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QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
VIVre ensemble
en mIdI-pyrénées dans 20 ans
Quel habitat
voulons-nous
demain ?
Claude Raynal,
Conseiller Général, maire de Tournefeuille et président de l’Inter SCOT
Daniel Leclerc,
ancien directeur des Sociétés du logement social
Jean Manuel Puig,
ancien président de la Maison des architectes
Introduction de l’animateur GREP
Dans cette conférence il sera question de l’habitat c’est-à-dire du logement privé, du
logement social, des normes de construction et surtout de la manière dont on répartit
l’habitat sur le territoire. Nous sommes confrontés à plusieurs problèmes : faut-il contenir
le mitage pavillonnaire périphérique dont on dit qu’il gangrène l’espace rural et provoque
des encombrements de la rocade le matin et le soir ? Faut-il densifier intra-muros autour
du métro et des transports en commun ? Faut-il faire du logement social à la périphérie, là
où les transports en commun ne sont pas forcements performants ? Faut-il accumuler du
logement social dans des cités sensibles et comment gérer ces cités sensibles ? Une série
de questionnements au sujet desquels un certain nombre d’esprits malins ont estimé que
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la ville de Toulouse n’avait pas brillé ces dernières années. La dernière grande réalisation
date des années du Mirail. Depuis on a eu la Médiathèque. Tout cela a changé parce que la
gouvernance municipale, et au-delà, celle de l’agglomération, a pris la couleur (rose) de
la brique. En témoigne la dernière initiative, La Fabrique urbaine, une boîte à idées destinée à recueillir les opinions des uns et des autres sur ce qu’il convient de faire. Nos invités
vont pouvoir donner leur avis. D’abord un élu, Claude Raynal, conseiller général, maire
de Tournefeuille et surtout président de l’Inter SCOT. Le SCOT est l’organisation qui
planifie l’aménagement du territoire du Grand Toulouse. Ensuite deux experts : Daniel
Leclerc qui était, jusqu’il y a trois mois, directeur d’une société des sociétés de logement
social. Il présentera sans doute une vision économique. Et Jean Manuel Puig, ancien président de la Maison des architectes, qui aura aussi un projet alternatif à nous proposer. Ces
deux personnes, libérées de leurs obligations professionnelles, ont pour nous l’avantage
de disposer d’une grande liberté de parole et ainsi d’échapper à la pensée unique.
Claude Raynal
En vingt minutes, je me contenterai d’introduire le débat sur la question de l’urbanisme
par une mise en perspective des problèmes de planification. Pourquoi la question estelle cruciale à Toulouse et dans beaucoup de grandes villes du monde ? On remarque
des variantes d’échelle : des villes chinoises atteignent 27 millions d’habitants, alors que
nous atteignons tout juste pour l’agglomération le niveau du million d’habitants. Nous
accédons cependant à un niveau de métropole.
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Notre territoire s’est beaucoup modifié dans les trente à quarante dernières années. Si
on compare le Toulouse des années 1970 avec celui des années 2010, on va trouver un
saut tout à fait considérable. Cette évolution est due à un développement économique
important favorisé par des décisions politiques au niveau de l’État : arrivée du CNES, investissement en infrastructures universitaires, renforcement du domaine aéronautique et
spatial qui a suivi le rapatriement des industries sur le Sud au moment de la guerre de 40.
Le territoire à vocation administrative et rurale du Toulouse d’avant la guerre est devenu
un territoire de développement économique extrêmement significatif, avec des technologies d’avenir. Toulouse a connu dans les quarante dernières années un développement
extrêmement important en termes d’habitants et donc d’habitat. En 1970 Toulouse vivait
en circuit fermé sur les ressources de son territoire : ville centre et cœur historique, banlieue, et campagne. Après 1970, la ville se développe en dehors des limites communales.
Les communes voisines sont, à l’origine, de taille modeste : Tournefeuille, après la guerre,
n’atteint que 1 000 habitants. Par la suite les petits villages se sont développés dans la
continuité de la ville-centre, celle-ci sortant de ses limites naturelles.
A part Colomiers qui s’est doté d’un schéma de développement extrêmement précis, ce
développement a eu lieu de manière, sinon anarchique, du moins tout à fait spontanée,
suivant l’esprit du temps. Que venait-on chercher à Tournefeuille, à Balma, à Saint-Jean,
à l’Union ? On recherchait un idéal, un concept sans contenu véritable : « la ville à la
campagne » (les oxymores sont toujours faits pour titiller la réflexion). On aspirait à
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bénéficier de terrains plus vastes, tout en étant proche de la ville. La conséquence est un
développement horizontal, à l’extérieur de la ville de Toulouse, mais aussi dans la ville
même.
Les années ont passé et aujourd’hui on se retrouve avec une des agglomérations françaises les plus étalées, avec un niveau d’habitants à l’hectare extrêmement faible. Ce
modèle est-il durable, ne pose-t-il pas plus de problèmes qu’il n’en résout ? Peut-on continuer ainsi à s’étaler, à faire des lotissements à perte de vue ? Doit-on réorganiser la ville
autrement ? Dans les années 1995, cette préoccupation a entraîné la mise en œuvre d’un
schéma-directeur d’aménagement urbain. C’est une procédure d’État lourde : des objectifs à atteindre mais pas de contrainte, et peu de résultats. Depuis les années 2000 s’applique la loi SRU, avec les schémas de cohérence territoriale. Il était énoncé que les élus
locaux devaient s’emparer de cette question eux-mêmes et entre municipalités, et définir
un système d’organisation urbaine.
Le système d’organisation urbaine
Une carte de l’aire métropolitaine toulousaine montre un noyau central entouré de villes
moyennes qui vivent en interaction avec la ville-centre. Il se tisse des liens très forts en
matière de recherche et développement, en matière d’économie, en matière d’activité
culturelle. Quand on est Albigeois, on vient très facilement au centre de Toulouse écouter l’orchestre du Capitole, on vient à l’opéra ; on vient depuis Saint-Gaudens, depuis
Auch… On constate une vaste zone d’influence.
Le fonctionnement de cette métropole peut s’envisager sur un ensemble géographique.
Celui-ci comprend pour l’essentiel le Nord de la Haute-Garonne et quelques territoires
limitrophes ; on le définit comme « l’aire urbaine ». Pour une fois, une définition purement technique, définition INSEE, se trouve avoir une signification dans laquelle les élus
locaux se retrouvent. L’aire urbaine est l’ensemble des communes dont 40 % des habitants actifs travaillent dans le pôle urbain, c’est-à-dire le pôle aggloméré central, 40 %
des actifs vont et viennent pour aller travailler dans ce pôle. En travaillant à partir de cette
définition avec les maires concernés, on s’est rendu compte que tous ces élus avaient des
problématiques de même nature. Que l’on soit le maire de Toulouse ou le maire de Carbonne, on est capable de se parler et de se comprendre. Si les problèmes ne sont pas les
mêmes, les raisons de ces problèmes sont liées aux services de proximité, aux systèmes
de transport, à l’emploi, et sont communes à tout le territoire.
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Les défis
Depuis 2001 nous travaillons ensemble sur la définition d’un projet qui soit commun à
l’ensemble du territoire de l’aire urbaine. Répondre collectivement représente déjà une
gageure. Trois grands défis se présentent : le défi la compétitivité et du rayonnement de
notre métropole, le défi de la cohésion sociale, le défi de la maîtrise du développement des
communes. On est revenu, comme aux XVIIe et XVIIIe siècles, à la compétition entre les
villes. Pendant une période elle a été masquée par la compétition entre les États-nations.
Aujourd’hui, en termes d’économie, d’industrie, en termes d’attractivité, on retrouve la
compétition entre métropoles. Cohésion sociale : il faut que la mixité sociale ne soit pas
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un mot creux mais bien une réalité sur le terrain, il faut retrouver une diversité et non
des partitions ou des ségrégations. Nous avons à faire fonctionner ensemble les habitants
d’une ville quelle que soit leur culture, quel que soit leur passé, leur niveau d’éducation, à
faire société. Troisième défi : que la compétition économique ne nous entraîne pas à tomber dans une consommation extravagante et exagérée du territoire. Il faut maintenir une
agriculture péri-urbaine, et maintenir des territoires aussi naturels que possible, territoires
qui ne soient ni urbanisés ni dotés d’activités économiques.
La définition de grands principes
Des orientations fortes ont été prises, par 340 maires au départ, puis par un ensemble de
420 maires (une partie du département de l’Aude nous a rejoints avec Castelnaudary).
Dans la partie centrale, appelée « Grande agglomération toulousaine », les politiques permettant de mettre en œuvre nos grands principes passent par plusieurs intercommunalités,
outils de régulation permettant de travailler ensemble. Le SCOT, schéma de cohérence
territoriale, en est un. Le SMEAT, acronyme du Syndicat mixte d’Étude de l’agglomération toulousaine, recouvre la même réalité, de façon plus compréhensible semble-t-il.
L’accroissement de population
Si l’évolution des dix dernières années se poursuit - ce n’est évidemment pas un vœu ni
une certitude - on assistera à un développement extrêmement fort de l’aire urbaine. Les
dernières statistiques montrent que l’accroissement actuel de population sur l’aire urbaine
est de l’ordre de vingt mille habitants supplémentaires par an. Une partie provient d’un
surplus de natalité par rapport à la mortalité. Sur les quinze prochaines années on prévoit
d’accueillir trois cent mille habitants. Il est préférable de compter large, (qui peut le plus
peut le moins - si c’est moins c’est plus facile). Si on se préparait pour un accroissement
de cent cinquante mille personnes et que trois cent mille se présentent, on ne pourrait plus
rien contrôler.
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Pour la partie centrale nous prévoyons de construire neuf mille logements par an. Pour
l’ensemble de l’aire urbaine, ce sera douze mille logements par an. Nous ne parlons pas
seulement de l’accueil de populations nouvelles et du nombre de logements prévu pour le
nombre de familles qui arrivent, mais nous prenons la problématique dans son ensemble.
Il faut aussi tenir compte du fait que l’on vit plus longtemps, et que de plus en plus de
personnes âgées veulent rester le plus longtemps possible chez elles. Il y a davantage de
familles monoparentales, suite à de plus nombreuses séparations de couples : la façon de
vivre a évolué. Les enfants quittent le foyer familial et ont besoin de trouver un logement,
phénomène de la décohabitation. On parle de besoins diversifiés, mes collègues développeront peut-être ce sujet dans le détail.
Autre thème important : le développement territorial polarisé
Arrêtons de napper les territoires, arrêtons de faire grossir indistinctement tous les villages, quel que soit le village, quel que soit sa situation : c’est une question compliquée
à régler. Certains territoires doivent d’évidence accueillir plus d’habitants que d’autres
parce qu’ils ont tous les atouts pour cela.
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Le territoire le plus favorisé est incontestablement la ville de Toulouse, la ville-centre,
le cœur. Le cœur dispose de tous les avantages et aussi de toutes les difficultés. Il est le
mieux placé pour offrir de l’emploi de manière significative, et des services de manière
maximale, tous les grands services, santé, éducation, activités culturelles. Il est au centre
du réseau de transport public, c’est indiscutable pour Toulouse depuis qu’il a la croix du
métro, un système de déplacement extrêmement rapide et performant. Viennent ensuite
les villes de première et de deuxième couronne, des communes de vingt-cinq à trente
mille habitants, qui ont la particularité de disposer du « triptyque magique » : services,
transports, emplois. Ce sont aujourd’hui des pôles intermédiaires indiscutables. Quand on
a, à la fois, la proximité habitants-emploi, des moyens de locomotion rapides avec le cœur
d’agglomération et avec les villes moyennes proches, et un niveau de services important,
on a toutes les conditions pour satisfaire aux enjeux de durabilité du territoire. Être peu
consommateur d’espace rural, peu consommateur d’énergie, de ce point de vue-là, ces
territoires ont des avantages indiscutables.
Nous avons ensuite la zone péri-urbaine, où le développement, trop souvent, a été anarchique. Certaines communes se sont développées, d’autres pas, sans cohérence avec leurs
moyens et leur localisation sur le territoire. Dans cette zone, seules les localités satisfaisant aux critères de qualité pourront continuer à se développer. Les villages qui n’ont pas
ces avantages devront avoir un développement mesuré. Leur développement ne sera pas
bloqué, mais mesuré, pour éviter les dérives de consommation exagérée de l’espace.
L’acceptation de ce plan, qui paraît simple, représente des heures de négociation. Mettre
d’accord quatre cent cinquante élus, quatre cent cinquante populations d’habitants derrière ces élus, représente une tache extrêmement compliquée. Il faut se résoudre à dire à
certains d’entre eux qu’ils ne remplissent pas les conditions et que leurs possibilités de
développement sont très réduites. Cependant, ces dernières années, les signaux d’alarme
ont été tellement forts, la difficulté a été tellement grande que, même sur les territoires
défavorisés, la plupart des élus ont pris conscience de la problématique. Force est de
constater que, de plus en plus, ceux qui achètent en périphérie sont ceux qui n’ont pas la
possibilité financière de se loger en centre-ville ou en première couronne. Mais dés l’instant où se pose un problème d’emploi survient la difficulté à financer un véhicule, la difficulté à se déplacer. Nombre de familles sont aujourd’hui en très grande difficulté sur des
territoires péri-urbains. Très peu de solutions à apporter puisque ces gens se sont endettés
pour construire et ne peuvent plus maintenant revendre parce qu’il n’y a plus d’acquéreur.
C’est un sujet majeur : il faut accueillir l’activité économique et l’emploi, et les coordonner en faveur d’un meilleur équilibre habitants-emplois. Si on veut avoir des territoires
polarisés, il faut trouver en matière économique des ententes entre le centre et la périphérie, pour que tout ne vienne pas au centre.
Comment mettre en œuvre ces principes ?
Il convient, malgré quelques projets en cours, d’abandonner le concept de grandes surfaces, et de revenir à l’implantation de commerces de proximité (jusqu’à 4 000 à 5 000 m²
de surface commerciale) sur des communes qui peuvent rayonner sur d’autres communes
proches. On n’est pas obligé de mettre tous les commerces en première couronne, dans
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des hyper-marchés (des systèmes qui atteignent cent mille mètres carrés de surface commerciale) qui entraînent beaucoup de kilométrage en voiture particulière. On peut s’organiser différemment, et on a déjà commencé, même si en ce domaine il reste beaucoup
à faire.
Même combat pour l’entreprise : inutile que toutes les entreprises soient au centre. Au
centre on gardera seulement les fonctions de recherche, le commercial, le marketing pour être proche de l’avion ou, demain, du train rapide. Les fonctions de production ontelles obligation d’être au centre ? Bien sûr que non. On peut s’organiser de sorte que les
entreprises se répartissent sur des territoires périphériques bien structurés. Des entreprises
ont déjà appliqué cette politique, il faut l’encourager. Les élus des zones centrales euxmêmes doivent encourager cette tendance. Pour résumer, il faut donc renforcer l’accessibilité, améliorer la cohérence de l’urbanisme et des transports. Appliquer une politique
de transports performants qui permette d’alimenter les pôles périphériques. Valoriser le
patrimoine, économiser les ressources, garantir la santé publique. Favoriser le développement en s’appuyant sur le principe de cohérence urbanisme/transport. Faire précéder
le plus possible l’urbanisme par le transport : c’est ce qui a été tenté sur Blagnac avec le
projet Aéro-constellation. On démarre en installant le tramway et on construit autour du
tramway, et non pas l’inverse comme on a fait dans le passé. Instaurer un nouveau modèle de déplacement multi-modal. Pour le lien urbanisme-transport, développer en même
temps la vision urbaine et la vision des transports, enjeux majeurs d’aujourd’hui.
L’idée fondamentale est que l’essentiel de l’effort soit concentré sur la partie agglomérée
centrale, ville centre et première et deuxième couronnes. Aujourd’hui, pour la ville-centre
on peut imaginer un potentiel de cent mille habitants supplémentaires, et un peu plus en
première et deuxième couronne, (ce qu’on appelle la ville intense, j’y reviendrai). Audelà, en périphérie, 20 à 30 % de l’accroissement seront réservés au développement mesuré. Le principe du développement par polarisation est un principe majeur. Il comporte
l’obligation de procéder à un rééquilibrage habitants-emplois des territoires, processus
qui passe par des négociations délicates.
La couronne verte
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L’idée est de retrouver une limite au territoire urbain. Ce qui est aujourd’hui catastrophique dans nos territoires, c’est qu’on ne sait jamais quand on sort de la ville. On prend
une route départementale, on a l’impression de sortir, mais non, on se trouve dans la ville
suivante. Il n’y a pas de rupture. On aboutit à une espèce de mitage et finalement on ne
sait pas, à aucun moment, si on est encore dans l’urbain ou si on est dans le rural… On
invente des mots, le rurbain par exemple, mots qui, plutôt que de proposer réellement des
solutions, traduisent une difficulté conceptuelle.
Les espaces protégés
Pendant des années, les urbanistes se posaient en premier la question : où pose-t-on le
développement économique : aviation, espace… ? Ensuite, en deuxième : où pose-t-on
l’habitat ? On fixait des zones, des secteurs. On délimitait un carré, tant d’hectares, on
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décidait du nombre d’habitants. On programmait de l’urbanisme. Puis on découvrait
l’existence d’espaces interstitiels dont on ne savait quoi faire et, faute de mieux, on les
appelait « des jachères ».
Le SCOT renverse totalement la perspective et part d’abord des espaces à protéger. On
repère d’abord les forêts, les bords de rivière… On délimite des espaces à protéger, à
protéger de manière définitive. C’est un point nouveau important : aucun document d’urbanisme ne pourra revenir sur ces grands secteurs à protéger. Puis on repère les espaces
agricoles péri-urbains de qualité, qui seront également préservés. Ce n’est plus de l’espace libre dont on peut disposer à volonté. On considère la qualité agronomique des sols,
et on va réserver de grandes portions de territoire de valeur qui pourront être exploitées
sur le long terme. Bien entendu des poches d’agriculture qui subsistent disparaîtront, trop
petites pour pouvoir faire fonctionner une activité viable. L’ensemble de ces secteurs
protégés va constituer la couronne verte, en limite entre l’espace urbain et l’espace rural.
L’idée est que l’on puisse ressentir, à un endroit donné, que l’on quitte la ville en traversant un secteur de couronne verte qui peut être agricole, une forêt ou autre zone verte. Ce
secteur ne sera pas aménagé, ni en habitat, ni en terme de développement économique.
Cela n’exclut pas les communes de cette zone. Elles y auront un rôle significatif. Ce
concept nouveau a été accepté par tous les acteurs du territoire, à condition que se mettent
en place des solidarités, des intercommunalités qui permettent aux communes situées en
couronne verte de fonctionner.
La ville intense
La ville intense a pour vocation d’accueillir des d’habitants en grand nombre, d’accueillir
des équipements de développement économique, et d’être reliée par des systèmes de
transports performants. Ses contours peuvent, bien sûr, évoluer dans le temps. On réserve
des zones prévues pour le développement économique à venir, au fur et à mesure que les
infrastructures s’étendront. Les zones de ville intense se répartissent autour des lignes de
communication, métro, bus etc. Mais également autour des lignes de chemin de fer : les
arrêts de train dans la région de Muret, la gare de Baziège, la même chose pour L’isleJourdain. La notion de ville intense cristallise le choix volontariste d’une ville compacte,
une détermination bien plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Le développement par quadrant de développement économique
On retrouve le secteur aéronautique, le cancéropole, la zone de Labège, la zone de BalmaGramont. Quatre grands pôles d’emploi existants. Puis les secteurs que nous souhaitons
créer autour de polarités de deuxième couronne, c’est-à-dire Colomiers, Tournefeuille,
Balma, Saint-Orens ; ou des polarités plus lointaines : Baziège, Muret, L’Isle-Jourdain,
Castelnau-d’Estrétefonds ou Saint-Sulpice. Une perspective d’organisation autour de
quatre grands territoires, pour la partie centrale, et, en périphérie, des zones de développement en quadrant, autour de polarités qui se développeront par la suite.
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Les transports
L’ensemble des thématiques est récapitulé par le réseau de transport. Point fondamental :
le maillage des transports dans la ville intense. Un maillage de transports cadencés : un
quart d’heure d’attente maximum, et quatre à cinq minutes aux heures de pointe, deux
minutes pour le métro. Un quadrillage serré sur la ville intense auquel se rajoutent, en
périphérie, des systèmes en site propre, tramways ou trains, qui permettent de relier les
pôles secondaires entre eux.
Conclusion
La grande nouveauté du système SCOT est le principe de pilotage. Non seulement on se
donne des objectifs, mais tous les plans locaux d’urbanisme doivent être conformes à ce
schéma de cohérence territoriale. Les élus, entre eux, régulent les opérations en autorisant
des aménagements ou en refusant des extensions et des développements qui ne sont pas
conformes. Le principe du pilotage donne une grande puissance à ce système.
Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un programme de planification urbaine. Les schémas présentés et leur déclinaison à venir en termes réglementaires ont très peu de chances
de s’appliquer tels quels. Le monde ne se fait pas à partir d’une planification. L’intérêt
d’une planification d’ensemble est qu’elle permet d’organiser la pensée, d’organiser les
équipements publics, d’organiser et de structurer la réflexion entre collectivités. Mais, ce
qui se fera en réalité, dépendra des choix et des mises en œuvre réalisés par les hommes
et les femmes des 20 prochaines années.
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Pour que les choses puissent se mettre en place correctement, il faut que les habitants en
viennent à comprendre la pertinence du schéma de structuration du SCOT. Il n’est pas si
simple de dire à des gens dont le modèle, l’aspiration, est de s’établir avec leur famille
dans un petit pavillon sur un bon terrain, que demain la politique à mettre en œuvre est
une organisation de ville compacte, de ville avec des services et des transports. Ce n’est
pas le rêve du Toulousain ou de l’habitant de l’agglomération toulousaine. Nous avons
un grand pas à faire entre la vision technique et stratégique de l’urbaniste, et la vision
qui correspond aux aspirations humaines ordinaires. Pour que cela puisse fonctionner, il
faudra que, petit à petit, au fil du temps - beaucoup de sujets d’actualité nous y préparent
- s’introduise l’idée qu’il faut revenir vers le modèle qui était celui de la ville européenne
d’autrefois, le modèle d’une ville compacte.
Daniel Leclerc
La dernière livraison de l’hebdomadaire Télérama, titrée « Halte à la France moche »
et illustrée par une photo en double page de Portet-sur-Garonne, est accompagnée du
commentaire suivant : échangeurs, lotissements, zone commerciale, depuis 50 ans la ville
dévore la campagne, une fatalité ? Non, le résultat de choix politiques et économiques.
Le point central développé sera donc celui du développement et de l’habitat durable.
Ce n’est pas seulement une question énergétique, mais aussi celle de la préservation de
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l’environnement et de cette ressource particulièrement rare qu’est le sol, de la réduction
de l’impact des déplacements, de la cohésion sociale. Enfin l’économie d’énergie et la
préservation de la santé dans le logement, deux questions, essentiellement techniques
et financières qui posent aujourd’hui de graves problèmes, ne seront pas abordées dans
l’exposé (mais peut-être au cours du débat ?) afin de laisser du temps pour traiter des
autres thèmes qui eux posent le problème politique de la transformation de notre société.
Premier enjeu : Comment loger tous les ménages à un prix acceptable
et dans des conditions décentes ?
Question primordiale pour l’habitat de demain qui repose sur deux observations banales :
d’abord, le logement est, pour l’intégration sociale des individus, un bien essentiel, reconnu dorénavant par la loi qui a institué le « Droit au logement opposable » (DALO).
Mais c’est un bien très coûteux, à tel point qu’une bonne majorité des ménages ne peut y
avoir accès sans les aides publiques. Je reviens d’un périple en Afrique, où l’on constate
qu’un logement décent est hors de portée d’au moins 90 % de la population. L’Europe
n’en n’est pas encore là, mais cela montre l’ampleur des difficultés. Ensuite, le secteur du
bâtiment et des travaux publics représentant une part très importante (20 % ?) du PIB, on
peut s’interroger : est-ce que les politiques du logement sont orientées vers la satisfaction
des besoins ou vers le soutien à un secteur clé de la croissance économique ? J’aurais
tendance, pour ma part, à pencher pour la deuxième hypothèse, au vu des lacunes étonnantes constatées depuis des décennies dans les diverses politiques publiques (déclaration
de Christine Boutin, la semaine dernière sur Antenne 2, confiant que lorsqu’elle faisait
partie du gouvernement, les questions de logement n’intéressaient strictement personne).
Le constat du mal-logement
Sur le logement des moins favorisés dans l’aire urbaine toulousaine, une étude INSEE de
juillet 2009, fort opportunément, traite de l’influence de la pauvreté sur le choix du logement. On rappelle que le seuil de pauvreté est de 800 euros par Unité de consommation,
et que celui concernant les ménages dits « modestes » se monte à 1 000 euros ; ces deux
catégories représentent 1/3 de la population totale en France et aussi en Midi-Pyrénées, et
sont constituées de jeunes ménages actifs, de personnes seules et de familles monoparentales. Elles « bénéficient » (noter les guillemets !) de logements plus anciens et plus petits
que la moyenne : 20 % de surface en moins, 2 fois plus souvent de logements de mauvaise
qualité selon les normes de la Loi SRU (qui n’évoquaient pas de qualité écologique et
de performance thermique), logement en suroccupation selon une fréquence 8 fois plus
élevée, aucune perspective de mobilité résidentielle ascendante. Ces ménages subissent
5 fois plus souvent des déménagements « contraints », c’est- à -dire expulsions, démolitions, et sont pourtant moins logés en logement social que la moyenne française à cause
de l’insuffisance du parc HLM. Enfin et surtout, ces 2 catégories fournissent un taux
d’effort financier pour se loger de 2,4 fois supérieur à la moyenne (le taux brut avant les
aides est de 51 % des revenus et concerne, sur le pôle urbain de Toulouse, 33 % des ménages). Après les aides publiques, les ménages pauvres et modestes y consacrent encore
38 % de leurs ressources, à comparer aux 15 % des autres catégories. Cette situation n’est
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pas spécifique à Toulouse mais elle la place parmi les grandes agglomérations les moins
favorisées. Pourquoi ? Insuffisance du parc social et action publique peinant à rattraper
le retard, expliquent que la région Midi-Pyrénées est la dernière de France en terme de
densité de logement social (2 fois plus faible) avec une ville-centre qui n’atteint pas et de
loin les 20 % de logements sociaux, et les communes périphériques se situant entre 0 et
10 %. La conséquence est une file d’attente de 30 000 ménages pour 6 000 attributions, et
une file d’attente de 5 ans en moyenne, moins importante, certes, qu’en région parisienne.
Et pour finir avec ces chiffres, nécessaires pour mesurer le chemin à parcourir, l’enquête
INSEE conclut sur le rapport entre les 140 000 ménages pauvres ou modestes du pôle
urbain et les 55 000 logements sociaux (en accroissement annuel de 1 500 à 2 000). On
mesure donc le chemin à parcourir sur cette agglomération.
L’analyse de la production immobilière
Ce constat du mal-logement est à rapprocher de l’analyse de la production immobilière
des dernières années : 10 000 à 12 000 logements produits selon les chiffres rappelés par
Claude Raynal, au moins la moitié de maisons individuelles en secteur diffus accessibles
aux ménages possédant des revenus moyens à élevés, le reste (4 000 à 5 000 logements)
relevant de la promotion immobilière organisée dont 80 % destinés à des investisseurs
locatifs (loi De Robien, amendement Sellier…) qui pratiquent des loyers de l’ordre de
600 à 800 euros pour un T3 ; le solde représenté par les HLM (entre 1 000 et 2 000) donne
une proportion d’un logement social pour huit privés environ.
Autrement dit, 80 % de la production immobilière sur cette agglomération s’adressant à
moins de la moitié des ménages, n’y a-t-il pas là un dysfonctionnement de la politique
du logement ? D’un côté, la politique d’accession à la propriété voulue par l’État, notamment avec les prêts à taux zéro qui succèdent aux PAP, alimente le phénomène des
déplacements urbains en privilégiant la maison individuelle ; de l’autre côté la préférence
marquée de l’État pour le soutien au secteur de l’investissement locatif pousse à la hausse
des loyers privés et conduit à l’édification d’un parc locatif là où la demande est inexistante ou insolvable. Cette double observation explique la dramatique insuffisance d’offres
aux ménages pauvres ou modestes et pose la question de la mise en œuvre d’une réelle
politique du logement.
Créer une véritable politique du logement
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Le Conseil d’État (rapport de juin 2009) souligne la nécessité pour l’État d’évaluer
l’impact de ses décisions, de pointer les défaillances du Marché et de tenter d’y porter
remède, ce que l’on pourrait appeler « créer une véritable politique du logement ». Le
rapport évoque trois pistes de réflexion pouvant irriguer le débat : - La suppression de
tout contrôle public des loyers en dehors de la région parisienne est insoutenable dans la
durée. - L’attribution intégrale de la plus-value foncière aux propriétaires du sol n’est pas
durable, alors que c’est la collectivité qui crée, par ses investissements, la valeur foncière.
- Le point d’équilibre entre le parc locatif privé et le parc social n’est pas satisfaisant. Ce
dernier point s’avère crucial si l’on prend en compte le rapport coût/efficacité sociale mis
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en évidence par l’Union Nationale des HLM, source que certains pourront juger partiale
mais que je cite : un logement défiscalisé type De Robien ou Sellier coûte au budget
de l’État, chaque année, 3 000 euros, alors qu’un logement social coûte 1 200 euros. Les
contreparties sociales de l’effort financier de la collectivité sont-elles comparables ? Enfin, le Conseil de l’Union Européenne critiquait, dans une décision de juin 2008, l’insuffisance manifeste en France de l’offre de logements aux ménages les plus pauvres.
Et je pose dès maintenant, pour le débat qui suivra, une question à Claude Raynal : estce que les collectivités locales pourraient suppléer les défaillances de la responsabilité
de l’État ? Dans notre région, elles n’en n’ont pas les compétences, même si quelques
parcelles de pouvoir sont déléguées à l’intercommunalité qui attribue les crédits de l’État
au logement.
Deuxième enjeu : comment accueillir de manière durable la croissance
démographique urbaine de cette agglomération et comment l’inscrire
dans l’espace ?
Quelques chiffres de l’AUAT (Agence d’urbanisme de l’aire de Toulouse) jalonnent une
perspective longue : entre 1975 et 1990, la consommation d’espace a été de 1 000 hectares par an, doublant la superficie de Toulouse (de 12 000 à 24 000). Cette consommation
est passée entre 1990 et 2010 à 1 500 hectares par an, portant (approximativement, en
l’absence de chiffres officiels sur la deuxième période) la superficie urbanisée à 50 000
hectares. Donc moins de deux générations auront consommé 4 fois plus d’espace qu’en
2 000 ans. La maison individuelle, pour sa part, consomme dix fois plus d’espace que
l’habitat dense collectif : en 2001 précisément, 845 hectares affectés, contre 56 hectares
seulement pour le collectif. Ce fait est général en France où 1 % du territoire foncier a été
mangé par l’habitat individuel en 12 ans. En combien de temps s’effectuera la transformation des 99 % restants ? Par rapport aux autres grandes métropoles, Toulouse possède
une densité urbaine très faible, (la moitié de celle de Marseille ou de Lyon) et inscrit une
forte préférence de 2 ménages sur 3 pour l’habitat individuel en Midi-Pyrénées. Cette
particularité entraîne une croissance non maîtrisée, et peut-être d’ailleurs non maîtrisable,
des déplacements en véhicules individuels, et des difficiles mises en place des politiques
de transports collectifs face à l’étalement urbain (traité dans la conférence sur les transports). L’attrait pour l’habitat individuel conjugué à un fort rejet du collectif type banlieue
imprègne durablement les mentalités collectives.
Au-delà des volontés publiques, deux éléments conjoncturels pourront peut-être améliorer cette tendance : avec la réduction de la taille moyenne des ménages, (de 2,5 personnes
par ménage aujourd’hui, on passerait à 2 en 2030 selon l’INSEE avec 45 % de ménages
de Midi-Pyrénées constitués d’une seule personne) il y aura moins de logements T4 par
exemple, et plus de petits logements dans des collectifs ; et une éventuelle augmentation
du prix de l’énergie rendrait inabordable les implantations en périphérie : effectivement,
en 2008, une alerte s’est produite sous la forme d’une chute des ventes de terrains en
lotissement, mais elle ne s’est pas reproduite.
Des tendances lourdes sur la spécialisation des territoires ont été observées, (et ce n’est
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
59
CLAuDE RAyNAL - DANIEL LECLERC - JEAN MANuEL PuIG
pas un hasard), par des universitaires toulousains : fragmentation, « gentryfication » (embourgeoisement où les élites sociales se mettent à distance des classes moyennes), éloignement des classes moyennes dans les secteurs pavillonnaires périphériques (un moyen
pour se mettre à distance des banlieues) ; et enfin relégation des populations pauvres,
précaires ou issues de l’immigration dans les grands ensembles d’HLM et de collectifs
dégradés. Cette triple organisation du repli communautaire devrait nous inquiéter davantage sauf à imaginer un modèle de développement séparé pour chacun de ces territoires.
Nous sommes en présence d’une fracture sociale continue et croissante préparant une
menace décisive pour le développement et l’avenir de notre agglomération.
Que faire ?
Que faire, alors ? Exactement l’inverse de ce qui a été fait depuis 20 ans, parce que depuis
20 ans, prédomine le jeu du Marché avec une nette tendance à l’exagération des tendances
nationales. D’autres agglomérations comme Montpellier ou Rennes n’ont pas subi à la
même échelle, une telle défaillance de la régulation publique du marché de l’immobilier
et du foncier.
La gouvernance de l’agglomération
En premier lieu Il faut poser la question de la gouvernance de l’agglomération (pôle urbain de 860 000 habitants, 72 communes) et de son organisation au sein d’un millefeuille
institutionnel singulièrement complexe :
- au centre la CUT (communauté urbaine du grand Toulouse), 2 ou 3 communautés d’agglomérations, de nombreuses intercommunalités de gestion et 9 communes indépendantes ne relevant d’aucun groupement
- puis en allant du centre à la périphérie, l’Aire Urbaine (342 communes dont au moins
50 % n’appartiennent à aucune intercommunalité) pose un redoutable problème de pilotage sachant que 125 d’entre elles ne possèdent aucun document d’urbanisme. En outre
l’aire urbaine s’étend sur 2 régions et 5 départements, on aura compris que son président
Claude Raynal est face à un défi d’une certaine ampleur.
- l’aire métropolitaine (1,3 million d’habitants) obtenue par ajout des villes moyennes
proches : Albi, Auch, Montauban, Pamiers, Castelnaudary.
60
Certes , les documents d’orientation existent : pas moins de 4 SCOT sur l’aire urbaine et
même une charte INTERSCOT… mais il est en effet singulièrement difficile d’organiser
et de coordonner le développement urbain d’un ensemble institutionnel aussi complexe
surtout lorsque l’on sait que chaque maire conserve le droit des sols, le droit de délivrer
les permis de construire, clé de l’étalement urbain. Il s’agit pourtant d’infléchir des tendances sociétales lourdes comme le développement urbain anarchique, cela demande une
volonté politique sans faille et une gouvernance appropriée ce qui est tout le contraire
d’une « politique au fil de l’eau ».
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
La régulation foncière
J’ai évoqué la gouvernance de l’agglomération, il faut mentionner l’un de ses aspects
stratégiques, celui de la régulation foncière. Un dispositif réglementaire existe, permettant d’inscrire des contraintes de mixité dans les plans d’urbanisme sous la forme de
pourcentage minimum de logements sociaux, de créer des ZAD (zone d’aménagement
différé) pour maîtriser à long terme le foncier, de créer des ZAC (Aménagement concerté)
pour le court terme, et de mettre en place un établissement foncier pour créer des réserves,
(d’ailleurs réalisé).
Ces différents leviers ont été plus ou moins actionnés pour affronter deux phénomènes
simultanés et opposés : malthusianisme de certains territoires fermés à toute urbanisation, et prolifération de lotissements de maisons individuelles dans d’autres. Encore aujourd’hui, 5 logements sur 6 au moins sur l’agglomération sont réalisés en dehors de toute
opération publique d’aménagement. Il est vrai qu’une politique foncière peut s’avérer très
coûteuse pour une collectivité : par exemple, le différentiel entre le prix du foncier additif
pour le logement social et le prix du marché représente environ 20 000 euros par logement
construit, à comparer avec l’aide au foncier attribuée par le grand Toulouse, de 700 euros ! La régulation doit donc intervenir massivement et très en amont pour être efficace,
comme dans les agglomérations comme Montpellier. Les promoteurs privés sont loin
d’être opposés à cette régulation publique parce qu’elle favorise la maîtrise des prix du
foncier (20 à 30 % du coût total) et évite les surenchères éhontées entre eux pour obtenir
les terrains nécessaires à leurs opérations.
Conclusion provisoire
L’espace se raréfie au centre, il doit être protégé et économisé sur ses marges, on ne peut
s’en remettre au libre jeu du marché pour organiser le développement démographique et
urbain de l’agglomération et pour atténuer les inégalités entre territoires ou individus. Le
dit marché au contraire, en favorisant la fragmentation du territoire, ne peut que creuser
ces inégalités. Il est faux de penser que, par simple effet mécanique, le développement
global, s’il se poursuit, parviendra à incorporer l’ensemble des ménages. Il faut remettre
à l’ordre du jour une vraie politique de régulation : dans d’autres pays européens, elle incombe aux Régions. L’espace est notre bien commun, cela exige, de la part des différents
niveaux de décision, qu’il soit désormais préservé.
61
Jean Manuel PUIG
(non relu par le conférencier)
En accord consensuel avec les deux précédents intervenants sur leur analyse, j’orienterai le débat sur la stratégie elle-même. Sans revenir sur les vecteurs de la croissance
de Toulouse : son attractivité, le doublement de sa population, (le nombre de demandes
de permis de construire est le double de celui des autres métropoles), il est à noter que,
l’urbanisation étant un phénomène tiers-mondiste, Toulouse, parmi les grandes villes des
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
CLAuDE RAyNAL - DANIEL LECLERC - JEAN MANuEL PuIG
pays développés, s’en détache en termes de croissance. L’environnement, le mode de vie,
la convivialité jouent un rôle important : le profil climatique toulousain est semblable
à celui de la Silicon Valley, on retrouve ici cette « sun belt » (Ceinture ensoleillée) des
grandes villes américaines (Atlanta, Houston, Dallas), avec la piscine au fond du jardin,
la voiture devant la maison, caractérisant le plaisir suburbain, avec ses conséquences
catastrophiques. L’attractivité, due au développement des technologies du vingtième
siècle, notamment de l’Espace, et élargie jusqu’à l’Aquitaine, positionne Toulouse dans
le monde de la recherche aussi bien économique que spatiale.
Un regard extérieur (un reportage récent de Newsweek International) place Toulouse dans
les dix villes les plus dynamiques du monde. Cette situation privilégiée est due à dix
ans de conditions exceptionnelles se transformant en une urbanité de qualité sociale et
spatiale. Se poser la question de savoir comment s’est produite cette transformation permettrait d’affronter l’horizon 2030 et ses 33 % d’augmentation de population : en quoi
sa beauté, sa prospérité, sa croissance constituent-elles de nouvelles matières urbaines ?
L’augmentation de population s’effectue de manière horizontale, réduit les surfaces
consacrées à l’agriculture, et dilue les frontières de la ville en obscurcissant la notion de
limite. Une comparaison avec l’année 1962 montre un centre stable sans augmentation de
population et une banlieue périphérique s’accroissant de 437 %, et révèle un changement
profond de la « morphologie urbaine » avec une périphérie diffuse et même informe sans
centre et sans campagne (ni-ni), opposée à la formule de C. Raynal d’« installer les villes
à la campagne ».
62
Cela commence à influer sur l’image et l’identité de la ville, la beauté et la cohérence du
cœur historique, son matériau (ville rose), mais aussi les nouveaux creusets constitués
par les villes de banlieue et leurs nouvelles populations. Il s’ajoute ainsi à l’effet dévastateur sur le paysage de l’étalement anarchique, la dégradation de l’identité historique
toulousaine ou régionale. Les positions stratégiques conquises par les hypermarchés ne
constituent pas des centres de vie ni des polarités urbaines. De même, les Zones d’activité
reliées aux réseaux routiers forment le moteur économique sans constituer le relationnel
urbain. A partir de la vision du Toulouse d’aujourd’hui, réaliste et non plus idéale, car
transmise et véhiculée, quelle sera cette vision dans vingt ans ? Pourra-t-elle assumer son
héritage et sa modernité ? Des grandes villes européennes d’importance régionale et de
puissance économique comparables, telles Manchester, Amsterdam, Munich… se sont
investies depuis plusieurs années dans une forte vision urbaine, soutenue par un sentiment
affirmé de leur identité contemporaine, et bénéficient d’une certaine avance en termes
d’urbanité sur notre agglomération.
En accord avec la stratégie alternative de la présentation de C. Raynal, il faut en plus se
poser la question du SCOT : n’est-il pas simplement la projection dans l’avenir des
conditions actuelles ? (si bien décrites par D. Leclerc). Quelle volonté politique mettre
en œuvre pour transformer cet outil en une véritable stratégie ?
Ce schéma du SCOT identifie des polarités importantes, comme la dualité des vides nécessaires au fonctionnement des pôles : l’exemple londonien de stratégie spatiale initiée
en 2004 par son maire Ken Livingstone montre en trois points les pôles d’opportunité, les
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
zones d’intensification et les secteurs de régénération, avec une quantité de programmes
minimums nécessaires à leur attractivité. Au travers de ces nœuds et de ces interactions,
la construction de ces cœurs et de ces centres nécessaires à cette intensité urbaine est
une question : on peut faire la comparaison du sable qui, s’accumulant dans l’huître, la
congestionne pour finalement produire de nouvelles perles. Au point où notre agglomération est parvenue de son étalement et de sa diffusion, il est urgent de créer ces polarités
d’intensité urbaine. Connexion des réseaux, jonction des flux, mixité programmatique
(alliant logements, commerces, transports) montrent l’importance de la densité (mot que
l’on aime manipuler avec prudence !) et de la masse critique nécessaires pour que ces
pôles puissent devenir générateurs d’attractivité environnementale. En parallèle avec la
question des vides, la préservation d’éléments naturels permet à la densité de s’étoffer
selon les lignes de métro et vers les grands sites de recherche et d’industrie, constituant
ainsi les points forts d’intensification de l’agglomération. Le schéma d’organisation doit
prendre en compte les potentialités naturelles représentées par le paysage urbain et les
superposer aux polarités précédentes en une constellation.
Débat
(non relu par Jean Manuel Puig)
Un participant - Vous avez l’air de considérer qu’une augmentation de l’ordre de 30 %
de la taille de l’aire urbaine est inévitable dans les vingt ans à venir. Un schéma régional
ne pourrait-il pas faire en sorte que les villes moyennes de la région retiennent une partie
de cette migration vers Toulouse ?
Deuxième question : Pour éviter le scénario catastrophe, pouvons-nous compter uniquement sur la puissance publique, dont on sait que les moyens d’action ne sont pas extensifs, et qui va se heurter aux tenants de la propriété individuelle ? Ne faudrait-il pas lancer
un grand mouvement auprès des citoyens en posant la question : Que pouvez vous faire
dans vos décisions de tous les jours quand vous choisissez un logement, quelles sont les
possibilités à votre niveau pour éviter le scénario catastrophe ?
Claude Raynal - Le schéma prévoit effectivement qu’une partie de la population soit
accueillie par les villes moyennes proches. Cependant il faut bien voir que cette préconisation existe déjà depuis prés de 30 ans. Mais les constats, pour ces dernières années,
ne sont pas bons. Si on veut vraiment renforcer ces communes il faut mettre en place,
avec elles, une puissante dynamique de projet concernant en particulier l’emploi. Ce sont
souvent des villes d’origine administrative qui ont au fil du temps perdu leur activité
administrative.
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
63
CLAuDE RAyNAL - DANIEL LECLERC - JEAN MANuEL PuIG
Depuis qu’elles existent, les politiques d’équilibre ne sont pas parvenues à obtenir un
développement des villes moyennes. Elles ont aux mieux préservé l’état antérieur. On
doit donc rester modeste et se focaliser sur des polarités d’importance intermédiaire entre
les villes proches et la ville centre. C’est le cas de Grenade et Castelnau-d’Estrétefonds
au Nord, de Saint-Sulpice-sur-Tarn au Nord-est, de Villefranche-de-Lauragais et de Castelnaudary à l’Est, de Carbonne au Sud, de l’Isle-Jourdain à l’Ouest. Ces villes ont déjà
des développements autrement plus importants que les villes moyennes proches. Il ne faut
pas pour autant abandonner les autres, il faut conserver cette volonté et travailler pour se
donner des outils qui conviennent, ce qui est très complexe.
Sur la deuxième question, je peux dire que le mouvement des citoyens est déjà en marche.
Quand je suis devenu maire en 1998, j’ai fait ma première réunion publique sur le thème
de la densité : « On va densifier Tournefeuille ». À l’époque il y avait beaucoup à faire !
Entre cette première réunion et la dernière que l’ai faite cette année à ce sujet, l’acceptation ou la compréhension du problème ont beaucoup progressé. Ce n’est pas dû uniquement au fait qu’une équipe municipale porte le sujet.
Partout il y a une compréhension sur les conséquences de l’éparpillement au niveau des
transports, du coût de l’énergie, ainsi que sur l’urbanité, sur le « vivre ensemble ». Un
village étalé n’existe pas, un village étalé est une véritable horreur. Si un cœur de village
ne se constitue pas, les gens ne se sentent pas bien. On ne se sent pas bien dans un système dans lequel on est un pavillon parmi mille autres, ou dix mille autres. Cela crée une
ambiance insupportable. On aspire tous à un moment donné à se retrouver en ville. Une
avancée considérable sur la prise de conscience de ces problèmes provient des discussions sur le développement durable, sur la question énergétique, sur les transports, et cela
amène à espérer pouvoir avancer plus vite.
64
Martine Croquette, Maire adjointe au logement à Toulouse et vice-présidente à l’agglomération. - Je voudrais revenir sur la question du foncier, qui à mon sens est le « pétrole »
de l’urbanisme et du logement. Tant que nous aurons un encadrement législatif tel qu’aujourd’hui, qui, avec les lois Cellier en particulier, tend à défiscaliser plutôt qu’à investir
dans la puissance publique, ce sera un frein majeur à la construction et notamment à la
construction de logements sociaux. Certes on a des outils avec les ZAD, les ZAC, les
préemptions… Mais certaines personnes profitent de ces dispositifs pour faire monter
les coûts du foncier. Cela met la puissance publique devant un réel problème pour lever
les obstacles, pour acheter du foncier, pour produire du logement, logement social entre
autre. L’encadrement législatif actuel constitue une limite objective et cela dépend de
l’État. Les collectivités locales sont impuissantes, sauf à prendre des dispositions qui
augmenteraient considérablement les impôts. Il s’agit d’un enjeu politique et non d’un
problème technique.
En ce qui concerne le logement social, nous avons à faire un travail de réhabilitation. Ce
secteur a une mauvaise image. Quand on parle de densifier, on réveille cette mauvaise
image. On a été mauvais pendant plusieurs décennies pour la production de ce genre
d’habitat, sur sa conception, sur la façon dont l’espace a été occupé. Aujourd’hui on
paye pour cette médiocrité. En même temps nous sommes dans une société où quasiLES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
ment 70 % de la population est éligible pour entrer dans un logement social. Réhabiliter
représente donc un enjeu majeur. On se trouve maintenant devant une nécessité absolue
de reprendre tout cela avec d’autres conceptions, en ménageant des espaces consolidés,
en tenant compte de la proximité avec d’autres habitats et avec des activités autour. On a
quelques exemples à Toulouse qui commencent à se dessiner, le projet de la Cartoucherie
pour commencer, d’autres suivront
Des quartiers comme Lalande et des quartiers Nord de Toulouse sont des territoires en
mutation. D’une activité de maraîchage, avec peu d’habitations écartées les unes des
autres, on passe à une occupation urbaine importante. Ce n’est pas simple. De telles mutations demandent une adhésion de la population. Il faut concevoir que l’on n’évolue pas
forcément vers un habitat dégradé et qu’on peut vivre ensemble très correctement dans
ces quartiers nouveaux. Cela prend du temps.
D’autre part l’urbanisation par lotissement a formé des poches de logement dans les quartiers. Une défragmentation de la ville est nécessaire. Il faut qu’on réapprenne, par l’urbain, par le culturel, à revivre ensemble et à refaire une véritable mixité.
Daniel Leclerc - Nous avons une préférence pour la maison individuelle et un recul vis-àvis de l’habitat collectif. Cela est tellement ancré dans les mentalités qu’il est très difficile
de la faire changer. Une véritable éducation du public serait sans doute nécessaire, en lui
donnant à voir des ensembles d’habitation différents de ceux dont il a l’habitude. Cela
ne peut se faire que par les Opérations publiques d’aménagement, où on devrait mettre
en évidence que l’on peut densifier pour faire de la ville sans obligatoirement édifier des
immeubles de 10 niveaux. Un habitat de type intermédiaire permet une densité du même
ordre que l’habitat collectif tout en offrant plusieurs avantages de l’habitat individuel,
espaces extérieurs en terrasse, accès individuels au logement… Donc développer une
exemplarité pour tenter de faire évoluer les esprits.
En ce qui concerne le foncier, il est vrai que si la collectivité décide d’intervenir tout d’un
coup, on se place alors à un instant t, où le marché étant ce qu’il est, les prix étant ce qu’ils
sont, les terrains sont hors de portée. Une politique foncière se bâtit sur la durée. Il faut
prévoir aujourd’hui les terrains dont on aura besoin dans quinze ans. Utiliser les moyens
que l’on a aujourd’hui de « mettre la main » sur ces terrains à urbaniser dans le futur, pour
en geler les prix. Le modèle de la maison individuelle n’est pas le seul en cause : pour un
ménage qui veut accéder à la propriété, acheter un terrain à 50 kilomètres de Toulouse
c’est de l’accession sociale. Pour des ménages qui gagnent entre deux et trois SMIC, les
charges foncières et les coûts de construction rendent l’entreprise abordable, alors que
ce n’est pas envisageable sur la ville de Toulouse. Il importe donc, mais cela est coûteux
pour les collectivités, de proposer à ces ménages des accessions à la propriété sans aller
chercher à 50 km de Toulouse.
Deux questions de participants de villes périphériques (en visioconférence) :
Un participant depuis Cahors - Débat très toulousain. Il eût été intéressant de parler
des conséquences des choix concernant le développement du futur Grand Toulouse sur
les villes périphériques.
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
65
CLAuDE RAyNAL - DANIEL LECLERC - JEAN MANuEL PuIG
Un participant depuis Foix - On se base toujours sur un schéma de développement en
étoile à partir de Toulouse. Ne peut-on pas imaginer d’autres formes, par exemple en
reliant entre elles les villes moyennes comme Foix ?
Un autre participant - Je suis un citoyen toulousain, nord toulousain, de Lalande. Plusieurs remarques :
Problème de politique foncière équilibrée avec un habitat en relation avec le travail et
les activités. À contrario Toulouse, dans son développement économique n’a fait que
centraliser.
Absence de relation entre le pôle aéronautique et les sous-traitants. Les sous-traitants
représentent une part très importante du développement aéronautique. Cahors pourrait
accueillir une activité aéronautique.
Au lieu de construire des parkings géants à l’aéroport de Blagnac, ne pourrait-on pas
construire une ligne de métro.
Manque de cohésion régionale au niveau des transports. Chacun s’occupe de son « pré
carré ». Si on change de lieu d’emploi à l’intérieur de la région toulousaine on se trouve
confronté à un parcours du combattant : franchissement de la Garonne etc. La clef est le
transport.
Jean Manuel Puig - Une ligne de métro du centre-ville à l’aéroport, très bien. Mais beaucoup d’utilisateurs de l’aéroport ne viennent pas du centre de Toulouse donc il faut bien
stocker leurs voitures ou prévoir un système de transport pour la périphérie.
Par rapport à Foix ou aux villes de la périphérie il est vrai que le sujet de la décentralisation est complexe. Foix avait des industries, une source d’énergie avec l’hydro-électricité.
Ces villes ont eu un développement endogène suivi d’une phase de désindustrialisation.
Comment peut-on amener un nouveau développement ? Le monde économique ne réagit
pas suivant une vision d’aménagement du territoire mais sur un objectif, pour une entreprise, de maximiser les profits et de minimiser les contraintes. Plus on est proche de la
métropole régionale et moins on a de contraintes en terme de déplacements et de liaisons
à l’échelle de l’Europe ou du monde.
66
Il y a pourtant des possibilités. Par exemple, sur Foix, l’entreprise Renix (Renault-Bendix, devenu « Siemens »), au départ, avait décidé que toute la partie commerciale ─ marketing conception - serait installée à proximité à la fois de l’aéroport et des centres de
recherche, mais que, par contre, la partie industrielle pouvait être délocalisée. Cela s’est
réalisé et Siemens a investi à Boussens et à Foix où elle est le principal employeur industriel.
Un tel aménagement demande des efforts d’organisation dès la conception du projet mais
il est dans l’intérêt des différents protagonistes. Avoir des salariés à Foix ou à Boussens
permet à l’entreprise d’avoir des salariés fidèles. De même l’entreprise Latécoère a quitté
Toulouse pour s’installer à Gimont. En termes de frais fonciers l’entreprise s’y retrouve
en limitant les frais pour l’installation du cœur d’entreprise, mais cela doit être envisagé
dès la conception du projet.
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
Un participant depuis Auch - Les éco-quartiers seront-ils une réponse à ce déséquilibre
en matière d’habitat ?
Jean Manuel Puig - Oui. Daniel Leclerc a exposé tout à l’heure, avec le principe des
ZAC, qu’une volonté politique d’aménagement à une valeur d’exemple. Pour un écoquartier, le premier souci sera de travailler en termes de densité, pour proposer une alternative à l’étalement ou au lotissement.
Une participante - Le problème de la gestion de l’espace me rappelle la fable de La
Fontaine « Le rat des villes et le rat des champs ». Les gens veulent avoir les avantages
de la ville sans ses inconvénients et de même les avantages de la campagne sans ses
inconvénients.
Je reviens sur le terme de rurbanité, déjà employé par Claude Reynal. Je prends pour
exemple le schéma de cohésion territoriale (SCOT) du Lauragais, qui recoupe les trentesix communes du SICOVAL. Il est très conséquent et exemplaire sur la façon dont les
mentalités s’organisent. Depuis 30-35 ans, dans le Nord du Lauragais, des communes
comme Labège, Escalquens, Castanet, se sont développées. Elles ont créé des plans locaux d’urbanisation et ont essayé de trouver une harmonie entre elles, les portes de la ville
centre et la campagne. On retrouve votre trilogie, c’est-à-dire : les transports, les services
et les emplois. Cela est parfait.
Mais quand on regarde le Sud du Lauragais on constate une résistance à cette évolution.
Pour cette population, ce n’est plus la métropole Toulouse qui est la ville-centre : en allant
à Castanet, à Escalquens ou à Labège ils peuvent faire leurs courses et trouver à peu près
tous les services. Ils entrent en résistance parce qu’ils ne veulent pas que leur village,
leur commune, devienne ville-dortoir. Par rapport au problème de la densité, on est allé
trop vite, on a fait du quantitatif au détriment de la qualité et eux veulent inverser cela au
profit du qualitatif. Ils en viennent à considérer que : « Les services, on peut s’en passer.
Pour les transports on a sa voiture ». Et pour les emplois, si les enfants ne trouvent pas
à travailler dans les communes, ils iront dans les agglomérations limitrophes. On peut
observer des résistances importantes au niveau des communes. Le plan d’occupation des
sols est encore à la norme des 3 000 m² par parcelle, de façon à ne pas entrer dans ce
circuit de la densification.
Le sud-est et le sud-ouest gardent le paysage que vous avez montré tout à l’heure, c’està-dire avec les piscines, les espaces verts. Ce qu’ils veulent, c’est leur qualité de vie. Les
prix montent de façon très conséquente, avec des gens qui en ont les moyens. L’achat de
l’espace, la gestion égocentrique de l’espace, sont des luxes dont certains veulent s’assurer la jouissance. Comment sortir de ce clivage entre le nord et le sud au niveau de la
densification ? Comment sortir de ce dilemme ?
Claude Raynal - La question est vaste. Je me bornerai à quelques éléments d’appréciation de la situation : ce qui est demandé par les Schémas d’aménagement territoriaux
ce n’est pas l’uniformité, ce n’est pas la même façon de répondre pour des territoires
différents. Entre la partie centrale agglomérée, et un SCOT périphérique tel que celui du
Lauragais, les concepts n’ont pas la même résonance. Quand on parle de densité dans le
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
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CLAuDE RAyNAL - DANIEL LECLERC - JEAN MANuEL PuIG
centre-ville on parle de 200 individus à l’hectare (on dénombre les habitants, plus les personnes qui viennent travailler à cet endroit). Si on parle de densité dans le Lauragais, pour
un cœur de village, on envisagera 80 individus à l’hectare. Cela correspond à l’histoire
des populations de ces territoires.
L’idée du SCOT est que tout ne s’urbanise pas de la même façon. Il faut conforter les
territoires privilégiés, où il y a déjà de l’emploi, des moyens de transport, des services.
Prenons des exemples clairs dans le Lauragais : la ville de Villefranche-de-Lauragais a
une histoire propre. Elle dispose d’une gare SNCF qui fonctionne et permet des allés et
retour grâce à des trains TER. Elle a déjà un niveau d’emploi conséquent, qui peut être
amélioré. Elle a des services publics de qualité, même si on vient de lui enlever son tribunal d’instance. De même Castelnaudary un peu plus loin. Ces communes ont clairement
vocation à se développer. Nailloux, qui bénéficie d’une sortie d’autoroute, peut rejoindre
ces perspectives à condition de développer son emploi, ce que ses maires successifs essaient de faire.
On ne peut pas dire que tous les villages du Lauragais doivent se densifier. Au contraire,
certains, parce qu’ils n’ont aucun atout pour cela, n’ont aucun intérêt à le faire. Rien de
pire qu’un village qui s’urbanise sur des terrains de 3 000 m², avec des coûts de voirie et de
réseau considérables, et qui laisseront aux successeurs des frais de renouvellement dispendieux et le système d’imposition que cela entraîne. Ces systèmes-là ne sont pas viables. Si
on ne crée pas les conditions pour amener sur un territoire des richesses, des ressources, de
l’emploi, on ne peut pas le développer uniquement en termes d’habitat. On pouvait le faire
dans des villes comme la mienne, (Tournefeuille), dans l’ancien temps, parce que c’est,
en quelque sorte, un quartier excentré de Toulouse. Mais, dés qu’on se situe à plus de 30
kilomètres dans le Lauragais, ce n’est plus raisonnable. On ne peut alors se développer que
dans le cadre d’une intercommunalité, où existe une ville centre qui joue effectivement ce
rôle de centre : une ville chef-lieu de canton, une centralité de service. Le développement
pourra alors se faire non par extension mais par requalification urbaine.
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A l’intérieur des villages on a beaucoup de secteurs vacants constructibles. Pourtant trop
souvent, par facilité, on va urbaniser un champ à l’extérieur, tirer des réseaux, des routes,
etc. Au bout du compte cette entreprise va coûter une fortune et, de plus, enlaidir et
complètement désaxer le village. Rien de plus laid qu’un lotissement. On a au départ un
village qui a un certain cachet, une valeur historique peut-être. À côté on pond cinquante
maisons bien clôturées, cinquante portails électriques, quelques murs non crépis… Au
niveau fonctionnement, rien de plus pernicieux. Les cinquante familles qui vont s’installer dans les cinquante maisons vont bientôt s’étonner que le village n’ait pas de crèche :
« Insupportable ! » En arrivant on sait très bien qu’il n’y en a pas. « Mais puisque nous
arrivons, on va nous l’installer ! » Des services de proximité extrêmement lourds, qui vont
nécessiter des impôts nouveaux sur les habitants du village. Aux prochaines élections
municipales on va trouver la liste des anciens du village contre la liste du lotissement. Le
même nouveau propriétaire, qui a hurlé pour avoir sa piscine, va s’instituer porte-drapeau
du développement durable sur le territoire, le même ! Aujourd’hui beaucoup de maires
dans les villages ont compris cela. Il ne faut pas s’étonner qu’ils se protègent. Par contrecoup le prix des rares terrains constructibles monte.
LES IDÉES CONTEMPORAINES - 2009-2010
QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
Un développement est envisageable à condition que se mettent en place des solidarités
entre petites communes, permettant de répartir la richesse générée par les entreprises pour
payer les services de proximité dans un ensemble de villages. Il faut sortir de l’idée que
chaque commune doit se développer indépendamment, y compris en terme de densité.
Certaines ne le doivent pas. Par contre toutes doivent travailler leur compacité, leurs
poches internes, et faire en sorte que les terrains internes au village soient urbanisés en
priorité.
Un participant depuis Auch - On est confronté à la rente foncière, que ce soit pour les
logements ou pour l’installation de jeunes agriculteurs. Ne faudrait-il pas considérer le
foncier comme un bien public, cela permettrait des loyers et un aménagement moins cher ?
Daniel Leclerc - Certes, certes ! Mais quel pas à franchir pour en arriver là ! Je crois que
cela existe dans certains pays du Nord où le foncier est effectivement un bien public et
où son usage et son prix sont encadrés par la collectivité. Mais ce n’est pas la tradition
en France.
La rente foncière pour les agriculteurs ? Oui, mais ça vaut dans les deux sens. Autour de
Toulouse les agriculteurs qui ont fourni des terres ne se sont pas plaints.
Nous ne sommes pas dans la situation où l’on pourrait considérer le foncier comme bien
public. Nous disposons cependant d’un certain nombre d’outils, dispositifs sans doute
perfectibles, qui peuvent permettre de peser sur le foncier. Ils font partie des politiques
d’urbanisme, ils sont joints aux plans d’occupation des sols. Ce sont aussi des outils fiscaux : par exemple il est possible de taxer un propriétaire sur le prix de vente d’un terrain
qu’il urbanise. Ce n’est pas parfait. Nous ne sommes pas dans la situation idéale dont
vous parlez mais dans une situation où il faut faire avec ce qui existe. Si on faisait avec ce
qui existe ce ne serait déjà pas si mal !
Un participant depuis Foix - Sur les aménagements à Toulouse, quels sont les projets sur
le quartier Matabiau lors de la mise en place du TGV ?
Jean Manuel Puig - Avec l’arrivée du TGV, l’aménagement du quartier Matabiau présente l’exemple type d’une forte polarité potentielle pour Toulouse. Pour la ville de Lille,
le quartier autour de la gare TGV, Eura-Lille, a été un grand accélérateur. Cette grande
ville industrielle, qui n’avait pas une bonne image, s’est progressivement transformée en
une ville culturelle qui a retrouvé un dynamisme incroyable. Elle fait partie des villes dont
la croissance est la plus importante aujourd’hui en France. Pour le Quartier Marengo, on
a beaucoup d’espoir mais encore peu d’informations.
Un participant - Au sujet de l’impact que pourrait avoir le maillage numérique pour
l’évolution des territoires. Il ne paraît pas obligatoire que les services soient implantés
dans la ville centre. À l’échéance de trente ans cela peut changer beaucoup de choses.
Déjà cela en a changé beaucoup. Je pense au télé-travail.
D’autre part il existe des formules collectives d’habitat groupé qui ont déjà été expérimentées par des personnes de notre région, dont moi-même. Ces formules sont très
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CLAuDE RAyNAL - DANIEL LECLERC - JEAN MANuEL PuIG
difficiles à mettre en place parce que les collectivités locales sont très réticentes. Cela ne
rentre pas dans leurs schémas de fonctionnement. Nous avons eu la chance il y a 25 ans
d’y parvenir. Beaucoup de gens viennent nous voir qui voudraient faire comme nous et
qui ne le peuvent pas. Il existe une minorité de gens actifs qui voudraient éviter de vivre
dans un habitat mité, qui souhaitent créer les conditions d’une vie de village, mais qui ont
beaucoup de mal à trouver une accroche avec les collectivités locales.
Claude Raynal - Je n’ai pas eu connaissance de ces difficultés mais le premier point que
vous développez me paraît important. Les technologies numériques peuvent être un facteur important pour la problématique des transports domicile-travail (même si, en ce qui
me concerne, en restant chez moi je n’arrive pas à travailler ; il faut que je sorte pour me
mettre en condition de travail). Les gens d’Auch vous diraient qu’il existe dans le Gers
une politique volontariste de maillage informatique des villages. L’objectif est d’attirer
des entreprises de service qui pourraient travailler à partir d’un village gersois. Et Dieu
sait qu’ils sont beaux, les villages gersois. Cela a été lancé depuis quinze ans, pourtant on
doit constater que les résultats, en termes d’emploi en télé-travail, restent très modestes.
Mais vous avez raison, dans la réflexion sur l’organisation des territoires on doit tenir
compte, au moins au même titre que des routes, des réseaux informatiques.
Pour terminer plusieurs questions groupées
Un participant - Avoir entendu trois conférenciers différents m’inspire les réflexions suivantes : on a beaucoup parlé de chiffres, mais je reste sceptique sur la réalité des nombres
avancés. Par exemple, dans Toulouse on ne sait pas évaluer le nombre de logements vides
vacants, en vacance temporaire ou en vacance d’indivision. Les chiffres varient de deux
à vingt mille. Si de plus on se place à l’horizon de vingt ans, l’incertitude et très grande
et je ne serais pas aussi pessimiste que l’un des conférenciers. D’autre part, qui va donner
l’impulsion sur la façon d’habiter en commun ? Les architectes, les maires, les administrateurs de nos cités, les représentants d’associations ?
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Un participant - J’ai l’impression que nous sommes confrontés à un poker menteur.
Nous payons, fort cher, des études. Ces études expliquent ce qui s’est produit dans le
passé mais ne disent pas comment on va se développer. On ne met pas suffisamment de
contraintes et quand des contraintes sont instituées pour orienter vers un mode de développement, elles ne sont pas respectées. Trop souvent c’est la guéguerre entre deux maires
de même couleur politique, entre baronnies. Les études coûteuses n’ont pu empêcher que
l’axe de l’aéroport passe au-dessus de la ville. Le citoyen n’est pas écouté. On n’intègre
pas le combat du citoyen… Il va falloir habituer nos élus à se retrouver devant le tribunal
administratif, même si on est de la même tendance politique, pour refuser des panneaux
publicitaires, refuser l’implantation d’un centre commercial, ou imposer des voiries de
type réservoir pour ne pas que l’eau se retrouve dans les canalisations. Donc je pose la
question de l’adéquation des études théoriques avec la réalité du terrain et la prise en
compte du travail et des revendications des citoyens.
Un participant - Ce que je remarque c’est la difficulté de faire la liaison entre la ville
ancienne et la ville nouvelle. Depuis toujours on construit des édifices nouveaux qui ne
sont pas en continuité avec la ville ancienne.
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QuEL hAbITAT vOuLONS-NOuS DEMAIN ?
Un participant - Pour moi c’est un problème de planification régionale. L’aménagement
durable du territoire, c’est un aménagement équilibré en population, en activité et en ressources. Un schéma régional existe mais il n’est pas prescriptif, simplement incitatif. La
politique est faite de convictions mais aussi de stratégies. Il manque une liaison entre les
intercommunalités et la région. Alors que Midi-Pyrénées compte huit départements, sur
les 2,7 millions d’habitants plus de 1,2 million sont concentrés sur la métropole. Depuis
des décennies, depuis que la région existe, ce déséquilibre est dénoncé sans résultat.
Claude Raynal - Pour l’homme politique, pour le citoyen, la planification est incontournable. On demande aux hommes politiques d’avoir une vision à vingt ans. C’est bien
le minimum d’avoir une vision à vingt ans. Les politiques ont à faire cet effort de planification même s’il risque d’être contesté par le citoyen. Nous disposons actuellement
d’outils de planification. Ces outils sont partagés entre élus de façon à éviter les dérives.
Le système permet un certain contrôle, une certaine avancée.
Pour un élu, le passage devant le tribunal administratif n’est pas une fatalité, C’est un
épisode qu’il va chercher à éviter. Le dialogue préalable avec les citoyens permet normalement d’éviter cet aléa. En tant que membre du tribunal administratif je vous suggère
d’éviter le tribunal et de ne l’utiliser qu’en dernier recours. Le juge ne peut pas gérer
l’opportunité des démarches. Il juge uniquement la légalité. De savoir si une chaussée est
ou non perméable ne le concerne pas. Il va juger si la légalité a été respectée.
Est-ce que les citoyens participent ? De nos jours il n’est pas besoin de leur demander. Ils
se manifestent sur un sujet technique s’ils en ont la compétence. Ils réagissent par rapport à un problème personnel, pour leur maison, ou avec une vision plus large pour leur
quartier ou leur commune. Il faut remarquer qu’en face du particulier, heureusement, il a
un interlocuteur, un élu. Parce que le citoyen peut facilement avoir une vision réductrice.
Quand on parle de densification ou de réorganisation des villes, même s’il en comprend
le principe et l’intérêt, il se peut qu’il n’adhère pas au projet parce que ça touche sa
maison. Pour le projet TGV tout le monde était d’accord. Mais maintenant que le tracé
est déterminé on voit fleurir des citoyens qui réagissent contre. Pas contre le TGV, mais
contre le fait qu’il passe chez eux. Heureusement qu’il y a des élus qui vont quand même
fixer un trajet !
Toulouse, (Auch, Cahors, Foix en visioconférence) le 10 février 2010
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