Pour un Big Bang des études juridiques

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Pour un Big Bang des études juridiques
Pour un Big Bang des études de droit
La formation universitaire des juristes et avocats se destinant à la
pratique
du
droit
des
affaires
a
besoin
d’une
révolution
copernicienne. Celle-ci a déjà commencé dans d’autres pays, mais
les facultés de droit francophones du pays sont en train de rater le
train. La révolution souhaitée aidera les futurs praticiens à relever
quatre défis fondamentaux qui les attendent : s’imposer comme un
partenaire stratégique de l’entreprise, opérer efficacement dans un
Antoine Henry de Frahan
monde globalisé, devenir des managers et exceller dans l’art de
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communiquer.
Partenaire stratégique
Un enjeu central pour de nombreux juristes d’entreprise et avocats
est
d’être
reconnus
comme
un
partenaire
stratégique
par
l’entreprise, plutôt que comme un « support staff ». Pour jouer ce
rôle stratégique, le juriste doit être capable de comprendre les
dimensions non-juridiques des questions qu’il traite. Par exemple,
un
juriste
qui
connaît
les
formalités
à
remplir
pour
une
augmentation de capital mais qui bégaie sur la problématique du
financement des entreprises (pourquoi et comment les entreprises
se financent, avantages et inconvénients des différents modes de
financements, etc.) pourra difficilement devenir un interlocuteur
pertinent du CFO. Il en restera le subordonné et l’exécutant. Les
études de droit doivent donc éveiller l’intelligence des futurs
praticiens à la compréhension des enjeux sociétaux, éthiques,
stratégiques, humains, financiers, commerciaux et technologiques
des matières dont ils apprennent les règles juridiques. Elles doivent
encourager les étudiants à sortir de la tour d’ivoire juridicojuridique et les ouvrir à une intelligence globale et systémique qui
dépasse la simple mémorisation de règles juridiques.
Globalisation
Si les facultés de droit s’alignent sur la régionalisation croissante
des normes juridiques, les étudiants formés à l’ULB seront bientôt
spécialisés en droit bruxellois et ceux formés à l’UCL ou à l’ULg en
droit wallon. On peut rêver de perspectives plus larges pour nos
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Article publié dans L’Echo du 26 janvier 2011
www.frahanblonde.com futurs juristes. Il ne s’agit pas de connaître le droit de tous les pays, mais d’ajouter à
l’apprentissage - qui reste évidemment nécessaire - des principes du droit local une « métaméthode » permettant d’aborder intelligemment des questions juridiques en posant les bonnes
questions et en structurant correctement le raisonnement en dehors de sa juridiction de référence.
L’objectif doit être de préparer les juristes à gérer des problématiques qui dépassent les
particularismes d’un système juridique national ou régional et à jouer un rôle pertinent dans un
monde où raisonner dans un cadre de référence limité aux frontières nationales ou régionales n’a
plus beaucoup de sens. En outre, les connaissances linguistiques sont une nécessité. Les
programmes des facultés de droit ne semblent pas intégrer cette évidente priorité dans leur
programme : le potentiel de progrès est énorme.
Managers
La réflexion sur les métiers du droit gagnerait aussi à être plus développée dans le cursus.
Comment fonctionne un cabinet d’avocats ? Comment se gère un département juridique
d’entreprise ? Quel est le rôle du juriste d’entreprise ? Dans quelle direction évoluent les
professions juridiques ? Les étudiants méritent d’être mieux sensibilisés aux responsabilités
managériales de leur futur profession et mieux équipés pour les assumer.
Communication
La profession juridique ne se limite pas à l’expertise. Le droit est avant tout un métier de la relation
humaine : au-delà du cliché des effets de manche devant un jury de Cour d’assise, le praticien doit
pouvoir mettre en confiance, questionner, écouter, négocier, gérer les conflits, conseiller et
convaincre. Or les facultés de droit négligent l’apprentissage de ces compétences et des modèles
psycho-cognitifs qui les sous-tendent. Pire, elles transmettent parfois aux étudiants un modèle de
communication obsolète, à l’opposé de ce que le juriste devra faire dans la vie professionnelle : par
exemple, l’université encourage l’étudiant à rédiger de longs mémoires exhaustifs, faisant la part
belle à l’analyse juridique et aux conflits de doctrine et de jurisprudence. L’intérêt pédagogique de
l’exercice est indéniable, mais à la fin de ses études, le diplômé croit, bien à tort, qu’il convient de
continuer à communiquer dans le contexte professionnel sur ce mode académique. Cela le
disqualifie rapidement aux yeux des décideurs. Ceux-ci n’ont en effet que faire de longs mémoires
mais attendent des mémos, certes fiables sur le plan juridique, mais surtout courts, simples et
concrets et faisant la part belle à la solution plutôt qu’à l’analyse.
Des écoles de droit ?
Les facultés de droit trouveront-elles en elles-mêmes la volonté et les ressources pour effectuer
ces changements ? Tout en l’espérant ardemment, on peut en douter. Les contraintes budgétaires
et réglementaires et le poids des habitudes risquent de faire prévaloir l’inertie. Le changement
viendra, mais sans doute d’ailleurs. Aux Etats Unis, en France, en Espace et au Royaume Uni, ce
sont les business schools qui s’engagent dans la brèche laissée béante par la passivité des facultés
de droit et qui créent en leur propre sein des écoles de droit ou des passerelles pour former les
étudiants dans l’esprit préconisé dans ces lignes. Le changement est donc en route, et son
aboutissement est inéluctable. La vraie question est de savoir si les facultés de droit francophones
du pays en seront les acteurs ou les spectateurs. n
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