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MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN — 1, PLACE HANS ARP Dossier de préparation à la visite Niveau : à partir de 11 ans « JE ME SENS BIZARRE » « J’ai vu cet après-midi, en plein soleil, une jeune femme qui attendait le tramway en compagnie de son corps » René Magritte Service éducatif des musées, 2012 Palais Rohan — 2, place du château — 67076 Strasbourg cedex — http://www.musees.strasbourg.eu Réservations le matin 03 88 88 50 50 — Renseignements l’après-midi 03 88 52 50 04 — FAX 03 88 52 50 41 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE Sommaire Les ateliers d’écriture au Musée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 3 À propos du parti-pris thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 4 Fiche descriptive de l’animation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 6 Le corps dans l’œuvre et à l’œuvre (quelques pistes de réflexion) . . . . .p. 8 Notices des œuvres sélectionnées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 10 Quelques indications bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 16 2 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE I/ LES ATELIERS D’ÉCRITURE AU MUSÉE L’animation « Je me sens bizarre », conçue dans le cadre du Printemps de l’Écriture s’inscrit dans la continuité du cycle d’ateliers « Les yeux sur le bout de la langue », proposé aux élèves au Musée d’Art moderne et contemporain. Les objectifs pédagogiques, la méthode et la philosophie qui la sous-tendent sont les mêmes. Le dialogue avec l’œuvre est primordial. Le musée n’est pas un « prétexte » d’écriture mais le lieu d’une rencontre particulière avec celle-ci. Il est proposé d’appréhender des objets dans leur matérialité, des démarches d’artistes dans leur richesse conceptuelle et symbolique en empruntant des pistes d’écriture sous toutes ses formes (recherche de vocabulaire, invention poétique, textes narratifs, écriture de fiction, jeux graphiques, inventaires...) L’ « atelier » constitue avant tout une expérience, un temps de partage autour des œuvres. Il n’est donc pas question de produire sur ce temps de visite des textes élaborés ou aboutis. Les traces d’observations, ébauches de fiction ou formes poétiques pourront cependant constituer une matière première sur laquelle s’appuyer pour les sujets du concours du Printemps de l’Écriture. Dans le cadre d’une participation à la dite manifestation, l’inscription de la visite dans une progression est indispensable. D’une manière générale, l’objectif des ateliers d’écriture est d’approfondir son regard et sa compréhension des œuvres, d’affiner son appréciation par les mots. Mais aussi : - de partir des images pour inventer des formes d’écriture ou d’analyse - d’ouvrir le dialogue entre arts plastiques et littérature, voire d’élargir ce dialogue à d’autres disciplines quand cela est possible (musique, danse, cinéma, spectacle vivant) en évoquant les thèmes partagés, les préoccupations philosophiques, sociales et politiques communes. - de mettre en parallèle ou en perspective des textes d’auteurs modernes et contemporains ou de s’appuyer sur les écrits d’artistes eux-mêmes. 3 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE II/ À PROPOS DU PARTI-PRIS THÉMATIQUE : LE CORPS, SON ÉTRANGETÉ, SES MÉTAMORPHOSES Si le thème annuel du Printemps de l’Écriture « Bizarre... vous avez dit bizarre » nous a semblé intéressant au regard de nos collections, notamment par son occurence dans les orientations esthétiques de nombreux courants d’avantgarde (expressionnisme, symbolisme, surréalisme...), nous avons aussi rapidement entraperçu l’écueil d’un corpus trop large et d’une problématique insuffisamment circonscrite au départ. En creusant la définition du bizarre (qui est inhabituel, qui s’écarte de l’ordre commun, ce qu’on explique mal), et ses sens dérivés (curieux, drôle, étonnant, étrange, inattendu, insolite, saugrenu, singulier, drôle, baroque, biscornu, cocasse, grotesque), il apparaît que toute œuvre d’art peut-être qualifiée de bizarre. Le bizarre se pense en effet toujours comme un dérèglement par rapport à un référent, une règle ou une norme. Or la modernité artistique ne se définit-elle pas entre autre par la rupture avec la tradition, les critères et valeurs esthétiques imposés par l’enseignement académique ? Par ailleurs, ne peut-on considérer que toute production est bizarre dans la mesure ou elle représente une altérité (celle de l’objet, de l’artiste), une appropriation subjective du monde (par la création), la marque d’un territoire (inscription de signes, présence d’un corps) ? Quel sens peut encore revêtir le bizarre dans l’art contemporain, alors que l’on assiste à une prolifération d’objets, de matériaux, d’attitudes, de discours ? Ces questions nous ont rapidement poussé à privilégier un axe, une thématique forte dans l’art moderne et contemporain, où dans le même temps pouvaient être abordées de manière signifiante les notions d’originalité, de réalité, d’identité. Nous avons donc privilégié un thème, celui du corps, et dégagé, de manière plus imagée, une frontière sans cesse transgressée par les artistes, délimitant l’ordinaire et l’étrange, le réel et la fiction . Voici donc des axes d’analyse autour desquels les enseignants pourront être amenés à réfléchir avec leurs classes en amont ou en aval et qui seront abordés durant la visite : Proportionné/disproportionné Petit/grand Normal/anormal Classique/baroque Unique/original 4 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE Rassurant/inquiétant Connu/inconnu Conforme/non conforme Attendu/inattendu Sage/excentrique Intérieur/extérieur Rationnel/irrationnel Subjectif/objectif Réel/irréel Prosaïque/poétique Banal/inédit Limité/illimité Vraisemblable/invraisemblable Homogène/hétéroclite Rassemblé/dissocié Simple/exubérant Subjectif/objectif Linéaire/sinueux Mesuré/démesuré Unique/pluriel Sain/malsain Reconnaissable/méconnaissable Géométrique/agéométrique 5 MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN Fiche descriptive de la visite avec un médiateur Niveau : à partir de 11 ans Visite proposée jusqu’au 1er mars « JE ME SENS BIZARRE » PRÉSENTATION L’atelier d’écriture « Je me sens bizarre » a été conçu en lien avec le Printemps de l’Ecriture 2013 dont le thème est « bizarre, vous avez dit bizarre ». Les élèves sont invités à découvrir les œuvres d’art en empruntant les pistes ludiques de l’invention poétique. Des propositions de jeux et des consignes d’écritures comme point de départ stimulent le regard et l’imagination. Pour cette visite, une approche thématique liée à la représentation du corps et ses métamorphoses a été privilégiée dans un parcours d’œuvres choisies (P. Picasso, J. Arp, V. Brauner, R. Magritte, J. Perez, A. « J’a i vu c Messager…). aprè s-mid et plein i, en Enjeu majeur de la création moderne et contemporaine, le corps est jeune soleil, un e femm dans ses multiples modes d’évocation un reflet de l’identité changeane qui atten dait te de l’être et une matière modelable pour les artistes. le tra comp mway en L’observation des différentes modalités d’approche plastique et symboagnie lique du corps dans les œuvres du Musée sera l’occasion d’explorer le terd corps e son ritoire du bizarre et les frontières entre connu/inconnu, réel/inventé, » objectif/subjectif, intérieur/extérieur, homogène/hétéroclite ou encore vraiRené Magr semblable/invraisemblable. Cet atelier d’écriture est conçu autant comme itte un mode de sensibilisation spécifique des œuvres des collections du MAMCS qu’une étape de préparation pour les classes au Printemps de l’Ecriture. DURÉE : 1h45 DÉROULEMENT - La visite commence par une présentation générale du musée puis expose le fonctionnement de l’atelier et son thème. Les principes de plaisir, de jeu et de partage sont essentiels à son bon déroulement. Service éducatif des musées, 2012 Musée d’Art moderne et contemporain — 1, place Hans Jean ARP — 67076 Strasbourg cedex Réservations le matin 03 88 88 50 50 — Renseignements l’après-midi 03 88 23 31 15 — http://www.musees.strasbourg.eu Fiche descriptive de la visite avec un médiateur JE ME SENS BIZARRE Une première piste d’écriture assez légère permet d’amorcer l’atelier collectivement. - La classe est ensuite divisée en quatre groupes orientés devant les œuvres. Chaque élève écrit et compose individuellement à partir de la consigne qui est distribuée au groupe (celle-ci est adaptée à l’âge des participants). - Un troisième temps, celui de la mise en commun, est consacré à la lecture des textes devant chacune des œuvres abordées. Le médiateur synthétise et rebondit sur les différentes propositions en les rattachant à la démarche des artistes. Javier PEREZ, Baroco, 1996 - MAMCS Les productions pourront constituer une matière première ( amorces fictionnelles, recherche de vocabulaire, etc) pour un travail d’écriture plus approfondi dans le cadre du concours. AIDES À LA VISITE - Dossier-enseignant téléchargeable sur le site des museés : www.musees.strasbourg.eu - Visuels d’œuvres des collections du MAMCS sur http://www.videomuseum.fr - Centre de documentation du Service éducatif (ouvrages en prêt). Cette visite, conçue en lien avec le printemps de l’Ecriture 2013, sera proposée du 02 octobre 2012 au 1er mars 2013. Ceux qui souhaitent participer au concours peuvent se rendre sur le site de l’académie de Strasbourg pour plus de précisions : www.ac-strasbourg.fr. René Magritte, Madame Récamier de David, 1967 - MAMCS DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE 8 III/ LE CORPS DANS L’ŒUVRE ET À L’ŒUVRE (QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION) « Je recolle les yeux Je décolle les oreilles Je coupe les doigts Je déchire un sein C’est ma loi d’échanges Je taille Je mets en pièces Morceaux de choix et bas morceaux Je démembre Je morcèle Je hais le linéaire J’épingle Je sèche J’humidifie Je resèche Je n’enfante que des chimères » Annette Messager La représentation du corps est intimement liée à l’art occidental marqué par le primat du dogme catholique de l’incarnation. L’occurrence de la figure, d’abord soumise aux canons esthétiques d’harmonie et de beauté idéale, est réinterrogée dés la fin du XIXe siècle quand les artistes en rupture avec un certain académisme, les critères de ressemblance et l’impératif d’élévation morale en proposent une vision plus personnelle et plus libre. Substituant un nu réaliste et frontal aux nymphes archaïsantes et idéalisées encore en vogue dans les salons officiels, l’Olympia de Manet est un des tableaux « historiques » dont la connotation scandaleuse s’est convertie en valeur de «manifeste». De la révolution cubiste au surréalisme, l’idée de beauté, de vraisemblance et de proportion sont mis à mal. Disloqué, exagéré, géométrisé, fragmenté, réifié, hybridé, le corps traverse et bouleverse la représentation picturale et sculpturale du XXe siècle. Tandis que l’image de l’ancienne figure du monde se trouve déstabilisée par les événements tragiques du XXe siècle - guerres mondiales, massacres, génocides, défiant la confiance en l’homme et dans le progrès cher au XIXe siècle -, les artistes s’attaquent à la représentation humaine. Cette révolution DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE plastique s’accompagne aussi d’une remise en cause de la pensée cartésienne et de la naissance de la psychanalyse abolissant l’unité du sujet conscient. Toutes sortes de procédés plastiques sont alors expérimentés, comme chez les surréalistes, pour matérialiser les images du rêve et de l’inconscient, et refléter une identité morcelée, diffractée. Le corps fragmenté associé à toutes sortes d’objets devient ainsi le vecteur d’une inquiétante étrangeté. Les corps polymorphes et hybrides provoquent le choc visuel et psychique. Dans ces bouleversements, le corps va même jusqu’à s’affranchir de la représentation, n’étant plus qu’une trace tangible du passage de l’artiste (Expressionnisme abstrait), quand ce n’est le corps lui-même qui devient le support d’actions, de performances vécues comme autant d’épreuves physiques et psychologiques (Body art, Art corporel). C’est aussi de plus en plus le corps du spectateur qui est sollicité avec des œuvres qui se meuvent en expérience sensible de l’espace et du temps (Art minimal, Land art, etc). Pour d’autres artistes encore, le corps est le médium privilégié d’une évocation poétique de son être au monde dans lequel les matières, les processus ressuscitent toutes sortes de mythes et en créent de nouveaux ( Javier Perez, Annette Messager, Jana Sterbak, Louise bourgeois, Eva Hesse…) Quelques références bibliographiques seront données en annexe. 9 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE IV / NOTICES DES ŒUVRES SÉLECTIONNÉES PABLO PICASSO Bien qu’elle ait été peinte durant la période « classique » de Picasso, La Femme à la guitare de 1924 est nourrie de l’héritage formel et thématique du cubisme. Picasso expérimente ici une technique originale de retrait de peinture en grattant avec une pointe la couche supérieure de couleur noire pour faire apparaître le beige sous-jacent. En opposant de larges aplats uniformes noir et gris au graphisme léger et clair des contours du corps de son modèle, l’artiste rapproche le geste du peintre et celui du graveur ou du dessinateur. Dans le même temps, les plans géométriques colorés, sur lesquels se détache l’image stylisée de la femme, rappellent les papiers collés du cubisme synthétique. Sur un thème lui-même typiquement cubiste — un personnage jouant d’un instrument —, cette composition est un hommage aux formes, au plaisir de les tordre, de les opposer, de les relier. La Femme à la guitare fait aussi allusion à la Guitare en tôle de 1912-1913, l’une des oeuvres-phares de la sculpture moderne, dans laquelle Picasso avait figuré le trou de la guitare par un cylindre, en inversant le creux par une protubérance. Comme un clin d’oeil malicieux, Picasso s’amuse dans ce tableau à faire coïncider le nombril de la femme avec le trou de la guitare. Dans Buste de femme de 1926, Picasso, encore dans son époque ingresque, garde la lisibilité du sujet en jouant des formes cernées par un trait courbe et continu, tout en renonçant à évoquer la profondeur. Des lignes croisées déterminent des surfaces rayées sur le buste, évoquant l’aspect décoratif de papiers peints, et séparent le visage en zones d’ombre et de lumière. Réutilisant un procédé typiquement cubiste, Picasso se joue à télescoper des plans en glissant un profil sombre qui vient embrasser les lèvres du visage de face éclairé sur lequel se dessine un oeil de profil. En réduisant sa palette au noir, au gris et au blanc, et en opposant aux formes géométriques des courbes et des contre-courbes, Picasso propose une relecture du cubisme synthétique et, notamment, des papiers collés, mais aussi impose ce visage de femme dans sa superbe monumentalité. (H.F.) Bibliographie Pierre Daix, Dictionnaire Picasso, Paris, Robert Laffont, 1995. Marie-Laure Bernadac, Picasso. Le sage et le fou, Paris, Gallimard, 1997. Brigitte Léal, Picasso. La monographie 1881-1973, Paris, La Martinière, 2000. 10 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE VICTOR BRAUNER Avant d’adhérer au groupe surréaliste, en 1932, et de s’installer définitivement en France, cet artiste roumain auquel Breton reconnaît le « pouvoir des pentacles » participe activement aux manifestations d’avant-garde de son pays et publie notamment, en 1924, son Manifeste de la Picto-poésie qui traite de la dimension plastique des mots et des lettres. Cette confusion des genres sera l’une de ses thématiques récurrentes, en témoigne Tableau-Lettre de 1933. Mais c’est surtout la fascination pour les possibilités symboliques, voire allégoriques, de la peinture qui ne le quittera plus, le conduisant vers une peinture écriture hiéroglyphique de plus en plus épurée et inspiratrice. Nourrie des formes-signes qu’il puise dans la mémoire collective universelle, la peinture de Victor Brauner se décode, voire s’initie comme une langue traditionnelle. Il la veut chargée d’un réel pouvoir de révélation pour agir directement sur le spectateur. « Le tableau est donc magique, il établit des rapports incantatoires et directs avec les grandes rêveries primitives, rêveries matérielles. » Après une première période surréaliste marquée par de nombreuses morphologies inconscientes de l’Homme, anatomies oniriques et érotiques, l’artiste entre dans une nouvelle phase mystique et pessimiste, après l’accident qui, en 1938, le priva d’un oeil, dévoilant ses pouvoirs prophétiques (Brauner s’était représenté avec un oeil énucléé huit ans auparavant). C’est l’époque des peintures dites « Lycanthropes » ou « Chimères » qui, de façon troublante, annonceront, selon Breton, la folie dans laquelle l’humanité allait sombrer. Chimère de Strasbourg en est exemplaire. Dans un registre coloré dominé par des ocres, des verts et des jaunes atténués, un monstre hybride féminin (mi-animal mi-femme), au regard hypnotique, volontairement flou — « Par le flou, des objets changent d’un objet à l’autre, c’est le flou qui fait le lien », selon Brauner —, irradie d’une lumière diffuse créant une ambiance lourde d’appréhension suspendue dans le temps et l’espace. Réfugié près de Gap à partir de 1942 et face à une pénurie de matières premières pour sa peinture, Victor Brauner met au point une technique picturale à base de cire. Procédé qui s’avère être pour l’artiste particulièrement propice à mettre en mouvement « toutes les forces mystérieuses de l’image créée ». Proche de matières picturales anciennes, la cire sera particulièrement adaptée à la représentation symbolique tout à fait personnelle que recherchait cet artiste isolé, replongé dans la lecture des romantiques allemands, de la Cabale et des sciences occultes. Si, dans L’Arc-en-ciel de 1943, un des premiers tableaux réalisés au moyen de cette technique, Brauner persiste à rendre l’effet du volume de la femme reptile dans un espace tridimensionnel, dans Strigoï (1946), personnage longiligne à la chevelure se terminant en animal menaçant, les couleurs appliquées en aplats sont soulignées d’un trait 11 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE continu et se découpent sur un fond uni. Ici, l’illusion spatiale de ses œuvres antérieures fait place à la réalité toute-puissante du symbole. Victor Brauner perfectionne la technique et l’usage de la cire jusqu’à la fin de sa vie, alliant à ses qualités picturales un fonctionnement symbolique de plus en plus hermétique et autobiographique. Se réfugiant en lui-même après sa rupture avec les surréalistes en 1948, il se livre à une introspection exhortée dans ses œuvres par l’exacerbation obsessionnelle des yeux manipulés / transformés / occultés. Il se ressource dans les arts anciens et primitifs pour révéler des archétypes universels : « Ma peinture est autobiographique, elle raconte ma vie. Et ma vie est exemplaire car universelle. » À la suite d’un achat en 1984 de deux tableaux importants provenant de l’atelier de l’artiste, La Parole et Génération Dévoratrice, la veuve de Victor Brauner a généreusement fait don au musée de deux autres oeuvres de son mari, Animal Moderne solidifiant l’autre temps et un très rare dessin à la bougie, Sans titre de 1944. Ce petit noyau fut considérablement enrichi en 1988 par un legs de Jacqueline Victor- Brauner, composé de 33 oeuvres de son mari. (M.P.) Bibliographie Didier Semin, Victor Brauner, cat., Réunion des musées nationaux – Paris, Filipacchi, 1991. JEAN ARP Membre actif du groupe Dada de Zurich puis proche du cercle surréaliste, Jean Arp, l’un des artistes pionniers de la première moitié du XXe siècle, se fraie un passage ténu entre la reproduction du réel et la création non objective. Pour décrire ses nouvelles formes plastiques, en rupture définitive avec un art mimétique, Arp préfère le terme d’art concret à celui d’art abstrait. S’érigeant toute sa vie contre une conception traditionnelle de l’art où l’artiste impose son regard sur le monde – rationnel et régulateur ou subjectif et expressif –, Arp confère à l’homme une place plus modeste, plus en harmonie avec la nature. Il veut que ses reliefs et ses sculptures, où se confondent l’humain et l’organique, « s’intègrent naturellement à la nature », qu’ils soient « aussi concrets et sensuels qu’une feuille ou une pierre ». Cet enfant de Goethe et de Böhm, contemporain de Heisenberg et de Bohr, revendique l’autonomie de l’art fondée sur un parallélisme avec les mécanismes naturels observés ou révélés par les sciences. Assimilant le processus de création aux phénomènes productifs d’une nature devenue un « modèle de production » plutôt qu’un « modèle de reproduction », l’artiste constelle et configure un ensemble limité de fragments ou de formes primordiales selon des combinaisons illimitées et n’hésite pas à intégrer dans son processus créatif le hasard et l’irrationnel, la décomposition et la mort. Son oeuvre se singularise comme un ensemble organique en perpétuelle gestation 12 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE qui ne connaît pas de véritables ruptures mais plutôt des métamorphoses et des mutations. Comme dans des cycles naturels perpétuels, chacune de ses créations se renvoie et se fait écho, régénérée régulièrement par la diversité des techniques et des matériaux explorés mais aussi par son intense activité poétique. Réfugié en Suisse après la déclaration de guerre, Jean Arp expose « ses premières peintures essentielles » – collages, broderies et reliefs – à Zurich, en 1915. Le Crucifié (1915), que Arp compare à « un jeu de construction pour enfants », sera exposé avec une autre oeuvre de Strasbourg, la broderie Composition en diagonale (1915). Ces compositions aux formes élémentaires et géométriques, dérivées du cubisme synthétique que l’artiste a découvert à Paris quelques années auparavant, annoncent ses futures formes élémentaires et donnent le ton serein et anonyme qui sera dès lors sa signature. Trousse du naufragé (1920-1921) comme son pendant Trousse d’un da, conservé au musée national d’Art moderne, sont uniques dans la production de l’artiste. Ici, quelques objets rudimentaires fixés sur une planche – une cale, des manches d’outils et un poids, des bois flottés ramassés au bord de la mer – sont littéralement usés par les eaux et les éléments. Il affirme ainsi, de façon explicite, l’un des thèmes récurrents dans son travail : la supériorité de la nature sur les productions de l’homme. Ces deux panneaux marquent en quelque sorte la fin de ses reliefs dada, les « Formes terrestres », et annoncent ses reliefs surréalistes. Dans ces derniers, l’artiste élabore, durant les années 1920, son « langage objet», un vocabulaire de formes qu’il décline en configurations, empreintes de poésie et d’humour. « Dans les années 1920 à 1929, je m’intéressais surtout aux objets parmi lesquels je compte aussi l’homme, ce bonbon-obélisque », explique l’artiste. Cravates, moustaches, bouteilles, plastrons, nombrils, seins… autant de signes-formes simplifiés, aux contours nets et arrondis et aux couleurs uniformes que Arp combine et recombine, créant de véritables poèmes visuels comme Grande Tête – Petit Torse (1923). Au début des années 1930, Arp entreprend les papiers déchirés (Composition, 1937), procédé lui permettant d’intégrer directement dans son processus créatif les phénomènes naturels de renouvellement et de métamorphose, de vie et de mort : « Vers 1930, naquirent les images du papier déchiré à la main… En créant l’image je tentais alors d’incorporer sa disparition et sa mort, de composer avec elles. La mort se propageait et dévorait l’image et la vie », écrit-il en 1948. À cette même époque, Arp se lance aussi dans la réalisation de sculptures en ronde-bosse dans lesquelles se retrouvent souvent les mêmes formes signes que dans ses reliefs. C’est notamment le cas des nombrils : formes pleines ou vides, évocations de l’origine du monde et de la vie (Nombril et deux idées). Le désir de création de l’artiste s’accomplira pendant plus de trente-six ans à travers ses nombreuses sculptures lisses et monolithiques aux profils mobiles où fusionnent règne végétal et règne humain dans un équilibre spontané 13 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE fortement évocateur. Concrétions, seuils, torses, roues, figures mythologiques surgiront de ses mains comme la Petite Vénus de Meudon (1957) qui rappelle non seulement ces déesses de fécondité des sociétés préhistoriques mais aussi leur lieu de provenance : les sites archéologiques où chaque fragment est porteur de sens comme à Meudon, lieu de production de l’artiste depuis 1926, où se rassemblent des formes latentes en plâtre qu’il voulait tout aussi anonymes et universelles. Grâce aux donations généreuses et aux achats récents, 47 oeuvres de Jean Arp couvrant cinquante-deux années de son travail créatif, de 1913 à 1965, sont devenues le noyau principal de la collection d’art moderne du Mamcs. (M.P.) Bibliographie Arp 1886-1966, cat., Musées de Strasbourg, 1986. Jean Arp. L’invention de la forme, cat., Anvers, Fonds Mercator, Bruxelles, Palais des BeauxArts, 2004 JAVIER PEREZ L’œuvre de Javier Pérez a dégagé dès son origine une approche sensible liée au corps et, plus particulièrement, à la notion d’interfaces entre son propre corps et le monde, entre l’intérieur et l’extérieur, entre le matériel et l’immatériel. Par la pratique du dessin, de la sculpture, de la performance et de la vidéo, l’artiste expérimente des situations et des matériaux qui rendent visible le corps dans son devenir charnel, mental et poétique, en refusant des images corporelles trop anatomiques ou identitaires. Barroco est une élégante robe à tournure, qui semble sortie d’un tableau de Velázquez. Pérez s’en explique : « Chaque fois que je vais au Prado, je reste collé à Las Meninas de Velázquez. Je suis fasciné par ces figures qui ont le regard perdu, mais qui sont tellement humaines en même temps qu’elles sont enfermées dans le carcan complètement artificiel de leurs vêtements luxueux ; c’est cette contradiction entre leur corps qui n’est pas parfait, qui est un peu difforme, et la richesse de leur vêtement qui me fascine. Le naturel ressort malgré l’artificialité. » Cette opposition est révélée dans Barroco où le raffinement et la préciosité visuels de l’œuvre s’opposent à sa matérialité composée d’intestins de vache lavés, séchés et coupés. Par ce passage de l’impur au pur, l’artiste cherche à révéler la grâce inscrite dans les parties les plus insoupçonnables de la matière. Il incarne ce principe fondamental de va et-vient entre le naturel et le culturel, la matière et la forme, l’idée et l’oeuvre d’art. (H.F.) Bibliographie Estancias, cat., Musées de Strasbourg, 1998. Mutaciones, cat., Madrid, Museo Centro de Arte Reina Sofia, 2004. 14 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE ANNETTE MESSAGER Plusieurs œuvres de l’artiste seront présentées à l’occasion de l’exposition qui se tiendra au MAMCS du 13 octobre 2012 au 3 février 2013. Annette Messager crée, depuis le début des années 1970, une œuvre singulière dans laquelle se mêlent, sur le mode de la collection, du bricolage et du jeu d’enfant, des éléments de différentes natures, tels photographies, dessins, objets manufacturés, animaux naturalisés. Son univers, empreint d’humour, qui témoigne d’une fascination pour l’art brut, célèbre la femme dans son quotidien le plus banal, tout en traquant le monde à travers ses vestiges, à la manière d’un ethnologue. A partir de 2001, l’artiste crée de grandes et sombres installations animées par d’inquiétantes mécaniques, qui mettent en scène des corps fragmentés ou disloqués, métaphores de déchirements existentiels ; elles empruntent à l’univers du théâtre, du cinéma expressionniste ainsi que du conte populaire, comme dans Casino, l’installation en 3 temps réalisée à l’occasion de la Biennale de Venise, dont le pantin Pinocchio était le fil rouge. Dans ses œuvres les plus récentes, Annette Messager nous livre un monde à la noirceur cataclysmique ; un monde pétrifié, carbonisé, un univers urbain d’après la catastrophe, dont les résidus miniaturisés flottent, agglutinés en des sortes d’îlots volants, ou semblent étouffer ce qu’il reste de vie sur la planète terre. Lointainement inspirée de l’univers de Swift dans ses Voyages de Gulliver, elle explore ici un registre relevant du fantastique ou de la science fiction, pour mettre en scène les pathologies du monde contemporain, en une manière de conte philosophique ou de fable politique. Le parcours de l’exposition, élaboré dans un dialogue étroit avec l’artiste, inclut une vingtaine d’œuvres, monumentales pour trois d’entre elles, ou de format plus modeste, telles écritures en filet de pêche, objets sculpturaux et dessins. 15 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE V/ QUELQUES INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES Ouvrages généraux d’art contemporain Groupes, mouvements, tendances de l'art contemporain depuis 1945 (nvlle édition), sous la direction de Mathilde Ferrer, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2001 Lire l’art contemporain : dans l’intimité des œuvres, Isabelle Ewig et Guitemie Maldonado, Larousse, coll. comprendre et reconnaître, 2005 Paul Ardenne, Art, l’âge contemporain : une histoire des arts plastiques à la fin du XXe siècle, Éditions du Regard, 1997 Jean-Yves Bosseur, Vocabulaire des arts plastiques du XXe siècle, Minerve, 1999 Le corps dans l’art Paul Ardenne, L’Image corps, figures de l’humain dans l’art du XXe siècle, Editions du regard, 2001 L’art au corps, le corps exposé de Man Ray à nos jours, Mac, galeries contemporaines des Musées de Marseille Féminin masculin, Le sexe de l'art, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1995 Roselee Goldberg, La Performance du futurisme à nos jours, Paris, Thames and Hudson, 2001. Sur les ateliers d’écriture Hubert Haddad, Le Nouveau magasin d’écriture, éd. Zulma, 2006 Hubert Haddad, Le Nouveau nouveau magasin d’écriture, éd. Zulma, 2007 Odette et Michel Neumayer, Pratiquer le dialogue arts-plastiques-écriture, Editions de la chronique sociale, 2005 Poésure et peintrie, Centre de la vieille charité, Marseille, réunion des musées nationaux/musées de Marseille 16 DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE JE ME SENS BIZARRE Sélection de textes littéraires cf bibliographie mise en ligne sur le site de l’académie de Strasbourg, rubrique Printemps de l’Ecriture: www.ac-strasbourg.fr Joël Pommerat, O.Bess, Pinocchio, Théâtre jeunesse, 2008 Lewis Caroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, Gallimard, Folio plus, 2008 Jonathan Swift, Voyages de Gulliver, Gallimard, Folio/classique, 1976 17