Dossier Préparation Je ma sens bizarre_qxd

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Dossier Préparation Je ma sens bizarre_qxd
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN — 1, PLACE HANS ARP
Dossier de préparation à la visite
Niveau : à partir de 11 ans
« JE ME SENS BIZARRE »
« J’ai vu cet après-midi, en
plein soleil, une jeune femme
qui attendait le tramway en
compagnie de son corps »
René Magritte
Service éducatif des musées, 2012
Palais Rohan — 2, place du château — 67076 Strasbourg cedex — http://www.musees.strasbourg.eu
Réservations le matin 03 88 88 50 50 — Renseignements l’après-midi 03 88 52 50 04 — FAX 03 88 52 50 41
DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
Sommaire
Les ateliers d’écriture au Musée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 3
À propos du parti-pris thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 4
Fiche descriptive de l’animation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 6
Le corps dans l’œuvre et à l’œuvre (quelques pistes de réflexion) . . . . .p. 8
Notices des œuvres sélectionnées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 10
Quelques indications bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 16
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
I/ LES ATELIERS D’ÉCRITURE AU MUSÉE
L’animation « Je me sens bizarre », conçue dans le cadre du Printemps de
l’Écriture s’inscrit dans la continuité du cycle d’ateliers « Les yeux sur le bout
de la langue », proposé aux élèves au Musée d’Art moderne et
contemporain.
Les objectifs pédagogiques, la méthode et la philosophie qui la sous-tendent
sont les mêmes. Le dialogue avec l’œuvre est primordial. Le musée n’est
pas un « prétexte » d’écriture mais le lieu d’une rencontre particulière avec
celle-ci.
Il est proposé d’appréhender des objets dans leur matérialité, des
démarches d’artistes dans leur richesse conceptuelle et symbolique en
empruntant des pistes d’écriture sous toutes ses formes (recherche de
vocabulaire, invention poétique, textes narratifs, écriture de fiction, jeux
graphiques, inventaires...)
L’ « atelier » constitue avant tout une expérience, un temps de partage autour
des œuvres. Il n’est donc pas question de produire sur ce temps de visite
des textes élaborés ou aboutis. Les traces d’observations, ébauches de
fiction ou formes poétiques pourront cependant constituer une matière
première sur laquelle s’appuyer pour les sujets du concours du Printemps de
l’Écriture. Dans le cadre d’une participation à la dite manifestation,
l’inscription de la visite dans une progression est indispensable.
D’une manière générale, l’objectif des ateliers d’écriture est d’approfondir
son regard et sa compréhension des œuvres, d’affiner son appréciation par
les mots.
Mais aussi :
- de partir des images pour inventer des formes d’écriture ou d’analyse
- d’ouvrir le dialogue entre arts plastiques et littérature, voire d’élargir ce
dialogue à d’autres disciplines quand cela est possible (musique, danse,
cinéma, spectacle vivant) en évoquant les thèmes partagés, les
préoccupations philosophiques, sociales et politiques communes.
- de mettre en parallèle ou en perspective des textes d’auteurs modernes et
contemporains ou de s’appuyer sur les écrits d’artistes eux-mêmes.
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
II/ À PROPOS DU PARTI-PRIS THÉMATIQUE : LE
CORPS, SON ÉTRANGETÉ, SES MÉTAMORPHOSES
Si le thème annuel du Printemps de l’Écriture « Bizarre... vous avez dit bizarre »
nous a semblé intéressant au regard de nos collections, notamment par son
occurence dans les orientations esthétiques de nombreux courants d’avantgarde (expressionnisme, symbolisme, surréalisme...), nous avons aussi
rapidement entraperçu l’écueil d’un corpus trop large et d’une problématique
insuffisamment circonscrite au départ.
En creusant la définition du bizarre (qui est inhabituel, qui s’écarte de l’ordre
commun, ce qu’on explique mal), et ses sens dérivés (curieux, drôle, étonnant,
étrange, inattendu, insolite, saugrenu, singulier, drôle, baroque, biscornu,
cocasse, grotesque), il apparaît que toute œuvre d’art peut-être qualifiée de
bizarre.
Le bizarre se pense en effet toujours comme un dérèglement par rapport à un
référent, une règle ou une norme. Or la modernité artistique ne se définit-elle
pas entre autre par la rupture avec la tradition, les critères et valeurs
esthétiques imposés par l’enseignement académique ?
Par ailleurs, ne peut-on considérer que toute production est bizarre dans la
mesure ou elle représente une altérité (celle de l’objet, de l’artiste), une
appropriation subjective du monde (par la création), la marque d’un territoire
(inscription de signes, présence d’un corps) ? Quel sens peut encore revêtir le
bizarre dans l’art contemporain, alors que l’on assiste à une prolifération
d’objets, de matériaux, d’attitudes, de discours ?
Ces questions nous ont rapidement poussé à privilégier un axe, une
thématique forte dans l’art moderne et contemporain, où dans le même temps
pouvaient être abordées de manière signifiante les notions d’originalité, de
réalité, d’identité.
Nous avons donc privilégié un thème, celui du corps, et dégagé, de manière
plus imagée, une frontière sans cesse transgressée par les artistes, délimitant
l’ordinaire et l’étrange, le réel et la fiction .
Voici donc des axes d’analyse autour desquels les enseignants pourront être
amenés à réfléchir avec leurs classes en amont ou en aval et qui seront
abordés durant la visite :
Proportionné/disproportionné
Petit/grand
Normal/anormal
Classique/baroque
Unique/original
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
Rassurant/inquiétant
Connu/inconnu
Conforme/non conforme
Attendu/inattendu
Sage/excentrique
Intérieur/extérieur
Rationnel/irrationnel
Subjectif/objectif
Réel/irréel
Prosaïque/poétique
Banal/inédit
Limité/illimité
Vraisemblable/invraisemblable
Homogène/hétéroclite
Rassemblé/dissocié
Simple/exubérant
Subjectif/objectif
Linéaire/sinueux
Mesuré/démesuré
Unique/pluriel
Sain/malsain
Reconnaissable/méconnaissable
Géométrique/agéométrique
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MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
Fiche descriptive de la visite avec un médiateur
Niveau : à partir de 11 ans
Visite proposée jusqu’au 1er mars
« JE ME SENS BIZARRE »
PRÉSENTATION
L’atelier d’écriture « Je me sens bizarre » a été conçu en lien avec le Printemps de
l’Ecriture 2013 dont le thème est « bizarre, vous avez dit bizarre ».
Les élèves sont invités à découvrir les œuvres d’art en empruntant les pistes
ludiques de l’invention poétique. Des propositions de jeux et des consignes d’écritures comme point de départ stimulent le regard et l’imagination.
Pour cette visite, une approche thématique liée à la représentation du corps et
ses métamorphoses a été privilégiée dans un parcours d’œuvres
choisies (P. Picasso, J. Arp, V. Brauner, R. Magritte, J. Perez, A.
« J’a
i vu c
Messager…).
aprè
s-mid et
plein
i, en
Enjeu majeur de la création moderne et contemporaine, le corps est
jeune soleil, un
e
femm
dans
ses multiples modes d’évocation un reflet de l’identité changeane qui
atten
dait
te de l’être et une matière modelable pour les artistes.
le
tra
comp mway en
L’observation des différentes modalités d’approche plastique et symboagnie
lique
du corps dans les œuvres du Musée sera l’occasion d’explorer le terd
corps e son
ritoire du bizarre et les frontières entre connu/inconnu, réel/inventé,
»
objectif/subjectif,
intérieur/extérieur, homogène/hétéroclite ou encore vraiRené
Magr
semblable/invraisemblable. Cet atelier d’écriture est conçu autant comme
itte
un mode de sensibilisation spécifique des œuvres des collections du MAMCS
qu’une étape de préparation pour les classes au Printemps de l’Ecriture.
DURÉE : 1h45
DÉROULEMENT
- La visite commence par une présentation générale du musée puis expose le
fonctionnement de l’atelier et son thème. Les principes de plaisir, de jeu et de
partage sont essentiels à son bon déroulement.
Service éducatif des musées, 2012
Musée d’Art moderne et contemporain — 1, place Hans Jean ARP — 67076 Strasbourg cedex
Réservations le matin 03 88 88 50 50 — Renseignements l’après-midi 03 88 23 31 15 — http://www.musees.strasbourg.eu
Fiche descriptive de la visite avec un médiateur
JE ME SENS BIZARRE
Une première piste d’écriture assez légère permet d’amorcer
l’atelier collectivement.
- La classe est ensuite divisée en quatre groupes orientés devant les
œuvres. Chaque élève écrit et compose individuellement à partir de
la consigne qui est distribuée au groupe (celle-ci est adaptée à l’âge
des participants).
- Un troisième temps, celui de la mise en commun, est consacré à la
lecture des textes devant chacune des œuvres abordées. Le
médiateur synthétise et rebondit sur les différentes propositions en
les rattachant à la démarche des artistes.
Javier PEREZ, Baroco, 1996 - MAMCS
Les productions pourront constituer une matière première ( amorces
fictionnelles, recherche de vocabulaire, etc) pour un travail d’écriture
plus approfondi dans le cadre du concours.
AIDES À LA VISITE
- Dossier-enseignant téléchargeable sur le site des museés :
www.musees.strasbourg.eu
- Visuels d’œuvres des collections du MAMCS sur
http://www.videomuseum.fr
- Centre de documentation du Service éducatif (ouvrages en prêt).
Cette visite, conçue en lien avec le printemps de l’Ecriture 2013,
sera proposée du 02 octobre 2012 au 1er mars 2013.
Ceux qui souhaitent participer au concours peuvent se rendre sur le
site de l’académie de Strasbourg pour plus de précisions :
www.ac-strasbourg.fr.
René Magritte, Madame Récamier de
David, 1967 - MAMCS
DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
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III/ LE CORPS DANS L’ŒUVRE ET À L’ŒUVRE
(QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION)
« Je recolle les yeux
Je décolle les oreilles
Je coupe les doigts
Je déchire un sein
C’est ma loi d’échanges
Je taille
Je mets en pièces
Morceaux de choix et bas morceaux
Je démembre
Je morcèle
Je hais le linéaire
J’épingle
Je sèche
J’humidifie
Je resèche
Je n’enfante que des chimères »
Annette Messager
La représentation du corps est intimement liée à l’art occidental marqué par le
primat du dogme catholique de l’incarnation.
L’occurrence de la figure, d’abord soumise aux canons esthétiques d’harmonie
et de beauté idéale, est réinterrogée dés la fin du XIXe siècle quand les artistes
en rupture avec un certain académisme, les critères de ressemblance et
l’impératif d’élévation morale en proposent une vision plus personnelle et plus
libre.
Substituant un nu réaliste et frontal aux nymphes archaïsantes et idéalisées
encore en vogue dans les salons officiels, l’Olympia de Manet est un des
tableaux « historiques » dont la connotation scandaleuse s’est convertie en
valeur de «manifeste».
De la révolution cubiste au surréalisme, l’idée de beauté, de vraisemblance et
de proportion sont mis à mal. Disloqué, exagéré, géométrisé, fragmenté, réifié,
hybridé, le corps traverse et bouleverse la représentation picturale et
sculpturale du XXe siècle.
Tandis que l’image de l’ancienne figure du monde se trouve déstabilisée par les
événements tragiques du XXe siècle - guerres mondiales, massacres,
génocides, défiant la confiance en l’homme et dans le progrès cher au XIXe
siècle -, les artistes s’attaquent à la représentation humaine. Cette révolution
DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
plastique s’accompagne aussi d’une remise en cause de la pensée cartésienne
et de la naissance de la psychanalyse abolissant l’unité du sujet conscient.
Toutes sortes de procédés plastiques sont alors expérimentés, comme chez les
surréalistes, pour matérialiser les images du rêve et de l’inconscient, et refléter
une identité morcelée, diffractée. Le corps fragmenté associé à toutes sortes
d’objets devient ainsi le vecteur d’une inquiétante étrangeté. Les corps
polymorphes et hybrides provoquent le choc visuel et psychique.
Dans ces bouleversements, le corps va même jusqu’à s’affranchir de la
représentation, n’étant plus qu’une trace tangible du passage de l’artiste
(Expressionnisme abstrait), quand ce n’est le corps lui-même qui devient le
support d’actions, de performances vécues comme autant d’épreuves
physiques et psychologiques (Body art, Art corporel).
C’est aussi de plus en plus le corps du spectateur qui est sollicité avec des
œuvres qui se meuvent en expérience sensible de l’espace et du temps (Art
minimal, Land art, etc).
Pour d’autres artistes encore, le corps est le médium privilégié d’une évocation
poétique de son être au monde dans lequel les matières, les processus
ressuscitent toutes sortes de mythes et en créent de nouveaux ( Javier Perez,
Annette Messager, Jana Sterbak, Louise bourgeois, Eva Hesse…)
Quelques références bibliographiques seront données en annexe.
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
IV / NOTICES DES ŒUVRES SÉLECTIONNÉES
PABLO PICASSO
Bien qu’elle ait été peinte durant la période « classique » de Picasso, La Femme
à la guitare de 1924 est nourrie de l’héritage formel et thématique du cubisme.
Picasso expérimente ici une technique originale de retrait de peinture en
grattant avec une pointe la couche supérieure de couleur noire pour faire
apparaître le beige sous-jacent. En opposant de larges aplats uniformes noir et
gris au graphisme léger et clair des contours du corps de son modèle, l’artiste
rapproche le geste du peintre et celui du graveur ou du dessinateur. Dans le
même temps, les plans géométriques colorés, sur lesquels se détache l’image
stylisée de la femme, rappellent les papiers collés du cubisme synthétique. Sur
un thème lui-même typiquement cubiste — un personnage jouant d’un
instrument —, cette composition est un hommage aux formes, au plaisir de les
tordre, de les opposer, de les relier. La Femme à la guitare fait aussi allusion à
la Guitare en tôle de 1912-1913, l’une des oeuvres-phares de la sculpture
moderne, dans laquelle Picasso avait figuré le trou de la guitare par un cylindre,
en inversant le creux par une protubérance. Comme un clin d’oeil malicieux,
Picasso s’amuse dans ce tableau à faire coïncider le nombril de la femme avec
le trou de la guitare. Dans Buste de femme de 1926, Picasso, encore dans son
époque ingresque, garde la lisibilité du sujet en jouant des formes cernées par
un trait courbe et continu, tout en renonçant à évoquer la profondeur. Des
lignes croisées déterminent des surfaces rayées sur le buste, évoquant l’aspect
décoratif de papiers peints, et séparent le visage en zones d’ombre et de
lumière. Réutilisant un procédé typiquement cubiste, Picasso se joue à
télescoper des plans en glissant un profil sombre qui vient embrasser les lèvres
du visage de face éclairé sur lequel se dessine un oeil de profil.
En réduisant sa palette au noir, au gris et au blanc, et en opposant aux formes
géométriques des courbes et des contre-courbes, Picasso propose une
relecture du cubisme synthétique et, notamment, des papiers collés, mais
aussi impose ce visage de femme dans sa superbe monumentalité. (H.F.)
Bibliographie
Pierre Daix, Dictionnaire Picasso, Paris, Robert Laffont, 1995.
Marie-Laure Bernadac, Picasso. Le sage et le fou, Paris, Gallimard, 1997.
Brigitte Léal, Picasso. La monographie 1881-1973, Paris, La Martinière, 2000.
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
VICTOR BRAUNER
Avant d’adhérer au groupe surréaliste, en 1932, et de s’installer définitivement
en France, cet artiste roumain auquel Breton reconnaît le « pouvoir des
pentacles » participe activement aux manifestations d’avant-garde de son pays
et publie notamment, en 1924, son Manifeste de la Picto-poésie qui traite de
la dimension plastique des mots et des lettres. Cette confusion des genres sera
l’une de ses thématiques récurrentes, en témoigne Tableau-Lettre de 1933.
Mais c’est surtout la fascination pour les possibilités symboliques, voire
allégoriques, de la peinture qui ne le quittera plus, le conduisant vers une
peinture écriture hiéroglyphique de plus en plus épurée et inspiratrice.
Nourrie des formes-signes qu’il puise dans la mémoire collective universelle, la
peinture de Victor Brauner se décode, voire s’initie comme une langue
traditionnelle. Il la veut chargée d’un réel pouvoir de révélation pour agir
directement sur le spectateur.
« Le tableau est donc magique, il établit des rapports incantatoires et directs
avec les grandes rêveries primitives, rêveries matérielles. »
Après une première période surréaliste marquée par de nombreuses
morphologies inconscientes de l’Homme, anatomies oniriques et érotiques,
l’artiste entre dans une nouvelle phase mystique et pessimiste, après
l’accident qui, en 1938, le priva d’un oeil, dévoilant ses pouvoirs prophétiques
(Brauner s’était représenté avec un oeil énucléé huit ans auparavant). C’est
l’époque des peintures dites « Lycanthropes » ou « Chimères » qui, de façon
troublante, annonceront, selon Breton, la folie dans laquelle l’humanité allait
sombrer. Chimère de Strasbourg en est exemplaire.
Dans un registre coloré dominé par des ocres, des verts et des jaunes
atténués, un monstre hybride féminin (mi-animal mi-femme), au regard
hypnotique, volontairement flou — « Par le flou, des objets changent d’un objet
à l’autre, c’est le flou qui fait le lien », selon Brauner —, irradie d’une lumière
diffuse créant une ambiance lourde d’appréhension suspendue dans le temps
et l’espace.
Réfugié près de Gap à partir de 1942 et face à une pénurie de matières
premières pour sa peinture, Victor Brauner met au point une technique
picturale à base de cire. Procédé qui s’avère être pour l’artiste particulièrement
propice à mettre en mouvement « toutes les forces mystérieuses de l’image
créée ». Proche de matières picturales anciennes, la cire sera particulièrement
adaptée à la représentation symbolique tout à fait personnelle que recherchait
cet artiste isolé, replongé dans la lecture des romantiques allemands, de la
Cabale et des sciences occultes. Si, dans L’Arc-en-ciel de 1943, un des
premiers tableaux réalisés au moyen de cette technique, Brauner persiste à
rendre l’effet du volume de la femme reptile dans un espace tridimensionnel,
dans Strigoï (1946), personnage longiligne à la chevelure se terminant en
animal menaçant, les couleurs appliquées en aplats sont soulignées d’un trait
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
continu et se découpent sur un fond uni. Ici, l’illusion spatiale de ses œuvres
antérieures fait place à la réalité toute-puissante du symbole. Victor Brauner
perfectionne la technique et l’usage de la cire jusqu’à la fin de sa vie, alliant à
ses qualités picturales un fonctionnement symbolique de plus en plus
hermétique et autobiographique. Se réfugiant en lui-même après sa rupture
avec les surréalistes en 1948, il se livre à une introspection exhortée dans ses
œuvres par l’exacerbation obsessionnelle des yeux manipulés / transformés /
occultés. Il se ressource dans les arts anciens et primitifs pour révéler des
archétypes universels : « Ma peinture est autobiographique, elle raconte ma
vie. Et ma vie est exemplaire car universelle. »
À la suite d’un achat en 1984 de deux tableaux importants provenant de
l’atelier de l’artiste, La Parole et Génération Dévoratrice, la veuve de Victor
Brauner a généreusement fait don au musée de deux autres oeuvres de son
mari, Animal Moderne solidifiant l’autre temps et un très rare dessin à la
bougie, Sans titre de 1944. Ce petit noyau fut considérablement enrichi en
1988 par un legs de Jacqueline Victor- Brauner, composé de 33 oeuvres de son
mari. (M.P.)
Bibliographie
Didier Semin, Victor Brauner, cat., Réunion des musées nationaux – Paris, Filipacchi, 1991.
JEAN ARP
Membre actif du groupe Dada de Zurich puis proche du cercle surréaliste, Jean
Arp, l’un des artistes pionniers de la première moitié du XXe siècle, se fraie un
passage ténu entre la reproduction du réel et la création non objective. Pour
décrire ses nouvelles formes plastiques, en rupture définitive avec un art
mimétique, Arp préfère le terme d’art concret à celui d’art abstrait. S’érigeant
toute sa vie contre une conception traditionnelle de l’art où l’artiste impose son
regard sur le monde – rationnel et régulateur ou subjectif et expressif –, Arp
confère à l’homme une place plus modeste, plus en harmonie avec la nature.
Il veut que ses reliefs et ses sculptures, où se confondent l’humain et
l’organique, « s’intègrent naturellement à la nature », qu’ils soient « aussi
concrets et sensuels qu’une feuille ou une pierre ». Cet enfant de Goethe et de
Böhm, contemporain de Heisenberg et de Bohr, revendique l’autonomie de l’art
fondée sur un parallélisme avec les mécanismes naturels observés ou révélés
par les sciences.
Assimilant le processus de création aux phénomènes productifs d’une nature
devenue un « modèle de production » plutôt qu’un « modèle de reproduction »,
l’artiste constelle et configure un ensemble limité de fragments ou de formes
primordiales selon des combinaisons illimitées et n’hésite pas à intégrer dans
son processus créatif le hasard et l’irrationnel, la décomposition et la mort. Son
oeuvre se singularise comme un ensemble organique en perpétuelle gestation
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
qui ne connaît pas de véritables ruptures mais plutôt des métamorphoses et
des mutations. Comme dans des cycles naturels perpétuels, chacune de ses
créations se renvoie et se fait écho, régénérée régulièrement par la diversité
des techniques et des matériaux explorés mais aussi par son intense activité
poétique. Réfugié en Suisse après la déclaration de guerre, Jean Arp expose «
ses premières peintures essentielles » – collages, broderies et reliefs – à
Zurich, en 1915.
Le Crucifié (1915), que Arp compare à « un jeu de construction pour enfants »,
sera exposé avec une autre oeuvre de Strasbourg, la broderie Composition en
diagonale (1915). Ces compositions aux formes élémentaires et géométriques,
dérivées du cubisme synthétique que l’artiste a découvert à Paris quelques
années auparavant, annoncent ses futures formes élémentaires et donnent le
ton serein et anonyme qui sera dès lors sa signature.
Trousse du naufragé (1920-1921) comme son pendant Trousse d’un da,
conservé au musée national d’Art moderne, sont uniques dans la production
de l’artiste. Ici, quelques objets rudimentaires fixés sur une planche – une cale,
des manches d’outils et un poids, des bois flottés ramassés au bord de la mer
– sont littéralement usés par les eaux et les éléments. Il affirme ainsi, de façon
explicite, l’un des thèmes récurrents dans son travail : la supériorité de la
nature sur les productions de l’homme. Ces deux panneaux marquent en
quelque sorte la fin de ses reliefs dada, les « Formes terrestres », et annoncent
ses reliefs surréalistes. Dans ces derniers, l’artiste élabore, durant les années
1920, son « langage objet», un vocabulaire de formes qu’il décline en
configurations, empreintes de poésie et d’humour.
« Dans les années 1920 à 1929, je m’intéressais surtout aux objets parmi
lesquels je compte aussi l’homme, ce bonbon-obélisque », explique l’artiste.
Cravates, moustaches, bouteilles, plastrons, nombrils, seins… autant de
signes-formes simplifiés, aux contours nets et arrondis et aux couleurs
uniformes que Arp combine et recombine, créant de véritables poèmes visuels
comme Grande Tête – Petit Torse (1923). Au début des années 1930, Arp
entreprend les papiers déchirés (Composition, 1937), procédé lui permettant
d’intégrer directement dans son processus créatif les phénomènes naturels de
renouvellement et de métamorphose, de vie et de mort : « Vers 1930, naquirent
les images du papier déchiré à la main… En créant l’image je tentais alors
d’incorporer sa disparition et sa mort, de composer avec elles. La mort se
propageait et dévorait l’image et la vie », écrit-il en 1948.
À cette même époque, Arp se lance aussi dans la réalisation de sculptures en
ronde-bosse dans lesquelles se retrouvent souvent les mêmes formes signes
que dans ses reliefs. C’est notamment le cas des nombrils : formes pleines ou
vides, évocations de l’origine du monde et de la vie (Nombril et deux idées). Le
désir de création de l’artiste s’accomplira pendant plus de trente-six ans à
travers ses nombreuses sculptures lisses et monolithiques aux profils mobiles
où fusionnent règne végétal et règne humain dans un équilibre spontané
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
fortement évocateur. Concrétions, seuils, torses, roues, figures mythologiques
surgiront de ses mains comme la Petite Vénus de Meudon (1957) qui rappelle
non seulement ces déesses de fécondité des sociétés préhistoriques mais
aussi leur lieu de provenance : les sites archéologiques où chaque fragment est
porteur de sens comme à Meudon, lieu de production de l’artiste depuis 1926,
où se rassemblent des formes latentes en plâtre qu’il voulait tout aussi
anonymes et universelles.
Grâce aux donations généreuses et aux achats récents, 47 oeuvres de Jean Arp
couvrant cinquante-deux années de son travail créatif, de 1913 à 1965, sont
devenues le noyau principal de la collection d’art moderne du Mamcs. (M.P.)
Bibliographie
Arp 1886-1966, cat., Musées de Strasbourg, 1986.
Jean Arp. L’invention de la forme, cat., Anvers, Fonds Mercator, Bruxelles, Palais des BeauxArts, 2004
JAVIER PEREZ
L’œuvre de Javier Pérez a dégagé dès son origine une approche sensible liée
au corps et, plus particulièrement, à la notion d’interfaces entre son propre
corps et le monde, entre l’intérieur et l’extérieur, entre le matériel et
l’immatériel.
Par la pratique du dessin, de la sculpture, de la performance et de la vidéo,
l’artiste expérimente des situations et des matériaux qui rendent visible le
corps dans son devenir charnel, mental et poétique, en refusant des images
corporelles trop anatomiques ou identitaires.
Barroco est une élégante robe à tournure, qui semble sortie d’un tableau de
Velázquez. Pérez s’en explique : « Chaque fois que je vais au Prado, je reste
collé à Las Meninas de Velázquez. Je suis fasciné par ces figures qui ont le
regard perdu, mais qui sont tellement humaines en même temps qu’elles sont
enfermées dans le carcan complètement artificiel de leurs vêtements luxueux
; c’est cette contradiction entre leur corps qui n’est pas parfait, qui est un peu
difforme, et la richesse de leur vêtement qui me fascine. Le naturel ressort
malgré l’artificialité. »
Cette opposition est révélée dans Barroco où le raffinement et la préciosité
visuels de l’œuvre s’opposent à sa matérialité composée d’intestins de vache
lavés, séchés et coupés. Par ce passage de l’impur au pur, l’artiste cherche à
révéler la grâce inscrite dans les parties les plus insoupçonnables de la
matière. Il incarne ce principe fondamental de va et-vient entre le naturel et le
culturel, la matière et la forme, l’idée et l’oeuvre d’art. (H.F.)
Bibliographie
Estancias, cat., Musées de Strasbourg, 1998.
Mutaciones, cat., Madrid, Museo Centro de Arte Reina Sofia, 2004.
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
ANNETTE MESSAGER
Plusieurs œuvres de l’artiste seront présentées à l’occasion de l’exposition qui
se tiendra au MAMCS du 13 octobre 2012 au 3 février 2013.
Annette Messager crée, depuis le début des années 1970, une œuvre
singulière dans laquelle se mêlent, sur le mode de la collection, du bricolage et
du jeu d’enfant, des éléments de différentes natures, tels photographies,
dessins, objets manufacturés, animaux naturalisés. Son univers, empreint
d’humour, qui témoigne d’une fascination pour l’art brut, célèbre la femme
dans son quotidien le plus banal, tout en traquant le monde à travers ses
vestiges, à la manière d’un ethnologue.
A partir de 2001, l’artiste crée de grandes et sombres installations animées
par d’inquiétantes mécaniques, qui mettent en scène des corps fragmentés ou
disloqués, métaphores de déchirements existentiels ; elles empruntent à
l’univers du théâtre, du cinéma expressionniste ainsi que du conte populaire,
comme dans Casino, l’installation en 3 temps réalisée à l’occasion de la
Biennale de Venise, dont le pantin Pinocchio était le fil rouge.
Dans ses œuvres les plus récentes, Annette Messager nous livre un monde à
la noirceur cataclysmique ; un monde pétrifié, carbonisé, un univers urbain
d’après la catastrophe, dont les résidus miniaturisés flottent, agglutinés en des
sortes d’îlots volants, ou semblent étouffer ce qu’il reste de vie sur la planète
terre.
Lointainement inspirée de l’univers de Swift dans ses Voyages de Gulliver, elle
explore ici un registre relevant du fantastique ou de la science fiction, pour
mettre en scène les pathologies du monde contemporain, en une manière de
conte philosophique ou de fable politique.
Le parcours de l’exposition, élaboré dans un dialogue étroit avec l’artiste, inclut
une vingtaine d’œuvres, monumentales pour trois d’entre elles, ou de format
plus modeste, telles écritures en filet de pêche, objets sculpturaux et dessins.
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
V/ QUELQUES INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Ouvrages généraux d’art contemporain
Groupes, mouvements, tendances de l'art contemporain depuis 1945 (nvlle
édition), sous la direction de Mathilde Ferrer, Ecole Nationale Supérieure des
Beaux-Arts, 2001
Lire l’art contemporain : dans l’intimité des œuvres, Isabelle Ewig et Guitemie
Maldonado, Larousse, coll. comprendre et reconnaître, 2005
Paul Ardenne, Art, l’âge contemporain : une histoire des arts plastiques à la
fin du XXe siècle, Éditions du Regard, 1997
Jean-Yves Bosseur, Vocabulaire des arts plastiques du XXe siècle, Minerve,
1999
Le corps dans l’art
Paul Ardenne, L’Image corps, figures de l’humain dans l’art du XXe siècle,
Editions du regard, 2001
L’art au corps, le corps exposé de Man Ray à nos jours, Mac, galeries
contemporaines des Musées de Marseille
Féminin masculin, Le sexe de l'art, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1995
Roselee Goldberg, La Performance du futurisme à nos jours, Paris, Thames
and Hudson, 2001.
Sur les ateliers d’écriture
Hubert Haddad, Le Nouveau magasin d’écriture, éd. Zulma, 2006
Hubert Haddad, Le Nouveau nouveau magasin d’écriture, éd. Zulma, 2007
Odette et Michel Neumayer, Pratiquer le dialogue arts-plastiques-écriture,
Editions de la chronique sociale, 2005
Poésure et peintrie, Centre de la vieille charité, Marseille, réunion des
musées nationaux/musées de Marseille
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DOSSIER DE PRÉPARATION À LA VISITE
JE ME SENS BIZARRE
Sélection de textes littéraires
cf bibliographie mise en ligne sur le site de l’académie de Strasbourg,
rubrique Printemps de l’Ecriture: www.ac-strasbourg.fr
Joël Pommerat, O.Bess, Pinocchio, Théâtre jeunesse, 2008
Lewis Caroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, Gallimard, Folio
plus, 2008
Jonathan Swift, Voyages de Gulliver, Gallimard, Folio/classique, 1976
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