Oran, l`Espagne et Cervantes

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Oran, l`Espagne et Cervantes
Insaniyat / ‫إﻧﺴﺎﻧﻴﺎت‬
Revue algérienne d'anthropologie et de sciences
sociales
23-24 | 2004
Oran : Une ville d'Algérie
Oran, l’Espagne et Cervantes
Oran, Spain and Cervantes
Oran, España y Cervantes
‫ أﺳﺒﺎﻧﻴﺎ و ﺳﺮﻓﺎﻧﺘﻴﺲ‬،‫وﻫﺮان‬
Ahmed Abi Ayad
Éditeur
Centre de recherche en anthropologie
sociale et culturelle
Édition électronique
URL : http://insaniyat.revues.org/5636
DOI : 10.4000/insaniyat.5636
ISSN : 2335-1578
Édition imprimée
Date de publication : 30 juin 2004
Pagination : 223-232
ISSN : 1111-2050
Référence électronique
Ahmed Abi Ayad, « Oran, l’Espagne et Cervantes », Insaniyat / ‫[ إﻧﺴﺎﻧﻴﺎت‬En ligne], 23-24 | 2004, mis en
ligne le 27 août 2012, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://insaniyat.revues.org/5636 ; DOI :
10.4000/insaniyat.5636
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Oran, l’Espagne et Cervantes
Oran, l’Espagne et Cervantes
Oran, Spain and Cervantes
Oran, España y Cervantes
‫ أﺳﺒﺎﻧﻴﺎ و ﺳﺮﻓﺎﻧﺘﻴﺲ‬،‫وﻫﺮان‬
Ahmed Abi Ayad
1
Le processus de la recherche historique initié voilà quelques années dans notre pays
révèle clairement cette préoccupation scientifique majeure ainsi que les nombreux efforts
et labeur de réflexion et d’interrogations pour une meilleure connaissance et
appréhension des sources et archives historiques relatives aux principaux évènements
qui ont marqué, d’abord, l’histoire de l‘Algérie et, ensuite, ses relations avec l’Europe,
notamment l’Espagne dont les profondes attaches nous unissent depuis l’époque de Al
Andalus.
2
Aborder l’histoire moderne d’Oran, c’est évoquer nécessairement la politique africaniste
de l’Espagne avec le mythe unificateur et confus d’une « Espagne africaine » à partir
d’une panoplie de sentiments d’autodéfense préventive d’un impérialisme conquérant et
de croisade contre l’infidèle1.
3
Le début des conflits entre l’Espagne et l’Algérie remonte à la fin du XVe siècle avec la
reconquête des territoires de Al Andalus2, et avec l’extension du pouvoir des Rois
Catholiques jusqu’en Algérie avec la prise d’Oran en 1509.
4
Avant son invasion, la ville affichait alors une remarquable situation économique, sociale
et culturelle, selon le témoignage et description de l’historien Alvarez Gómez : « Au XVe
siècle, Oran avait connu une splendeur et une physionomie de grande cité sous le règne
des Zianides, avec ses six milles maisons, ses mosquées, ses écoles comparables à celles de
Cordoue, Séville et Grenade, ses nombreux thermes et ses magnifiques édifices. » 3
5
D’autres références espagnoles signalent l’importance de la ville et de son port
stratégique : « Le port d’Oran représentait la clef pour s’emparer de cette deuxième ville,
magnifique passerelle de commerce, parce qu’au XVe siècle, des commerçants catalans
pratiquaient le commerce. Des Génois descendaient à Oran, et maintenant ce qu’on voit à
leur place, c’est une armée. »4
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1
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Dès la conquête de Mers-el-Kébir en septembre 1505 par Diego Fernandez de Córdoba,
celle d’Oran devenait imminente pour sauvegarder la première et satisfaire les visées
expansionnistes du cardinal Ximenez de Cisneros qui, quatre années plus tard, un 19 mai,
s’empara d’Oran non sans difficultés et désastre. Aussitôt occupée, la ville fut soumise à
un saccage et massacre impitoyables de la population. Du riche butin réparti entre les
soldats, Cisneros Ximenez se contenta, lui de s’approprier tous les ouvrages arabes, qu’il
emporta avec lui à son retour en Espagne.
7
Cependant, on peut dire que la présence espagnole en « Algérie », plus exactement dans
l’Oranie, se résumait, enfin de compte, à l’occupation des places d’Oran et de Mers-ElKébir. Puis garder ces positions, cela supposait énormément de sacrifices ainsi qu’une
perpétuelle alerte et vigilance derrière les murailles et les forteresses.
8
Les Espagnols avaient beaucoup de difficultés à maintenir ces enclaves dans un contexte
très hostile. Car c’en était fini avec « l’Espagne africaine », et « le rêve sénile de Cisneros
d’un Maghreb chrétien et espagnol »5. Certes, ils n’ont jamais pu imposer une domination
stable à Oran et dans toute la région. Le harcèlement continu des autochtones et les sièges
successifs qu’ils devaient subir les obliger à s’approvisionner à partir de la péninsule et
souvent dans des conditions insupportables, car les provisions et les ravitaillements
arrivaient fréquemment avec beaucoup de retard. Seul le recours aux habituelles razzias
ou pillages des hameaux voisins permettait d’approvisionner la place et les soldats
constamment affamés. De nombreux témoignages sur toutes ces questions apparaissent
de façon évidente dans la comédie El Gallardo español, ou le Vaillant espagnol, de Miguel de
Cervantes.
9
Au fil des années, la ville devenait un site austère, où l’état d’alerte ne cessait presque
jamais. Elle était souvent assiégée, en permanente situation d’hostilité avec les douars
voisins qui l’isolaient complètement dans ses enclaves militaires. Le siège de 1563, qui
inspira plus tard Cervantes, révélait, on ne peut mieux, le courage et le sacrifice espagnol
dans les batailles les plus sanglantes. « Oran commença à être attaquée durement par les
Arabes de façon permanente, et perdait souvent des garnisons entières, comme celle du
fort Saint-Grégoire, qui devait être protégé, sous le commandement d’un moine de
soixante-deux ans avec une cinquantaine d’hommes, qui sont morts au milieu de ce lieu
d’héroïsme. »6
10
Le recensement général de la ville par le commandant Alonso de Cordoba, peu de temps
après le terrible et féroce siège, signalait une population civile de huit cents habitants,
parmi lesquels deux cents hommes en état de porter les armes et une garnison de mille
cinq cents soldats. L’ancienne ville, comptoir commercial de la Méditerranée, était
déserte. Elle fut réduite à une espèce de « présides espagnols », où Philippe II envoyait les
prisonniers et condamnés des bagnes de Malaga. Les marchands vénitiens, génois,
catalans, français ne fréquentaient plus leurs boutiques florissantes, pleines de toiles, de
tissus, laine, peaux, ivoire, céréales, armes, et cristal. Une atmosphère d’insécurité
l’envahissait constamment.
11
Ce fut alors, à cette époque de profonde désolation et douloureuse situation, que Miguel
de Cervantes arriva à Oran, un printemps de l’année 1581, plus précisément dix-huit ans
après les terribles affrontements et combats de Mers-el-Kébir. Son séjour lui permit,
pendant plus d’un mois, de s’informer et d’observer l’aspect misérable et déprimé de la
ville totalement détruite. Elle ne comptait désormais plus que trois mille habitants,
garnison incluse.
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En effet, ce sont ces souvenirs, informations et images que Miguel de Cervantes, grand
connaisseur du monde musulman de l’Espagne et d’Alger, où il fut emprisonné durant
cinq ans, à qui nous devons le récit du siège de 1563 dont il s’inspira pour écrire sa
comédie el Gallardo español.
13
Cet événement historique assez significatif a eu un retentissement littéraire important
aussi bien en arabe qu’en espagnol. Malheureusement, si les sources littéraires espagnoles
relatives à ce siége sont plus nombreuses, nous ne notons qu’un seul document en arabe
qui y fait référence, les autres étant détruits ou méconnus7. El Gallardo español fut rédigé
en 1595, et publié en 1616, c’est-à-dire quelques temps après la mort de son célèbre
auteur. Mais l’intérêt de cette pièce dramatique réside dans sa relation directe et étroite
avec l’histoire d’Oran à cette époque-là8. En effet, cette fameuse production théâtrale de
Cervantes représente un prétexte imaginaire pour évoquer une partie héroïque de
l’histoire de cette ville, que l’auteur connaissait déjà à partir d’Alger durant sa captivité 9.
14
Il est intéressant de mentionner ici que, dans sa deuxième tentative d’évasion vers Oran,
qu’il relate dans son ouvrage el Trato de Argel (le Traitement d’Alger) 10, nous retrouvons,
toutefois, certaines références sur celle-ci dans la discussion de deux esclaves qui
projettent de s’échapper. Leur commentaire est assez précis :
« Alors, comment penses-tu y aller ?
Car maintenant, vu que c’est la saison d’été,
Les Arabes se retirent tous à la campagne,
à la recherche de l’air frais.
As-tu quelques renseignements qui puissent
nous indiquer par où se trouve la direction d’Oran ?
Oui, je les ai, et je sais qu’on doit passer d’abord,
en traversant deux rivières : celle de bates appelée
oued Azafran, qui se trouve là tout près ;
l’autre celle de Hiquesnaque étant beaucoup plus loin.
A côté de Mostaganem, et vers la main droite,
Se dresse une grande côte,
qu’on appelle la grande montagne,
et au-dessus d’elle on y découvre
en face un mont, qui est le siège
sur lequel Oran dresse la tête. »11
15
El Gallardo español, dont les scènes et actions se déroulent à Oran, relate un véritable
drame historique concernant le fameux siège de la ville et celui de Mers-El-Kébir de 1563,
par Hassan Pacha, avec d’authentiques protagonistes qui y ont vécu et défendu les deux
places-fortes. Ce profond désir de Cervantes de relater des faits avec précision relève d’un
principe fondamental qu’il réitère souvent dans ces écrits : « Verdad e historia », disait-il
à la fin de sa comédie los Baños de Argel (les Bagnes d’Alger), tandis que dans el Gallardo
español, il achève le récit avec l’intervention du personnage Buytrago qui manifeste ce
même sentiment :
« … L’heure est arrivée
de mettre fin à cette comédie
dont la principale intention
fut de mélanger des vérités
à de fabuleux essais. »12
16
La même idée réapparaît dans certaines scènes lorsqu’il dit : « C’est une histoire que j’ai
vue moi-même. »13
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17
L’argumentaire de cette comédie sur Oran présente deux situations : l’une fictive et
l’autre réelle. A côté de la fiction de l’intrigue amoureuse entre Ali Muzel et sa maîtresse
Arlaja qui vit dans le douar voisin, il y a la réalité qui correspond à la défense d’Oran et les
continuelles attaques arabes pour libérer les places-fortes occupées par les Espagnols.
18
Si le profil romanesque de la comédie qui se tisse autour de l’histoire amoureuse
constitue l’aspect attractif et intéressant du dénouement de la relation sentimentale, le
fond historique se fonde, lui, sur des événements dramatiques réels qu’Oran supportait
alors. « Des faits réels mélangés à des faits imaginaires », disait Cervantes lui-même en se
référant à cette pièce, où toutes les actions belliqueuses sont évoquées dans leur juste
contexte géographique et historique et où sont mis en évidence les exploits de certains
chefs, aussi bien arabes qu’espagnols, tels, respectivement, Ali Muzel et le conte
Alcaudete qui a gouverné Oran pendant vingt-quatre ans.
19
Cervantes a mis en scène également d’autres personnages importants de ce fameux siège
historique et dont il a connu l’un d’entre eux lors de sa visite en 1581. Il s’agit de Martin
de Córdoba, défenseur de Mers-el-Kébir, et dont le père mourut dans le désastre de
Mostaganem pendant les affrontements avec Hassan Pacha. A ce propos, un vers d’el
Gallardo español mentionne ce souvenir qui a marqué l’histoire héroïque de cette famille
espagnole à Oran. Ainsi, lorsque Alonso envoie son jeune frère, Martin, prendre le
commandement de Mers-el-Kébir, pour résister aux attaques de Hassan Pacha, il échange
les propos suivants avec un autre personnage en disant :
« Mon frère, qui, à Almarza est déjà enfermé
montrera à qui appartient la courageuse tentative ;
pour que ce chien n’aboie plus jamais,
c’est celui qui à Mostaganem a mordu son père. »
20
Et il ajouta :
« J’ai foi en son énergie.
Il doit vaincre celui qui à Mostaganem
a vaincu son père. »14
21
Ce sentiment révèle, on ne peut mieux, un aspect historique précis et significatif
d’ailleurs des principaux événements et hauts faits qui ont marqué l’histoire de nos
relations.
22
Toutefois, l’auteur met en évidence ce profond désir de vouloir retracer ce contexte
conflictuel tragique de la guerre avec une réalisme cruel et véridique, qu’illustre cette
réplique de Alabez à Hassan :
« Qui a vaincu le père vaincra le fils.
Il ne faut plus attendre, oh Hassan le grand !
Car le temps que tu tardes, tu le déduis
à tes extraordinaires et infinies victoires. »15
23
Quelques traits autobiographiques de Cervantes apparaissent dans le personnage de
Fernando de Saavedra, un des plus audacieux capitaines qui ont défendu Oran. L’allusion
est faite à l’auteur, de même qu’on reconnaît ici le comportement héroïque et prodigieux
de Cervantes, qui lui coûta la perte de son bras gauche dans la fameuse bataille de
Lépante, en 1571.
24
El Gallardo español, c’est un pan historique de la ville d’Oran espagnol qui est évoqué. C’est
aussi un témoignage authentique et important que ce génie de la littérature nous
transmet de notre cité de cette époque-là. C’est donc une image émouvante, sentimentale
et intéressante à la fois, car aujourd’hui au XXIe siècle, tous ses habitants peuvent se
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reconnaître et se projeter dans le vieil Oran espagnol avec tous ses monuments et
forteresses.
25
Un nombre considérable d’informations est ainsi rapporté, et constitue pour nous un
document précieux pour la connaissance de ce passé lointain, révélateur de divers aspects
économiques, sociales et militaires. Cervantes signale même l’attitude misérable et
lamentable des soldats espagnols affamés et vêtus en haillons qui demandaient de
l’aumône. Le portrait qu’il dresse de Buytrago, à l’épée sans étui, attachée de chiffons, est
pathétique :
« Que Dieu soit avec moi ! Mettez-moi des décombres
suffisantes à la bouche, et donnez-moi des Maures
à la poignée, aux paires, en milliers ;
vous verrez qui est Buytrago, et s’il mérite de
manger dix, alors il lutte pour vingt. »16
26
A côté de cet aspect comique de la pièce, se dégagent des éléments dramatiques et
horribles de la guerre. Buytrago lance des prières et se prête à la mendicité, et cet état des
choses a été observé par Cervantes même, qui affirme : « Cette manière de crier l’aumône,
je l’ai vue moi-même. » Un peu plus loin, Buytrago fait état de l’horreur qui sévit dans la
place avec un certain clin d’œil d’héroïsme et de prétention :
« Personne ici ne bouge du lit
Empesé et en pendeloques,
Ici on meurt à coups d’estocades
Et à coups de balles la poitrine est rompue. »17
27
Cette cruelle et dure réalité révèle, d’un autre côté, l’héroïsme et le courage des soldats
espagnols, que Cervantes voulait mettre en valeur. De même qu’il évoque ici et décrit avec
un certain réalisme et véracité les razzias opérées contre les autochtones pour châtier les
tribus hostiles ou pour pourvoir les casernes militaires en victuailles, esclaves et
animaux.
28
La pièce mentionne d’autres informations topographiques telle « la montagne des lions »
et la porte de « Canastel ». D’ailleurs, à propos de lions d’Oran, Cervantes aborde ce thème
dans son Don Quichote, chapitre XVII, où dans une scène apparaît un brave chevalier qui
arrête une charrue et demande au charretier ce qu’il transport, et ce dernier lui répond :
« Ce qu’il y a dedans, ce sont deux lions féroces que le commandant général des places
d’Oran envoie à la cour pour Sa Majesté ».
29
La même référence apparaît dans la nouvelle La Gitanilla, lorsque le personnage central, la
Preciosa, s’exprime ainsi dans sa fameuse romance :
« Petite beauté, petite beauté,
celle aux mains d’argent
que ton mari aime plus
que le roi de Alpujarras.
Tu es la colombe sans épines
mais des fois tu es brave
comme une lionne d’Oran. »18
30
D’autres allusions dignes de Cervantes se réfèrent aux Arabes, plus précisément lorsqu’il
évoque les galants de Médioni, tribu vaillante à l’esprit chevaleresque, dont parleront
aussi bien Marmol qu’Abou Aras et, plus tard, à la fin du XVIIIe siècle, le poète exilé à Oran,
Garcia de la Huerta19. Cervantes, très respectueux des valeurs humaines, semble rendre,
ici, un vibrant hommage au combattant Ali Muzel, qui se distingue, lui aussi, par son
esprit noble et vaillant en défiant Don Fernando de cette façon :
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Oran, l’Espagne et Cervantes
Ecoutez-moi, vous autres d’Oran,
chevaliers et soldats,
qui croisez avec notre sang,
vos faits remarquaables.
Je suis Ali Muzel, un Arabe
de ceux qui sont appelés
les galants de Medioni,
aussi vaillants que nobles.
Ainsi, je te défie,
Don Fernando, le fort, le brave,
si infâme des Arabes.
Vous verrez bien dans tout ce que j’ai dit
que, même s’il y a d’autres Fernando,
c’est celui de Saavedra
que j’appelle à la bataille.
Et pour te donner une chance
afin que tu viennes à portée de main
voir avec moi maintenant,
de ces choses je te charge :
car tu te défends de si loin,
avec l’arquebuse qui te protège.
Ici, près de Canastel,
Seul je t’attendrai. »20
31
El Gallardo español est la synthèse de tout ces événements passés dans cette ville frontière.
Toutefois, malgré son aspect littéraire, il représente un véritable document, assez
significatif sur la présence espagnole à Oran. Son récit révèle, d’ailleurs, une objectivité et
une vision réaliste digne de Cervantes, sur certains éléments historiques, géographiques,
sociologiques et économiques.
32
Le sentiment de l’égalité et de la dignité des êtres humains est présent dans toute l’œuvre
cervantine. L’image que nous transmet, ici, Cervantes des Oranais constitue une
représentation respectueuse et honorable, en dépit de la guerre. Son témoignage est
révélateur des différents comportements et actions qui ont occupé l’espace
environnemental d’une période importante de l’histoire régionale. Il représente en
quelque sorte l’état des lieux de cette situation conflictuelle où les individus sont dignes
d’éloges et méritent bien un traitement respectable.
33
On remarque, dans une scène, que l’ennemi, c’est-à-dire l’Arabe, est traité avec respect et
considération, comme le montrent ces quelques vers : « C’est un Arabe courtois et
vaillant », dit Fernando en se référant à Ali Muzel. Cette attitude d’estime apparaît aussi
chez ce dernier lorsqu’il parle de l’Espagnol sur ce ton : « Le chrétien n’est pas un ennemi,
le contraire oui ! » ou : « Mais Fernando n’est pas mon ennemi, mais seulement mon
adversaire ».
34
Notons, en outre, que ce respect mutuel entre les personnages de différente confession
est aussi vrai et applicable envers les religions en question, puisque les adieux entre le
capitaine Guzmàn et Ali Muzel se font dans une atmosphère sereine et très respectueuse.
Les prophètes respectifs sont cités avec beaucoup de révérence et de piété. Ce qui dénote
l’usage vigoureux des croyances et des expressions culturelles et religieuses de l’époque.
Guzmàn salue son homologue en ces termes : « Ali ! Que Mohammed te protège », et Ali
Muzel lui répond : « Que ton Christ soit avec toi ! ».
35
Tous ces propos et sentiments montrent, on ne peut mieux, l’attitude de ses personnages
qui, sans doute, tout comme l’auteur, rejettent la guerre en échange de la paix et
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réconciliation entre les hommes. C’est du moins le message que Cervantes semble vouloir
transmettre à ses lecteurs.
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Finalement, nous considérons que tous ces comportements et révélations sont émouvants
et dignes de cette grande tragédie, qui représente essentiellement un témoignage de
grande valeur historique d’un passé tumultueux, tragique et magnifique à la fois de notre
région.
37
Pour conclure, je dirai, qu’à travers El Gallardo español, Cervantes voulait certainement
exprimer quelques nobles et importantes valeurs humaines de notre histoire commune,
qui continuent de nous interpeller de nos jours pour de meilleurs rapports entre les
peuples.
38
Cette pièce est, en fin de compte, une méditation profonde sur cet événement majeur et
de grande signification de l’histoire d’Oran, de l’histoire des relations hispanoalgériennes et, bien sûr, de l’histoire de l’hispanisme algérien qui avance inéluctablement
vers de nouvelles perspectives et pistes de recherche des connaissances.
NOTES
1. - Isabelle la Catholique et le cardinal Ximenez de Cisneros étaient les seuls à croire réellement
à un avenir africain et chrétien de l’Espagne.
2. - Le dernier royaume musulman des Abencerrages de Grenade tombait sous la prise des
Espagnols en 1492.
3. - Alvarez Gomez, historien, cité par E. Robles "Cervantes à Oran" in Simoun 28-29, 7e. annèe,
Oran, 1954, p. 13.
4. - Morales, Oliver : Oran y España.- conferencia in l.E.A, 23 nov. 1960
5. - Epalza, M. et Bautista Vilar, J.: Planos y Mapas hispánicos de Argelia Siglos XVIº -XVIIIº.Madrid, éd. I.H.A.C. 1988.- p.59.
6. - Morales, Oliver : Oran y España.- Conferencia in l.E.A, 23 nov. 1960.
7. - Le rare et précieux document arabe auquel nous nous référons appartient au livre de Ibn
Meriem, El Bostan ou Jardin des biographies des Saints et Savants de Tlemcen. Ibn Meriem, a
vécu à la seconde moitié du XVI siècle et nous a conservés cette merveilleuse et intéressante
poésie du savant et poète, Abderrahman Ben Mohammed qui, présent durant le siége de 1563,
composa ces vers épiques pour stimuler et encourager Hassan Pacha à parvenir à la victoire au
nom de Dieu le tout Puissant et le consoler de son premier désespoir.
8. - Cervantes Saavedra, Miguel de : Ocho comedias y ocho entremeses nuevos nunca
representados.- Madrid, 1615.
9. - Rappelons que Miguel de Cervantes était captif à Alger de 1575 à 1580
10. - Cervantes, M. de : El Trato de Argel.- p. 157, Voir : Abi-Ayad, Ahmed: Argel : Fuente literaria
de M. de Cervantes (Alger : source littéraire de Miguel de Cervantes).- 1er. Congreso
internacional de la Asociación de los Cervantistas, Almagro (Ciudad Real), España, 1991.
11. - Cervantes, M. de : El gallardo español.- III, p.p. 131, 1-4
12. - Cervantes, M. de : Gallardo español.- In B.A.E. 1ª, jornada.- p.11
13. - Idem : Acte III.- pág. 146
14. - Idem : Acte III.- pág. 147.
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Oran, l’Espagne et Cervantes
15. - Idem : Acte III.- I-V.
16. - Idem : Acte XIV -XIX
17. - Cervantes, M. de : La Gitanilla.- Madrid, in Novelas Ejemplares, edc. C.C., Espasa Calpe, 1969.pág.29.
18. - García de la Huerta écrivit son oeuvre dramatique Raquel à Orán, où il l’étrenna au théâtre
reconstruit par Eugenio de Alvaro, commandant des places d’Oran de 1770 à 1773. García de la
Huerta dédia une églogue intitulée « Eglogue africaine à l’érection de la statue que le Maréchal de
Camp, Don Eugenio de Alvarado, commandant général des places et forteresses d’Oran avait
dressée à la mémoire du Roi, le 20 mai 1772.
19. - Cervantes, M. de : El Gallardo Español.- 1er. Acte. I -III.
20. - Idem.
RÉSUMÉS
Oran représente une importance considérable dans le cœur des Espagnols depuis la nuit des
temps. Ce sentiment m’a été confirmé aussi par un grand diplomate espagnol, ancien directeur
de l’Institut hispano,arabe. Nous retrouvons cet amour de notre ville chez cet illustre écrivain,
Miguel de Cervantès, qui, en souvenir de sa visite en mai 1582, nous a laissé une merveilleuse
pièce dramatique qui relate un événement capital de l’histoire de la ville.
Il s’agit du siège d’Oran et de Mers,el,Kébir, en 1563, par Hassan Pacha, venu d’Alger en force
pour libérer les Oranais de l’emprise espagnole. Des personnages, à la fois historiques et
authentiques des deux communautés, sont évoqués avec dignité et respect. Cette attitude de
Cervantès vis,à,vis des protagonistes concerne également les religions en question, qui ne
manquent pas de jouir, elles aussi, d’une profonde considération. Au milieu des affrontements
militaires et des razzias des tribus arabes, se tissent des relations amoureuses entre les héros des
deux communautés, qui évoluent et agissent dans un espace oranais que nous retrouvons et
reconnaissons de nos jours. La toponymie et l’onomastique régionales trouvent d’ailleurs une
place significative tout au long de cette œuvre.
Oran has represented a considerable importance in Spaniards’ hearts since the mists of time.
This feeling has also been confirmed by a great Spanish diplomat, the former director of the
Spanish – Arabic Institute. We find this love for our town again in the famous writer Miguel de
Cervantes, who in memory of his visit in May 1582, left us the wonderful drama relating a capital
event in Oran history.
It concerns the siege of Oran and Mers el,Kebir in 1536, by Hassan Pacha come from Algiers to
free the Oran people from Spanish hold. Some celebrities at the same time historical and
authentic from the two communities are called to mind with dignity and respect. This attitude of
Cervantes faced to his protagonists equally concerns the religions in question which are not
lacking in profound consideration .In the middle of military conflict and Arab tribal razzias, a
love relationship is woven between the heroes of both communities who evolve and act in the
Oran space, which we find and recognize to our day. Toponomy and regional onomastics
moreover find an important place in this work.
Oran representa una importancia considerable en el corazón de los Españoles desde ya hace
siglos.
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Oran, l’Espagne et Cervantes
Este sentimiento me ha sido confirmado incluso por un gran diplomático español, antiguo
Director del Instituto Hispano,Árabe. Volvemos a encontrar este profundo cariño hacia nuestra
ilustre ciudad en el famoso escritor , Miguel de Cervantes, quien, en recuerdo de su visita allí, en
mayo de 1582, nos dejó una maravillosa obra dramática que relata un acontecimiento capital de
la historia de Oran.
Se trata del asedio de Oran y de Mers,El,Kébir, de 1563, por Hasan Pacha, quien legaba desde
Argel con la tropa para liberar a los ciudadanos de Oran de la empresa española. Personajes a la
vez históricos y auténticos de ambas comunidades son evocados con dignidad y respeto. Esta
actitud de Cervantes respecto a sus protagonistas concierne igualmente las religiones en cuestión
que no dejan de gozar ellas también de una profunda consideración.
En medio de los enfrentamientos militares y de las razias de las tribus árabes, se tejen relaciones
amorosas entre los héroes de las dos comunidades, que evolucionan y actúan en un espacio
oranés actual y reconocido hasta hoy día. La toponimia y la onomástica regional encuentran por
otra parte una plaza significativa a lo largo de esta obra.
‫ و ﻗﺪ أﻛﺪ ﻟﻲ ﻫﺬا‬.‫ﺗﺤﺘﻞ ﻣﺪﻳﻨﺔ وﻫﺮان ﻣﻜﺎﻧﺔ ذات أﻫﻤﻴﺔ ﻛﺒﻴﺮة ﻓﻲ ﻗﻠﻮب اﻹﺳﺒﺎن ﻣﻨﺬ اﻷزﻣﻨﺔ اﻟﻐﺎﺑﺮة‬
‫ و ﻧﺠﺪ ﻫﺬا اﻟﺸﻐﻒ‬.‫اﻟﻜﻼم أﺣﺪ اﻟﺪﺑﻠﻮﻣﺎﺳﻴﻴﻦ اﻹﺳﺒﺎن اﻟﻜﺒﺎر وﻫﻮ ﻣﺪﻳﺮ ﺳﺎﺑﻖ ﻟﻠﻤﻌﻬﺪ اﻹﺳﺒﺎﻧﻲ اﻟﻌﺮﺑﻲ‬
‫ اﻟﺬي ﺗﺮك ﻟﻨﺎ ﺑﻤﻨﺎﺳﺒﺔ زﻳﺎرﺗﻪ ﻟﻠﻤﺪﻳﻨﺔ ﻓﻲ ﻣﺎﻳﻮ‬،‫ ﻣﻴﻘﺎل دي ﺳﺮﻓﺎﻧﺘﻴﺲ‬،‫ﺑﻤﺪﻳﻨﺔ وﻫﺮان ﻋﻨﺪ اﻟﻜﺎﺗﺐ اﻟﻜﺒﻴﺮ‬
.‫ ﻧﺼﺎ ﻣﺴﺮﺣﻴﺎ ﺟﻤﻴﻼ ﺗﻌﺮض ﻓﻴﻪ ﻟﺤﺪث ﺟﻠﻴﻞ ﻓﻲ ﺗﺎرﻳﺦ ﻣﺪﻳﻨﺔ وﻫﺮان‬،1582
‫ ﻣﻦ ﻗﺒﻞ ﺣﺴﻦ ﺑﺎﺷﺎ‬،1563 ‫و ﻳﺘﻌﻠﻖ اﻷﻣﺮ ﺑﺎﻟﺤﺼﺎر اﻟﺬي ﺿﺮب ﻋﻠﻰ ﻣﺪﻳﻨﺔ وﻫﺮان و اﻟﻤﺮﺳﻰ اﻟﻜﺒﻴﺮ ﺳﻨﺔ‬
‫ و ﻗﺪ‬.‫اﻟﺬي ﺟﺎء ﻣﻦ ﻣﺪﻳﻨﺔ اﻟﺠﺰاﺋﺮ و ﻣﻌﻪ ﻗﻮة ﻋﺴﻜﺮﻳﺔ ﻛﺒﻴﺮة ﻟﺘﺤﺮﻳﺮ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﻣﻦ اﻟﺴﻴﻄﺮة اﻹﺳﺒﺎﻧﻴﺔ‬
(‫ذﻛﺮ اﻟﻜﺎﺗﺐ ﻓﻲ ﻧﺼﻪ ﻫﺬا ﺑﻌﺾ اﻟﺸﺨﺼﻴﺎت اﻟﺘﺎرﻳﺨﻴﺔ و اﻟﺤﻘﻴﻘﻴﺔ ﻣﻦ اﻟﺠﻤﺎﻋﺘﻴﻦ )اﻟﺠﺰاﺋﺮﻳﺔ و اﻻﺳﺒﺎﻧﻴﺔ‬
.‫ﺑﻜﻞ اﺣﺘﺮام و ﺗﻘﺪﻳﺮ‬
‫ ﺣﻴﺚ ﻳﺬﻛﺮﻫﺎ‬،‫و ﻧﺠﺪ أن ﺳﺮﻓﺎﻧﺘﻴﺲ اﺗﺨﺬ ﻣﻮﻗﻔﺎ ﻣﻦ اﻟﺪﻳﺎﻧﺎت ﻳﺘﻔﻖ ﻣﻊ ﻣﻮﻗﻔﻪ اﻟﺴﺎﺑﻖ ﻣﻦ اﻟﺨﺼﻤﻴﻦ‬
.‫ﺑﺎﺣﺘﺮام و ﺗﻘﺪﻳﺮ ﺑﺎﻟﻐﻴﻦ اﻟﻌﻤﻖ‬
‫ ﻋﻼﻗﺎت ﺣﺐ و ﻏﺮام ﺑﻴﻦ أﺑﻄﺎل‬،‫و ﺗﻨﺴﺞ ﻓﻲ ﺧﻀﻢ اﻟﻤﻮاﺟﻬﺎت اﻟﻌﺴﻜﺮﻳﺔ و ﻏﺰوات اﻟﻘﺒﺎﺋﻞ اﻟﻌﺮﺑﻴﺔ‬
‫ و‬.‫ ﻗﺪ ﻧﺘﻤﻜﻦ اﻵن ﻣﻦ إﻳﺠﺎد ﻣﻌﺎﻟﻤﻪ و اﻟﺘﻌﺮف ﻋﻠﻴﻬﺎ‬،‫اﻟﺠﻤﺎﻋﺘﻴﻦ اﻟﺘﻲ ﺗﺘﺤﺮك و ﺗﻨﺸﻂ ﻓﻲ ﻣﺠﺎل وﻫﺮاﻧﻲ‬
.‫ﺗﺠﺪ ﺗﺴﻤﻴﺔ اﻷﻣﺎﻛﻦ و ﺗﺴﻤﻴﺔ اﻷﻋﻼم اﻟﺠﻬﻮﻳﺔ دﻻﻟﺔ ﻛﺒﻴﺮة ﺿﻤﻦ ﻫﺬا اﻟﻌﻤﻞ اﻷدﺑﻲ‬
INDEX
Mots-clés : Oran, Mers El Kébir, histoire, vérité, affrontements militaires, razzias, islam,
christianisme, tributs arabes, fort San Salvador, Médioni, Hassan Pacha, Alonso et Martín
:‫ﻓﻬﺮس اﻟﻜﻠﻤﺎت اﻟﻤﻔﺘﺎﺣﻴﺔ‬,‫ ﻏﺰوات‬,‫ ﻣﻮاﺟﻬﺎت ﻋﺴﻜﺮﻳﺔ‬,‫ ﺣﻘﻴﻘﺔ‬,‫ ﺗﺎرﻳﺦ‬,‫ ﻣﺮﺳﻰ اﻟﻜﺒﻴﺮ‬,‫وﻫﺮان‬
‫ أﻟﻮﻧﺴﻮﻣﻮﺗﻴﻦ‬,‫ ﺣﺴﻦ ﺑﺎﺷﺎ‬,‫ ﻗﻠﻌﺔ ﺳﺎن ﺳﻠﻔﺎدور‬,‫ ﺣﺼﺎر‬,‫ اﻟﻘﺒﺎﺋﻞ اﻟﻌﺮﺑﻴﺔ‬,‫ اﻟﻤﺴﻴﺤﻴﺔ‬,‫اﻹﺳﻼم‬
Keywords : history, truth, military conflict, christianism, arab tribes, siege, San Salvador fort,
Alonso and Martin
Palabras claves : historia, enfrentamientos militares, religiones, tribus árabes, asedio
AUTEUR
AHMED ABI AYAD
Université d’Oran, chercheur associé – CRASC.
Insaniyat / 2012 | 24-23 ,‫إﻧﺴﺎﻧﻴﺎت‬
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