail de mémoire. Dans le cas
présent, le procès, même si l’avocat s'y est attaché en disant « qu’(il) n’avai(t) pas le sentiment
de requérir contre une ombre »214, est un lieu de mémoire revendiqué. Les victimes ne
cherchent pas à condamner quelqu’un et à obtenir réparation mas à se souvenir. Dans ce
cadre, l’historien n’aurait-il pas une place à tenir ? Certes, son travail n’est pas de servir la
mémoire. Mais dans le cadre d’un procès où la peine est purement symbolique, ne devient-il
pas justement le lieu idéal pour médiatiser la connaissance historique ? Par exemple, le procès
Brunner aurait pu voir intervenir un historien qui décrirait la situation au camp de Drancy. Il
semble que si l’accusé est absent la recherche de la vérité passe au second plan. Or, au
contraire, l’absence de l’accusé devrait permettre de comprendre le passé d’autant mieux que
les enjeux restent purement symboliques. L’historien ne risquait pas d’être instrumentalisé
puisqu'il n’y avait pas d’avocats. La question est de savoir si c’est le rôle de l’historien de
participer à l’œuvre de mémoire. Certes, son objectif est l’histoire. Cependant, le fait de venir
déposer dans un tel procès permettrait à la vérité historique d’éclater au grand jour et d’obtenir
une médiatisation beaucoup plus forte. L’historien ne connaîtrait pas les gênes d’un procès
normal. Son utilité ne serait pas dans la décision et le contradictoire ne lui porterait pas
atteinte. Un discours historique pourrait ainsi se faire librement et obtenir l’éclat qui devrait
être le sien. Ainsi, le dernier procès d’un criminel nazi en France représente une occasion
ratée de réconcilier l'historien avec le procès dans un cadre symbolique.
Mais, c'est surtout au civil, que la présence de l'historien pourrait se révéler utile pour
le juge. En effet, le juge est également confronté à des faits passés plus anecdotiques que ceux
relatifs à la Seconde Guerre mondiale ou en tout cas qui n’engagent pas l’ensemble de la
nation. Le passé a des répercutions sur notre présent, voire devient une valeur susceptible
d’appropriation. Cela peut générer un contentieux quant à la propriété de ce passé. Ces
exemples sont sans doute plus nombreux que les cas exceptionnels soulevés auparavant215.
Un exemple concerne une certaine forme d’appropriation du passé. C’est le cas du
contentieux impliquant l’Ordre de Malte216. Un arrêt du 20 mai 1999 de la Cour d’appel de
214
Cité in Le monde du 4-5 mars 2000
Par exemple, le problème des indemnisations et de restitution de biens confisquer a donné lieux à des procès
concernant des faits anciens de même que les expropriations ou le contentieux du domaine public.
215
216
CA de Versailles 20 mai 1999, Gazette du Palais de novembre 2000, p24 et GONDRE (L.), A propos de
l'Ordre de Malte: protection de la dénomination et de l'emblème d'une association, in Gazette du Palais,
novembre 2000
82
Versailles confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du 14 mai 1996,
déclarant que l’emploi de la dénomination « Ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem »
est une usurpation du nom de l’ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de
Jérusalem, de Rhodes et de Malte, dit Ordre souverain de Malte et que l’usage de la Croix de
Malte constitue une atteinte aux droits de l’Ordre. L’Orde de Malte et les œuvres hospitalières
françaises de l’Ordre de Malte estimaient être les seuls détenteurs de la légitimité historique
et ont donc assigné l'Association des œuvres sociales et hospitalières de l’Ordre de Saint-Jean
de Jérusalem en France (O.S.J) et deux autres associations pour annuler la marque déposée en
violation de droits antérieurs parce que reprenant la dénomination de l’Ordre et de son
emblème. Cette affaire nous intéresse parce que les requérants faisaient valoir qu’il existait à
Jérusalem avant 1099, date de l’entrée des croisés, une communauté de religieux soignants
connus sous la dénomination « Hospitaliers de Jérusalem », que cette communauté devient un
Ordre approuvé par le Pape en 1113 et adopta en 1130 l’oriflamme rouge avec croix blanche,
que l’Ordre s’établit ensuite à Malte en 1530 sous la dénomination « Ordre souverain militaire
et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Chypre de Rhodes et de Malté ». Ils ont en
conséquence reproché à l’Association dite « des œuvres sociales et hospitalières de l’Ordre de
Saint-Jean de Jérusalem » de prétendre, selon les documents distribués par ses membres, être
issue de l’Ordre à la suite de la scission ayant abouti à la création d’une branche russe et
œcuménique, alors qu’aucune congrégation en dehors de l’Ordre souverain de Malte ne
pouvait être autorisée à utiliser ces signes distinctifs. Les associations défenderesses ont fait
valoir qu ‘elles tenaient du Prieuré français le droit d’user librement de la dénomination du
sceau et de l ‘emblème. Ce prieuré est intervenu à l’instance pour soutenir qu’il avait consenti
aux trois associations le droit d’utiliser sa dénomination qu’il tenait lui-même du Grand
Prieuré américain issu de la branche russe. Le tribunal de Nanterre tout en disant qu’il n’est
pas compétent pour se prononcer sur l’histoire a constaté que l’association Prieuré de France
de l’Ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem ne démontrait pas détenir des droits sur cette
dénomination antérieurement à sa création. Par conséquent elle constate l’usurpation. Devant
la Cour d’appel, les Associations font valoir de nouveaux arguments. Elles rappellent que le
grand maître von Hompesch ayant livré l’île de Malte à Bonaparte en 1797, des chevaliers se
sont réfugiés en Russie auprès du tsar Paul 1er, qui avait été désigné protecteur de l’Ordre en
1796. Paul 1er a par la suite crée un Grand prieuré russe grec ouvert aux orthodoxes et aux
protestants parallèlement au Grand Prieuré russe romain. Puis elles évoquent ensuite la
création aux Etats-Unis en 1908 d’un grand Prieuré à l’initiative du grand duc Alexandre,
83
protecteur de l’Ordre. Elles s’estiment donc, étant issues de ce dernier, légitimes à porter le
nom et l’emblème. Les associations soulignent donc l’origine commune de L’Ordre romain et
de la branche russe. L’ordre souverain de Malte remarque que la branche russe a été
illégalement constitué. La Cour d’appel constate qu’il n’entre pas dans sa compétence de
prendre partie pour des thèses historiques contraires mais qu’il lui appartient de trancher le
litige d’après les éléments qui lui sont soumis par les parties.
Ce rappel des faits un peu long a pour objet de montrer que l’histoire fait parfois son entrée
devant les tribunaux civils. Or, le juge ne prend pas partie sur les faits historiques. Cependant,
ceux-ci sont au cœur du débat. Comment le juge fait-il pour pouvoir rendre une sentence sans
prendre partie pour une thèse plutôt que pour une autre ? Il se contente de ce que les parties lui
apportent. On peut se demander si c’est une bonne façon d’administrer la justice, surtout au
regard de l’article 10 du Code civil qui fait de la vérité le but du procès. Dans ces conditions,
on est en droit de s'interroger : l’intervention d’un historien ne serait-elle pas nécessaire ? Il
existe auprès de la Cour de cassation des experts pour les ordres de chevalerie, mais leur rôle
ne semble pas être celui d’un historien. D'ailleurs la Cour de Versailles refuse d’entrer sur ce
terrain. L’historien pourrait examiner les thèses historiques qui sont purement factuelles et en
vérifier la véracité. Sans préjuger et porter atteinte à l’autorité du tribunal en la matière, il
pourrait être utile dans la manifestation de la vérité. La forme de l'amicus curiae pourrait par
exemple être utilisée.
Le cas de l'historien du droit est un peu particulier. Cet historien est spécialisé dans
l'histoire des textes de droit. Doit-on lui faire une place spécifique au sein du procès ? Les
analyses de Raymond Saleilles217 à ce propos sont très intéressantes. En effet, constatant que
la loi n'était plus l'unique source du droit, qu'elle était concurrencée par la jurisprudence, mais
se refusant à se soumettre à l'arbitraire du juge, il cherche à fonder scientifiquement la
jurisprudence. Pour cela, il faut avoir recours à l'histoire du droit et à la sociologie pour
interpréter les textes de loi. En effet, le recours au discours parlementaire peut-être utile pour
comprendre la finalité du texte et l'interpréter dans le sens voulu pour le législateur. Parfois,
par contre il est nécessaire de recourir à la sociologie pour adapter le texte aux nouvelles
exigences sociales. Ce recours à l'interdisciplinarité qui s'est développé aux Etats-Unis n'a as
217
Voir Cours de M. Jamin, op. cité et SALEILLES (R.), Les méthodes d'enseignement du droit et l'éducation
intellectuelle de la jeunesse, in Revue internationale de l'enseignement tome 44, juillet-décembre 1902
84
été suivi en France où la tradition légicentriste est restée prédominante. Cependant, cette
réflexion souligne tout l'enjeu du recours à l'interdisciplinarité: les sources du droit.
La réticence du juge à faire appel à l'historien trouve son origine dans la peur de
perdre son monopole pour dire le droit. L’intervention d’un tiers risquerait de le dessaisir dans
sa fonction de juger. En effet, l’historien en cherchant les faits ne risque-t-il pas également de
les qualifier juridiquement ? Par exemple, dans le cadre d’une spoliation l’élément historique
permet de déterminer la qualification juridique des faits . C'est tout le problème de
l'intervention de l'historien dans le procès. Elle a pour but d'éviter que le juge se prononce sur
l'histoire mais elle risque d'aboutir à ce que l'historien joue le rôle du juge, ou au moins une
partie de son rôle. L'historien doit rester dans son domaine mais la frontière est, il est vrai,
souvent très floue. Le juge doit apprendre à se faire aider. Cela ne remet pas en cause ses
pouvoirs puisque c'est toujours lui qui au final tranche. Or, c'est dans cet acte que réside le
cœur du jugement. Cette extension des domaines d'intervention doit donc se faire
parallèlement à la réflexion sur le statut de l'historien. Cette réflexion est d'autant plus
nécessaire que la présence des faits historiques dans le procès risque fort de s'accentuer.
2.2.2.2.Le développement des procès historiques : le juge, l'historien et la mémoire
Le recours à la justice pour se faire indemniser ou pour voir reconnaître des faits
anciens se développe. Des plaintes ont été portées contre la SNCF parce qu'elle avait
contribué à la déportation des juifs ; I.B.M a été attaqué parce que cette entreprise aurait aidé
les Allemands pendant la guerre ; …. En France, c'est principalement autour du cas algérien
que des évolutions sont à prévoir. En effet, les révélations du Général Aussaresses ont tenu le
devant de l'actualité. Pour l’instant, la judiciarisation de ces questions reste aléatoire puisque
les conditions juridiques ne sont pas remplies. Cependant, il s’agit d’un champs où l’historien
pourrait un jour devoir intervenir. A travers le cas algérien, il est possible de dessiner une
évolution de notre rapport à la justice et de la justice par rapport à la mémoire. Quelle place le
juge doit-il tenir dans l'élaboration de la mémoire ? Ce recours accru au juge pour sanctionner
des faits anciens marque-t-il une évolution positive ? Est-ce la meilleure voie pour regarder
son passé en face ? N’est-ce pas davantage le rôle de l’historien que celui du juge ?
85
A travers le cas de la Guerre d’Algérie se dessine toute l’ambiguïté du recours à la
justice pour faire reconnaître des faits passés. En effet, les recours portant sur cette partie
tragique de l’histoire nationale se multiplient. Cette mémoire se réveille prend le biais
judiciaire. Or, elle bute sur des obstacles juridiques et pose le problème du rôle du juge dans
l’élaboration de la mémoire nationale. Pour l’instant, les procès relatifs aux faits survenus
pendant la guerre d’Algérie n’ont pas abouti à la participation de l’historien. Les procès qui se
sont déroulés juste après les événements n’ont pas eu lieu avec suffisamment de recul pour
que l’historien y participe. Par la suite, diverses procédures ont été ouvertes. Or, aucune n’a
abouti. Cela tient, comme nous l’avons déjà souligné, à la définition du crime contre
l’humanité auquel s’applique l’imprescriptibilité et à l’amnistie proclamée après ces
événements. Deux arrêts de la Cour de cassation218 du 29 novembre 1988 concernent cette
question. La cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre des arrêts de confirmation
des ordonnances de refus d’informer. Pour la première affaire les faits sont les suivants. Le 15
août 1957 une compagnie motorisée fait irruption dans la ferme de Mohamed Lakhar-Toumi.
Les militaires saccagent les lieux et se livrent à des sévices et à des tortures jusqu'à ce que
mort s'en suive sur un vieil employé dont ils emmenèrent le corps. Le propriétaire est
également enlevé et on ne le reverra plus jamais vivant. Une instruction est ouverte le 22 juin
1962 mais elle est clôturée par une ordonnance de non-lieu visant les décret du 22 mars 1962
portant amnistie des faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées
contre l’insurrection algérienne. Dans la seconde affaire, Abdelkader Yacoub est pris dans une
rafle de police à Paris, le 8 septembre 1958. Les violences policières entraînent son transport à
l’hôtel Dieu. On ne devait plus jamais le revoir. Là encore une ordonnance de non-lieu
motivée par les décret du 22 mars 1962 est rendue. La loi du 26 décembre 1964 autorise Mme
Lakhar-Toumi et Mme Yacoub à déposer une plainte avec constitution de parties civiles pour
crimes contre l’humanité. Les juges d’instruction saisis de cette deuxième demande rendent
également une ordonnance de non-lieu en affirmant que les décrets d’amnistie s’appliquent
aux infractions dénoncées comme crimes contre l’humanité, ceux-ci étant définis comme des
crimes de droit commun commis dans certaines circonstances et pour certains motifs précisés
dans le texte qui les définit. Or, cette définition est en contradiction totale avec la définition
fournit par la Cour de cassation lors de l’affaire Barbie où justement elle cherche à montrer en
quoi les crimes contre l’humanité ont un régime dérogatoire du droit commun. Dans les
affaires présentes, tout est fait comme si la cause était tellement mauvaise que ce qui est
218
PONCELA (P.), L'humanité, une victime peu présentable, Dalloz, 1991, 34e cahier, chronique, p. 229
86
imprescriptible et donc inoubliables pouvait être amnistié et donc pardonné. Ces deux affaires
montrent donc que la justice n’est pas prête à connaître des faits algériens. Cette règle
juridique est fondamentale pour comprendre le rapport du droit à la mémoire. L’amnistie
repose sur une fiction puisque le caractère délictueux des faits commis par une personne ne
peut plus lui être reproché. L’amnistie, contrairement à la prescription qui serait fondée sur
l’oubli, aurait pour justification le pardon. Toutes les grandes crises de l’histoire de France se
sont réglées par une loi d’amnistie : la Commune, le Boulangisme, l’Affaire Dreyfus, la
Guerre d’Algérie. Cela montre que la justice n’est pas un instrument de vengeance mais de
cohésion sociale et que par conséquent, ce n’est sans doute pas le lieu idéal pour élaborer la
mémoire nationale.
Cependant, les recours à la justice prolifèrent. Ces recours s’inscrivent dans une
stratégie de reconnaissance officielle. En effet, le recours aux tribunaux est davantage un
moyen qu’une fin. Ainsi, la communauté harkie a déposé une plainte pour crime contre
l’humanité afin que les massacres dont ils ont été l’objet en 1962 soient reconnus. Mohand
Hamoumou, fils de harki explique que « il est malheureux que nous soyons réduits à utiliser
les tribunaux comme tribunes. Nous n’en serions pas là si la France avait reconnu ses
tords »219. La voie judiciaire est donc présentée comme le dernier recours possible pour que
certains événements intègrent la mémoire nationale. Mais c’est davantage la médiatisation qui
en découle que l’espoir de voir l’affaire aboutir qui est au cœur du processus. Cependant, la
reconnaissance politique est un préalable à la voie judiciaire. Une fois que les crimes ont été
intégrés à la mémoire nationale, un retour devant la justice n’est pas impossible. L’historien
pourrait donc être amené à se retrouver de nouveau devant les tribunaux. En effet, si la justice
était saisie, il faudrait déterminer si l’Etat français a mené « une politique d’hégémonie
idéologique » et un « plan concerté » durant les « événements d’Algérie ». L’historien aurait
alors été indispensable. Qu’aurait-il dit ? Que les tortures commises n’étaient pas uniquement
le fruit du maintien de l’ordre mais également d’un racisme débridé s’inscrivant dans le
contexte colonial.
La pénalisation des questions historiques fait donc du juge un acteur de l’élaboration
de la mémoire nationale. Cette évolution bute jusqu'à présent sur les règles juridiques. La
France a tendance à oublier ces crimes. Cependant, il n'est pas certain que ce soit la voie
87
judiciaire qui permette le mieux d'éviter l'oubli. Les analyses de M. Osiel220, montrent que les
poursuites pénales contribuent à la solidarité. S’il rejette l’analyse durkheimienne selon
laquelle les poursuites judiciaires créent un consensus à partir d’une interprétation commune
de son passé, il considère que le procès, au contraire, en soulignant le dissensus civil permet
la compréhension des erreurs de chacun et une solidarité fondée sur le deuil des erreurs
passées. Le procès permet à la mémoire collective de se construire publiquement. Il doit
stimuler la délibération démocratique. Cette analyse n’est pas partagée par tous. Henry
Rousso221 pense que ces procès ne permettent pas une meilleure connaissance historique mais
surtout il considère que le procès a pour mission de clôturer un débat. Or, cette clôture est
insupportable au regard du devoir de mémoire. Le risque lié au devoir de mémoire assouvi par
le biais judiciaire et donc par la demande d’indemnité est de rendre réparable des crimes qui
par nature ne le sont pas. De plus, la pénalisation de l'histoire renvoie à un besoin de
simplification. Le procès en désignant des coupables schématise une question complexe. C'est
ainsi que F. Bédarida affirme que le procès Papon en apprend moins sur l'histoire que la
difficulté de trouver un responsable dans un chaînon de décision222.
La responsabilité
individuelle se heurte à la complexité de la définition du crime contre l'humanité. De plus, il
faut noter que c'est l'imprescriptibilité qui brouille les frontières. En effet, désormais,
l'historien ne peut plus apparaître après l'événement "chargé de la vengeance des peuples"
(Chateaubriand). Pour H. Rousso, il vaudrait mieux chercher des moyens de vivre avec le
souvenir du passé plutôt que sans lui. L’histoire entre alors en scène car elle peut jouer son
rôle de mise à distance. L’histoire reconstruction savante du passé peut aider la mémoire,
expérience vécue et transmise, à se constituer. L’historien hors du procès a sans doute plus de
chance d’y parvenir qu’à l’intérieur de celui-ci. Pourtant la pénalisation de l'histoire implique
nécessairement leur présence renforcée dans le prétoire. C'est pourtant dans le cadre de ces
procès historiques que les historiens sont dans la situation la plus délicate. La confusion des
genres est pratiquement inévitable puisque le juge s'attribue une mission qui n'est pas la
sienne. Cela laisse supposer que ce n'est pas la voie judiciaire qui serait la mieux adaptée.
Certes, il est nécessaire que la France reconnaisse et répare ses erreurs passées. Cependant, ce
n'est pas au juge de le faire. Ces questions sont essentiellement politiques. Les responsables
219
Cité in Le Monde du 19 janvier 2001
OSIEL (M.), Mass atrocity, collective memory and the law, cité in RICOEUR (P.), La mémoire, l'histoire,
l'oubli, Seuil, Paris, 2000
221
ROUSSO (H.), La hantise du passé, op. cité, p.117
222
BEDARIDA (F.), Justice et Histoire à hue et à dia, in Libération du 05-04-1998
220
88
politiques devraient prendre leurs responsabilités et engager un débat national où les
historiens auraient une place éminente à jouer. Des réparations pourraient être allouées sans
passer par la voie judiciaire. Toutes ces actions ne sont pas justifiées. Mais ce n'est pas au juge
de le dire. C'est aux politiques dans le cadre du débat démocratique. Si le juge intervient, c'est
essentiellement parce que les responsables politiques n'assument pas leur devoir. Ces
questions sont essentiellement politiques et non juridiques. La reconnaissance tardive par M.
Chirac de la responsabilité française dans la déportation des Juifs ouvre peut-être une brèche.
89
CONCLUSION
L'intrusion des faits historiques devant un tribunal, rendue possible par
l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, impose la présence d'historiens à la barre. En
effet, l'historien permet au juge d'éviter les anachronismes en éclairant le contexte de l'époque.
Il prévient le risque de voir le juge valider une histoire officielle. Cependant, l'utilisation qui a
été faite des historiens est problématique. Ils sont essentiellement une caution pour le juge.
Leur présence justifie la commémoration de la mémoire et la fonction pédagogique du procès.
Le juge ne se sert pas véritablement de leur savoir. D'ailleurs les conditions de leur
intervention ne permettent pas à l'historien de remplir sa mission de manière satisfaisante :
l'autorité prime sur la connaissance et le général sur le cas précis, son statut est inadapté, il
n'intervient pas où moment où il pourrait être utile, à savoir pendant l'instruction.. Plus encore;
l'historien replaçant les faits dans un contexte général risque de faire dériver le procès vers une
responsabilité collective. Là réside toute la difficulté de ces procès historiques pour crimes
contre l'humanité : ils oscillent entre la volonté de cantonner le procès à une personne et la
volonté pédagogique et spectaculaire de la responsabilité collective. L'interdisciplinarité n'est
qu'un alibi. Cependant, ces procès constituent le premier pas vers une ouverture de la sphère
judiciaire à l'histoire. Des domaines d'intervention ne se limitant pas aux seuls procès
historiques pourraient nécessiter le recours à l'historien. Cependant, le monde judiciaire ne
semble pas encore adapté et prêt à cette interdisciplinarité. Par contre, le développement des
procès historiques est envisageable. Pour l'instant, ces saisines butent sur les contraintes
juridiques mais des évolutions sont possibles. En effet, la France ne peut toujours oublier son
passé. Le problème est qu'il est loin d'être évident que la voie judiciaire soit la mieux adaptée
pour construire la mémoire. Dans tous les cas, une réflexion sur le statut de l'historien doit être
engagé afin de redéfinir les rapports du juge et d'une personne extérieures à la sphère
judiciaire. Elle n'est pas évidente. Il faudrait que la doctrine sorte du cadre très fermé qui est le
sien et que des évolutions dans la culture juridique française aient lieu.
Le rôle de l'historien dans le procès amène donc à repenser les rapports de la justice à
l'histoire et peut-être plus globalement aux sciences sociales dans leur ensemble. En effet, la
sociologie ou la psychologie pourrait également voir leur rôle s'accroître. Lors du procès du
90
sang contaminé, un sociologue est intervenu223. La judiciarisation de la société amène les
débats majeurs de notre démocratie devant le juge. Celui-ci pourrait faire appel aux savoirs
des spécialistes pour résoudre ces problèmes en ayant connaissance des conséquences.
Cependant, la sociologie, science sociale, connaît les mêmes difficultés que l'histoire face au
cadre judiciaire. Une profonde réflexion de la sphère judiciaire doit donc être entamée au plus
vite pour permettre à la justice de s'ouvrir à l'interdisciplinarité. Cela implique de repenser
notre culture juridique fondée sur le légicentrisme. La réflexion pourrait s'inspirer du modèle
américain où les sciences sociales ont fait leur entrée dans les procès224.
L'interdisciplinarité faisant intervenir l'histoire ne semble pas en mesure d'évoluer à court
terme en France. Cependant, en ce qui concerne la judiciarisation des questions historiques,
leur développement, bien que la voie judiciaire ne semble pas la mieux adaptée ni pour la
connaissance ni pour la réparation, risque de changer d'échelle. En effet, l'internationalisation
des questions touchant aux crimes contre l'humanité semble être l'évolution qui se dessine. La
création d'une Cour pénale internationale va dans ce sens. Face aux réticences de la justice
française à connaître de ces faits, les poursuites pourraient s'élever à ce niveau. La France doit
apprendre à ne pas oublier son passé. Les réticences de la justices doivent donc être surmonter
ou mieux encore, les politiques pourraient assumer leur responsabilité et instaurer un débat
démocratique permettant de résoudre ces conflits sans passer par la voie judiciaire.
223
Voir ISRAEL (L.) et MOURALIS (G.), Le chercheur en sciences sociales acteur du procès, in droits et
société, n°44-45, 2000
224
Ainsi, la Cour suprême fait appel à des sciences sociales. Le point culminant a été atteint avec l'arrêt Brown de
1954 où elle déclare contraire à la constitution le système des écoles séparées pour les enfants noirs et les enfants
blancs au motif que son caractère psychologiquement dommageable est scientifiquement prouvé. De même, il
semble qu'il existe une pratique, selon les dires de M. Jamin, selon laquelle les juges se livreraient à des sondages
sur un point de droit pour savoir quelle orientation la jurisprudence doit prendre. Le juge tient donc compte de la
sociologie dans son jugment.
91
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
ARENDT (H.), Eichmann à Jérusalem, Gallimard, Paris, 1966
BEDARIDA (F.), Touvier, Vichy et e crime contre l'humanité, Seuil, Paris 1996
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Le Monde :
+Edition spéciale, Condamné et libre, Mars 1998
+Vendredi 19 janvier 2001 (Sur les harkies)
+Dimanche-Lundi 4 et 5 mars 2001 (sur le procès Brunner)
Les cahiers français :
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documentation française n°288 oct sept 1998;
L’Histoire :
+n°222 juin 1998 : Dossier : Papon: Les leçons d'un procès
+n°138 novembre 1990 : RIBERIOUX (M.), Le génocide, le juge et l’historien
+n°68 juin 1984: ASSOULINE (P.),Enquête sur un historien condamné pour
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Libération :
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+05 04 98 , BEDARIDA (F.), Justice et histoire à hue et à dia
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+ BELLESCIZE (D.), « Aubrac Lyon 1943 » note sous de 7 juillet 1998 n° 85 p 25
Recueil Dalloz :
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contre l'humanité …, 1997, 30e cahier, chronique, p. 249
+FELDMANN (J-P.) Le délit de contestation de crimes contre l'humanité devant la
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17 chambre du Tribunal de grande instance de Paris, 1999, 1er cahier, chronique p. 8
+LAURIN (Y.), note sous CA Paris 21 juin et 6 juillet 1989 1989 24e cahier juris
p 138
+MALLET-POUJOL (N.), Diffamation et « vérité historique », 2000, juris, p 226
+PONCELA (P.), L’humanité, une victime peu présentable, 1991 34e cahier,
chronique
+PRADEL(J.), note sous CA Paris 16 octobre 19921993, 13e cahier jurisprudence p
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Revue Après-demain :
Octobre 1997 : JEAN (J-P.), La judiciarisation des questions de société
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+1994 mai, dossier science ou justice ?
PECQUEUR (C.), Les sciences auxiliaires du droit ?
WACHSMANN (P.), Les sciences devant la justice
Revue de Recherche juridique
+FRISON-ROCHE (M-A.) L’utilisation de l’outil sociologique dans l’élaboration de
la jurisprudence, 1993-4 p 1271,
Revue de sciences criminelles :
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1999, n°1
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le 2 mars 2001
www.diplpmatie judiciaire.com
www.un.org./icty
96
INDEX GENERAL
(n° de page)
Algérie : 15, 18, 87, 88
Amicus curiae : 76, 77
Amouroux (H.) : 29, 45, 54, 58, 65
Barbie (procès) : 10, 11, 28, 35, 47, 55
Baruch (M-O.) : 5, 29, 52, 53, 63, 68
Bergès (M.) : 29, 31, 32, 58, 64, 68
Crime contre l'humanité : 17, 23, 35, 67, 68, 87, 89, 90
Delarue (J.) : 29,30, 32, 35, 54, 56, 68
Eichmann (procès) : 70
Expériences étrangères : 5, 6, 66, 73, 77, 78, 79, 80, 92
Expert (et expertise) : 30 à 32, 51, 55, 60, 62, 73 à 75
Historien:
Historien du droit : 86
Historien-juge : 21
Historien et contexte : 33 à 36 45, 46, 51, 55, 56, 60, 61, 63 70
Méthode : 19, 26, 36 à 47
Responsabilité : 24 à 28, 65
Témoin : 27, 32, 34, 49 à 60, 70, 76, 77
Imprescriptibilité : 16, 35, 82, 87, 90, 91
Interdisciplinarité : 6, 9, 69 à 80, 86, 91
Jurés : 34, 66
Klarsfeld (S.) : 15, 69, 83
Lewis (procès) : 22, 26
Mémoire : 6, 7, 8, 12, 17, 18, 48, 52, 69, 81, 82, 88, 89
Négationnisme : 7, 15, 23, 24, 25, 25, 26, 27
Papon (procès) : 7, 8, 11, 17, 29,30, 31, 33, 34, 35, 47, 51 , 52, 53, 54, 55, 56, 56, 58, 59, 61,
62, 63, 64, 66, 67, 68, 69, 70, 79,
Paxton (R.) : 13, 29, 33, 34, 47, 54, 57, 59, 63, 66, 69
Procès par contumace : 81, 82
97
Procès civil : 83 à 86
Rémond (R.) : 27, 29, 32, 33, 35, 56, 63, 64, 76
Responsabilité (individuelle et collective) : 36, 45, 69, 89, 90
Rousso (H.) : 5, 22, 45, 56, 57, 60, 62, 65, 69, 89
Sciences :
Sciences dures : 45, 73, 74
Science historique : 17, 42, 48, 65
Sciences sociales : 5, 6, 9, 70, 73, 75, 76, 77, 91, 92
Sternhell (procès) : 7, 24, 26, 27, 65
Témoin d'intérêt général : 36, 51, 55
Touvier (procès) : 11, 29, 32, 56, 57, 63, 67, 68, 79
Varaut (J-M.) : 18, 33, 45, 47, 51, 52, 54, 57, 64
Vérité :
Recherche de : 36 à 47
Dans le procès : 64, 65
Zola (procès) : 32, 52, 55
98
TABLE DES MATIERES
Remerciements (p.2)
Sommaire (p.3)
Introduction (p.4)
1.Les raisons de l'intervention des historiens dans le procès (p.10)
1.1.Le domaine partagé du juge et de l'historien (p.10)
1.1.1.Le passé devant la justice (p.11)
1.1.1.1.Conditions sociologiques (p.11)
1.1.1.2.Conditions juridiques (p.15)
1.1.2.Le risque de confusion des genres (p.18)
1.1.2.1.Répartition et confusion des rôles sociaux (p.19)
1.1.2.2.Le contentieux de la responsabilité de l'historien (p.23)
1.2.La nécessaire intervention des historiens dans le procès (p.28)
1.2.1.Les apports des historiens (p.28)
1.2.1.1.L'historien et les faits du dossier (p. 29)
1.2.1.2..L'historien et le contexte (p.33)
1.2.2.La répartition des compétences dans le procès (p.36)
1.2.2.1.Méthode historique-méthode judiciaire (p.36)
1.2.2.2.Une difficile complémentarité (p.43)
99
2.Les historiens dans le procès : du rendez-vous manqué à la redéfinition
(p.49)
2.1.L'instrumentalisation des historiens (p.44)
2.1.1.La place de l'historien dans le procès : statut et risqu (p.50)
2.1.1.1.Le problème du statut de l'historien (p.50)
2.1.1.2.L'ambiguité de la position de l'historien (p.55)
2.1.2.De l'utilité de l'historien (p.61)
2.1.2.1.Connaissance ou autorité ? (p.62)
2.1.2.2.L'importance réelle de l'historien : une interdisciplinarité de
façade (p.66)
2.2.Repenser la participation des historiens dans le procès : une meilleure
utilisation de l'interdisciplinarité (p.72)
2.2.1.L'amélioration du statut de l'historien (p.72)
2.2.1.1.Pendant l'instruction (p.73)
2.2.2.2.Pendant l'audience (p.77)
2.2.2.Un élargissement du champ des possibles (p.80)
2.2.2.1.L'extension du domaine d'intervention (p.81)
2.2.2.2.Le développement des procès historique : le juge, l'historien et la
mémoire (p.87)
Conclusion (p.91)
Bibliographie (p.93)
Index général (p.98)
Table des matières (p.100)
100
101

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