La mobilisation des acteurs publics pour la reconversion d`un
Transcription
La mobilisation des acteurs publics pour la reconversion d`un
La mobilisation des acteurs publics pour la reconversion d’un site industriel : l’exemple de Matra à Romorantin Atelier organisé par l’Institut de gestion publique du développement économique (IGPDE) - SYNTHESE Intervenants : Christian LABET, président, Matra Manufacturing et Services Pascale SILBERMANN, sous-préfète, sous-préfecture de Romorantin Ce débat était animé par Martin PIETRI, chef du département développement économique, IGPDE I. Introduction (Martin PIETRI) La problématique des restructurations a émergé dans les années 1970 pour des grandes industries – sidérurgie, chantiers navals, textile. Un nouveau type de restructuration est apparu ensuite, mené par des groupes en bonne santé financière et travaillant sur des marchés porteurs. La restructuration recèle des aspects sociaux, économiques et territoriaux ; cette notion a été remplacée par celle de mutation, dans le cadre d’un changement de paradigme, puisque ces mutations sont permanentes. Les mutations répondent à plusieurs logiques : celle de l’entreprise, qui doit s’adapter en permanence à son marché, celle de ses salariés, et donc de la population locale, celle des collectivités, et celle des services de l’Etat dans une perspective d’aménagement du territoire. Le territoire local s’organise comme le cadre des projets de mutation, les collectivités s’affirmant progressivement à mesure que des compétences leur sont transférées. Les mutations doivent être anticipées par la mise en place de réseaux de veille sur les territoires ; elles doivent être accompagnées à froid comme à chaud, grâce à la création d’outils d’action par les acteurs publics. L’ensemble des acteurs sont aujourd' hui fortement mobilisés sur le sujet. La restructuration de l’usine SEB dans les Vosges était exemplaire jusqu’à récemment. L’un des partenaires, le repreneur de l’usine, n’ayant pas tenu ses engagements, des difficultés nouvelles sont apparues. Ces dossiers comportent donc toujours des risques, et leur réussite n’est jamais garantie. Les acteurs publics s’investissent toutefois largement dans ces questions. Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 1 II. Le rôle de l’administration (Pascale SILBERMANN) Sur 2 670 salariés de Matra, représentant environ un tiers de l’emploi industriel du bassin de Romorantin, un premier plan social a conduit au licenciement de 1 075 salariés, dont 822 CDD. L’échec commercial de l’Avantime a ensuite conduit le groupe Lagardère à annoncer la fermeture du site en mars 2003. Seuls 95 salariés continuent à travailler à la création de pièces détachées. En comptant les sous-traitants, plus de 2 700 salariés ont perdu leur emploi. En outre, 1 600 emplois ont été supprimés dans le sud du département du fait de la crise de l’industrie de l’armement, et 700 emplois ont disparu dans le nord dans le domaine de l’industrie agroalimentaire. Une convention a été signée le 30 juin 2003, d’un montant de 10,88 millions d' euros. L’Etat a en outre décidé de la création d’un contrat de site, permettant la mise en œuvre d’actions à court et moyen terme pour renforcer l’emploi sur le territoire. Le territoire défini est cohérent en termes d’aménagement et de cohérence économique et culturelle. L’un des atouts du territoire réside dans son accessibilité, qui sera renforcée par l’achèvement de la construction de l’autoroute reliant Tours à Bourges. La culture et la tradition industrielle sont en outre bien implantées dans la région, avec l’automobile, le conditionnement, la logistique, l’agroalimentaire. 8 414 salariés travaillent dans le domaine de l’industrie, qui représente plus de 40 % de l’emploi salarié. L’environnement culturel constitue également un atout non négligeable du territoire, qui bénéficie en outre d’un ensemble d’aides européennes, ainsi qu’étatiques, notamment au titre de la revitalisation rurale. Des difficultés significatives apparaissaient toutefois, dont la faiblesse du niveau de formation, de l’adaptabilité et de la mobilité de la main d’œuvre. L’insuffisante attractivité du territoire peut également être pointée. Quatre orientations ont été retenues pour le contrat de site : • • • • développer la formation pour l’emploi ; stimuler l’économie ; renforcer l’attractivité du territoire ; conforter l’économie touristique. Le développement de la formation est passé par la construction d’un pacte territorial pour l’emploi et d’une plateforme de ressources humaines. La présence de main d’œuvre adaptée aux besoins des entreprises est un atout essentiel de l’attractivité d’un territoire. La création de la plateforme de coordination en ressources humaines a mis en synergie tous les acteurs, avec la création d’un lieu unique réunissant les entreprises et les demandeurs d’emploi. 6 700 personnes ont été accueillies pour des sessions de formation, de sensibilisation à certains métiers, de rencontre avec des employeurs. Cette plateforme poursuit son existence sous la forme de la Maison de l’emploi de Romorantin, labellisée en 2006. La stimulation de l’économie était pour sa part le travail d’un réseau de développeurs. L’ensemble des moyens disponibles ont été déployés, en collaboration avec les divers acteurs. Les partenaires étaient notamment la CCI, la DRIRE, la SODI (agence de formation), les collectivités locales et l’Etat. Des difficultés sont toutefois apparues : la taille des groupes de travail a notamment été jugée trop importante. Des réunions continuent toutefois à être organisées à l’heure actuelle. Le soutien au commerce et à l’artisanat est passé par une modernisation de ces secteurs, dans le cadre de 31 projets individuels. Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 2 Le renforcement de l’attractivité du territoire s’est traduit par des projets d’amélioration d’infrastructures de transport et d’installation d’un réseau internet à haut débit. RFF achèvera ainsi au début de l’année 2008 l’électrification du réseau ferroviaire. Le renforcement de l’économie touristique, qui s’appuie naturellement sur la richesse culturelle du territoire, est passé par une mise en avant des atouts naturels, la Sologne devenant l’espace européen le plus vaste labellisé Natura 2 000. Sur un investissement public de 45 millions d' euros, plus du double d’investissements globaux ont été réalisés. L’Etat a versé 23 millions d' euros aux communes en compensation de la perte de taxe professionnelle. L’Union européenne a versé pour sa part 5 millions d' euros, le conseil général et le conseil régional versant environ 15 millions d' euros. Des aides supplémentaires ont été accordées aux entreprises créant des emplois. 562 postes ont effectivement été créés. III. Le point de vue opérationnel de l’entreprise (Christian LABET) Le rôle de l’entreprise s’est traduit par la création d’une antenne de reclassement, la signature de conventions et par l’action de la société de reconversion mandatée pour créer des emplois. L’anticipation des mutations économiques n’est jamais facile. Dès le mois de mai 2001, la GPEC avait permis la reconversion d’un certain nombre de salariés, dans la mesure où il était dès lors certain que l’Avantime ne remplacerait pas totalement l’Espace. A partir du mois d’octobre 2002, l’échec de l’Avantime se confirmait. 600 CDD ont été arrêtés au fil du temps, puis un PSE a été réalisé en octobre 2002, suivi d’un autre en octobre 2003. Jean-Luc Lagardère a souhaité que le plan de reconversion des salariés soit exemplaire : près de 209 millions d' euros ont été dépensés, dont 80 millions d' euros consacrés aux indemnités complémentaires et quasiment 10 millions d' euros de budget de reclassement. L’antenne de reclassement a démarré son activité au mois de mai 2001 et a réellement pris son essor à partir du mois d’octobre 2002. Elle était composé d’un conseiller pour trente salariés, non comprise la structure administrative, et son existence a duré deux ans et demi. L’antenne de reclassement visait à reclasser l’ensemble des salariés licenciés. Un certain nombre de conventions ont été signées avec des organismes pour placer des salariés handicapés, mais également avec l’ANPE. Il s’agissait d’apprendre aux salariés à se présenter, à rédiger un CV, à effectuer un bilan de compétence ; il était également question de réaliser un mailing aux entreprises du bassin d’emploi. Avant tout, l’antenne devait permettre aux salariés de s’adapter aux besoins des industriels de la région. 500 entreprises ont reclassé 800 salariés. L’antenne de reclassement a également proposé pendant un an un soutien psychologique, ainsi qu’une cellule d’aide à la création d’entreprises. Une convention a été signée avec l’ANPE, afin de faciliter le suivi administratif du dossier et de valider les chiffres présentés. 83 % des salariés ont pu être reclassés. Une convention de coopération a également été signée avec les ASSEDIC, ainsi qu’avec l’AFPA, dans le domaine de la formation, et qu’avec la CCI, pour le soutien aux entreprises créées. Sur 1 948 personnes licenciées, 9 ont été dispensées de recherche d’emploi, 117 n’ont pas souhaité être assistées par l’antenne de reclassement, qui a travaillé avec 1 822 salariés. Au 31 décembre 2005, aucune solution n’avait été trouvée pour six personnes. La SODI, société de reconversion mandatée à l’issue d’un appel d’offre, a été rémunérée par un double système fixe et variable, la deuxième partie étant liée à ses résultats. Matra a par ailleurs versé une subvention permettant à la DPME de verser des prêts bonifiés pour la création Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 3 d’entreprises. Des tensions relativement vives sont toutefois apparues avec les banquiers qui géraient leur rentabilité sans se préoccuper véritablement de la perspective de création d’emplois. La société de reconversion a pu travailler avec l’ensemble des collectivités territoriales et des services de l’Etat. La mise en place d’une structure projet avec des objectifs clairs a permis d’orienter l’ensemble des dispositifs vers la création d’emplois. Le territoire, qui semblait moribond en 2003, a finalement été le lieu de 1 800 créations d’emplois, sans parler du projet d’installation d’une entreprise logistique sur l’ancien site de GIAT. La convention article 118 a été négociée avec l’Etat au mois de juin 2003 et comporte onze actions, dont la plateforme de développement des compétences, la prospection d’implantations nouvelles, la mise en place d’un site de déconstruction automobile, géré aujourd' hui par SITA, qui a embauché l’ensemble des ingénieurs et techniciens méthodes de l' entreprise. Une aide au développement pour les petites entreprises a été créée. La vente de l’immobilier a été faite à une entreprise qui a créé 150 emplois, ainsi qu’à la commune, pour ce qui concerne le site du centre-ville. Compte tenu du séisme constitué par les plans social, il fallait véritablement mettre en place une organisation de type « commando ». Les résultats semblent finalement très honorables. Matra Automobile conserve pendant 10 ans une activité d’assistance dans le domaine des pièces automobiles, ainsi qu’il est d’usage, et s’est développé dans le domaine du petit matériel électrique. IV. Le chômage sur le territoire, le reclassement et les perspectives d’avenir (Pascale SILBERMANN) Le taux de chômage est passé d’environ 8 % à plus de 10 %, avant de revenir à environ 7 %, soit un taux inférieur à la moyenne nationale. Le taux de reclassement des salariés est une réussite ; dans le contexte du séisme que le territoire a vécu, l’ensemble des acteurs se sont mobilisés, et il faut souligner que l' entreprise s’est investie nettement au-delà de ce qui était rendu obligatoire par la loi. L’Etat a également joué un rôle fondamental de fédération des énergies. Le préfet s’est rendu à l’ensemble des réunions et tous les services de l’Etat ont pu travailler en partenariat. Le territoire, qui était fragilisé par la faible qualification de ses habitants, a pu être vivifié par la création d’un tissu de petites et moyennes entreprises, dont deux seulement ont subi un échec. Les crises sont, autant que faire se peut, anticipées par l’ensemble des administrations, dont la réactivité a été appréciée. La dynamique du contrat de site perdure, même s’il a pris fin. Au regard de la directive européenne imposant à l’horizon 2012 la valorisation des déchets automobiles, la création du site de déconstruction est porteur d’avenir. Lors du rachat d’Arcelor par Mittal, Romorantin a été choisi comme lieu de création d’emplois parmi sept autres sites, et la mission de revitalisation se poursuit donc. La SODI aide dans ce contexte les administrations à faire avancer le dossier. Les collectivités territoriales et les élus ont été très présents. Le travail partenarial entre les diverses sensibilités politiques s’est avéré essentiel pour permettre un rebond du territoire. Le cas du contrat de site de Romorantin est exemplaire à ce titre. Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 4 V. Questions-réponses Pourquoi Matra est-il allé au-delà de ses obligations légales ? Il s’agit là d’une question de responsabilité et d’estime de soi. La convention d’article 118, qui devait représenter 10 millions d' euros, a été abondée à hauteur de 12 millions d' euros. L’antenne de reclassement a travaillé deux ans et demi, plutôt que deux ans. De quel groupe la SODI fait-elle partie ? Il s’agit d’une émanation de l’ancienne Usinor. Le dispositif de reclassement semble s’être renforcé par rapport à ce qui existait vingt ans auparavant, notamment pour ce qui concerne l’aspect des ressources humaines. La faible mobilité reste toutefois un problème. Un rapport du Commissariat au plan a récemment identifié une centaine de pôles d’emplois fragiles, regroupés dans des zones bien identifiées. Pourquoi cette géographie n’est-elle pas davantage prise en cause ? Dans une économie de marché, l’Etat ne peut pas agir préventivement pour déplacer ou fermer des entreprises au motif qu’elles ne seraient pas viables à long terme. Il peut en revanche mettre en avant la qualité de vie des régions, afin d’attirer les entreprises. En France, de toute façon, le tissu de PME constitue l’avenir. Il semble que le plan mis en œuvre pour Romorantin passe essentiellement par l’attribution d’aides publiques étatiques. L’échelon régional ne serait-il pas plus pertinent ? Des pistes plus osées ne sont-elles pas envisageables ? L’Etat a de moins en moins de moyens, mais la région n’en dispose pas non plus beaucoup. Les pouvoirs publics ont-ils été associés à l’anticipation de la mutation économique par l'entreprise ? Les collectivités n’ont été contactées sur les difficultés économiques qu’au milieu de l’année 2002. La logique voudrait que l' entreprise informe sur les difficultés anticipées dès lors qu’elle les a identifiées, mais ce langage n’était pas audible du fait de la nature des relations avec les partenaires sociaux. En 2001, l' entreprise se trouvait encore dans une phase de production pleine et il n’était pas possible de prendre le risque d’un conflit à cette période. Le succès de Matra à Romorantin a limité la vigilance de l’ensemble des acteurs, dont les collectivités. Lorsqu’une société de cette importance se trouve face à des difficultés, il est en effet préférable que les collectivités et les autres entreprises soient associées à leur anticipation. Matra était une institution ; sa présence limitait les efforts de formation hors de l' entreprise, dans la mesure où celle-ci l’assurait en interne, et sa disparition s’est donc avérée particulièrement problématique. Il faut souligner encore dans ce contexte la grande responsabilité de Matra, qui est allée très loin au-delà des obligations légales de reclassement. Document rédigé par la société Ubiqus Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 5