Labels hôteliers : actualité et perspectives

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Labels hôteliers : actualité et perspectives
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Labels hôteliers : actualité et perspectives
Problématique
L’objectif de cet article est de cerner l’importance du concept de la labellisation dans sa
compréhension et son utilisation par les professionnels de la filière hôtellerie. L’importance
des labels, les avantages s’y rattachant, le « co-branding » sont ainsi mis en perspectives.
Une réflexion sur la valeur ajoutée créée par la labellisation, notamment par la mise en
pratique de la démarche qualité complète l’exposé.
**********
Qualité de l’accueil, programme de fidélisation, yield management, autant de termes
significatifs de la quête continue du « Graal » des professionnels du secteur hôtelier, à savoir
la conquête durable du Client. Certes, la problématique n’est pas nouvelle, mais elle revête au
début des années 2000 une acuité particulière. Le client a, semble-t-il, sensiblement changé
son comportement de consommation ; infidèle, insaisissable, individualiste, centré sur son
ego, le positionnement de ses valeurs et de son style de vie9 rendent difficiles, voire
complexes les réponses des professionnels à ses attentes.
Pour y parvenir face aux fortes turbulences des marchés hôteliers - on citera pour mémoire la
paupérisation du consommateur, le poids croissant de nouvelles destinations dites émergentes,
la concurrence accrue des nouvelles formes d’hébergement telles la para -hôtellerie ou la
multipropriété en temps partagé ou encore une compétition exacerbée entre professionnels est apparue la solution salvatrice, le développement de la démarche Qualité, certifiée par une
labellisation.
La recherche de la pérennité économique d’un établissement, par l’utilisation de l’approche
qualité, n’est pas réellement novatrice, mais le concept prospère et se propage de manière
soutenue à l’orée du troisième millénaire. Les promesses de qualité naissent, les engagements
d’amélioration des prestations s’annoncent, pléthores de labels s’élaborent, les chartes de
qualité s’écrivent à tour de mains... « On commande des audits et on monte des opérations
qualité à tout va, jusque dans chaque petit bourg de France. Si cela manquait effectivement
auparavant, c’est presque trop aujourd’hui. C’est l’anarchie dans la volonté de qualité, ironise
un observateur »10.
Le mouvement de la labellisation est lancé. La profession s’y sentait obligée pour réagir aux
fluctuations du marché et créer une différence valorisante en faveur du client.
La « labellisation mania » gagne du terrain parmi l’ensemble des partenaires de la filière,
touchant les hôteliers indépendants comme les chaînes ou les opérateurs touristiques, l’effet
du développement durable et de l’écotourisme accentuant la création et la multiplication des
labels. Plus d’une centaine rayonnent en Europe. Mais le client peine sensiblement à se
retrouver dans les différences entre les labels de tous genres et autres distinctions promues par
les professionnels, tels que « Q1, Q2, Q3 »11, « Relais du silence », « IHRA » ou encore
« ECOTEL », sans oublier la certification de type ISO.
9
Cf. www.demoscope.ch (étude PKS)
Watkins, M. (1998). L’hôtellerie frappée par la qualimania. L’hôtellerie française, n° 2591
11
Cf. www.swisstourisme.ch
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De ce rapide constat, trois axes de réflexion s’imposent :
Quelle importance revêt le label en tant que marque ou « branding » pour les hôteliers ?
Comment identifier les avantages d’une marque forte ?
Comment gérer le « co-branding » entre la marque de l’hôtel et celle d’un label de qualité lui
étant associé ?
Sur le fond, la labellisation dans le secteur de l’industrie de l’accueil ne devrait pas être
remise en question. La particularité de l’industrie hôtelière, industrie de services par
excellence n’est plus à démontrer. Le caractère intangible, périssable, hétérogène, simultané
de la production et de la consommation de services hôteliers12, celui de la notion d’expérience
unique du client13 en font une industrie relationnelle, centrée sur le rapport à l’humain, la
relation de « personne à personne ».
Indéniablement, la marque est source d’avantages compétitifs et de performance14, auxquels
se rattachent des notions comme, la qualité perçue par le client, la fidélité, les associations,
l’attention à la marque et le réseau de relations liées15. La marque crée de la valeur tant pour
le client que pour l’hôtelier, et sert de niveau d’excellence de qualité à atteindre pour ce
dernier. Le label assume de plus un rôle sécurisant, psychologiquement important pour le
client, manquant de repères et exigeant un rapport qualité - prix des prestations.
Quatre notions sont ainsi directement associées au succès d’une marque de services : une
position ciblée, de la consistance, de la valeur et des systèmes16. Les clients conscients de
l’existence des labels les comparent entre eux. La pérennité des prestations rendues aux
clients, au travers de normes de référence et de procédures stabilisées, assure une
augmentation de la productivité pour l’hôtelier sous forme d’une culture commune unique,
aux valeurs partagées par l’ensemble des salariés et clients de l’établissement ou de la chaîne.
On notera cependant l’extrême difficulté de cet objectif de culture commune stable, en un mot
forte, du fait du multiculturalisme de la société contemporaine et des contraintes
d’exploitation propres à l’hôtellerie. L’organisation de travail tayloriste par division des
tâches et autorité par chaîne de commandement, couramment utilisée pour la bonne marche
des établissements hôteliers, semble antagoniste à la création de valeurs partagées par un
ensemble de salariés. En effet, la référence à la culture commune d’un label suppose des
valeurs de rassemblement, d’implication pour une cause et repose dans l’absolu sur une autre
logique d’organisation du travail, celle de la responsabilité partagée entre niveaux de décision.
La durabilité du label, son « degré de persévérance », au sens canadien du terme, doit inclure
la mise en place d’une formation continue des salariés, celle de la transmission des savoirs.
Dans un secteur où le taux de rotation du personnel peu qualifié reste très important, les
12
Chacko, H.E, Chambers, R.E. & Lewis, R.C. (1995). Marketing leadership in hospitality. Foundations and
practices (2nd ed.), Wiley
13
Forgacs, G. (2003). Brand asset equilibrium in hotel management. International Journal of contemporary
hospitality Management, 15/6, pp 340-342.
14
Duncan, T. (2002). IMC : using advertising and promotion to build brands, Mc Graw-Hill, International
Edition.
15
Aaker, D.A. & Krishnan, B.C. (2001). Brand equity : is it more important for services ? Journal of services
marketing, 15, pp. 328-342.
16
De Chernatony, L. & Segal-Horn, S. (2003). The criteria for successful services brands. European journal of
marketing, 37, pp. 1095-1118
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systèmes de tutorat (formation et intégration du nouvel employé par un ancien) permettent la
régularité des niveaux de qualification atteints par les salariés et celui des prestations
délivrées.
Un label largement diffusé se traduit par un ensemble d’avantages pour l’hôtelier. Dans une
approche globale, on doit admettre que la labellisation contribue à la réduction des coûts
marketing, à une fixation des prix de vente plus élevée, à la différenciation concurrentielle, à
un niveau de notoriété et de volume de vente accru, à une augmentation des parts de marché
et donc à un accroissement des sources de profit. D’autres indicateurs, tels que le prix moyen
des chambres, le taux d’occupation, le « Revpar », le « Revpac » laissent apparaître que les
hôtels labellisés performent mieux que les hôtels non labellisés17.
L’alliance entre la marque d’un hôtel et un label s’inscrit donc comme une opportunité
stratégique pour l’hôtelier indépendant. S’agissant d’un transfert d’associations positives18, le
principal défi pour l’hôtelier est de déterminer le niveau des valeurs partagées entre les deux
partenaires et de choisir le label en fonction du niveau de notoriété de la marque, et des
synergies qui en résultent. L’affiliation à un label sert donc autant de stimulus en
communication tous publics que d’outil d’audit et de contrôle interne.
Les chercheurs Brodie, Leitch et Motion19 ont établi une échelle de mesure du succès des
alliances selon quatre niveaux de valeurs partagées. L’alliance parfaite s’inscrit dans le niveau
le plus élevé (4,) où le duo des marques génère plus de valeurs que la marque individuelle de
chaque entreprise. Pour l’hôtelier, il est concevable d’atteindre un niveau 2 de cette échelle de
mesure, à savoir un degré de reconnaissance par le client des avantages du label qui se
reportent sur son établissement. Encore faut-il spécifier les ressources du « co-branding
apportées à l’hôtelier. Une meilleure exposition au marché, une ouverture à de nouveaux
segments de clientèles, la lutte contre l’isolement d’une marque privée, le partage des coûts
promotionnels 20 apparaissent comme des avantages acquis pour l’hôtelier. L’alliance s’inscrit
dans une logique de coopération économique de type « gagnant - gagnant ».
En guise de conclusion, il convient de poser des limites à l’euphorie qui entoure la
labellisation. Notre réflexion porte à la fois sur l’utilisation du concept et sa pierre angulaire,
la qualité.
En premier lieu, l’implémentation d’un label correspond à un usage de gestion interne, offrant
à son utilisateur une opportunité de premier ordre : l’analyse du processus de management de
l’établissement hôtelier, permettant la remise en question des procédures de gestion.
L’hôtelier développe son identité, sa culture, en bénéficiant de l’expertise métier d’un
référentiel. Les normes et standards lui servent de points de repères par rapport à la pratique
du secteur. Sur le terrain, ce choix implique la nomination d’un responsable label qualité dans
l’établissement et de solutions d’amélioration continue soumises aux contraintes de formation
permanente des personnels.
17
Forgacs, (2003), déjà cité, p. 340.
Priluck, R., Till, B.D. & Wahburn, J.H. (2000). Co-Branding : brand equity and trial effects. Journal of
consumer marketing, 17, pp. 591-604.
19
Brodie, R.J., Leitch, S. & Motion, J. (2003). Equity in corporate co-branding. European journal of marketing,
37, pp. 1080-1094.
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Benezra, K. & Spethmann, B. (1994). Co-brand or be dammed. Brand week, pp.20-24
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Le retour sur investissement en terme de communication, d’image, ou de chiffre d’affaires
pour les labellisés reste cependant aléatoire et dépend fortement de la dynamique des
organismes fédérant la labellisation. Dans ce cadre, la gestion marketing du cycle de vie de la
marque semble capitale. Les labels, en forte concurrence les uns aux autres, se doivent eux
aussi d’actualiser en permanence leur positionnement et leurs prestations.
« In Fine », la labellisation ne doit pas servir d’alibi ou d’identification des risques de gestion,
mais engage l’hôtelier sur le caractère durable à moyen et long terme de son management.
En second lieu, la compréhension du mot qualité reste centrale. Dans la pratique, il existerait
un décalage entre la qualité fournie (ce que les hôteliers mettent en place pour parvenir à
satisfaire leurs clients) et la qualité perçue (ce que comprend le consommateur). Pour se
différencier et faire vivre la qualité, les hôteliers tendent à revendiquer une pratique
personnelle. Certains la relient à la tradition, d’autres au luxe ou encore la restreignent à des
contraintes budgétaires ou légales. Se trouvent souvent opposés, l’artisan, au produit
forcément synonyme de qualité, et l’industriel, fatalement synonyme de non - qualité.
Au-delà du cliché, il apparaît que le client est rarement partie prenante à la démarche qualité,
lorsqu’il s’agit de mettre au point un instrument de mesure ou une charte d’engagements. Les
hôteliers tendent à définir eux-mêmes leurs prestations et le niveau de qualité à atteindre en
fonction de leur propre expérience ou de leurs contraintes, rompant malheureusement la
relation avec le client.
Toutes ces actions, qualité et labellisation, sont-elles issues d’une mode pour rassurer ou
mieux vendre sans réel engagement de la part des professionnels de la filière hôtellerie ? On
en doute car la prise de conscience des hôteliers sur la qualité existe belle et bien. La
labellisation par la démarche qualité s’avère un outil précieux en termes d’audit, de contrôle
interne, de fidélisation et de suivi de l’évolution des comportements des clients.
Marc Major, Dr Ès Sciences Economiques, Professeur d’Economie et de Tourisme, Ecole
Hôtelière de Lausanne. Email : [email protected]
Bibliographie
Ouvrages :
Chacko, H.E, Chambers, R.E. & Lewis, R.C. (1995). Marketing leadership in hospitality.
Foundations and practices (2nd ed.), Wiley
Duncan, T. (2002). IMC: Using advertising and promotion to build brands, Mc Graw-Hill,
International Edition.
Morgat, Pierre (2001). Fidélisez vos clients (2nde édition), Editions d’Organisation.
Articles :
Aaker, D.A. & Krishnan, B.C. (2001). Brand equity : is it more important for services ?
Journal of services marketing, 15, pp. 328-342.
© EHL-FORUM, No 5, Février 2005, Ecole Hôtelière de Lausanne (Switzerland)
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Benezra, K. & Spethmann, B. (1994). Co-brand or be dammed. Brand week, pp.20-24
Brodie, R.J., Leitch, S. & Motion, J. (2003). Equity in corporate co-branding. European
journal of marketing, 37, pp. 1080-1094.
De Chernatony, L. & Segal-Horn, S. (2003). The criteria for successful services brands.
European journal of marketing, 37, pp. 1095-1118
Forgacs, G. (2003). Brand asset equilibrium in hotel management. International Journal of
contemporary hospitality Management, 15/6, pp 340-342.
Priluck, R., Till, B.D. & Wahburn, J.H. (2000). Co-Branding : brand equity and trial effects.
Journal of consumer marketing, 17, pp. 591-604.
Watkins, M. (1998). L’hôtellerie frappée par la qualimania. L’hôtellerie française, n° 2591
Sites internet:
www.demoscope.ch (étude PKS)
www.swisstourisme.ch
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