Compte rendu d`une formation - Le Planning Familial 24

Transcription

Compte rendu d`une formation - Le Planning Familial 24
Atelier 4 « adultes, parents, professionnels : quels outils et méthodes pour étayer sa pratiques ? »
Bordeaux Conseil Régional Aquitaine
12e conférence : promotion de la santé des jeunes aquitains – 6 juin 2012
« Comprendre les violences sexistes
entre jeunes : identifier et prévenir »
Le Planning Familial est une association 1901 reconnue par les pouvoirs publics pour son travail de
terrain et son expertise depuis sa création en 1956. Il œuvre dans le champ de la sexualité et de
l’émancipation des schémas de genres et c’est en ce sens qu’il se définit comme féministe et
d’éducation populaire. Au niveau régional, Le Planning Familial Aquitaine, ce sont cinq associations
départementales regroupées dans une fédération : ces associations sont établissements
d'information, de consultation et de conseil familial (EICCF) et, dans les Pyrénées atlantiques, Le
Planning Familial gère également un centre de planification, qui permet des consultations médicales,
et un centre de dépistage. L’activité de nos associations se concentre sur des écoutes individuelles,
des animations collectives auprès de publics très différentes (public scolaire, CHRS, CAT, en prison
etc) et des formations de professionnels.
Nous avons choisi de vous présenter pour cet atelier une action qui mettait en lumière de façon très
pragmatique la question de l’outil dans un cadre de formation de professionnels.
Cadre de l’action
❶ Où ? Qui ? Comment ?
Il s’agit d’une action qui s’est déroulée en Dordogne sur l’année 2011. Elle a été soutenue
financièrement par le Fond Interministériel de Prévention de la Délinquance puisqu’elle s’inscrivait
dans le cadre du IIIe plan interministériel Violences faites aux femmes.
Elle a pris la forme d’une formation sur une journée déclinée dans quatre secteurs ruraux (sarladais,
bergeracois, nontronnais et Mussidan) et réunissant pour ces quatre journées des professionnels
pluri disciplinaires et inter professionnels œuvrant sur un même territoire : il s’agissait par exemple
des assistances scolaires de secteur, cpe, infirmières scolaires, animateurs de périscolaires ou de
centres de loisirs, animateurs sportifs, mission locale, club de prévention etc. Des personnes très
diverses dans leur champ de compétences.
❷ Pourquoi ?
Cette action répondait à une demande émergeant des différentes programmes d’éducation à la
sexualité et des rencontres partenariales qui faisaient état des questionnements des professionnels
face à une violence sexiste entre jeunes qui était ressentie de plus en plus prégnante.
Le choix de la ruralité a été établi parce que le facteur rural apparait comme un facteur aggravant.
L’isolement géographique a pour effet de déterminer un cercle de sociabilité pour les jeunes plus
restreint et qui est souvent le même cercle social malgré la diversité des espaces de vie collective :
école, centre de loisirs, club sportif etc. Cette raréfaction des pairs conduit à une pression à
l’intérieur du groupe plus forte, à une homogénéisation des comportements car les normes
deviennent plus rigides. Il y a un sentiment d’enfermement dans des rôles stricts et l’influence
culturelle des médias semble plus déterminante encore qu’en milieu urbain.
~1~
Première temps de la formation : identifier les violences sexistes
La première partie de ces journées de formation s’est centrée sur l’identification et la
compréhension de ce que sont les violences sexistes : c’est-à- dire comment peut-on les définir ? De
qui s’agit-il ?
La notion en elle-même n’est pas en effet une notion simple à appréhender.
❶ Le terme de violence doit être analysé et il a donc été analysé lors de la formation :
En effet, un travail sur l’emploi au pluriel du mot est nécessaire. Il permet dans un premier temps de
comprendre la pluralité de formes de la violence sexiste (harcèlement, viol, coups) et la pluralité de
moyens utilisés (l’argent, l’enfant par exemple dans le cadre des violences conjugales souvent motif
de chantage…).
Cependant, il s’agit de penser aussi le mot au singulier.
Le mot au singulier pose souvent davantage de questionnement lorsqu’il s’agit de le définir car alors
surgit l’ambivalence inhérente au concept même de « violence ». Les deux formules qui ont surgit
très souvent lors de cette première approche avec les professionnels ont été « se faire violence » et
« se donner un bon coup de pied… (au çul) ». Que permettent de dévoiler ces deux expressions ? Le
fait que certaines violences n’ont pas pour effet la destruction mais sont au contraire comme le
socle et la condition de possibilité de trouver en soi une énergie qui sera constructive. Sentiment
étrange de percevoir une nuance positive au concept de violence.
L’acceptation d’une dimension « positive » est essentielle pour appréhender le phénomène à la fois
pour un travail auprès des auteurs (pas de fatalité de la répétition) mais aussi des victimes
(résilience). Dans cette acceptation de l’ambivalence du concept se joue la possibilité de croire qu’un
message préventif et éducatif est possible.
L’autre dimension à appréhender dans la notion de « violences sexistes » concerne bien évident la
dimension genrée du phénomène. De quoi s’agit-il ?
❷ Le genre
Pour la comprendre, il est nécessaire tout d’abord d’établir un retour rétrospectif sur ses propres
représentations personnelles de ce que sont le masculin et le féminin. L’implication personnelle est
essentielle avec des personnes qui œuvrent dans les champs professionnels du médico-social et de
l’éducation. La féminisation écrasante de ces professionnels est en effet en elle-même une source
de questionnement. Pour vous donner un exemple, sur les 64 personnes rencontrées en formation :
54 étaient des femmes, 10 hommes.
Ce travail sur ses représentations permet de comprendre la difficulté à s’extraire des
représentations collectives et de mesurer l’importance des modèles stéréotypés construits, validés,
renforcés et renouvelés par le discours social qui puise ses racines dans une construction sociale
profondément inégalitaire.
La difficulté à s’extraire des stéréotypes de sexe pour soi-même fait prendre conscience de la
difficulté pour les jeunes qui se construisent à s’en extraire à leur tour et à s’élaborer, à se projeter
en tant qu’homme et en tant que femme sur un autre mode.
~2~
❸La soumission à la violence sexiste
Tout ce travail préliminaire de réflexion sur la notion de « violences sexistes » conduit à mieux
comprendre l’apparente soumission des jeunes filles (ou jeunes hommes) à des normes de
violences, soumission qui est acceptée voire revendiquée et transmise comme valeur aux pairs.
C’est en effet ce dernier point qui est revenu le plus souvent dans les éléments d’analyse des vécus
des professionnels : « des fois j’en reste bouche bée ». Cette phrase, prononcée lors de ces journées
plusieurs fois, traduit bien la sensation d’être totalement démuni face au déni de violence établi par
les jeunes qui sont convaincus que ce qui est pointé par les professionnels comme de la violence est
en réalité « un jeu » « quelque chose de normal », et vivent au contraire, (et c’est un drôle de
retournement) l’intervention du professionnel comme une violence intrusive.
Il y a une certaine subjectivité de la violence sexiste : selon les normes culturelles en vigueur elle
apparait comme en réalité légitime à la personne.
Or, si on ne prend par exemple que l’un des aspects qui contribuent socialement à justifier la
violence sexiste, à savoir la culture musicale dont on sait qu’elle est si structurante pour un
adolescent/E, on saisit vite l’enfermement dans un rôle passif et de soumission d’objet sexuel ou au
contraire pour le masculin, dans un rôle d’un être de désir soumis à des pulsions irrépressibles…
Cet enferment dans des stéréotypes se rencontre dans tous les styles musicaux pour adolescents, y
compris le rock. Le facteur rural agit dans ce domaine de manière décisive car en l’absence d’offres
locales d’opérateurs de culture musicale (pratiques musicales, salles de concert, ou autres espaces
jeunes ado axés sur cet univers), les jeunes adolescents se tournent vers les radios musicales et leur
sites internet qui restreignent pour des raisons commerciales l’offre musicale.
Par tous ces biais, dont la culture musicale n’est qu’un aspect, la violence est vécue comme normale
parce que les rôles stéréotypés sont identifiés comme « normaux », comme « naturels » et donc la
violence devient invisible pour ceux et celles qui la subissent mais aussi pour ceux et celles qui la
commettent.
❹ Apport théorique et levier d’action
Cette invisibilité notamment en ce concerne les jeunes a été étudiée par des chercheurs. Une
présentation succincte de quelques travaux (comme ceux d’Isabelle Collet ou de Sylvia di Luzio) est
réalisée lors de ces journées de formation. Ces apports théoriques sont importants pour que les
personnes s’approprient ces éléments et les mesurent à leur propre réalité de terrain.
Parmi ces éléments, ce qui attire l’attention des professionnels c’est la notion de « violences sexistes
habituelles ».
Cette notion désigne ce climat permanent d’oppression sexiste dans lequel vivent les jeunes et qui
imprègnent tous les moments de la vie de tous les jours. Pour les professionnels les actes de
violences sexistes graves (type viol ou agression sexuelle) sont plutôt « exceptionnels » sans que cela
rende la chose plus acceptable.
Pour les professionnels que nous avons rencontrés, ce qui est remarquable dans la violence sexiste,
c’est qu’elle est tout le temps là. Il y a comme une oppression permanente qui confine parfois au
harcèlement et qui vient sans cesse rappeler les individus à leur assignation de genre : il s’agit par
~3~
exemple de la violence verbale, du contrôle de l’apparence physique (les cheveux longs, la minceur),
et cela va jusqu’au-delà, jusqu’aux rapports et les pratiques sexuels « forcés » (forme de demi
consentement ou de consentement contraint ce qui permet d’échapper à l’idée de viol ou
d’agression puisque le consentement est la limite fixée par la loi).
C’est cette forme de violences sexistes, qui a été désignée lors d’une journée par les mots de « bruit
de fond » ou encore de « goutte à goutte » pour évoquer l’idée de torture mentale qui laisse les
professionnels les plus démunis sur le terrain.
C’est pourquoi le levier d’action sur lequel les professionnels ont voulu travailler est celui du
discours car il est apparu comme le moyen de perturber le plus efficacement ce « bruit de fond » en
agissant dans tous les moments, les plus informels (par exemple lorsqu’on raccompagne un jeune
dans une salle ou sur une activité après un incident).
Deuxième temps de la formation : prévenir
Dans une formation, les professionnels pensent parfois que des kits de savoir-faire vont leur être
distribués.
C’est une attente qui est souvent déçue. Au contraire, ce qui a été proposé ici est un travail
permettant d’interroger la posture et le discours pouvant justement remédier au phénomène du
« bouche bée » ressenti devant la énième insulte sexiste.
Bien entendu une journée se saurait suffire à un tel objectif : il s’est agi plutôt d’orienter les
professionnels vers un travail à mener dans cette direction et de pointer cet aspect comme un levier
d’action à actionner.
❶ Pourquoi proposer un travail sur la posture et le discours ?
En matière de violences sexistes la posture est importante. En effet, gérer sa posture
professionnelle c’est se donner les moyens de mettre à distance les situations, les événements et
d’établir un tracé entre engagement et distanciation à la fois pour contrôler ses propres affects et
pour répondre néanmoins avec l’empathie et le recul clairvoyant nécessaire.
Le discours est dépendant d’une bonne gestion de la posture car il doit être réfléchi, adapté et
mesuré. Il est de l’ordre de la stratégie argumentative : la personne s’exprime en tant que
professionnel dans un objectif éducatif soit vis-à-vis d’un auteur soit vis-à-vis d’une victime. Il doit
choisir les mots qui peuvent entrer dans le système de pensée élaboré pour le déstabiliser. Y
compris chez les victimes qui n’identifient pas la violence qu’elles ont subie parce que tout est
intériorisé.
Un professionnel a ainsi rapporté comment une surveillante à qui un élève avait lancé un « tu as tes
règles ou quoi ? » s’était laissée submergée par les émotions –en l’occurrence une sorte de rage- qui
l’avait conduite à sanctionner immédiatement par un nombre impressionnant d’heures de colle.
Mais elle avait laissé la réplique sans réponse. Or, la colle est une réponse à côté puisqu’elle répond
au défi lancé à l’autorité institutionnelle mais pas à la portée réelle de l’attaque à savoir l’affirmation
de la domination masculine. Comme il y a eu silence sur la dimension « sexiste », l’élève est sorti
ainsi paradoxalement renforcé car auréolé d’un prestige « viril » dans un univers institutionnel très
féminisé et la surveillante a été en réalité atteinte personnellement plus que professionnellement.
~4~
❷ La posture, la bonne gestion de sa posture est indispensable, notamment pour comprendre
l’autre
Pour parvenir à faire entrer un message préventif et agir sur les comportements, il faut travailler sa
posture mais aussi son discours et c’est qu’ont été invités à faire les professionnels.
Ils ont été invités à élaborer les argumentaires des jeunes victimes de violences sexistes en position
de déni, « vous ne comprenez pas, c’était un jeu » et les argumentaires des jeunes auteurs.
Ces argumentaires ont ensuite été mis en scène dans des dialogues où chacun expérimentait des
stratégies éducatives qui se devaient d’éviter l’écueil de la joute verbale ou de la fuite vers une
sanction qui clôt l’échange et laisse le « dire-agir ».
Pour conclure :
Dans la relation de l’autre, le défi éducatif est lié au pouvoir de la parole des professionnels.
Lorsque le concept de « l’autre » est sexué, le défi éducatif est encore plus problématique si on
souhaite, comme nous le souhaitons et je le suppose comme vous le souhaitez vous-même,
construire une société mixte et égalitaire.
~5~