Jean Rousselot par Anne-Marie Rousselot La fille du poète Pas

Transcription

Jean Rousselot par Anne-Marie Rousselot La fille du poète Pas
Jean Rousselot par Anne-Marie Rousselot
La fille du poète
Pas facile d’être la fille du poète. Vous comprenez très tôt très vite qu’il s’agit de « tenir
son rang » comme disait Diane Vreeland* à propos de l’élégance.
On attend de vous, forcément, que vous soyez la meilleure en rédaction, même si vous
êtes plutôt tables de multiplication et théorème de Pythagore, ce qui d’ailleurs n’était
pas du tout mon cas, m’étant arrêtée justement aux tables de multiplication.
Et puis, noblesse oblige, vous vous devez d’être la meilleure en récitation.
Et ce n’est pas un mince défi surtout quand l’institutrice s’obstine à ne pas aller voir
plus loin que Henri de Régnier, voire l’année suivante, Maurice Carême. Je revois mon
père lever les yeux au ciel tandis que ma mère s’efforce de me faire réciter au moins
proprement un sonnet qui commence par « Les bois reverdissent » et dont ma
malicieuse mémoire ne veut retenir que ce premier vers.
Enfin, dès le premier jour de classe à la rentrée, quand on vous demande la profession
de votre père et que vous répondez POETE, vous devez supporter sans rougir les
sourcils en circonflexe de l’enseignant et les regards ébahis de vos collègues écoliers. Et
vous auriez bien préféré pouvoir répondre boulanger, plombier voire banquier car au
fond vous ne croyez pas vous même que poète soit un « vrai » métier.
Pourtant il travaillait beaucoup. Ne le voyait-on pas la plupart du temps assis à son
bureau un stylo à la main ou les doigts sur les touches de son Underwood ? C’est ainsi
que le maçon portugais qui avait œuvré chez nous était persuadé que ce monsieur qu’il
apercevait à la lumière de la lampe –même tard le soir- était comptable ?
Et puis, avançant en âge, me voici un jour dans le métro parisien. Je lève les yeux et
découvre un bandeau blanc estampillé « L’esprit libre RATP ».
A droite, je lis :
Jean Rousselot
(né en1913)
Le Spectacle continue
La Bartavelle
Au centre, se déroule un court poème :
LA VIE DURE
A peine les cosmonautes
Eurent-ils repris leur vol,
Que la vieille au fagot
Sortit de sa cachette
Et se remit à marcher sur la lune.
Je suis soulevée d’émotion et de fierté et j’ai envie de crier : regardez, lisez, c’est mon
père. Cette vieille qui porte son fagot et se remet en route inlassablement, c’est le poète,
c’est moi, c’est vous !
Anne-Marie Rousselot
*Ancienne grande prêtresse de Vogue américain