Diplôme Supérieur en Travail Social LE PARTENARIAT : UNE
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Diplôme Supérieur en Travail Social LE PARTENARIAT : UNE
Ecole de service social de la CRAMIF Université PARIS XIII Diplôme Supérieur en Travail Social LE PARTENARIAT : UNE TRANSFORMATION DES INSTITUTIONS PSYCHIATRIQUES ENCORE INACHEVEE ? Deux études de cas comparées Mars 2007 Mémoire présenté par Catherine DUBOIS PALACIN Sous la direction d'Emmanuel QUENSON "Il n'est de fertile que la grande collaboration de l'un à travers l'autre. Et le geste manqué sert le geste réussi." Antoine de Saint-Exupéry Mes remerciements vont à Emmanuel Quenson, mon directeur de mémoire, pour m'avoir guidée et accompagnée dans ce travail Marie-Claire Fillot, coordinatrice du service social de l'hôpital Esquirol, pour sa confiance Emmanuel Dubois, mon mari, pour son soutien dans le quotidien de cette recherche TABLE DES MATIERES INTRODUCTION........................................................................1 LES MODÈLES THÉORIQUES : APPROCHE DE LA SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS ...............................8 I LE CONTEXTE D'APPARITION DU PARTENARIAT EN PSYCHIATRIE....................................................................17 I.1 LA SECTORISATION EN PSYCHIATRIE : L'AMORCE DU PARTENARIAT .............................17 I.1.1 Plusieurs facteurs fondent la sectorisation....................................................17 I.1.2 Le cadre législatif de la sectorisation ............................................................19 I.1.3 Les effets de la sectorisation.........................................................................21 I.1.4 Le secteur actualisé ......................................................................................22 I.1.5 Questionnement à propos de la sectorisation...............................................23 I.2 LA DÉCENTRALISATION : DE NOUVEAUX ACTEURS DANS LE CHAMP SOCIAL ..................24 I.3 DE LA LUTTE CONTRE LES MALADIES MENTALES À LA PROMOTION DE LA SANTÉ MENTALE : LES POLITIQUES DE PRÉVENTION EN PSYCHIATRIE ...................................................31 II LE PARTENARIAT : LE MOT ET LA CHOSE...................36 II.1 LE PARTENARIAT ET SON CONTEXTE : CHAMP SOCIAL ET CHAMP DE L'ÉDUCATION ........36 II.2 ÉMERGENCE - DÉFINITIONS ......................................................................................39 II.3 PARTENARIAT ET STRATÉGIES IDENTITAIRES .............................................................42 II.4 PARTENARIAT ET RÉSEAUX ......................................................................................44 III PARTENARIAT : LE LIEN INSTITUTIONNEL ..................48 III.1 À LA DÉCOUVERTE DE TROIS ORGANISATIONS IMPLIQUÉES DANS DEUX PARTENARIATS 48 III.1.1 L'hôpital Esquirol ...........................................................................................49 III.1.2 L'institut du Val Mandé : établissement médico-éducatif de la fonction publique hospitalière .....................................................................................52 III.1.3 La cité Saint-Martin .......................................................................................54 III.2 QUEL FONCTIONNEMENT POUR LES PARTENARIATS OBSERVÉS ?................................55 III.2.1 L'émergence..................................................................................................55 III.2.2 L'action collective organisée .........................................................................62 III.2.3 La construction d'une culture commune .......................................................74 III.2.4 Le partenariat et le changement ...................................................................86 III.3 LE PARTENARIAT : UN ESSAI DE CONCEPTUALISATION ................................................90 CONCLUSION .........................................................................93 BIBLIOGRAPHIE.....................................................................97 ANNEXE I : SECTEURS GÉOGRAPHIQUES ...........................I ANNEXE II : GUIDE D'ENTRETIEN ..........................................II SIGLES UTILISES ANPE : Agence Nationale Pour l'Emploi CAC : Centre d'Accueil et de Crise CAT : Centre d'Aide par le Travail CATTP : Centre d'Accueil thérapeutique à Temps Partiel CCAS : Centre Communal d'Action Sociale CHRS : Centre d'Hébergement et de Réadaptation Sociale CMP : Centre Médico Psychologique COTOREP : COmmission Technique d'Orientation et de REclassement Professionnel (ancienne dénomination remplacée par MDPH) CPOA : Centre Psychiatrique d'Orientation et d'Accueil DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales FAJ : Fonds d'Aide aux jeunes FSL : Fonds Solidarité Logement HAD : Hospitalisation à Domicile IME : Institut Médico Educatif MAS : Maison d'Accueil Spécialisée MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées PMI : Protection Maternelle Infantile RMA : Revenu Minimum d'Activité RMI : Revenu Minimum d'Insertion SAS : Service d'Accompagnement Social SASMO : Service d'Aide Médico Sociale en Milieu Ouvert SROS : Schéma Régional d'Organisation Sanitaire VIH : Virus de l'Immunodéficience Humaine INTRODUCTION Avec le plan Hôpital 2007 et le projet de plan santé mentale 2005-2008, la psychiatrie refait surface dans l'actualité, devenant source de nouveaux enjeux institutionnels et sociaux. Ces plans préconisent la mise en place de la tarification à l'activité et la nouvelle gouvernance qui fonde la notion de territoire de santé. Dans les années 1970, la sectorisation avait favorisé l'organisation des soins au plus proche du domicile du patient en créant des structures extrahospitalières. Elle avait ainsi facilité un travail de partenariat avec les autres professionnels sociaux (polyvalence, aide sociale à l'enfance, Sécurité Sociale). Le plan Hôpital 2007 souhaite rapprocher les services de psychiatrie des autres pans de la médecine en supprimant notamment le schéma régional d'organisation sanitaire de psychiatrie, et favoriser les coopérations avec la médecine privée ainsi que les alternatives à l'hospitalisation. Le projet de plan santé mentale réaffirme plusieurs recommandations en matière de partenariat. Il indique que le partenariat avec le secteur social n'est pas assez développé particulièrement auprès des populations vulnérables. Il stipule encore que le partenariat en santé publique avec le ministère de l'Education nationale doit s'améliorer par exemple dans le repérage des enfants à risque suicidaire. Depuis mes études dans les années 1980 et au cours de mon expérience professionnelle, j'ai été sensibilisée à la notion de partenariat. J'ai toujours revendiqué l'intérêt d'une complémentarité de travail entre plusieurs institutions au service d'un public commun, mais surtout le partenariat a toujours fait partie de mon paysage professionnel. A partir de 1986, j'ai occupé des fonctions d'assistante sociale en polyvalence de secteur où j'ai expérimenté la collaboration d'une part entre professionnels d'un même service grâce à la mise en place d'une désectorisation sur un quartier, d'autre part avec les professionnels d'autres institutions telles que l'Aide Sociale à l'Enfance, la Caisse d'Allocations Familiales, la Caisse d'Assurance Maladie. J'étais alors -1- curieuse de connaître d'autres services, d'approcher leurs compétences, ce qui me permettait en tant que jeune professionnelle de développer un nouveau savoir-faire sur un plan technique et au niveau relationnel. Ce travail en commun était utile à certaines prises en charge complexes. Par ailleurs, la collaboration avec les élus municipaux et le conseil général introduite par la décentralisation récente n'en était qu'aux balbutiements. A compter de 1991, j'ai intégré un service social en psychiatrie adulte. Après avoir occupé ce poste durant dix ans, j'ai demandé ma mutation au sein d'un service de psychiatrie infanto-juvénile où je dispose aujourd'hui d'une expérience professionnelle de cinq ans. J'ai expérimenté alors le travail en équipe pluridisciplinaire (médecins, infirmiers, psychologues, rééducateurs, éducateurs, …), l'axe de soins étant alors prépondérant dans la prise en charge des patients. Au cours de ce travail, j'ai été marquée lors des réunions avec d'autres institutions (aide sociale à l'enfance, polyvalence de secteur) par la difficulté à parvenir à des compromis satisfaisants pour l'ensemble des interlocuteurs. Chacun restait persuadé de la nécessité d'une collaboration mais les réunions entre les services apparaissaient souvent comme marquées par la volonté de réaffirmer son champ et surtout ses limites, d'utiliser l'autre au mieux pour positionner sa place en occultant parfois le public au sujet duquel nous nous réunissions. A plusieurs reprises par exemple, lorsque certains adolescents accueillis en foyer éducatif étaient hospitalisés, les éducateurs référents demandaient que la prise en charge institutionnelle (hébergement) soit investie par le service de psychiatrie justifiant que l'état de santé de l'adolescent était incompatible avec la poursuite d'un accueil en foyer. Ainsi, l'hospitalisation étiquetait ces adolescents uniquement dans l'axe des soins. Les rencontres entre professionnels ne favorisaient pas la recherche d'un "entre-deux" c'est-à-dire la garantie des deux références (éducatives et psychiatriques) ; c'était comme si l'une annulait l'autre. -2- Pourquoi cette volonté de se rencontrer à tout prix, de travailler ensemble ? Pourquoi décréter le partenariat comme incontournable alors qu'il nous conduit parfois à des impasses et laisse un goût d'insatisfaction à l'ensemble des interlocuteurs ? Pourquoi parfois se connaître et se comprendre aussi peu après plusieurs rencontres ? Le partenariat est-il simplement une nouvelle mode organisationnelle ? Y a-t-il une inflation de la valeur attribuée à l'image du partenariat ? Est-ce une question de méthode ? Ainsi, Fabrice Dhume, dans son livre intitulé "Du travail social au travail ensemble", précise : "Traiter le partenariat pour lui-même, ce serait oublier le sens de cette idée, le contexte et les raisons de son émergence, l'environnement dans lequel il est utilisé et surtout les acteurs qui tentent de se débrouiller avec cette idée, méthode au demeurant nouvelle, obscure en tous les cas pétrie d'exigences et de complexité"1. Dans cette citation, l'auteur insiste sur le fait que le partenariat n'est ni simple, ni naturel ; il fait référence aux actions mais aussi au contexte qui situe son apparition. L'univers de la psychiatrie a amorcé une série de grandes mutations en 1972 avec la mise en place du secteur. A compter de cette date, l'organisation des soins s'est implantée sur un secteur géographique au plus proche de la population. Les soins en ambulatoire se sont développés avec la création de consultations médico-psychologiques (CMP), hôpitaux de jour (HDJ), centre d'accueil et de crise (CAC), centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). L'idée était d'éviter la rupture des relations sociales et la chronicisation des malades du fait d'un isolement lié à l'hospitalisation. Ainsi progressivement, le nombre de lits hospitaliers pour chaque secteur a diminué, les patients étant pris en charge près de leur domicile. Cette évolution conduite par l'Etat faisait suite à un mouvement "anti psychiatrie" très critique né dans les années 1960-1970 à l'égard des hôpitaux 1 DHUME F. 2001. Du travail social au travail ensemble : le partenariat dans le champ des politiques sociales. Paris : ASH -3- psychiatriques. Dans son livre "Asiles", le sociologue américain Erwin Goffman analysait dans les institutions dites totalitaires comme l'hôpital psychiatrique les contraintes et violences de la vie institutionnelle : "La meilleure adaptation à ce milieu telle qu'on l'observe chez de vieux hospitalisés équivaut à l'impuissance de vivre dans tout autre milieu"2. La mise en place du secteur allait amener une collaboration progressive avec d'autres acteurs du champ social, associatif, de la ville. Elle marque une période d'euphorie, de créativité loin des contraintes budgétaires et les infirmiers l'évoquent avec nostalgie. Les années 1980-1990 ont été marquées par le chômage de masse et le développement de la précarité. Il y a eu en même temps une remise en question des équilibres financiers, des dispositifs d'assurance et d'assistance. Dans le domaine de la santé, la crise économique a mis en évidence un déficit de la Sécurité Sociale imputable pour une grande part au coût de l'hôpital. Les services hospitaliers ont subi une diminution de leurs moyens financiers qui a produit plusieurs effets sur l'organisation des soins : Entre 1987 et 1997, le nombre de lits des secteurs de psychiatrie générale a diminué de 41% La fermeture des CAC dont le coût en matière de personnel est pointé et entraîne un redéploiement du personnel La pénurie de médecins psychiatres s'accroît sur les postes hospitaliers (20% sont vacants) Les agences régionales d'hospitalisation sont créées en 1996 poursuivant l'objectif de rééquilibrer les moyens financiers sur l'ensemble de la France. La volonté de créer une passerelle entre services et institutions prend appui sur les failles générées par la définition des champs institutionnels sectoriels et la massification des problèmes économiques, la fragilité du 2 GOFFMAN E. 1984. Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux. Paris : Editions de Minuit -4- salariat. L'évolution des questions sociales a conduit le "travailler ensemble" comme une nécessité pour les institutions. Ainsi, l'Etat a décidé un certain nombre de lois qui préconisent le travail en commun. La décentralisation en 1982 introduit de nouveaux acteurs dans le champ des politiques sociales (conseillers généraux, maires), prolongée en 2004 par de nouvelles missions dévolues aux régions. Les notions d'insertion apparaissent en 1988 avec la création du revenu minimum d'insertion et touchent plusieurs institutions. La loi contre les exclusions en 1998 réaffirme pour la psychiatrie la nécessité de travailler avec d'autres institutions autour d'un public commun parfois en souffrance psychologique et non soigné. Ainsi apparaît ma question centrale : Dans le champ de la psychiatrie, le partenariat apparaîtrait-il comme une solution pertinente face à la complexification des problématiques sociales depuis vingt ans ? Selon Gaston Pineau3, c'est en 1984 que le terme de partenariat apparaît et devient très vite usuel. Si on se penche sur la définition du dictionnaire Le Robert, on trouve "Association d'entreprises, institutions en vue de mener une action commune". Dans tous les domaines d'expérimentation du partenariat, nous retrouvons l'idée d'une action commune négociée. Si l'on reprend les propos de Danielle Zay, "le terme de partenariat est né empiriquement entre l'idéologie et le désir d'efficacité ; cette double caractéristique fait de lui un terme polysémique ; il est sous-tendu par une forte demande sociale"4. Selon l'auteur, la notion de partenariat est difficile à conceptualiser ; elle 3 PINEAU G. Préface In CLENET J., GERARD C. 1994. Partenariat en éducation des pratiques à construire. Paris : L'Harmattan 4 KADDOURI M., ZAY D. 1997. Le partenariat : Définitions Enjeux Pratiques, Education permanente. n° 131. p. 7 -5- fait référence aux conditions d'émergence, aux croyances sous-tendues, à la recherche d'une réponse aux problématiques sociales. Avec les redéfinitions politiques, la psychiatrie publique s'est étendue du côté de ce qui est appelé la santé mentale. Le champ de la santé mentale apparaît dès lors pour certains professionnels comme beaucoup trop large pour les seuls acteurs de la psychiatrie. Ces nouvelles lois réactivent les délicates questions des rapports de la psychiatrie à la société et aux pouvoirs publics, celles du pouvoir de la médecine sur les individus. La population qui est traitée dans les services comporte une frange de plus en plus importante de personnes pour lesquels l'origine de la souffrance est identifiée comme sociale. A ce propos, Fabrice Dhume nous met en garde : "Le partenariat conduirait à mettre en question le sens de l'action et la place des acteurs, leur légitimité, leur identité, la complexité, l'organisation institutionnelle. Cela contribue à expliquer pourquoi il est difficile de faire de partenariat"5. Ici, Fabrice Dhume explique que le partenariat interroge les postures professionnelles et institutionnelles et influe sur les organisations. Si l'on regarde l'apparition du terme partenariat dans d'autres champs et notamment le domaine de l'éducation, on le trouve dans les textes officiels et la loi d'orientation de l'éducation en 1989 qui consacre en France une image de l'école dont la forme accomplie est la communauté éducative, une école en osmose avec son environnement. Que ce soit donc dans le domaine de la psychiatrie ou de l'éducation, on retrouve des éléments communs du contexte dans lequel s'inscrit le partenariat : impulsion du législatif, nouveaux acteurs dans le champ, idée de l'insertion. 5 DHUME F. op. cit. -6- Ainsi se décline ma problématique : Dans le cadre de l'évolution des soins, des missions, des politiques, de la réglementation en psychiatrie, en quoi le partenariat peut-il amorcer la transformation des institutions ? A quelles conditions et avec quels effets ? Une hypothèse : C'est parce qu'il constitue un choix imposé et qu'il se construit au sein d'une communauté de pratiques que le partenariat, action collective organisée, fonctionne psychiatrique. -7- et transforme l'institution LES MODÈLES THÉORIQUES : APPROCHE DE LA SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS Pour appréhender sur un plan théorique le fonctionnement du partenariat, nous allons nous référer à la sociologie des organisations qui s'intéresse au concept de l'action collective organisée. Ainsi une des questions que nous développerons dans ce travail sera : Est-ce que le partenariat est une forme d'action collective organisée ? À propos des organisations Erhard Friedberg indique que "les frontières réelles d'une organisation et son degré d'ouverture ne sont pas stables mais au contraire fluctuants. Ils varient au gré des circonstances en fonction des problèmes à traiter et des enjeux du moment tout autant que de la capacité des différents membres de l'organisation à les étendre ou à les rétrécir bref à les manipuler"6. La délimitation de l'organisation en tant qu'objet d'étude devient problématique. L'organisation ne serait pas un système figé mais perméable aux actions qui se jouent autour de ses frontières. Ainsi "on assiste à un déploiement de l'analyse de l'objet social organisation vers l'action organisée"7. L'action collective organisée Elle correspond à un nouveau système de collaboration entre professionnels avec ses propres enjeux et ses propres règles. Dans le cadre du partenariat, ce mode de relation se décline à partir des organisations. "A quelles conditions et au prix de quelles contraintes, l'action collective c'est-à-dire l'action organisée des hommes est-elle possible ? Ce n'est pas un phénomène naturel, c'est un construit social"8. Etudié dans le cadre de l'action collective organisée, le partenariat aura à faire référence aux jeux d'acteurs et au pouvoir comme capacité de structurer l'échange négocié. Erhard Friedberg s'appuie sur l'observation de l'action des membres comme moyen de connaître un système. Il en 6 FRIEDBERG E. 1997. Le pouvoir et la règle : dynamique de l'action organisée. Paris : Seuil (coll. Points essais). 7 ibid. 8 CROZIER M., FRIEDBERG E. 1992. L'acteur et le système. Paris : Seuil -8- déduit que l'action collective n'est pas transférable : un système ne peut s'analyser qu'à partir de l'action qui le constitue. "La production de la connaissance et sa mise en oeuvre dans l'action sont intimement liées"9. Erhard Friedberg développe la notion d'incertitude lorsqu'il évoque le changement au sein des organisations : "Tout problème vrai comporte une part d'incertitude (...) l'incertitude permet le changement"10. Situé aux frontières de l'organisation, le partenariat est-il positionné dans une zone d'incertitudes qui peut le conduire au changement ? Auparavant, il est nécessaire de connaître le contexte de toute action collective organisée. Emile Durkheim fait référence au contexte d'apparition des faits sociaux. "La cause déterminante d'un fait social doit être recherchée parmi les faits sociaux antécédents et non parmi les états de la conscience individuelle"11. Ainsi l'analyse d'action de partenariat ne doit pas être détachée du contexte d'apparition pour mieux en saisir le sens de l'action et les enjeux. Il utilise la variété existante des faits sociaux pour les comparer entre eux. "Ce n'est que par la comparaison que l'analyste pourra bâtir un cadre interprétatif qui se construit à partir du vécu des acteurs, de l'espace d'action considéré"12. Dans l'action collective prise au titre de système, on trouve aussi des règles qui ne peuvent se déduire des interactions entre individus. Elles sont à prendre en compte dans l'observation des actions de partenariat. Comme le précise Emile Durkheim : "Ce qui définit la règle, ce qui prouve sa réalité, c'est la contrainte qu'elle exerce sur l'individu"13. L'établissement des règles rend possible la collaboration entre professionnels et la production collective, même si elles limitent l'autonomie des individus. 9 FRIEDBERG E. op. cit. 10 ibid. 11 STEINER P. 1994. La sociologie de Durkheim. Paris : La Découverte (coll. Repères). p. 36 12 FRIEDBERG E. op. cit. 13 STEINER P. op. cit. -9- Les références culturelles dans l'action collective Renaud Sainsaulieu introduit le concept de culture dans l'analyse qu'il fait de l'organisation : "L'activité organisatrice de la société est au moins aussi culturelle qu'instrumentale et pour cette raison même, objet de conflits idéologiques fondamentaux"14. Les professionnels de différentes organisations, réunis dans des actions de partenariat, vont être confrontés à des conflits autour des normes et des valeurs. Selon Sainsaulieu, "la valeur est la force qui dans les relations humaines permet d'accéder à la rationalité (...) c'est à la jonction du social et de structures mentales où la conscience de la valeur est réactivée que le discours idéologique prend toute son efficacité car il peut proposer une représentation a priori de la façon dont il faut vivre les relations de travail"15. En réunissant des acteurs issus d'organisations différentes, le partenariat réactive les représentations et discours idéologiques dans les échanges et les confrontations au sein de l'action collective. Stratégie de changement Une question dans ce travail porte sur la transformation des organisations à partir des actions de partenariat. Nous nous appuierons sur la théorie de l'action selon Philippe Bernoux : "Le changement dans les organisations comme dans les sociétés est une action humaine et doit donc être considéré comme tel (...) rendre compte du changement dans les organisations, c'est rendre compte du sens que les acteurs lui donnent"16. Ce sont les acteurs qui peuvent témoigner des transformations opérées dans les organisations. Philippe Bernoux situe le changement à l'interaction entre les contraintes venues de l'environnement, les institutions et les acteurs. Selon lui, c'est dans "le moment de passage" que le changement doit s'analyser et non de manière statique. Il prend en compte "les cultures antérieures" qui 14 SAINSAULIEU R. 2000. L'identité au travail. Paris : Presse de la fondation des sciences politiques. 3ème éd. p. 344 15 ibid. - 10 - permettent d'engager le changement et qui concernent l'histoire des individus, des professionnels et des organisations. L'approche organisationnelle comme outil d'analyse Elle se situe à partir du vécu des acteurs : ce qu'ils font dire, qu'ils disent ou qu'ils pensent. "Adoptant une démarche hypothético-inductive, l'approche organisationnelle part du vécu des acteurs pour reconstruire non pas la structure sociale générale, mais la logique et les propriétés particulières d'un ordre local, c'est-à-dire la structuration de la situation ou de l'espace d'action considéré en termes d'acteurs, d'enjeux, d'intérêts, de jeux et de règles du jeu qui donnent sens et cohérence à ce vécu"17. Ce n'est que par la comparaison que l'analyste pourra bâtir une théorie fondée, c'est-à-dire un cadre interprétatif qui se construit à partir du vécu des acteurs et de l'espace d'action considéré. Le cadre de cette recherche s'établit sur l'observation et l'analyse de deux actions de partenariat. Elles seront décrites par la suite. Après avoir situé le contexte d'apparition du partenariat, les hypothèses de la recherche vont porter sur les pôles restreints de coopération, sur les alliances, sur les oppositions entre acteurs, sur les expertises essentielles qui se sont cristallisées dans le système et qui définissent les problèmes et les enjeux autour desquels se nouent marchandages, alliances, oppositions, arrangements, règles du jeu qui fondent et rendent possible la coopération. Cette étude cherchera à dégager les étapes, les modalités de fonctionnement en partenariat et les effets de cette action sur les organisations en termes de changement. Observation et analyse de deux actions de partenariat L'analyse terrain va porter sur deux actions de partenariat ce qui permet dans le cadre de l'étude d'effectuer un travail de comparaison. Ces actions concernent des services de psychiatrie adulte (hôpital Esquirol) en lien 16 BERNOUX P. 2004. Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations. Paris : Seuil. p. 25 17 FRIEDBERG E. op. cit. - 11 - avec des organisations extérieures. J'ai pu connaître et contacter les professionnels participants par l'intermédiaire de la responsable du service social de l'hôpital. Description de la première action de partenariat (Partenariat A) Elle se situe sur Paris entre deux secteurs de psychiatrie adulte (75 G01 et 75 G02 -Annexe 1-) et un centre d'hébergement accueillant des personnes présentant des difficultés sociales (CHRS) notamment locative. Dans ce cadre, j'ai rencontré trois professionnels du centre d'hébergement et trois des services de psychiatrie. La parité apparaît importante dans un fonctionnement en partenariat, dans son approche et analyse. Partenaire Danielle C. Sophie C. Marc D. Age Fonction et ancienneté sur le poste Diplôme & formation Cité Saint-Martin Responsable du service d'accompaÉducatrice 47 ans gnement social spécialisée (SAS) depuis janvier 2002 33 ans Travailleur social au SAS depuis 1999 Éducatrice spécialisée 57 ans Directeur adjoint depuis 1999 Animateur Caractéristiques Expériences professionnelles dans le milieu associatif Expérience de projets transversaux à la cité Saint-Martin (antenne Santé) Une des premières participantes du partenariat Expériences militantes dans le milieu associatif Fondateur du partenariat Psychiatrie Adulte 2 services (75G01, 75G02 : 1er, 2ème, 3ème, 4ème arrondissements) Fabrice M. Chef de service 55 ans du secteur G02 depuis 1995 Médecin psychiatre - 12 - Autres expériences de partenariat Médecin responsable de l'intersecteur souffrance et précarité Fondateur du partenariat Partenaire Martine F. Age 51 ans Jocelyne R. 52 ans Fonction et ancienneté sur le poste Assistante sociale sur le secteur G02 depuis 1990 Psychologue sur le secteur G01 depuis 1999 Diplôme & formation Caractéristiques Secrétaire Mobilisée et attachée médicale à la richesse des collaborations dans Assistante ce service sociale Formation Présidente d'un centre social analytique Thérapeute Expériences associatives familiale Nous trouvons dans ce partenariat à la fois des chefs de service et des professionnels de terrain, dans des métiers différents (médicaux et travailleurs sociaux). La moyenne d'âge se situe entre 40 et 50 ans. Ainsi les interlocuteurs ont acquis une expérience de travail conséquente. Quatre participants sur six connaissent des engagements associatifs voire militants. De ce fait, ils ont acquis d'autres expériences de collaboration. Leur engagement leur confère une énergie mobilisatrice dans le cadre du travail en partenariat. Au moment de l'expérimentation, les partenaires, à l'exception d'une personne, ont déjà une expérience de plus de cinq ans dans leur poste de travail. Ainsi ce partenariat se met en place à partir de professionnels qui ont des assises dans l'organisation et dans leur métier. Description de la deuxième action de partenariat (Partenariat B) Elle se situe sur le Val-de-Marne (Saint-Mandé) entre un service de psychiatrie et une maison d'accueil spécialisée (établissement éducatif accueillant des adultes avec troubles visuels et mentaux). Dans cette perspective j'ai rencontré trois professionnels du service de psychiatrie et deux de l'institut du Val Mandé. Le troisième interlocuteur du Val Mandé n'a pu être interviewé suite à une absence prolongée de son travail durant la période des entretiens. - 13 - Partenaire Age Fonction et ancienneté sur le poste Diplôme & formation Caractéristiques Institut le Val Mandé Pauline G. Henri B. Philippe B. Coordinatrice de soins et 56 ans responsable de la MAS depuis 2002 Médecin psychiatre Médecin Ancien psychiatre MAS chef de 47 ans et SASMO clinique depuis 1993 psychiatrie Activité en libéral Psychiatrie Adulte 1 service (94G16 à Saint-Mandé) 51 ans Fabienne T. 49 ans Karine T. Infirmière Cadre supérieur de santé Coordonne au niveau médical et paramédical l'ensemble des structures Collabore avec les grandes associations œuvrant dans le cadre du handicap 32 ans Participe aux commissions d'admission Travail de supervision des équipes Suivi des patients Chef de service depuis 1998 Médecin psychiatre Attaché à la connaissance des données sociologiques du secteur Autres expériences de partenariat sur le secteur Assistante sociale depuis 2001 Assistante sociale En formation de thérapeute familial Exerce sur les différentes structures du secteur pour les résidents d'une seule commune Assistante sociale Exerce sur trois communes Une des premières participantes du partenariat Assistante sociale depuis 2000 Nous repérons les mêmes caractéristiques d'âge que dans le premier partenariat (entre 40 et 50 ans pour la majorité). L'ancienneté dans l'organisation est moins marquée. Nous retrouvons à la fois des personnels médicaux et des travailleurs sociaux. Les interlocuteurs ne font pas référence à des investissements associatifs. - 14 - Ainsi les partenaires sont expérimentés dans leur métier mais ne disposent pas dans l'ensemble d'une culture de l'engagement associatif et du travail partenarial (excepté deux personnes). Guide d'entretien (Cf annexe 2) Il s'organise autour de quatre entrées principales : l'origine et le contexte du partenariat la formalisation des actions et les règles de fonctionnement la place de l'usager dans l'action de partenariat les changements apportés par le partenariat dans les pratiques au sein de l'organisation Ces axes de travail nous aideront à analyser les conditions d'émergence du partenariat et ce qui garantit un fonctionnement en partenariat pour ces deux expériences. Les entretiens semi-directifs se sont déroulés entre avril et juillet 2005 sur le lieu de travail des professionnels. Leur durée s'échelonne entre quarante-cinq minutes et une heure trente et ils ont été enregistrés. Il n'y a pas eu de refus suite à mes demandes d'entrevue, certains ayant néanmoins souhaité que le contenu de leurs propos reste anonyme. Autres outils d'analyse Le travail d'analyse s'appuie aussi sur des écrits : conventions de partenariat (A et B) rapport d'activité (partenariat A) bilans (partenariat A) Ils permettent d’appréhender les décisions importantes pour les acteurs des partenariats étudiés. J'ai pu observer en juillet 2005 une réunion de professionnels pour le partenariat A. L'observation permet de saisir un moment donné, le climat de la rencontre, les interactions entre les acteurs. Ces derniers se connaissent et se reconnaissent. Se dégageaient à la fois une convivialité, un réel dialogue, des échanges sur des points d'organisation et aussi à - 15 - propos de situations complexes, communes ou spécifiques à la cité SaintMartin. Ces investigations sur le terrain s'étant déroulées sur trois mois, nous ne pouvons nous référer qu'à une seule rencontre. L'observation est intéressante car elle met en scène les acteurs et leurs interactions. Elle est complémentaire aux entretiens semi-directifs qui limitent la spontanéité des échanges. L'observation d'une seule séance ne permet pas de développer davantage ce propos. Les limites Elles tiennent au nombre de professionnels rencontrés. Ces partenariats fonctionnent respectivement et approximativement avec dix-sept personnes pour le partenariat A et douze pour le partenariat B. Il aurait été intéressant de rencontrer plus de professionnels afin de croiser davantage les points d'alliance et de divergence et d'affiner l'analyse. Les résultats Ce travail a permis de mettre en évidence les conditions de mise en place d'un partenariat et d'analyser les actions organisées relevant spécifiquement du partenariat. Il a cherché à comprendre les modes de fonctionnement des acteurs. - 16 - I LE CONTEXTE D'APPARITION DU PARTENARIAT EN PSYCHIATRIE Nous allons développer trois axes qui nous semblent fondateurs pour le partenariat en psychiatrie : la sectorisation ouvrant la psychiatrie à la société citoyenne, la décentralisation amenant de nouveaux acteurs à intervenir dans le champ social et la mise en place des politiques d'insertion interpellant la psychiatrie dans ce champ. I.1 LA SECTORISATION EN PSYCHIATRIE : L'AMORCE DU PARTENARIAT La psychothérapie institutionnelle mise en place à l'hôpital Saint-Alban dès 1940 sous l'impulsion du docteur Tosquelles, a initié de nouvelles relations entre les patients et les soignants. Ce fut "le début d'une révolution dans la psychiatrie : l'organisation médicalisée, hiérarchisée, classifiée du soin est abandonnée pour une vie communautaire où chacun, en fonction de ses capacités et non de sa maladie ou de son titre, apporte sa contribution"18. C'est de ce mouvement qu'est né le concept de secteur, c'est-à-dire d'une perception humaniste des patients. Il s'est par la suite construit dans l'Après-guerre à partir de la pratique de certains psychiatres et infirmiers militants qui se sont battus contre l'inhumanité de cette période tragique (40 000 morts de faim dans les asiles pendant la Seconde guerre mondiale). Promulgué en 1960, il ne s'est réellement implanté qu'à partir des années 1970. I.1.1 Plusieurs facteurs fondent la sectorisation Les progrès de la médecine ont préparé et rendu possible la mise en place de la sectorisation : La découverte des neuroleptiques en 1952 a été incontestablement un événement majeur de l'histoire de la psychiatrie. En effet, elle va 18 Docteur BAILLON G. 2001. "La psychiatrie de secteur aura bien lieu", Santé Mentale, juin 2001. n° 59. p. 22 - 17 - permettre de stabiliser l'état de santé de nombreux patients et favoriser leur installation et leurs soins au plus proche de leur domicile. La psychanalyse, par sa pratique adaptée à l'institution et ses concepts, a apporté après la Seconde guerre mondiale, une compréhension psychodynamique des symptômes rencontrés dans les maladies mentales. Ce sont alors, la pratique du colloque singulier avec le thérapeute, le parcours individuel et l'histoire du sujet, qui importent. Les institutions sont alors pensées et organisées comme dispositif thérapeutique dans le sens où l'organisation de la vie institutionnelle (vie au quotidien, activités de groupe, temps de parole collectifs) fait partie du processus de soins. Par rapport à la tradition de la médecine mentale, "Freud a été profondément novateur en ceci qu'il n'a pas conçu l'intervention d'un professionnel sur la problématique psychique dans le cadre exclusif de la guérison"19. Avec lui, l'objectif des soins s'est principalement concentré sur la compréhension du sujet et des mouvements psychiques qui agitent ce dernier. Le mouvement anti psychiatrie Selon Robert Castel, il n'y a rien de plus spectaculaire que les changements intervenus dans la médecine mentale depuis les années 1970. "A la place de la quasi-indifférence du public et du monopole laissé aux professionnels pour poser les questions légitimes, des approches anthropologiques, historiques, sociologiques, politiques, poétiques se sont imposées dans un domaine autrefois presque entièrement dominé par les catégories médicales"20. La responsabilité de ce déplacement est attribuée en général aux événements de 1968 et à leurs retombées. C'est partiellement exact selon Robert Castel : "Le changement de la perception du statut de la psychiatrie dans le post 68 tient en effet au fait que s'est cristallisée sur ce 19 CASTEL R. 1981. La gestion des risques : De l'antipsychiatrie à l'après-psychanalyse. Paris : Fayard. p. 150-160 20 ibid. p. 19 - 18 - terrain une double thématique beaucoup plus générale : le déplacement de certaines luttes politiques et la surdétermination de la problématique de la subjectivité"21.Dans le contexte des événements de 1968, c'est avant tout le système des valeurs et du rapport à l'autorité qui va évoluer et influer sur l'organisation des soins en psychiatrie. "L'anti psychiatrie comme phénomène social a moins été la critique ponctuelle (théorique ou pratique) d'une activité professionnelle particulière que la surdétermination du sens de cette activité à partir d'une thématique antiautoritaire généralisée"22. La popularisation de la thématique anti psychiatrie a d'abord ébranlé le secret institutionnel qui constituait une règle séculaire de fonctionnement de la médecine mentale. A partir du moment où l'éventualité de l'intrusion d'un regard critique extérieur a fait planer une menace sur la légalité des pratiques, celles-ci ont dû changer. Plus généralement, entre 1970 et 1980, la folie est sortie de son ghetto. "Que le malade mental soit un être humain est une idée à la fois banale et qui va à l'encontre de près de deux siècles d'attitude ségrégationniste justifiée d'abord par l'expérience asilaire, mais aussi largement partagée par l'opinion"23. Avant ces années 1970, le malade a longtemps été considéré et traité comme un être diminué, à part, doté d'un système de pensée et d'émotion différent, ne pouvant pas disposer de droit et de libre arbitre. Ce constat était soutenu par l'opinion qui encourageait la mise à l'écart et l'enfermement de ces malades afin de s'en protéger. I.1.2 Le cadre législatif de la sectorisation Prenant exemple sur l'organisation du traitement de la tuberculose, la politique de sectorisation psychiatrique est définie par la circulaire originelle du 15 mars 1960. Elle prévoit l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire sur un territoire délimité et assurant la continuité de la prise en charge de la personne, réalisant des actions de prévention, de 21 CASTEL R. 1981. op. cit. p. 20 22 ibid. p. 23 23 ibid. - 19 - soins et de postcure. Bien que centré sur l'hôpital, le dispositif se veut en rupture avec le grand "Renfermement"24 que représente l'asile psychiatrique. Cette organisation laisse percevoir l'idée d’un maillage d'un territoire et la notion de prise en charge globale de la situation de la personne. Elle jette les bases d'un fonctionnement en partenariat même si elle n'en porte pas le nom. Le 31 juillet 1968 est promulguée la loi portant réforme du statut des médecins des hôpitaux psychiatriques. Elle prévoit notamment que seuls sont placés en "premier groupe", avec une importante différence de traitement, les psychiatres dont le service est sectorisé. Cette loi représente une puissante incitation à faire le secteur dans le sens où elle favorise la promotion des médecins psychiatres. Le secteur devient alors le cheval de bataille des psychiatres réformateurs. A partir de 1972, les circulaires d'application les plus importantes paraissent car elles définissent les conditions de la mise en place systématique du secteur. Ce dernier correspond à un découpage du pays tout entier en unités territoriales correspondant à une population de 70 000 habitants, chaque zone étant affectée d'une équipe psychiatrique dotée d'une large gamme d'institutions diverses, de l'hôpital psychiatrique à des structures plus souples en ambulatoire (CMP, …). La circulaire du 16 mars 1972 fonde l'intersecteur de psychiatrie infantojuvénile mais précise aussi les domaines d'intervention des équipes de secteur (santé scolaire, protection maternelle infantile -PMI-, ...) qui vont être amenés à collaborer progressivement dans le temps. La loi du 30 juin 1975 a l'effet de compartimenter le champ du handicap et celui de la maladie en créant une filière du handicap. Partant du constat que la médecine mentale ne se préoccupait pas suffisamment de l'insertion et de l'adaptation des malades, et que le handicap et la psychiatrie ne s'adressaient pas au même public, elle a pour finalité de développer les capacités d'adaptation et d'insertion en milieu ordinaire ou protégé pour un public vulnérable. Elle est l'aboutissement d'une réflexion 24 FOUCAULT M. 1972. Histoire de la folie à l'âge classique. Paris : Opéra - 20 - basée sur la notion de déficience mentale et prolonge la tradition d'une certaine forme de médecine et de psychiatrie sociales préoccupée par les problèmes du travail, de la réinsertion professionnelle, de la réadaptation et du reclassement. Elle est portée par les associations familiales gestionnaires d'établissements éducatifs et professionnels. Pourtant, nous le verrons par la suite, la réalité est beaucoup plus complexe. D'une part les deux filières rencontrent des difficultés à se concerter car elles sont construites sur des origines différentes et n'ont pas développé les mêmes outils, la médecine mentale étant née d'une réflexion sur le délire, la crise, la rupture, le mystère de la différence et de la discontinuité plus que sur l'adaptation et l'éducation. D'autre part, les frontières entre les deux filières ne sont pas si claires. Les établissements médico-éducatifs font appel aux soins psychiatriques ; les maladies mentales quant à elles, évoluent parfois vers une forme de chronicité invalidante qui rend nécessaire l'association projet de soins, projet de vie et resocialisation. Se retrouvent par exemple dans des centres d'aide par le travail (CAT) des personnes issues de la filière médico-éducative et d'autres du milieu psychiatrique. I.1.3 Les effets de la sectorisation La psychiatrie publique a proposé le premier modèle cohérent d'une structure sectorielle comme matrice unifiée de toutes les interventions en direction d'une cible spécifique, la maladie mentale. Ce dispositif est devenu l'organigramme administratif privilégié du redéploiement de l'action sanitaire et sociale en général. Il instaure la mise en place : d'une carte hospitalière (loi du 31 décembre 1970), qui favorise une rationalisation de l'offre de soins par le bais d'une planification de l'ouverture des structures, d’une répartition plus équitable des équipements sur le territoire d'une circonscription et d'un secteur de protection maternelle infantile (article 148 du code de la santé publique) - 21 - des secteurs médicaux scolaires (arrêté du 26 août 1968) circonscription de service social (circulaire du 12 décembre 1966). Dans différents domaines de l'action sociale et de la prévention, l'Etat dote l'ensemble du territoire de structures d'information et de consultation. Elles sont à la disposition de la population pour un secteur géographique donné. I.1.4 Le secteur actualisé En 1985, les dépenses de lutte contre les maladies mentales sont transférées à la charge de l'Assurance-Maladie et les moyens affectés à l'extrahospitalier gérés par les établissements hospitaliers dans le cadre du budget global. Dans les années 1990, un nouveau tournant va s'amorcer dans le milieu de la psychiatrie, celui de l'articulation du sanitaire et du social. Ainsi, la circulaire du 14 mars 1990 ouvre le champ d'action de la lutte contre la maladie mentale et étend le champ d'action de la psychiatrie à la santé mentale. En développant l'idée de coordination et de proximité, elle fait référence au partenariat : "Le secteur est une aire de concertation et de coordination des actions à conduire au plan local avec l'ensemble des partenaires directement ou indirectement concernés par les problèmes de santé mentale". Le centre médico-psychologique est positionné comme pivot du secteur, lieu d'une véritable réflexion politique en matière de santé mentale. Une instance de coordination (reprise d'une circulaire de 1972) est réactualisée : le conseil de secteur, qui a notamment pour mission de mobiliser les complémentarités entre praticiens libéraux, infrastructures publiques et associatives et d'articuler sur un plan local une politique de collaboration en santé mentale. La loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière incite les établissements de santé à "(…) des actions de coopération avec des personnes de droit public et privé avec lesquels peuvent figurer des conventions d'intérêt public ou des groupements d'intérêt économique". Elle insiste aussi parallèlement sur une maîtrise médicalisée du système de santé avec la carte sanitaire et le schéma d'organisation sanitaire. - 22 - L'organisation de l'hôpital est modifiée en accordant plus d'autorité à son directeur et conduisant au développement de l'administration hospitalière avec la mise en place du projet d'établissement et du projet d'accréditation. L'enjeu est de limiter les dépenses tout en modernisant la gestion hospitalière. L'hôpital doit alors satisfaire deux objectifs contradictoires. D'une part, il doit s'ouvrir à de nouvelles problématiques : appréhender les troubles psychiatriques dans une dimension globale qui inclut l'environnement familial et social. D'autre part, il doit maîtriser ses coûts de fonctionnement. Dans le cadre des ordonnances du 24 avril 1996 sont créées les agences régionales d'hospitalisation (ARH) qui deviennent l'autorité de décision regroupant en une seule structure et à l'échelon régional, les pouvoirs détenus par l'Etat et l'assurance maladie. Se retrouve la volonté d'adapter, de répartir et de contrôler les dépenses de santé. Les ordonnances instaurent des passerelles entre la psychiatrie et le médico-social. L'article 51 précise que dorénavant "les établissements de santé publics et privés peuvent créer et gérer les services sociaux et médico-sociaux pour autant que ces opérations répondent aux conditions de fonctionnement et de prise en charge et satisfassent aux règles de procédures énoncées par les lois susmentionnées (loi de 1975)". Enfin, en janvier 2002, la loi sociale de 1975 est rénovée. Elle fait une place aux structures innovantes telles que les lieux de vie en leur conférant un statut et surtout, elle s'intéresse aux usagers du secteur social et médico-social en créant notamment le livret d'accueil, le contrat de séjour, le conseil de vie sociale. Elle va amener l'ensemble des organisations à consulter l'usager à propos de leur fonctionnement. La loi s'appuie sur les expériences existantes dans certaines structures médicosociales et les rend obligatoires pour toutes. I.1.5 Questionnement à propos de la sectorisation En ouvrant le champ de la psychiatrie au champ social, la sectorisation risque de banaliser le recours au soin psychique. "Alors que la rigidité de la synthèse antérieure en cantonnait la réalisation aux espaces clos régis - 23 - par une législation spéciale, l'exercice de la maladie mentale devient à la limite coexistensif à l'ensemble social. Mettre fin à la ségrégation c'est aussi ouvrir la voie à une intervention généralisée"25. Changer de local professionnel, d'implantation géographique ne suffit pas toujours à modifier la relation soignant-soigné ainsi que les modes de fonctionnement des professionnels de santé. "Il y a dans la psychiatrie française une relation de renforcement réciproque entre une forte composante institutionnaliste et une forte composante professionnaliste. Les savoir-faire montés à l'hôpital sont pensés exportables à l'extérieur"26. La mise en place du secteur en favorisant le rapprochement entre les structures de soins et le lieu de vie des patients a rendu plus sensible les questions autour du soin libre et consenti ou imposé afin d'assurer la protection de la société civile (nuisances, violence, ...). "Il existe en psychiatrie une sorte de division du travail entre certaines interventions qui relèvent d'une demande plus ou moins libre de la part des bénéficiaires et des correspondants à des fonctions sociales pour lesquelles l'intervention du psychiatre est obligatoirement requise"27. Malgré ces écueils, la sectorisation a permis progressivement à un nombre conséquent de patients d'être soigné en ambulatoire avec peu d'hospitalisations. La plupart ont pu reprendre une vie ordinaire dans leur logement ou en structure collective. Leur vie sociale s'organise autour du quotidien, d'activités (sur leur quartier ou au sein de structures spécialisées) et pour certains du travail (parfois en milieu protégé). I.2 LA DÉCENTRALISATION : DE NOUVEAUX ACTEURS DANS LE CHAMP SOCIAL Les évolutions du secteur social et médico-social sont étroitement liées aux mutations de notre société. La législation et la réglementation se transforment dans le même temps que ce soit pour anticiper, accompagner ou entériner le changement. 25 CASTEL R. 1981. op. cit. p. 42 26 ibid. p. 52 27 ibid. p. 50 - 24 - Si les problèmes sociaux ne sont pas tous des problèmes de santé, en revanche tous les problèmes de santé ont, à des degrés variables, une dimension sociale et politique. En confiant l'aide sociale au département, la décentralisation a eu pour effet de transférer à l'échelon local et sous la responsabilité particulière des élus des conseils généraux cette gestion des risques de précarisation auxquels se trouvent confrontés les plus démunis. Les problèmes de santé et de protection sociale représentent donc aujourd'hui un des enjeux fondamentaux des sociétés contemporaines et des politiques publiques qui sont mises en oeuvre pour en permettre le fonctionnement et en assurer les grands équilibres. La décentralisation permet à l'Etat de segmenter son rapport avec les problèmes de marginalité sociale nés des situations de précarité économique, sociale et médico-sociale. Ce faisant, il localise la gestion des problèmes sociaux, il évite ainsi un rapport frontal et se donne les moyens de trouver régionalement les possibilités d'une modernisation des politiques sociales et d'une rationalisation des ressources mises en oeuvre. C'est ce que nous verrons plus tard dans le cadre du RMI avec la gestion de l'insertion confiée aux départements. "Mais les élus, les professionnels du travail social et médico-social ont une histoire, des comportements acquis avant la décentralisation. La transformation du cadre juridique de leur action requiert de leur part des changements d'attitudes, de comportements, tout ceci peut générer des situations d'incertitude"28. Les acteurs politiques et les travailleurs sociaux ne se connaissent pas. Ils ont donc des a priori, des représentations à l'égard des uns et des autres. Cette collaboration à construire est nouvelle pour un certain nombre, elle génère des inquiétudes. L'adoption en mars 1982 de la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions constitue sans doute un événement qui marquera durablement l'histoire de notre système 28 GUYOT J.C., VEDELAGO F. 1993. Les élus et le social : le cas de l'Aquitaine et de ses conseillers généraux. Bordeaux : La Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine. p. 21 - 25 - administratif. Mais la décentralisation n'est nullement le fruit d'une mutation brusque. Cette loi de décentralisation est dans bien des situations l'aboutissement logique des changements concrets initiés et canalisés par des pratiques développées antérieurement à la loi. Certains départements avaient initié par exemple, la mise en place d'un revenu minimum avant la création et la généralisation du RMI par l'Etat en 1988. Comme dans bien des cas, cette innovation juridique intervient après un long processus de transformation de la société française antérieur à cette date. En France, c'est un paradoxe de l'Etat centralisateur, les élus locaux disposent depuis longtemps d'une influence importante dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques. Après la décentralisation, malgré quelques exceptions à la règle, les décideurs doivent aussi être les payeurs. Les conseillers généraux deviennent gestionnaires. Le transfert du pouvoir n'est pas vertical mais horizontal. Il ne passe pas de Paris vers la province, il passe des fonctionnaires aux élus, du préfet au président du conseil général. Le territoire reste le même et se situe à l'échelle du département. Mais les fonctionnaires n'ont pas le même rapport aux résultats que les élus. Le maintien à leur fonction n'est pas directement lié à l'obtention de résultats dans les actions sociales mises en place. "Le changement le plus important ne réside pas dans la transformation des cadres juridiques définissant la mise en oeuvre de l'aide et de l'action sociale, elle s'inscrit plutôt dans les modifications des attitudes des décideurs. La décentralisation favorise une nouvelle logique de gestion du social"29. La perception et la gestion de l'action sociale par les élus est stimulée et guidée par leur rapport au public et au temps (exigences de l'élection et de la durée du mandat). Bien que formellement spécifiées et administrativement encadrées, les interventions sociales et médico-sociales des départements s'insèrent 29 TYMEN S. NOGUES H. 1988. Action sociale et décentralisation : tendances et prospectives. Paris : L'Harmattan. p. 61-62 - 26 - dans le système de protection sociale de façon transversale. En effet, elles ne peuvent que très rarement se réduire à une prestation particulière pour un type donné de risque. Au contraire, elles traversent chacun des quatre grands risques traditionnels : santé, famille, emploi, vieillesse. La décentralisation n'a nullement changé la fonction première de l'aide sociale mais elle accélère son insertion progressive dans un ensemble plus large aux contours flous, appelé souvent action sociale. Les élus, dès 1982, ont sollicité l'aide des experts pour acquérir tout à la fois efficacité et légitimité dans l'exercice des compétences décentralisées. Aujourd'hui, les conseillers généraux sont en mesure d'adapter les politiques publiques aux réalités locales, de les faire évoluer selon les nécessités économiques et politiques du moment, d'en orienter l'application selon leur propre conception des intérêts de leurs administrés et de l'ensemble du département. Les différentes étapes législatives de la décentralisation permettent de repérer l'ancrage dans le temps des nouveaux attributs des élus. La décentralisation a redéfini le rôle de l'Etat en lui faisant partager ses compétences avec les trois principales collectivités territoriales que sont la commune, le département, la région. La première étape de la décentralisation s'appuie sur trois lois : nº 82 213 du 2 mars 1982 nº 83-8 du 7 janvier 1983 nº 83-663 du 22 juillet 1983 - 27 - Département Action sociale Commune Région Aide sociale à l'enfance PMI Service social et Centre prévention communal Hébergement d'action des personnes sociale handicapées et Bureau personnes municipal âgées d'hygiène Action d'insertion pour le Revenu Minimum d'Insertion (RMI) Formation professionnelle des jeunes Action de formation des moins 26 ans Fonds régional de l'apprentissage Formation professionnelle C'est à partir de 1986 que l'exécutif régional est transféré du préfet de région au président du conseil régional. La deuxième grande étape de la décentralisation prend effet en 2004. Le gouvernement Jospin, à l'occasion des 20 ans de la loi du 2 mars 1982 (actes 1 de la décentralisation), a lancé en 2001 une réflexion sur les suites qu'il était possible de donner au processus de la décentralisation. Dans le prolongement des réflexions de la commission Mauroy créée à cet effet, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité est adoptée. Après l'alternance politique de mars 2002, le gouvernement Raffarin a très rapidement annoncé ses intentions en matière de décentralisation. La loi de réforme constitutionnelle est promulguée le 28 mars 2003. Trois lois organiques et deux lois ordinaires mettent en oeuvre les dispositions constitutionnelles et notamment la loi nº 2300-1200 du 18 décembre 2003 - 28 - portant décentralisation du RMI et création du Revenu Minimum d'Activité (RMA). Moins que des compétences, la loi transfère des outils ou des dispositifs (RMI, Fonds d'Aide aux Jeunes -FAJ-, Fonds Solidarité logement -FSL-), des pans d'une problématique (le logement des jeunes), des objets à gérer (aéroports, ports, …). Toutes les actions menées par les collectivités sont soumises pour avis au représentant de l'Etat dans la région qui conserve le contrôle de la légalité et de la conformité notamment sur les conventions multiples signées entre l'Etat et les différentes collectivités locales. Dans le cadre de la décentralisation, la région devient le chef de file du développement économique et de la formation professionnelle qualifiante. Le département quant à lui s'affirme comme chef de file de l'action sociale. La loi du 18 décembre 2003 lui confie le pilotage intégral du RMI. Jusqu'ici financé par l'Etat, le RMI est mis à la charge des départements, les modalités de la compensation financière étant parallèlement fixées par la loi de finances pour 2004. Mais la décentralisation n'est pas totale : le montant de l'allocation et ses conditions d'attribution restent fixées à l'échelon national. Concernant le logement des plus défavorisés, le département pilote le fonds social au logement en assurant son financement et en élaborant son règlement intérieur. Enfin, le département élabore les schémas d'organisation sociale et médico-sociale lorsqu'ils portent sur un certain nombre d'établissements (article 50), comme par exemple : établissements accueillant des adultes handicapés établissements au service d'enseignement et d'éducation spéciale qui assurent une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d'adaptation. En conclusion, le conseil général est le pilote légitime sur les actions pour laquelle il a entière compétence dans les limites fixées par la loi. Sur tous - 29 - les autres champs, il est en situation de dialogue de partenariat "obligatoire" du fait des schémas à produire et des conventions multiples à négocier. Le social et le sanitaire dans le cadre de la décentralisation Aujourd'hui, la séparation du sanitaire et du social persiste même si certains acteurs administratifs, professionnels ou associatifs, confrontés à la complexité des situations concrètes, en contestent parfois le caractère quelque peu arbitraire. Elle est le produit d'une catégorisation administrative et d'une organisation socio-politique et socio-professionnelle dans des champs d'action collective où les politiques sociales, médicales et médico-sociales obéissent à des choix économiques et principalement comptables. Cette distinction du médical et du social obéit à un processus de construction de véritables filières institutionnelles et professionnelles de prise en charge des problèmes de santé et d'inadaptation sociale. Dans le cadre de la décentralisation, le maintien de ces filières va apparaître comme encore plus inapproprié. "Pour ce qui concerne le cas précis des compétences décentralisées, à l'échelle du département, cette distinction du sanitaire et du social paraît d'autant plus contestable que nous sommes dans un champ d'action dont la spécificité est justement d'être le lieu d'une étroite imbrication entre les problèmes de santé et de société"30. Le département est mandaté pour l'organisation de la prévention et de l'insertion au sens large avec la volonté de coordonner les actions de soin et de réinsertion. Cette finalité est rendue délicate du fait des antagonismes des deux filières. Nous verrons par la suite que certaines lois ont accompagné l'évolution des missions des institutions sanitaires et sociales : la loi sur le RMI (1988, réformée en décembre 2003), qui introduit la notion d'insertion sociale au sens de la santé 30 GUYOT J.C., VEDELAGO F. op. cit. p. 143 - 30 - la loi contre les exclusions (1998), qui fait de la lutte contre la pauvreté un impératif national en mettant en place notamment la couverture maladie universelle la loi de programmation pour la cohésion sociale (2005), qui reprend les objectifs précédents en insistant sur l'axe professionnel. Ces lois ont contribué à davantage associer les dimensions sociales et de soins dans la prise en charge de l'usager. I.3 DE LA LUTTE CONTRE LES MALADIES MENTALES À LA PROMOTION DE LA SANTÉ MENTALE : LES POLITIQUES DE PRÉVENTION EN PSYCHIATRIE Depuis le célèbre ouvrage de René Lenoir "Les Exclus" (1974), la précarité et la pauvreté n'ont cessé de préoccuper le champ politique. Comment développer les aides publiques dans un contexte de crise de l'Etat providence ? Il aura fallu attendre les plans d'action contre la pauvreté et la précarité à partir de 1986 et le rapport de Joseph Wresinski "Grande pauvreté et précarité économique sociale"31 en 1987 pour que la première loi relative au RMI amorce une réponse à l'exclusion. L'originalité de la loi instituant le revenu minimum d'insertion en France (loi nº 88-1088 du 1er décembre 1988) vient de ce qu'elle lie intimement une prestation quasi universelle qui constitue un droit et une démarche d'insertion basée sur un engagement contractuel entre l'individu et la société. L'insertion est prise dans une acception large ; elle comprend notamment des actions d'autonomie sociale. C'est là, dans cette insertion, que les services de psychiatrie vont être interpellés afin de collaborer. Les articles de loi cités ci-dessous font apparaître à la fois le droit à une prestation, les conditions d'obtention et les différentes déclinaisons de l'insertion. 31 WRESINSKI J. 1987. Grande pauvreté et précarité économique et sociale, rapport au Conseil économique et social français. Paris : Journal Officiel. - 31 - Article 1 : toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental (...) se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. Ce revenu minimum d'insertion constitue un des éléments d'un dispositif global de lutte contre la pauvreté tendant à supprimer toute forme d'exclusion, notamment dans les domaines de l'éducation, de l'emploi, de la formation, de la santé et du logement. Les articles 1 et 37 évoquent la santé au sens large associant la psychiatrie au dispositif d'actions à mettre en oeuvre dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Ainsi, avec les redéfinitions politiques actuelles, la psychiatrie publique s'est étendue du côté de ce qui est appelée "la santé mentale". Il ne s'agit pas seulement de "soigner" mais de prendre en compte "la qualité de vie subjective des patients". Même si la question de la morbidité psychiatrique chez la population des bénéficiaires du RMI est aujourd'hui centrale aux yeux de nombre d'acteurs, cette question de la prévalence des troubles de santé mentale chez cette même population n'est pas si simple : par qui et comment doiton répondre à cette souffrance ? L'échange entre institutions dans le cadre du RMI n'est pas toujours évident notamment sur le plan des limites d'intervention des acteurs. Il est rendu encore plus ardu par l'image négative véhiculée dans les représentations de la psychiatrie. La mise en place du dispositif RMI a tout de même permis la formalisation des relations avec par exemple l'élaboration des programmes départementaux d'insertion, la création des conseils départementaux d'insertion, les cellules d'appui et des actions de tous ordres. La préconisation d'associer la psychiatrie aux programmes d'insertion sera reconduite dans la loi nº 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi nº 88-1088 du 1er décembre 1988. Même s'il y a une indéniable réussite dans la mise en place de la prestation, l'objectif d'insertion a rencontré de grandes difficultés. Le nombre de bénéficiaires du RMI n'a cessé d'augmenter, les mesures - 32 - d'insertion professionnelle n'ont pas véritablement pénétré le monde de l'entreprise. Dans ce contexte, la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions nº 98-657 du 26 juillet 1998 réaffirme comme impératif national la lutte contre la pauvreté et contre les différentes formes d'exclusion. Dans les articles consacrés à l'accès aux soins, "l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunis constitue un objet prioritaire" (article 67). L'article 71 précise les conditions dans lesquelles les services de l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale, les agences régionales d'hospitalisation, les établissements et institutions sanitaires et sociales concourent à la mise en oeuvre de ces actions. Il s'attache à définir des actions pour lutter contre les pathologies aggravées par la précarité ou l'exclusion sous toutes leurs formes notamment les souffrances psychiques, les troubles du comportement. Ainsi, la psychiatrie se trouve au centre des dispositifs de soins dans la lutte contre les exclusions. Les agences régionales d'hospitalisation doivent s'associer à la mise en place d'actions autour de la santé. Un lien est fait entre l'exclusion et la souffrance psychique, l'une pouvant aggraver l'autre (l'inverse étant également valable). La loi de programmation pour la cohésion sociale 2005-32 du 18 janvier 2005 s'appuie sur un bilan controversé des politiques d'insertion mises en place sur les quinze dernières années. Le nombre d'allocataires du RMI est passé de 422 000 à 1 100 000. Le chômage des jeunes de 16 à 24 ans dans les quartiers classés zone urbaine sensible est passé de 28% à 50%. Le nombre de logements indécents a doublé. Cette loi souhaite à la fois agir sur l'emploi, le logement et l'égalité des chances. Elle s'appuie sur les dispositifs de coordination existants, et les encourage à un souci d'efficacité. Le pouvoir des élus (conseils généraux, maire) est renforcé notamment dans le cadre du RMI mais aussi dans les lois en préparation (délinquance, …). En mettant l'usager au centre de la résolution de sa problématique, notamment en l'engageant dans la signature d'un contrat, les lois de - 33 - prévention ont mis en évidence sa responsabilité individuelle dans le traitement de sa situation. Dans son ouvrage concernant l'évolution de la psychiatrie et des politiques de prévention paru en 1981, Robert Castel évoquait certains questionnements qui apparaissent toujours d'actualité en 2005. Il s'inquiétait à propos d'un traitement collectif de problématiques sans prendre en considération l'histoire et les particularités des individus. "Les nouvelles politiques préventives économisent ce rapport d'immédiateté parce que ce dont elles traitent, dans un premier temps du moins, ce ne sont pas des individus mais des facteurs, des corrélations statistiques"32. Ce qu'il craint dans le déploiement de politiques globalisantes c'est la disparition de la notion de "sujets". Il insiste et met en garde par ailleurs la responsabilité qui repose sur l'individu dans le traitement de l'exclusion. "La raison ultime d'un dysfonctionnement quelconque ne peut que résider dans l'individu qui en porte le symptôme et la compréhension de son économie personnelle propose le seul fil conducteur dans le domaine éclaté de l'assistance"33. Ainsi, la responsabilité de l'exclusion est renvoyée à l'exclu lui-même "incapable" de s'intégrer ; cela ne replace pas d'autres responsabilités sociétales. La mise en avant du soin psychiatrique dans les politiques d'insertion s'est faite simultanément avec son entrée dans le monde courant. Dans les milieux professionnels, à l'école, lors d'accidents, de catastrophe naturelle, on assiste à une généralisation de "la thérapie pour les normaux". Et si on prend à la lettre cette métaphore, elle signifie d'abord que c'est la normalité qui fonctionne désormais comme symptôme. "Cela peut signifier que la culture psychologique se présente en alternative dans une situation où les investissements sociaux se dérobent d'autant plus que les alternatives sont brouillées"34. A un moment où différents sujets tels que le chômage, la retraite, l'immigration, la montée de l'exclusion et des situations de précarité ne 32 CASTEL R. 1981. op. cit. p. 146 33 ibid. p. 143 34 ibid. p. 183 - 34 - trouvent pas de réponse simple et durable, la psychologie peut devenir alors le but primaire en constituant une sociabilité vide de tout autre contenu. Il suffit d'observer la profusion de nouveaux groupes à visée thérapeutique proposant la recherche d'un mieux-être individuel et l'apaisement de ces conflits. Dans les professions de la relation, l'intégration de la psychanalyse à la formation, même si elle a permis de développer des qualités relationnelles et d'écoute, a imposé déjà une banalisation de son contenu. Le risque d'une généralisation de l'approche psychologique dans les politiques de prévention est double : Elle peut y perdre le sens de cette approche. Elle peut agir comme substitut d'un social en crise. Vouloir traiter l'ensemble des problématiques sociales par le biais de l'approche psychologique individuelle dénature et ôte à ce champ toute sa pertinence. Le risque est de faire porter sur l'individu des responsabilités que la société n'arrive pas à régler sur un plan collectif, notamment le chômage structurel. - 35 - II LE PARTENARIAT : LE MOT ET LA CHOSE Le terme partenariat a intégré le quotidien des travailleurs sociaux. Il est présent dans les discours, les rapports, les recommandations, l'évocation des pratiques. Il fait partie du langage usuel au point d'y perdre son sens et sa force. Dans ce chapitre, nous nous sommes attachés à la recherche de l'origine de ce mot, ses significations et ses effets sur les identifications des professionnels. Nous essayerons de le différencier du réseau. II.1 LE PARTENARIAT ET SON CONTEXTE : CHAMP SOCIAL ET CHAMP DE L'ÉDUCATION Champ social L'Après-guerre en France est une période de reconstruction puis de croissance économique. Les progrès techniques sont considérables dans tous les domaines. Le travail est gage de stabilité et de légitimité sociale. Le salariat est la forme d'activité essentielle ; il définit l'identité sociale de la plus grande partie des membres de la société. "Le salariat n'est pas seulement un mode de rétribution du travail, mais la condition à partir de laquelle les individus sont distribués dans l'espace social"35. Robert Castel caractérise cette période "d'état de croissance" pour désigner "l'articulation des deux paramètres fondamentaux qui ont accompagné la société salariale dans son parcours et hissé avec elle des liens essentiels : la croissance économique et la croissance de l'état social"36. "L'invention du social"37 s'avère nécessaire "pour rendre gouvernable une société ayant opté pour un régime démocratique, dans le cadre d'un système économique libéral, ensemble d'actions mises en oeuvre progressivement par les pouvoirs publics pour parvenir à transformer les 35 CASTEL R. 1995. Les métamorphoses de la question sociale. Paris : Fayard 36 ibid. 37 DONZELOT J. 1994. L'invention du social. Paris : Seuil (coll. Points essais) - 36 - conditions de vie d'abord des ouvriers puis des salariés et éviter les explosions sociales, la désagrégation des liens sociaux"38. L'Etat occupe une place centrale dans le développement d'une politique sociale importante. Il intervient en créant des dispositifs de protection sociale tels que la Sécurité Sociale en 1945 et des services publics, régule les relations entre les partenaires sociaux (accord interprofessionnels de juillet 1970 sur la formation professionnelle continue). Ces efforts pour répartir les fruits de la croissance ne gomment pas toutes les inégalités. A partir de 1973, une crise économique aux conséquences lourdes sur l'emploi s'installe. Les conséquences de la crise économique se traduisent par une augmentation importante et une modification du chômage. Il s'étale désormais sur des périodes longues, affecte plus particulièrement les ouvriers, les immigrés, les personnes sans formation, beaucoup les jeunes, les femmes et se concentre dans certains quartiers. Il s'accompagne d'une précarisation du travail. Durant les dix premières années de la crise, les politiques sociales se caractérisent par une recherche de limitation des coûts et par des mesures en faveur de l'insertion et de la réinsertion des personnes. Elles consistent à définir des actions s'adressant à des catégories particulières de population. Le développement et l'installation de l'exclusion modifie le contexte de l'action publique. "Les exclus désignent désormais tous ceux qui ne peuvent s'adapter aux mutations économiques et technologiques et se situent de ce fait en dehors de l'appareil de production et auxquels font défaut au surplus des liens sociaux forts (...) ils sont des populations non seulement menacées par l'insuffisance de leurs ressources matérielles (...) mais aussi fragilisées par la pauvreté de leur tissu relationnel"39. 38 JOIN-LAMBERT M.T., BOLOT-GITTLER A., DANIEL C., LENOIR D., MEDA D. 1997. Politiques sociales. Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques et Dalloz 39 ibid. - 37 - La question sociale se pose aujourd'hui à partir de l'effritement de la condition salariale."Le travail est plus que le travail et le non travail est plus que le chômage"40. La complexité des situations, l'interdépendance entre les problèmes que cumulent les personnes en situation de précarité, exigent qu'ils soient pris en charge concomitamment, qu'existe une nouvelle forme de coordination entre les professionnels et les organisations sur le plan géographique. Ainsi s'ouvre la voie du travail en partenariat. Champ de l'éducation Si on étudie le contexte d'apparition du partenariat dans le monde de l'éducation nationale, on retrouve des similitudes avec le travail social. Il arrive dans un contexte social, qui interroge les fondements de l'école en réactivant les défis auxquels elle est confrontée : défi de la nouvelle situation de la famille, défi des jeunes qui abandonnent l'école sans diplôme, défi de la pauvreté, défi de l'intégration des élèves issus de l'immigration venant de tous les continents. Le partenariat apparaît dans les textes officiels et la loi d'orientation de l'éducation de 1989. Il signifie un changement de conception des relations de l'école avec ceux qui était déjà ses partenaires. Ces derniers ont désormais un rôle à jouer dans l'accomplissement des missions du service public éducatif, y compris pédagogique, par exemple le soutien scolaire, mission qui jusque-là, était le domaine réservé des enseignants, celui dans lesquelles ils puisaient leur légitimité. Danielle Zay41 précise que cette évolution ne peut être comprise en dehors des mutations profondes de société qui l'ont entraînée : Le passage d'une société traversée par une idéologie conflictuelle et par des références à la lutte des classes dans les années 1960 et 1970, à une idéologie du consensus et une pénétration de l'idée de participation. 40 CASTEL R. 1995. op. cit. 41 KADDOURI M., ZAY D. op. cit. - 38 - L'émergence du local, l'importance croissante donnée aux régions, aux villes et aux quartiers, ce qui implique une possibilité d'initiative, d'autonomie de décision à tous les échelons y compris celui de l'établissement scolaire. Le partenariat est un des aspects des transformations de la formation initiale et de la formation des adultes. L'espace traditionnel de la formation éclate et s'intègre dans des dispositifs plus larges d'insertion sociale et professionnelle. Les mutations ne se sont pas effectuées sans heurt. Peut-être que dans notre société qui ne fonctionnait pas sur une idéologie propice au modèle partenarial, les enjeux du partenariat en éducation ont été pointés avec plus de vigueur. On trouve notamment : La crainte d'une centration sur la communauté locale, d'un appauvrissement des contenus et relativisation des valeurs par rapport à une culture à vocation universaliste. L'insertion sociale ou la formation professionnelle doivent-elles l'emporter sur la formation culturelle ? L'éducation à la citoyenneté progressera-t-elle ou n'ira-t-on pas, les différences régnant à l'école publique, vers un repli des diverses communautés ethniques et religieuses sur leurs valeurs propres, excluant celles des autres ? Quel est l'effet en retour des pratiques partenariales sur ce que l'élève construit de ses savoirs scolaires ? Toutes ces questions vont nourrir et agiter les rencontres partenariales mais le processus est engagé vers une nécessaire collaboration avec d'autres organisations. II.2 ÉMERGENCE - DÉFINITIONS Au point de départ, l'action partenariale est perçue comme une situation en soi conflictuelle ; le consensus est à l'arrivée plutôt qu'à l'entrée : il est à construire. S'il n'y a pas d'enjeu pour les acteurs, il n'y aura pas de véritable partenariat ; ces enjeux-là sont le gage de la réussite. - 39 - Être partenaire : l'expression connote une forme de complicité lorsqu'il s'agit d'un jeu ou d'un sport. Elle suggère une forme de plaisir lorsqu'il s'agit d'amour. Elle évoque souvent une dimension horizontale, rituelle lorsqu'il s'agit de l'élaboration de projets communs entre des organisations issues de champs variés. Les dictionnaires étymologiques nous apprennent que le substantif "partenaire" serait apparu dans la littérature à partir du XVIIIe siècle (cf. Madame Du Deffand Beaumarchais) par emprunt de l'anglais "partner" qui serait une altération de "parcener" lui-même emprunt outre-Manche de l'ancien français "parçonnier" de "parçon" qui signifiait partage butin hérité du latin "partitio". Une variable en latin "partire" puis en latin classique "partiri" venant tous deux de "pars" qui signifie la part, renvoie elle aussi à cette idée de division, de partage qui n'a subsisté dans le français moderne que dans l'expression "avoir maille à partir avec quelqu'un", origine conflictuelle qui ne laisse pas d'étonner. L'usage courant du XIXe siècle est plus aimable et correspond à une atténuation de l'idée du conflit. Entre 1961 et 1992, différents dictionnaires sont unanimes pour donner comme sens premier à "partenaire", celui des personnes qui sont ou qui se sont associées, notamment dans un jeu (d'où règles du jeu, adversaires). Puis le sens institutionnel s'est affirmé pour signifier les relations d'état à état (partenaires européens) et surtout les relations économiques notamment entre salariés et employeurs (partenaires sociaux). Les idées de négociation, de partage, voire de conflit sont présentes mais la référence au jeu a disparu. Le terme de partenariat est plus mystérieux encore. Il n'apparaît dans les dictionnaires d'usage courant que dans la décennie 1980 essentiellement pour reprendre cette acception institutionnelle (système associant des partenaires sociaux et économiques, selon le Petit Larousse 1992). - 40 - Pour le dictionnaire anglais, "partnership" correspond à l'action d'entrée en association avec quelqu'un pour faire quelque chose. Danielle Zay donne une définition minimale du partenariat comme "une action commune négociée". Il s'agit de construire un compromis. Dans le partenariat, chacun conserve ses objectifs propres tout en acceptant de contribuer à un objectif commun. Landry42 situe le partenariat dans un continuum qui va de l'information mutuelle d'une part, à la fusion d'autre part, en passant par la coordination, la concertation, la coopération, le partenariat, la cogestion. Selon lui, le partenariat résulte d'une entente réciproque entre des parties, qui de façon volontaire et égalitaire, partagent un objectif commun et le réalisent en utilisant de façon convergente leurs ressources respectives. Il fait référence à la nécessité de se découvrir, de se connaître. Le partenariat ne doit pas être entravé par des relations hiérarchiques entre les acteurs. Les rencontres s'organisent autour d'un but et d'un projet qui permettent l'instauration des échanges. Chez tous les auteurs, le partenariat apparaît comme une pratique à construire. Fabrice Dhume précise que "le partenariat ne peut être objet en tant que tel, il est symptôme, outil mais non une finalité". Il nous donne à son tour sa définition : "Le partenariat est une méthode d'action coopérative fondée sur un engagement libre, mutuel et contractuel d'acteurs différents mais égaux qui constituent un acteur collectif dans la perspective d'un changement des modalités de l'action -faire autrement ou faire mieux sur un objet commun de par sa complexité et/ou le fait qu'il transcende le cadre de l'action de chacun des acteurs- et élaborent à cette fin un cadre d'action adapté au projet qui les rassemble pour agir ensemble à partir de ce cadre"43. 42 KADDOURI M., ZAY D. op. cit. 43 DHUME F. op. cit. p. 107 - 41 - Dans cette définition, on retrouve : l'outil au service d'une action l'engagement libre et contractuel l'engagement mutuel. Selon cet auteur, la mise en place d'un partenariat nécessite des notions d'égalité de statut, des acteurs différents, une régulation par le conflit. Construire un partenariat, c'est définir collectivement un certain nombre de choix. Les règles sont une garantie que l'on ne se dissout pas dans la rencontre avec l'autre. Fabrice Dhume propose d'élaborer la construction d'un cadre après avoir posé les enjeux et les conditions et ce afin d'élaborer et réaliser un projet de partenariat. II.3 PARTENARIAT ET STRATÉGIES IDENTITAIRES Le partenariat n'est pas un objet en tant que tel, mais il n'est pas seulement une affaire de technique. Il questionne aussi les postures et les identités professionnelles. Les acteurs partenaires sont caractérisés par une double appartenance. La première s'exprime au sein de l'organisation, la deuxième dans l'inter système. Ces deux composantes peuvent se vivre dans la continuité ou dans la rupture. On assiste ainsi à un paradoxe où les travailleurs sociaux, déjà bousculés dans leur position par l'évolution des institutions et des missions, sont en même temps contraints de s'ouvrir aux autres. En effet, le mouvement de la sectorisation ne s'est pas fait sans remise en cause : question cruciale en termes de pratique et d'éthique, celle de la place du social en psychiatrie. Ce mouvement a consisté à prendre en charge l'individu le plus possible en relation avec son milieu d'origine et d'éviter la rupture des relations sociales. Lorsqu'il évoque la santé mentale, Fabrice Dhume la situe "entre deux champs", à la croisée de deux sphères de compétence et d'intervention que sont les champs social et médical. Ainsi, la limite et la légitimité des pratiques des uns et des autres sont sujettes à débat. Plus encore selon - 42 - lui, l'objet intermédiaire reste à définir et c'est bien une question d'objet et de frontière entre deux champs dont il semble question. C'est peut-être dans cette difficulté à définir les champs que peuvent s'engouffrer à la fois les représentations et les conflits identitaires des professionnels. D'autre part, les représentations sociales de l'objet maladie mentale sont très pesantes tant l'image de l'institution psychiatrique est liée à l'asile. La notion de représentation est "la rencontre d'une expérience individuelle et de modèles sociaux dans un monde d'appréhension particulier du réel : celui de l'image de croyances qui contrairement au concept et à la théorie qui en est la rationalisation seconde a toujours une tonalité affective et une charge irrationnelle"44. La limite de la normalité est celle qui sépare la sphère de la santé de celle du social. Autrement dit, c'est le carrefour duquel partent deux voies à double sens : normal / pathologique et normal / déviant. La limite est d'autant plus subjective qu'il n'existe pas de consensus personnel sur la normalité foncièrement subjective et relative aux individus qui la jugent telle. On mesure alors l'ampleur du questionnement que cette absence de limite peut générer puisqu'elle place les professionnels entre deux objets sans savoir où commence et s'arrête celui sur lequel ils sont censés travailler. Le risque est que les institutions puissent avoir tendance à jouer au tennis en se renvoyant la balle plutôt que de se mettre dans une réelle démarche de coordination. Les usagers deviennent alors les objets de la relation et de la discorde entre les institutions et leurs acteurs. On peut aussi trouver une situation paradoxale où la situation partenariale met le partenaire luimême au centre du dispositif. Paradoxalement, on retrouve un grand attrait du terme partenariat. Le succès est aussi lié à son image, image qui légitime une aspiration de cohésion, fonction de proximité, image magique de consensus. "Dans une 44 LAPLANTINE F. 1986. Anthropologie de la maladie : étude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la société occidentale européenne. Paris : Payot (coll. Science de l'homme). - 43 - période de fragilité du lien social, tout ce qui peut avoir une fonction liante est sécurisante"45. Mokhtar Kaddouri dans son article46 fait référence à différentes stratégies identitaires qui peuvent se retrouver dans le cadre d'un fonctionnement en partenariat : stratégies de validation identitaire ou le partenariat comme moyen de consécration d'une identité. Stratégies de crédibilisation identitaire ou le partenariat comme moyen de légitimation d'une identité. Stratégies de réhabilitation identitaire ou le partenariat comme moyen de reconstruction d'une identité. Stratégies de sauvetage identitaire ou le partenariat comme moyen de compensation d'une identité. Stratégies de préservation identitaire où le partenariat comme menace de l'identité. On repère à travers cette classification, différents types de mouvements identitaires qui peuvent être à l'œuvre dans les rencontres partenariales et que nous essayerons de reprendre au cours de l'analyse. II.4 PARTENARIAT ET RÉSEAUX La mise en place des réseaux apparaît dans les mêmes années et dans le même contexte que le partenariat (vulnérabilité des institutions, crise financière de l'Etat et impératifs de rationalisation budgétaire). Les réseaux vont se construire notamment dans le domaine de la santé. Se développent dans les années 1980, pour faire face à l'épidémie du sida, des expériences de prise en charge sanitaires et sociales coordonnées. La circulaire du 4 juin 1991 officialisera l'organisation des réseaux "ville hôpital" qui existaient depuis 1985. Dans cette première circulaire apparaissent les mots-clés 45 DHUME F. op. cit. p. 89 46 KADDOURI M., ZAY D. op. cit. du - 44 - réseau comme collaboration, complémentarité, coordination, échange d'information et formation des intervenants. Des circulaires successives permettront ensuite de mettre en place des réseaux spécifiques à des populations, des pathologies ou des thématiques (personnes âgées, hépatite C, ...). Si la médecine de ville est la principale concernée, les hôpitaux sont aussi invités à s'inscrire dans l'expérimentation. Les ordonnances du 24 avril 1996 poseront le cadre légal permettant une expérimentation en matière d'organisation de réseaux. En 2002, deux nouvelles lois dans les champs sanitaire et médico-social facilitent le rapprochement par l'intermédiaire des réseaux. La loi nº 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médicosociale, réforme la loi du 30 juin 1975. Elle comporte une section spécifique concernant les coopérations et les réseaux. L'objectif de ce texte est de stimuler les complémentarités entre les établissements médico-sociaux et le milieu ouvert avec la mise en place de palettes différenciées et de coopération et de prévoir aussi l'articulation entre les établissements médico-sociaux ou sociaux et les établissements sanitaires. La loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé créée dans son chapitre 5, "un seul cadre de référence pour les réseaux de santé, permettant d'assouplir et de faciliter la création de ces réseaux". "Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l'accès aux soins, la coordination, la continuité ou l'interdisciplinarité des prises en charge sanitaires. Ils peuvent être spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires"47. 47 PONCHON F. 2003. La loi du 4 mars 2002 : la mise en pratique, La loi relative au droit des malades et à la qualité du système de santé. Paris : Berger-Levrault. p. 49-54. - 45 - Leur mission est d'apporter une prise en charge adaptée aux besoins de la personne en matière : d'éducation à la santé de prévention le diagnostic de soins d'actions de santé publique. Si on reprend la définition du dictionnaire critique d'action sociale, le travail de réseau trouve son fondement dans "l'implication existante ou à mettre en oeuvre des différents intervenants politiques, administratifs, associatifs, publics concernés par les problématiques sociales des usagers et ce, afin de définir et mettre en place des stratégies socio-politiques d'actions, d'insertion et d'intégration"48. Dans cette définition, on trouve une perméabilité entre les différents champs professionnels, politiques et associatifs. Si on retrouve pour le partenariat le croisement des différents champs et un contexte d'apparition dans les mêmes années, le réseau apparaît d'emblée plus formalisé. Christine Garcette et Brigitte Bouquet définissent le réseau comme "un ensemble de flux, d'échanges matériels ou relationnels qui relient les partenaires. Issue de l'analyse systémique et de l'analyse institutionnelle, l'étude des réseaux sociaux est au cœur de la connaissance des relations entre les individus et la vie sociale, entre le clinique et le communautaire"49. Cette définition introduit la notion de communauté ; "la communauté est un lieu d'échange, de réflexion et d'action qui positionne les préoccupations des individus et dans leur dimension collective". 48 BARREYRE J.Y., BOUQUET B., CHANTREAU A., LASSAS P. (dir.). 1995. Dictionnaire critique d'action sociale. Paris : Bayard (coll. Travail Social) 49 BOUQUET B., GARCETTE C. 2002. Assistance Sociale aujourd'hui. Paris : Vignot Maloine - 46 - Cet abord de la santé part du principe que "les problèmes sociaux sont de nature collective et qu'ils doivent faire l'objet de solutions collectives"50. Ainsi apparaît dans cette définition du réseau, l'individu dans sa dimension collective alors que d'une manière générale le partenariat lui, intervient pour trouver à plusieurs des réponses à des problématiques individuelles. 50 BANTUELLE M., MOREL J., DARIO Y. 1998. Santé Communautaire et promotion de la santé : vol. 1, des concepts et une éthique. Bruxelles : Absl Santé, Communauté, Participation. p. 23 - 47 - III PARTENARIAT : LE LIEN INSTITUTIONNEL Après avoir situé le partenariat dans son contexte et tenté de le définir, nous allons dans cette partie approcher trois organisations impliquées dans deux partenariats. Nous étudierons leurs actions et les règles qu'elles établissent pour rendre leur collaboration possible. Pour Fabrice Dhume, "construire un partenariat, c'est définir collectivement par la négociation, un certain nombre de choix. Ces règles sont une garantie que l'on ne se dissout pas dans la rencontre avec l'autre"51. III.1 À LA DÉCOUVERTE DE TROIS ORGANISATIONS IMPLIQUÉES DANS DEUX PARTENARIATS Avant de développer le descriptif de l'hôpital Esquirol, de l'institut du Val Mandé, et de la cité Saint-Martin, nous allons rappeler la différence faite entre institutions et organisations telle qu'elle est proposée par le dictionnaire de sociologie. "L'organisation est opérationnelle, on y coordonne des actions. L'institution est régulative, on y construit des cadres de référence. L'organisation est un ensemble d'acteurs dotés d'une structure d'autorité, de rôles et d'un système de communication permettant la coordination et le contrôle des activités afin de réaliser un ou des buts. L'institution est définie comme l'ensemble des formes sociales et des structures organisées, établies par les lois ou par la coutume"52. Ainsi au regard de ces définitions, il apparaît que ces trois établissements fonctionnent dans le cadre d'organisations. 51 52 DHUME F. op. cit. AKOUN A., ANSART P. 1999. Dictionnaire de la sociologie. Paris : Seuil (coll. Dictionnaires Le Robert) - 48 - Dans son ouvrage "Du travail social au travail ensemble", Fabrice Dhume présente les différentes étapes de la constitution d'un partenariat et propose une méthodologie. Il définit 20 étapes qu'il développe à travers quatre entités : les enjeux les conditions la construction d'un cadre collectif, l'élaboration et la réalisation d'un projet. À travers l'étude des entretiens, et après les présentations des institutions, nous allons développer quatre points qui nous apparaissent essentiels au fonctionnement d'un partenariat et qui seront nourris des différentes rencontres. III.1.1 L'hôpital Esquirol III.1.1.1 Historique : la Maison Royale de Charenton En 1641, les Frères de Saint-Jean de Dieu reçurent en donation du sieur Sébastien Leblanc, conseiller de guerre de Louis XIII une série de petites fermes étagées sur la colline pour y accueillir sept malades "indigents". L'établissement fut nationalisé à la Révolution et prit le nom de Maison Nationale. Après le docteur Gastaldi, c'est Royer Collard qui en fut le médecin-chef de 1805 à 1825. Il y créa la première chaire de psychiatrie de la faculté de médecine de Paris ensuite transférée à Sainte-Anne. En 1825, lui succéda Étienne Dominique Esquirol qui conçut un nouvel hôpital insistant sur la vocation curative de l'établissement et l'aménagement des espaces. Tout au long de son histoire, les plus grands noms de la psychiatrie participeront à l'activité de cet hôpital qui est en matière de santé mentale un des plus riches de France du point de vue historique, littéraire, médical et bien évidemment architectural. Ce n'est pourtant qu'en 1973 que la maison de Charenton sera baptisée du nom de son concepteur : Esquirol. L'hôpital Esquirol va participer à tout le mouvement qui permettra aux secteurs de voir le jour avec les missions de prévention, dépistage, cure, - 49 - post cure, réadaptation, protection des patients et de leurs biens. C'est en 1960 que naît l'organisation de l'activité de soins du secteur avec les structures intra et extra hospitalières qui l'accompagnent. III.1.1.2 Le statut de l'hôpital Esquirol L'hôpital Esquirol est un établissement public de santé pour le département de Paris doté de l'autonomie financière juridique et patrimoniale. Pour des raisons de proximité géographique, il accueille aussi plusieurs secteurs du Val-de-Marne. Comme tous les hôpitaux publics, il est administré par un conseil d'administration, dont la présidence est assurée par le représentant du conseil général de Paris. Un directeur, nommé par le ministre de la santé, en assure le fonctionnement. Il est sous la tutelle de l'Etat, exercée par la direction des affaires sanitaires et sociales. III.1.1.3 Le dispositif d'accueil Service Dispositif Psychiatrie 7 secteurs adulte et 4 secteurs enfants et adolescents implantés dans Paris et le Val-deMarne 33 lits en centres d'accueil et de crise 36 structures extra hospitalières 2 maisons communautaires 171 places en hôpital de jour 266 lits d'hospitalisation temps plein 33 places en accueil familial thérapeutique (15 en psychiatrie infanto-juvénile et 18 en psychiatrie générale) 1 unité de personnes polyhandicapées 1 unité "souffrance et précarité" Maternité 33 lits 1 service de néonatologie - 50 - III.1.1.4 Les ressources humaines Personnel en psychiatrie Médical Non médical Effectifs (en 2000) 58 praticiens hospitaliers 49 assistants ou attachés 26 internes et étudiants 944 soignants, social, éducatifs 121 techniciens généraux et informatiques 139 administratifs 12 médico-techniques La filière socio-éducative Actée par un décret du 26 mars 1993, elle précise les missions des cadres socio-éducatifs et instaure un concours pour acquérir ce statut. En 1995, le directeur de l'hôpital Esquirol crée un poste transversal qui assure la responsabilité du service social qui devient en 2000 "Développement et coordination de l'action sociale". En 2004, on assiste à la création d'un poste d'adjoint. En 2006, l’équipe de cette filière est constituée de : 6 cadres socio-éducatifs (dont 2 assurent la responsabilité hiérarchique des travailleurs sociaux) 45 assistants socio-éducatifs 30 éducateurs spécialisés 10 autres III.1.1.5 Une nouvelle organisation L'ordonnance du 4 septembre 2003 prévoit la création de pôles d'activité qui vont regrouper certains services ; il va y avoir fusion de plusieurs secteurs. Ainsi, progressivement, le secteur va être remplacé par la notion de territoire de santé. Les pôles vont correspondre à un bassin de 200 000 habitants (soit l'équivalent de trois secteurs psychiatriques actuels). L'objectif de cette nouvelle organisation est de promouvoir sur un territoire de santé la bonne gestion mutualisée des ressources hospitalières, le - 51 - temps médical pour les gardes et les astreintes pour une population donnée. Dans cette perspective, elle ouvre la possibilité aux professionnels de santé libéraux d'être associés par voie conventionnelle à la lutte contre les maladies mentales. Une organisation similaire se met en place pour les autres pans de la médecine. En 2005, dans le cadre de la nouvelle gouvernance, la gestion des hôpitaux va donc se transformer. On assiste ainsi au rapprochement de deux hôpitaux implantés sur le même territoire (annexe 1). Le directeur de l'hôpital Esquirol devient directeur des hôpitaux de Saint-Maurice : l'hôpital national de SaintMaurice, dont la vocation est la rééducation, et l'hôpital Esquirol. Certaines directions vont devenir communes aux deux hôpitaux telles que la direction des finances, des achats de la logistique du patrimoine, des travaux, de la clientèle et de la communication, des systèmes d'information. Les différents secteurs de psychiatrie rattachés à l'hôpital Esquirol sont invités à s'organiser en pôles et à présenter leur projet, la mise en œuvre étant prévue pour 2007. III.1.2 L'institut du Val Mandé : établissement médico-éducatif de la fonction publique hospitalière Ayant ouvert sous l'appellation Institut des aveugles à une époque où le public malvoyant et aveugle plus important était pris en charge en établissement médico-éducatif, l'institut a connu une grande évolution depuis une quinzaine d'années. Les progrès de la médecine ont permis de diminuer le nombre de personnes atteintes de cette pathologie. D'autre part, l'intégration dans les milieux scolaires et professionnels ordinaires s'est généralisée. Restent pris en charge dans les établissements médico-éducatifs, les pathologies associées (malvoyance plus une autre problématique). Les établissements ont été amenés à recevoir un public plus élargi notamment des pathologies psychiatriques, des polyhandicapés et aussi des accidents de - 52 - la vie (rupture d'anévrisme, accident de la route, ...) entraînant une dépendance physique et psychique. Fait récent, les personnes souffrant par exemple de trisomie ont vu leur espérance de vie s'allonger. Avec l'âge surviennent des troubles du comportement qui sont parfois difficiles à stabiliser et font appel à des soins psychiatriques. Dans un souci d'adaptation, le nouveau directeur, nommé il y a huit ans, a été à l'origine de l'ouverture de plusieurs structures. Elles étaient au nombre de cinq et on n'en compte onze à ce jour. L'institut le Val Mandé est organisé en quatre pôles : un pôle professionnel qui comprend un centre d'aide par le travail -CAT- (100 places) et un foyer d'hébergement couplé avec des appartements communautaires. Un pôle adulte pour des personnes ne pouvant travailler qui est composé d'une MAS (44 personnes), d'un foyer de jour (26 personnes) et d'un foyer de vie (35 personnes). Un pôle enfant qui dispose de deux IME. Un pôle proximité, le plus récent, qui propose un soutien dans le milieu ordinaire : le SASMO intervenant au domicile pour des personnes polyhandicapées un service d'intégration scolaire un service d'accompagnement à la vie sociale un espace loisir pour l'accès aux loisirs et à la culture. Certaines structures telles que la MAS, les IME sont financées par la Sécurité Sociale ce qui les dote d'un plateau technique médical et paramédical. D'autres unités sont financées par le département ou la région et disposent d'un personnel essentiellement éducatif. Sur l'ensemble de l'établissement, nous trouvons quatre médecins psychiatres à temps partiel, et quatre médecins de spécialités différentes, quatre infirmiers, des rééducateurs, des AMP, aide-soignants, ASH, - 53 - éducateurs et moniteurs éducateurs. Les intervenants médicaux et paramédicaux peuvent intervenir sur différentes structures de l'institut. Les professionnels sont fonctionnaires, ce qui est rare dans le cadre de ces établissements qui relèvent généralement d'une gestion associative. III.1.3 La cité Saint-Martin La spécificité de la cité Saint-Martin se situe dans l'hébergement d'urgence inconditionnel vers une orientation pour 63% de ses lits contre 37% de lits en hébergement d'insertion. Ainsi s'exprime son directeur adjoint : "Historiquement, nous avons été créés par le Secours Catholique et l'Etat sur l'idée novatrice à ce moment là, qui ne l'est plus du tout, d'un accompagnement social lié à l'urgence parce que le travail social ne considérait pas l'urgence comme un travail et laissait au monde caritatif ce travail là d'accueillir les gens, de les soutenir sur le mode du bénévolat". À la cité Saint-Martin, on trouve deux types de structures : les services d'hébergement d'urgence qui disposent de 154 places, et les services d'hébergement d'insertion disposant de 98 places. L'institution cherche à travers les différents dispositifs d'hébergement à répondre à tous les publics (familles monoparentales, couples sans enfant ou personnes isolées) traversés par tous types de problématique (pathologies chroniques, somatiques ou psychiques, éventail des degrés d'exclusion sociale). Outre l'hébergement en tant que tel, les réponses aux besoins sont plurielles et sur un mode transversal : accompagnement médical, accompagnement psychologique, soutien technique administratif, mini mode de garde, soutien à l'accès à l'emploi et au logement social et accompagnement au quotidien. L'élaboration de la transversalité entre tous les dispositifs de l'établissement reste le gage de la cohérence institutionnelle. Le blocage de plus en plus important auquel la cité est maintenant confrontée demeure la quasi-impossibilité d'orienter les publics hébergés en urgence sur d'autres dispositifs extérieurs d'insertion à long terme. Ainsi, les professionnels de la cité constatent l'allongement des temps de séjour dans des conditions d'hébergement inadaptées aux séjours longs, - 54 - la diminution des orientations sur les structures extérieures d'hébergement d'insertion à long terme (40 à 50% par service) et l'évolution des pratiques qui en découlent. Au vu des situations accueillies du fait de l'urgence inconditionnelle, une proportion de lits d'urgence devient un SAS pour les publics (tant adultes qu'enfants) aux prises avec de graves pathologies chroniques ou mentales, ces situations impliquant des prolongations de séjour, une pratique différente et un solide partenariat médical. La convention signée avec le secteur psychiatrique se situe à cette articulation. Le partenariat entre la psychiatrie et l'équipe du service d'accompagnement social en chambre d'hôtel (SAS) a débuté en 2001. La mission du SAS est d'offrir aux personnes seules ou en couple un hébergement immédiat et transitoire de quelques semaines en chambre d'hôtel, avec un accompagnement social soutenu afin qu'elles puissent bénéficier d'une orientation adaptée à la sortie permettant de rompre avec la répétition des accueils en urgence. Le rapport d'activité 2004 de la cité Saint-Martin nous renseignait : au démarrage, la cité en intégrant la dimension "santé" au sein des pratiques d'accompagnement social tentait de faire "cohabiter" le médical et le social. Aujourd'hui, elle parvient à proposer une prise en charge sociomédicale de plus en plus agencée que nous qualifierons de sociopsychiatrique. Le développement choisi de la complémentarité des compétences de chacun permet une meilleure qualité de la prise en charge socio-psychiatrique des publics. III.2 QUEL FONCTIONNEMENT POUR LES PARTENARIATS OBSERVÉS ? III.2.1 L'émergence Même si l'émergence des partenariats est multi-factorielle, elle s'inscrit de manière générale dans une impossibilité à un moment donné pour les institutions de répondre à l'ensemble des demandes d'un public pour lequel elles sont missionnées. Du fait généralement d'une évolution des - 55 - structures et du public, les institutions sont contraintes à chercher des solutions à l'extérieur afin de pouvoir assurer leur mission. Cette naissance de collaboration s'inscrit aussi dans l'évolution de la législation ; les professionnels font notamment référence à la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, la loi contre les exclusions de 1998 : l'inscription dans le cadre réglementaire permettant alors d'obtenir des moyens financiers et en personnel. Enfin, la proximité géographique et l'impulsion de certains professionnels participent à constituer le moteur de cette émergence. III.2.1.1 Le choix par défaut ou du constat d'un manque aux besoins de l'autre Pour le centre d'hébergement : Les professionnels de la cité Saint-Martin font le constat de leur impossibilité à répondre seuls à l'ensemble des problématiques des personnes sans domicile fixe qu'ils reçoivent. Ils ne peuvent plus assurer sans le soutien de compétences externes les missions d'accueil, réhabilitation et insertion sociale qui leur sont dévolus. Ainsi s'exprime un professionnel du centre d'hébergement : "Auparavant, la société avait des réponses très spécifiques par rapport à une partie de la population qui allait mal ; donc il y avait des centres d'hébergement qui répondaient à ça. Et c'était quelque chose de particulier parce qu'on avait créé tout à l'intérieur du fait du petit nombre d'exclus (...) mais ils n'allaient pas aussi mal qu'aujourd'hui, ça je le pense réellement. On avait des réponses presque totalement internes. Au jour d'aujourd'hui, on a des réponses qui ne sont plus internes" (Marc D.). L'accroissement du nombre de situations rend complexe l'organisation des réponses. "Au lieu d'en traiter mille, on en traite dix mille ; on ne peut plus travailler de la même manière, il y a un problème de masse" (Marc D.). Se pose aussi l'aggravation des problématiques et notamment l'apparition des troubles psychiatriques. "La demande des travailleurs sociaux était insistante, qu'est-ce qu'on fait avec des populations qui vont très mal (...) - 56 - on n'a pas de formation propre (...) ce n'est pas à nous de le faire ; on ne peut pas faire du social sans qu'il y ait du soin auparavant" (Marc D.). Pour l'hôpital Ces professionnels témoignent aussi de leurs difficultés à adapter leurs réponses aux besoins des patients qu'ils ont en charge et aux missions de soins au sens large qui sont celles de l'hôpital psychiatrique : cure, réhabilitation, réinsertion. "L'évolution sur l'intra, au niveau des pratiques, ça a beaucoup changé ; déjà les restructurations et les choix budgétaires ont amené à changer de position (...) on vit beaucoup plus de précarité (...) c'est la population qui est de plus en plus précaire (...) avec plus de limites pour préparer la sortie (...). Il y avait une période où c'est nous qui faisions tout enfin j'avais l'impression (...) je crois que c'est l'évolution sûrement du secteur psychiatrique aussi" (Martine F.). Les interlocuteurs du centre hospitalier font référence à deux éléments qui fondent l'évolution des prises en charge en psychiatrie. D'une part, il y a une évolution des patients ; se côtoient dans les services hospitaliers à la fois des personnes souffrant de troubles psychiatriques (psychose) et aussi des personnes présentant des fragilités psychiques et sociales. Mais c'est essentiellement en ambulatoire que ces derniers sont reçus. Chez l'ensemble des patients, la précarité s'est aggravée (isolement social, endettement, logement). D’autre part, en vingt ans, le secteur psychiatrique s'est beaucoup modifié. Chaque secteur dispose environ de 35 lits d'hospitalisation. Les structures d'hospitalisation de proximité ont fermé (centre d'accueil et de crise -CAC-) ; leur coût en personnel étant trop élevé dans une période de restrictions budgétaires. Progressivement, le nombre de lits par secteur a considérablement diminué au profit d'un suivi en ambulatoire (centres médico-psychologiques -CMP-, centres accueil thérapeutique à temps partiel -CATTP-, hospitalisation à domicile -HAD-). L'hôpital n'a plus vocation d'accueil, "d'asile" mais constitue un temps de passage qui se définit le plus court possible. - 57 - Pour l'institut le Val Mandé Cet établissement médico-éducatif connaît comme d'autres structures accueillant les pathologies similaires, une évolution de son public. En effet, le nombre de personnes atteintes uniquement d'une pathologie visuelle a fortement diminué au sein des établissements spécialisés. Aussi l'établissement doit faire face à deux évolutions : d'une part, une augmentation d'un public présentant une déficience intellectuelle (associée parfois à d'autres pathologies) ; d'autre part, un vieillissement des résidents qui développent alors au sein de l'établissement de nouveaux troubles. "Il y a une médicalisation des résidents qui a priori sont des gens qui étaient là pour avoir plutôt une prise en charge éducative mais avec le vieillissement et l'allongement de la vie des personnes handicapées, eh bien, ils développent tout un tas de pathologies que développent les personnes ordinaires en vieillissant (...) 70% de nos résidents quelles que soient les structures ont une déficience sur le plan psychique. On a énormément de psychoses infantiles, on a des autistes, on a des schizophrènes, on a toute cette pathologie (...) on s'aperçoit par exemple que chez les trisomiques, il y a des démences séniles qui apparaissent à 38 ans" (Pauline G.). Les évolutions nécessitent à la fois une restructuration de l'établissement, une adaptation, la formation du personnel et la recherche de collaboration externe. III.2.1.2 La proximité géographique Le partenariat s'inscrit dans une proximité géographique. Les institutions qui ont été amenées à se rencontrer intervenaient dans une zone géographique commune. Expérience A : elle se situe sur les 1er, 2ème, 3ème et 4ème arrondissements de Paris. Elle associe deux secteurs de psychiatrie et un centre d'hébergement et d'accompagnement social implanté sur le 4ème arrondissement depuis 1981. - 58 - Les arrondissements disposent d'un tissu associatif développé et ancien notamment créé autour des Halles : Emmaüs, le collectif Rue, les Captifs de la libération (cités lors des entretiens). Dans le cadre de la lutte contre le virus immunodéficience humaine (VIH), des collaborations étaient déjà mises en place entre associations et instances médicales. Le partenariat intervient donc sur un territoire où il y a déjà des expériences de travail en commun. Expérience B : elle se situe sur la commune de Saint-Mandé. Cette dernière a été rattachée au secteur psychiatrique relevant de l'hôpital Esquirol en 1998-1999. C'est une ville de 10 000 habitants proches de Paris 12ème, de "bon niveau" socio-économique. " La maladie mentale existe à Saint-Mandé (...) une petite commune où il y a une clinique privée, où il y a des psychiatres installés et où il y a même des psychiatres qui y vivent, paradoxalement n'a pas conscience de ce qu'est la maladie" Depuis ce rattachement, le chef de service et son équipe ont rencontré le maire et proposé la mise en place d'une antenne de santé mentale en mairie deux fois par mois à la disposition des travailleurs sociaux de la ville, des professionnels du CCAS, des médecins généralistes afin d'être à l'écoute de signalement de personnes en grande difficulté psychique et de réfléchir aux modes d'intervention du service psychiatrique. L'inscription de l'équipe psychiatrique sur cette commune a favorisé la rencontre avec le Val Mandé installé depuis 1977. III.2.1.3 Le législateur Lorsqu'on évoque l'émergence du partenariat, les professionnels font référence à la loi et à la réglementation qui préparent le terrain des actions de partenariat, qui impulsent un mouvement de rencontre et qui accompagnent surtout en termes de moyens financiers. Partenariat A Suite à l'interpellation de la DDASS par les centres d'hébergement, au sujet de leurs difficultés à prendre en charge un public présentant des troubles psychiatriques, des rencontres ont été organisées avec les services de psychiatrie. - 59 - "J'ai su que la DDASS avait été sollicitée de la part de l'ensemble des structures sociales (...) la DDASS a pris la décision de réunir les cinq secteurs de psychiatrie (...) elle a financé grâce à des financements DRASS sur chaque secteur un demi-poste infirmier, un demi-poste d'assistante sociale" (Marc D.). Suite à ces rencontres est né l'intersecteur psychiatrie précarité chargé de faire des liens entre des demandes de soins pour des résidents en provenance de centres d'hébergement et le secteur psychiatrique. Parallèlement, c'est dans le contexte de la loi contre les exclusions qu'a été mis en place le SAMU social de Paris. Les différents liens et surtout créations de postes sont accompagnés par le législateur. Ces points de rencontre ont permis par exemple à la psychiatrie et à la cité Saint-Martin de se connaître et d'élaborer par la suite leur projet de partenariat. Partenariat B C’est aussi par l’intermédiaire de la DDASS que les services médicoéducatifs et la psychiatrie vont se découvrir et commencer à réfléchir à leur complémentarité. "Il y a eu tout un groupe de travail pendant une année qui s'est fait à la DDASS sur comment rapprocher le sanitaire du médico-social et moi, j'étais dans le groupe qui a travaillé sur comment rapprocher la psychiatrie du médico-social" (Pauline G.). Et de poursuivre "on est à une période où il faut inclure le sanitaire par nécessité et puis aussi par rapport à la demande de nos tutelles qui est le rapprochement du sanitaire par rapport au médico-social". Les professionnels de l'hôpital font aussi référence aux évolutions annoncées par le législateur. "La psychiatrie a grandi avec les murs, même maintenant si les murs sont dans la cité, et la prochaine étape de la psychiatrie et moi j'en suis convaincu, c'est hors les murs, c'est une étape qui est le domicile des patients et c'est justement tous ces lieux communautaires enfin ces lieux associatifs (...) les circonscriptions mêmes jusqu'aux ANPE" (Philippe B.). Il fait référence au plan de santé mentale qui prône un développement du secteur psychiatrique dans le cadre des hospitalisations à domicile et - 60 - l'organisation de soins à partir d'espaces communautaires fréquentés par le public (circonscriptions d'action sociale, associations, ...). III.2.1.4 Une mobilisation souvent plus individuelle qu’institutionnelle Dans l'émergence des partenariats, et à travers les témoignages des professionnels, on retient aussi la mobilisation toute particulière (c'est-àdire porteuse pour l'ensemble d'une équipe) de certains pour ces rencontres avec d'autres institutions. Dans le partenariat A, plusieurs interlocuteurs situent leur intérêt pour l’autre champ à la fois dans une dimension professionnelle et personnelle, ce qui fait la force de leur investissement. "J'ai toujours été intéressé par les problèmes psychiatriques (...) alors quand s'est posée ici la question des personnes ayant des troubles mentaux importants (...) je me suis intéressé à la chose, j'ai lu pas mal ce qui sortait" (Marc D.). Et de poursuivre "si je me situe d'une manière plus personnelle par rapport à la psychiatrie, oui, j'ai dû apporter beaucoup dans cette maison par rapport à cela ; c'est-à-dire que sans moi, elle aurait bougé mais pas de la même manière". La volonté de certains professionnels ancrée dans leur parcours individuel participe à l'émergence du partenariat. Elle est ainsi portée par des convictions ou une adhésion intime et continue à des idéaux. "L'idée de base, comment dire de type humanitaire, entre les deux chefs de service de psychiatrie et moi, c'est euh, tout malade est un citoyen, il doit s'intégrer dans la société, il faut trouver des outils permettant cette intégration dans l'espace social" (Marc D.). Dans le partenariat B, l’implication et la réelle dynamique des responsables de service, notamment ceux de l’hôpital, sont soulignées comme essentielles au démarrage du partenariat et à la mobilisation des équipes. "On a un chef de service qui fait feu de tout bois, qui est très dynamique, qui s'ouvre beaucoup à l'extérieur et qui aime bien développer les partenariats et les échanges donc il a pensé que ce serait bien d'avoir une relation privilégiée avec le Val Mandé" (Fabienne T.). - 61 - Le partage de certaines convictions humanistes est beaucoup plus prégnant dans le partenariat A que B. On le retrouve dans des discours de plusieurs professionnels. Il est difficile d'isoler l'impact qu'elles peuvent avoir dans le partenariat, mais on peut supposer qu’elles aident à chercher des points d’alliance, à dépasser certains clivages. III.2.2 L'action collective organisée III.2.2.1 L'action collective et les règles de fonctionnement Pour les deux partenariats, l'action collective va s'organiser de manière progressive afin de chercher un fonctionnement proche des besoins des organisations et de leur public. Elle aura fait l'objet de nombreuses rencontres et aura été soumise à des périodes de blocage, de conflit, de compromis. Dans le cadre du partenariat A, l’action collective est la plus ancienne puisqu'elle a débuté en 1999 (et se poursuit à ce jour) autour de rencontres initiées par la DDASS entre les services de psychiatrie et les centres d'hébergement afin de rapprocher les structures sociales du milieu du soin. De ces rencontres va naître l'intersecteur psychiatrie précarité (équipe composée d'un médecin, d'une infirmière et d'une assistante sociale mitemps) dont l'objectif est d'œuvrer auprès d'un public sans domicile fixe afin d'organiser l'accès aux soins psychiatriques. Le médecin responsable de l'intersecteur est aussi celui du secteur 75G02. Les entrevues entre la cité Saint-Martin et les deux secteurs de psychiatrie Paris Centre (75G01-75G02) vont se poursuivre notamment autour de la connaissance du secteur psychiatrique, du soin. "On avait organisé quelques tables rondes afin de faire un peu de formation au niveau des travailleurs sociaux, comment fonctionne l'hôpital, comment la psychiatrie, le rôle du CPOA etc. (...) ce que c'est qu'un secteur, enfin des tas de choses techniques qu'on apprend mais en même temps, c'est bien de les apprendre tous ensemble et de manière un peu dynamique" (Marc D.). - 62 - Par la suite, les rencontres vont davantage porter sur des situations jusqu'à la mise en place en 2001 d'un projet de travail commun qui ne sera entériné par la convention qu'en 2002. Ce projet avait deux visées : mettre à la disposition des deux services de psychiatrie trois chambres d'hôtel du service SAS d'urgence de la cité Saint-Martin. En contrepartie, les équipes de CMP s'engageaient à accueillir les demandes de soins amenées par les professionnels de la cité Saint-Martin. Cette collaboration s’appuie sur un échange de service. "Tous les professionnels de l'équipe SAS ne participaient pas à ce projet. "On a décidé qu'on allait mettre trois chambres d'hôtel à disposition, donc trois places pour des personnes, pour des patients du secteur Centre (...) alors au tout début c'était vraiment trois chambres d'hôtel que l'on confiait à la psychiatrie, mais il n'y avait aucun suivi de notre part, on laissait vraiment les trois chambres à disposition et c'était notre chef de service qui était contactée et en fonction des places, qui disait bon OK pour cette personne, qui faisait des bons d'hôtel sans réellement voir, rencontrer une fois la personne mais sans suivi du tout" (Sophie C.). Mais ce fonctionnement trouve rapidement ses limites. D'une part, la durée d'hébergement de quatre semaines, identiques à celles des autres hébergés, s'avère trop courte et présente rapidement des failles. D'autre part, l'accompagnement du service social du SAS s'avère nécessaire notamment dans une fonction de tiers au niveau de la relation avec les hôteliers. L'augmentation du temps de séjour et l'implication de l'équipe SAS vont nécessiter une formalisation du suivi des personnes. "Nous, on est quand même en lien avec nos hôteliers et quand ils nous parlaient des personnes qu'on ne connaissait pas (...) c'était un peu compliqué de gérer les difficultés que l'hôtelier pouvait rencontrer (...) on se discréditait par rapport à nos hôteliers" (Sophie C.). En mai 2002, un an après la mise en place de cette expérience, une convention est signée entre l'hôpital Esquirol, les deux médecins responsables de secteur et la direction de la cité Saint-Martin. Elle pose les règles de collaboration entre l'ensemble de la cité Saint-Martin et les deux secteurs psychiatriques Paris Centre et fixe les espaces de - 63 - régulation ainsi que les temps d'évaluation de ce partenariat (tous les trimestres). Les secteurs psychiatriques s'engagent à proposer un accès aux soins pour les personnes hébergées à la cité Saint-Martin. Dans le cadre de l'équipe du SAS, la cité Saint-Martin maintient la mise à disposition de trois chambres d'hôtel. La durée d'hébergement s'allonge et s'établit pour trois mois renouvelables. En dehors d'un travail spécifique autour de cet hébergement, la force de cette convention est de proposer des rencontres régulières (tous les deux mois) à l'ensemble des acteurs des deux organisations "en vue de renforcer le partenariat médico-social". Le partenariat ne concerne pas uniquement les interlocuteurs autour des prises en charge communes mais l'ensemble des services de chaque organisation. Ces réunions permettent d'approfondir la réflexion au niveau du lien psychiatrie exclusion, d'évoquer ensemble des situations ; elles viennent nourrir le partenariat existant. En juillet 2005, j'ai participé à l'une de ces rencontres en tant qu'observatrice. Dans le cadre d'un tour de table j'ai pu présenter l'objet de mon travail. Plusieurs services de la cité Saint-Martin étaient représentés ainsi que les deux services de psychiatrie, soit environ une trentaine de participants. Après les échanges d'informations générales sur l'actualité de chaque organisation, chaque structure a pu évoquer les difficultés avec certains usagers. Une réflexion a été partagée à propos des hôtels (qualité, coût, relation hôtelier/résident) et des soins en psychiatrie (la compliance au traitement, le déni de la pathologie pour certains patients). L'observation de cette réunion fait apparaître une régularité d'échanges entre ces différents professionnels. Ils se connaissent, se reconnaissent dans leurs compétences et enrichissent leur réflexion. Fin 2002, une convention "Psy mode d'emploi" voit le jour. Elle définit de manière spécifique la procédure d'admission permettant aux patients des services de psychiatrie d'intégrer une chambre d'hôtel au SAS de la cité Saint-Martin. Elle présente trois étapes : la candidature présentée au SAS sur appel téléphonique du référent social du CMP - 64 - un rendez-vous fixé pour une synthèse de présentation à la cité SaintMartin avec tous les référents du CMP une prise de décision de principe par l'équipe du SAS Par la suite, plusieurs rendez-vous sont proposés au candidat afin d'évaluer son adhésion au projet et de lui présenter le service. Un contrat est établi associant le résident et le CMP, précisant notamment les conditions d'accueil et la durée du séjour (même si elle est renouvelable), la nécessité de maintenir les soins en psychiatrie, l'accompagnement social de l'équipe du SAS, les temps de synthèse (dont le premier dans les deux mois qui suivent la prise en charge). "Au départ, il y a eu des demandes comme ça un peu tous azimuts des médecins qui proposaient des gens mais dans l'urgence (...) euh ils nous ont renvoyés que c'étaient des choses qui se préparent ; du coup maintenant il y a un protocole (...) tout ça s'est formalisé au niveau de l'écrit ; c'est assez intéressant (...) ça a obligé à positionner des gens qui sont référents, ça amène à faire un peu attention, à un étayage" (Martine F.). Le bilan établi en 2004 par la cité Saint-Martin fait état de sept personnes reçues en 2004 contre dix en 2002, mais pour une durée moyenne de séjour de seize mois contre quatre mois en 2002. Cette augmentation de la durée du séjour est justifiée par la nécessité d'un séjour plus long pour les patients du secteur psychiatrique afin de faciliter leur intégration. Le bilan fait référence à l'organisation des accompagnements, au mode de socialisation à l'hôtel, à la mise en place des sorties. Il décrit la collaboration entre les équipes et propose des améliorations sur les modalités des prises en charge (exemples : observance des traitements médicamenteux pour les patients ; nécessité pour certains patients de changer d'hôtel après quelques mois en raison de certains troubles du comportement). A travers la formalisation des rencontres, l'établissement de conventions, la procédure d'admission, le bilan de fonctionnement, on peut repérer l'évolution de ce partenariat. Les professionnels ont pu affiner leurs pratiques et ce travail de collaboration afin de mieux adapter le suivi du public concerné. L'action organisée donne du sens à cette formalisation. - 65 - C'est en 2003 que l'on peut situer les prémices d'un partenariat B entre l'institut le Val Mandé et l'hôpital Esquirol. Les premières entrevues ont débuté à propos d'un autre sujet en mairie de Saint-Mandé. Elles ont permis la rencontre du chef de service du secteur psychiatrique et la coordinatrice des soins de l'institut qui ont souhaité poursuivre une collaboration. Peu de temps s'est écoulé entre les premières réunions et la signature de la convention cadre. "On a commencé à se réunir, ils venaient ici ; on en est au moins à trente réunions. On allait à Esquirol et on a visité les structures des uns, des autres, on a fait connaître les psychiatres entre eux (...) pour nous faire confiance au bout du compte" (Pauline G.). La convention cadre a été signée en 2004 entre la direction de l'hôpital et le directeur de l'institut du Val Mandé. Elle fait référence aux différentes lois et circulaires récentes qui favorisent un rapprochement du sanitaire et du médico-social. Ces textes rappellent au secteur psychiatrique qu'il doit favoriser l'accès aux soins du public inscrit sur son territoire ; ils mettent en lumière une collaboration à rechercher entre structures médico-sociales et psychiatriques : la loi du 2 janvier 2002 permet de conclure des conventions avec des établissements de santé la loi nº 98-657 du 27 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions favorise des "actions pour lutter contre les pathologies aggravées par la précarité ou l'exclusion (...) notamment (...) les souffrances psychiques, les troubles du comportement" (article 71), et engage les établissements hospitaliers à s'assurer que tous les patients disposent des conditions nécessaires à la poursuite de leur traitement (article 73) la circulaire d'orientation de santé mentale du 14 mars 1990 ainsi que le plan de santé mentale 2001 rappellent que le secteur psychiatrique a pour mission d'assurer un accès aux soins pour tous notamment en développant des partenariats. - 66 - L'objectif général de cette convention consistait à développer des liens privilégiés entre les deux organisations en facilitant l'accès aux soins psychiatriques pour les résidents de l'institut du Val Mandé et en favorisant l'insertion sociale des patients de la psychiatrie par le biais des structures existantes au Val Mandé. Cette convention cadre définit des objectifs très généraux. Elle cite les lois référencées ci-dessus et précise sa finalité : "La présente convention vise à mutualiser les savoir-faire des personnels médicaux, éducatifs et rééducatifs et à mieux articuler les interventions de l'ensemble des acteurs sanitaires et sociaux des deux entités, auprès des enfants et des adultes accueillis et/ou pris en charge". Elle est portée par la volonté des directions des deux établissements en fonction des missions qui leur sont dévolues. Elle ne fait pas référence à une expérimentation du terrain. Elle introduit des objectifs opérationnels qui seront précisés dans les avenants. Elle fait allusion à l'intérêt d'échanges de personnel dans le cadre de stages pratiques dans les deux organisations "pour une meilleure connaissance des missions de chacune des parties d'une part, une meilleure appréhension des problématiques et prises en charge sanitaires/sociales d'autre part". Cette convention est conclue pour une durée d'un an renouvelable et prévoit des réunions de concertation et de bilan avec un 1er échéancier à six mois. L'expérimentation d'une collaboration entre les deux organisations va se faire en 2004-2005. Mais les procédures d'admission ne sont pas précisément définies. Ainsi, ce sont généralement les assistantes sociales du service de psychiatrie qui contactent l'institut le Val Mandé pour solliciter des stages au profit des patients. Parfois des synthèses sont organisées à l'issue des stages. Le Val Mandé sollicite Esquirol par l'intermédiaire de ses médecins psychiatres pour des résidents qui nécessitent une hospitalisation. En se précisant au fur et à mesure, les propositions faites par les deux organisations s'éloignent des aspirations de départ. C'est ce que font apparaître les comptes-rendus de quelques rencontres déroulées entre mai 2003 et janvier 2004 ainsi que le bilan établi par le Val Mandé. - 67 - Ce bilan fait état : pour les patients du secteur psychiatrique : d'une intégration au foyer de vie d'une admission au SASMO de quatre stages effectués à la MAS de deux stages au foyer d'hébergement de deux stages en CAT pour les résidents du Val Mandé : de deux hospitalisations de quinze jours pour un résident ainsi que des visites d'infirmiers à sa sortie de quatre résidents ont été reçus en consultation CMP Le Val Mandé, qui aspirait à hospitaliser des résidents en état de crise, se voit proposer plutôt des entretiens et des suivis dans le cadre de la consultation du CMP. Le service de psychiatrie, dont les demandes devaient permettre à des patients de pouvoir effectuer des stages dans les structures du Val Mandé et bénéficier d'une admission lorsque l'évaluation s'avère positive, se voit proposer presque uniquement des stages. En effet, l'institut le Val Mandé n'a pas d'accueil à proposer à long terme car peu de places se libèrent. Quant à l'hôpital psychiatrique, il bénéficie de peu de lits d'hospitalisation et souhaite écourter la durée des séjours. Malgré tout, même limitée, cette expérimentation a permis aux deux organisations de travailler sur plusieurs situations. Au-delà des chiffres et de l'expérimentation, les relations entre les deux organisations mettent en lumière un manque de collaboration : le bilan a été réalisé avant tout par le Val Mandé pour tenter de démontrer qu'il avait fait davantage de propositions que l'hôpital Esquirol. Il n'y a pas eu de réunions annuelles, comme elles avaient été prévues pour évaluer ce travail. Depuis, les deux organisations travaillent à la rédaction des avenants à la convention. Ainsi en mars 2005, a été signé l'avenant sur le stage - 68 - professionnel. Il a pour objectif la découverte mutuelle pour les professionnels soignants, sociaux et éducatifs des deux établissements. Il précise les modalités d'accueil des stagiaires. Il est signé par les deux directeurs. "L'idée, c'était que nous n'étions pas formés en psychiatrie pour avoir du recul sur des situations de décompensation, donc tout de suite, on s'affolait un peu. Par contre, nous on connaît toute la prise en charge éducative des ateliers, du quotidien, pour faire évoluer les résidents" (Danielle C.). L'avenant concernant les modalités d'accueil des patients/résidents des deux organisations apparaît plus difficile à formaliser. Il a fait l'objet d'allers-retours entre les deux services, d'échanges téléphoniques. En quatre mois, il n'y a pas eu de rencontres entre le Val Mandé et le service de psychiatrie. "Quand on écrit la convention, c'est pour ça qu'elle fait des retours et que ça va pas très vite avec le secteur 94G16, le chef de service, il écrit des règles du secteur et pour nous une convention, on y met des petits plus, des choses qui facilitent" (Pauline G.). Dans la recherche d'une formalisation des modalités de collaboration, l'idée est d'engager chaque organisation dans un travail commun. Si les antagonismes ne sont pas apaisés, le risque est de se retrouver avec un avenant très généraliste et vide de sens. "On s'oriente un peu vers un texte qui serait un peu lénifiant ou bien on va proposer une collaboration qui respecterait le fonctionnement habituel (...) on proposera des services comme on pourrait les proposer à n'importe qui" (Henri B.). La difficulté de rédaction d'un écrit commun permet de repérer les situations de blocage inhérentes à toute expérimentation de travail conjoint. Ainsi la formalisation d'une action collective par des conventions et des bilans facilitent la mesure des stades d'évolution du projet et la correction des dysfonctionnements. Pour parvenir à écrire les règles de fonctionnement du partenariat, il est nécessaire de pouvoir les évoquer, les discuter et trouver des accords. - 69 - III.2.2.2 Les acteurs Notions d'appartenance Tous les professionnels rencontrés dans le cadre du partenariat A expriment sans hésitation leur appartenance à une institution et non à un ou des partenariats. "J'appartiens à une institution quand même vu le poids au niveau de l'histoire, on a le poids institutionnel dans le dos" (Martine F.). Mais lorsqu'ils évoquent leur travail, ils ne peuvent s'imaginer le réaliser uniquement au sein de l'organisation, ils le décrivent en lien avec l'extérieur. "Il est important de travailler à plusieurs pour ne pas stigmatiser les personnes" (Martine F.). L'organisation ne peut plus répondre seule aux problématiques complexes des individus. La psychologue de la cité Saint-Martin est repérée par ses collègues de la même organisation comme celle qui a permis de faciliter les liens avec la psychiatrie peut-être parce qu'elle appartient aux métiers du soin. "Elle a joué un rôle d'interface, de crédibilisation de la parole sociale" (Marc D.). Selon cet interlocuteur, la psychologue a donné de la valeur à la parole des travailleurs sociaux pour être entendus par les services de psychiatrie. C'est elle qui fait une première évaluation avec le résident pour cibler la problématique et présenter la demande de soins auprès du CMP. Cette compétence est reconnue au sein de son organisation et du CMP. Les professionnels qui participent au partenariat ont souvent une approche transversale de leur métier. "Mon travail, c'est une coordination de tous les moyens pédagogiques de la maison (...) l'idée de transversalité au niveau des équipes pour qu'il y ait une logique d'équipe très prégnante qui se mette en place" (Marc D.). On trouve l'idée de passerelle, la recherche d'une finalité commune à l'ensemble des équipes de la cité Saint-Martin. Les responsables d'équipe développent dans leur mission une disponibilité et donc une écoute à l'égard des professionnels. "Moi je suis beaucoup sur la gestion d'équipe au sens matériel du terme ; c'est des choses comme le planning (...) beaucoup en étant personne ressource (...) ça veut dire effectivement être le plus disponible possible pour pouvoir parler avec les équipes de leurs situations" (Danielle C.). - 70 - Les notions d'appartenance sont plus complexes et plus hétérogènes au sein du partenariat B. Dans l'ensemble, les professionnels restent affiliés à leur organisation. Pour certains, cette notion d'appartenance correspond à la défense et à la protection de l'organisation. "Moi, je prends fait et cause pour l'institut, je suis tout à fait soucieux du sentiment d'équipe (...) je dois défendre les positions de l'institution" (Henri B.). De ce fait, la description de son travail se fait plutôt au sein de la structure. "J'ai un travail de supervision, d'encadrement surtout du personnel (...) au niveau de la MAS, c'est un peu différent parce que les patients sont suivis sur le plan clinique par moi" (Henri B.). Concernant son lien avec les hôpitaux, il précise : "On est dépendant des structures hospitalières pour les soins plus lourds". Le cadre de santé de l'institut du Val Mandé apparaît quant à elle comme un maillon essentiel dans les relations qu'entretiennent les deux organisations. Elle est reconnue par les professionnels participant au partenariat comme celle qui fait lien au point d'en étonner la direction. "J'appartiens à des partenariats et je me suis faite reprocher, y compris par mon directeur, que j'étais trop souvent à Esquirol" (Pauline G.). Elle rappelle ses origines hospitalières qui lui confèrent des facilités relationnelles avec les cadres infirmiers et le cadre social de l'hôpital Esquirol. L'univers de l'hôpital lui est proche. Au sein de son établissement, elle définit ainsi sa fonction : "Je suis en transversal pour tout ce qui est de l'aspect médical et paramédical sur l'ensemble des onze structures". Au niveau de la psychiatrie, le chef de service a acquis une connaissance des données économiques, sociologiques, démographiques et sociales des quatre villes qui fondent le secteur. Ces éléments ainsi que les liens avec les associations et les professionnels sociaux sont pour lui indissociables de l'organisation du soin en psychiatrie. C'est ainsi qu'il le précise : "C'est important dans la psychiatrie de secteur de bien connaître son environnement sanitaire médico-social". Mais nous verrons au cours de l'analyse de ce partenariat que les positions du chef de service ne sont pas toujours fédératrices pour l'ensemble des médecins. - 71 - Références idéologiques On retrouve au sein du partenariat A la volonté d'intégrer les patients dans la cité comme l'ont prônée les politiques de secteur. Cette valeur est partagée par les professionnels des deux organisations ; " (...) un souci que la personne soit citoyenne à tout moment (...) le lien extérieur, ça peut créer des opportunités" (Martine F.). Se développe ici, l'idée qu'un malade est capable de vivre dans la cité, est capable de penser, d'agir en personne responsable. "Tout malade est un citoyen, il doit s'intégrer dans la société (...) il faut trouver des outils permettant cette intégration dans l'espace social sachant que le soin ne peut s'inscrire que dans un espace social" (Marc D.). Le positionnement idéologique ressort moins clairement dans le partenariat B. A l'institut du Val Mandé n'apparaissent pas des notions de citoyen. Les résidents sont considérés comme vulnérables. Ils sont décrits lourdement handicapés, certains n'ayant pas accès à la parole. Ils sont sous la responsabilité et la protection du Val Mandé qui cherche pour eux la meilleure prise en charge possible. "Toutes nos structures sont complètement pleines, entre autre dans les internats, les gens qui rentrent chez nous, ils vont y mourir" (Pauline G.). Pour la psychiatrie, les références idéologiques sont beaucoup portées par le chef de service. "On ne peut concevoir le travail psychiatrique s'il s'agit seulement de soigner et quel sens à ce terme de soigner si on ne prend pas en compte la réhabilitation, la citoyenneté, moi ça me rend plus citoyen ; ça a un côté militant pour moi" (Philippe B.). Culture professionnelle Dans le cadre du partenariat A, les professionnels du CHRS évoquent une perception différente de leurs collègues concernant la protection de l'enfance. Ils ont l'impression que les services de psychiatrie privilégient le parent-patient adulte au détriment de son enfant lorsque le cadre de vie qu'il lui propose n'est pas sécurisant. Les travailleurs sociaux pointent les carences éducatives. Les services de psychiatrie mettent en avant le soin - 72 - du patient comme un préalable à privilégier avant de se focaliser sur ses difficultés éducatives. Un autre point suscitant des controverses concerne la liberté du soin. Les travailleurs sociaux sont généralement plus interventionnistes que les services de psychiatrie dans le cadre du soin sous contrainte. Peut-être sont-ils très sensibilisés au risque d'exclusion sociale à laquelle la maladie mentale peut conduire. "La psychiatrie, c'est un apprentissage de la tolérance, les collègues critiquent trop la liberté du sujet, comment la maintenir ; c'est un point délicat, le respect ou non de la liberté" (Marc D.). Les travailleurs sociaux ont parfois l'idée que l'échec de l'insertion sociale d'un usager incombe à leur savoir-faire, le risque étant alors d'être projectif à l'égard d'autres services. "C'est très compliqué pour un travailleur social de voir qu'un échec n'en est pas un" (Danielle C.). Les professionnels des deux organisations font référence à la crainte qu'inspire l'autre champ professionnel lorsqu'on le méconnaît. "Moi, je suis arrivée à une période charnière où on avait longtemps imaginé, le social avait longtemps imaginé, que c'était pas de son ressort parce que c'était du ressort de la psychiatrie (...) la psychiatrie renvoyait la balle en disant, nous on peut rien faire parce qu'il y a des problèmes d'hébergement ou des problèmes sociaux ; c'est-à-dire que pendant très longtemps le social et la psychiatrie se sont renvoyés la balle et aussi avec une espèce, je crois que la folie faisait peur aussi, et une méconnaissance" (Danielle C.). La folie inspire la crainte mais elle fascine. La psychiatrie fonctionne comme une pensée magique pour ceux qui ne la pratiquent pas. "Le social avait un fantasme, on avait le fantasme que tout ce qu'on ne savait pas faire, la psychiatrie savait le faire" (Danielle C.). Ainsi, la méconnaissance d'un champ renforce les préjugés, les représentations des professionnels. Travailler en collaboration est une donnée assez nouvelle pour les deux organisations participant au partenariat B ; elles ont longtemps fonctionné de manière quasi autonome. Reste l'idée qu'en psychiatrie, on vit un peu reclus du monde. "La psychiatrie, c'est mon analyse, est restée pendant des années et des années un peu enfermée et ils sont toujours un peu soupçonneux" (Pauline G.). L'inexpérience de la psychiatrie en matière de - 73 - partenariat lui ferait toujours craindre des mauvaises intentions de la part de ses interlocuteurs externes. La notion d'enfermement est reprise par des travailleurs sociaux du secteur psychiatrique à propos des effets de certaines hospitalisations. "En psychiatrie, je pense qu'on a tendance à trop enfermer les patients dans leurs symptômes et on est souvent surpris quand on leur fait des propositions, ils révèlent quand même beaucoup de ressources" (Fabienne T.). Sur l'établissement médico-éducatif, la culture professionnelle est marquée par l'idée d'accompagner et d'héberger les résidents durant toute leur vie. "Le sanitaire pense qu'on est comme à l'hôpital, on a des lits qui se libèrent alors qu'on fonctionne pas du tout de la même façon" (Pauline G.). L'aspect vestimentaire, la présentation, l'apparence sont importants dans le soin porté aux résidents. Cet établissement s'inscrit dans une filière qui a une forte culture de l'insertion sociale et professionnelle, de l'adaptation. "Cette jeune fille, qui était coquette quand elle était en stage chez nous, puis elle est repartie. Moi, j'ai eu l'occasion de faire une visite à Esquirol et je vois une malade mentale avec une jupe, assise, avec un chapeau sur la tête, des poils au menton, c'était elle, ça m'a fiché un coup" (Pauline G.). Au niveau médical, des rivalités peuvent se repérer dans l'origine de ces filières : l'une inscrite dans la folie et le soin psychiatrique, l'autre dans la déficience et la réadaptation sociale et professionnelle. Mais les problématiques des patients/résidents ne sont pas si clairement séparées. "Monsieur B. et son équipe nous disent qu'on ne se rend pas compte de ce qu'est l'hôpital ; on a travaillé à Sainte-Anne, on a été chef de clinique, on n'est pas des petits psychiatres du médico-social" (Henri B.). III.2.3 La construction d'une culture commune III.2.3.1 Apprendre à se connaître Les professionnels du partenariat A ont fait au départ le choix du volontariat, c'est-à-dire que participaient à ce projet commun uniquement les professionnels intéressés (idée forte au niveau de la cité Saint-Martin). Le service de psychiatrie a mis en place des professionnels ressources au - 74 - niveau de la précarité qui sont repérables pour les associations du quartier afin de réfléchir de manière plus générale à cette problématique. Dans le cadre du partenariat avec la cité Saint-Martin, les professionnels ont expérimenté une collaboration avant d'affiner les règles de fonctionnement et les protocoles. "Le choix était fait de commencer à travailler ensemble pour se connaître et puis après de signer la convention, et pas, on va signer la convention et on va travailler" (Danielle C.). Les deux services découvrent des organisations différentes L'organisation du travail en psychiatrie apparaît complexe au CHRS. "On n’est pas organisé de la même manière. Il n'y a pas une personne sur la psychiatrie qui est porteuse du projet" (Danielle C.). Au départ les organisations cherchent à comprendre le fonctionnement des partenaires avec les connaissances qu'elles ont de leurs propres services. La cité Saint-Martin va s'apercevoir que la communication n'est pas toujours limpide entre les différents professionnels d'une même prise en charge psychiatrique, d'où leur demande que tous les interlocuteurs d'un patient soient présents à la synthèse. "Il y a des subtilités en psychiatrie donc (...) en même temps ça semble pas hiérarchisé mais c'est très hiérarchique mais en même temps, il se réglait des comptes entre eux devant nous, c'est déjà arrivé en réunion" (Marc D.). Il apparaît difficile de mobiliser les services de psychiatrie sur des dates de synthèse, et elles doivent être prises plusieurs semaines à l'avance. Cela rend complexe la gestion de la crise lorsqu'un patient ne va pas très bien à l'hôtel. Selon la cité Saint-Martin, les services de psychiatrie "n'aiment pas" la crise et sont réticents aux hospitalisations. "On s'est rendu compte que l'hospitalisation pour les gens de la psychiatrie n'est pas si simple. Je pense qu'il y a des psychiatres qui sont anti-hospitalisation. On a fini nous, d'être obligés dans le cadre de la convention, de signer une demande d'hospitalisation à la demande d'un tiers" (Danielle C.). L'analyse de cette réticence n'est pas évoquée. Est-ce la problématique de la pénurie des lits disponibles, ou les conditions de vie parfois difficiles à l'hôpital, ou une position d'éthique professionnelle ? - 75 - La psychiatrie découvre les exigences de l'hébergement Déjà au niveau historique, l'accompagnement social des personnes en situation précaire par des travailleurs sociaux est assez nouveau. Sans y être très préparés et formés, les services de psychiatrie sont de plus en plus à la recherche des structures d'hébergement pour des patients sortant de l'hôpital. Pour la majorité des patients, l'hospitalisation est un temps de passage. Dans le même temps, la population en situation de précarité a augmenté dans les services de psychiatrie. "La précarité, ce n'est pas quelque chose qui s'arrange ; il y a une augmentation très forte de la population précaire et une précarisation des gens dont on s'occupe" (Jocelyne R.). Les professionnels du secteur psychiatrique connaissent encore peu les exigences, les avantages et les contraintes de la vie en hôtel. Ils appréhendent beaucoup mieux la tolérance et les contraintes de la vie asilaire. "La psychiatrie, ils n'avaient pas non plus une idée très précise de qui on était, de ce qu'on faisait, nos durées de séjour sur l'urgence, qui payait, comment on fonctionnait" (Danielle C.). Selon la cité Saint-Martin, la vie à l'hôtel n'est pas adaptée à tous publics notamment aux jeunes. "Les jeunes, c'est très dur d'être seul et de s'autogérer (...) on travaille plus avec eux en foyers collectifs où il va y avoir de la présence même si chacun a sa chambre" (Danielle C.). Se pose aussi la question de l'occupation en journée des patients qui n'ont pas toujours de projet professionnel, qui n'ont pas de démarches à effectuer. Les professionnels de la cité Saint-Martin évaluent que l'hébergement à l'hôtel ne convient pas à certaines problématiques. "Les gens dépressifs ont beaucoup de mal à l'hôtel ; très vite, ils font des passages à l'acte ou ils se mettent sous leur couette et ils abandonnent tout ; ils ne viennent même plus aux rendez-vous" (Danielle C.). Il ne suffit pas de trouver un mode de logement ou d'hébergement ; il est nécessaire qu'il soit adapté à la fragilité et aux capacités de la personne concernée. Le risque pour la cité Saint-Martin consiste aussi à perdre des hôtels si des difficultés se multiplient chez les résidents. - 76 - Le partenariat B est essentiellement porté par les directions, certains cadres des deux services et le chef de service de psychiatrie. Il repose sur la proximité géographique. "On a souhaité aussi collaborer sur le plan psychiatrique et en toute logique, il y a eu la désignation du service de monsieur B. puisque nous sommes implantés sur son secteur géographique voilà" (Henri B.). On ne trouve pas l'idée du volontariat. C'est la fonction occupée dans l'organisation qui détermine la participation au partenariat. "Moi, je suis le plus ancien, donc j'ai été plus ou moins désigné pour gérer un peu l'avancée de la convention" (Henri B.). L'institut du Val Mandé apparaît pour la psychiatrie comme une organisation richement dotée. Onze structures s'y côtoient tant dans l'accueil des enfants que des adultes. Une professionnelle de la psychiatrie fait référence aux beaux bâtiments, à la qualité de l'hôtellerie, au dynamisme et à l'énergie des équipes. Elle repère aussi la crainte pour ces établissements d'accueillir des patients atteints de troubles psychiatriques car "ce n'est pas leur clientèle habituelle". Par ailleurs, leurs services ouverts rendent impossibles certaines admissions émanant de psychiatrie. "Pour certains patients, notre structure n'est pas adaptée du tout car ils sont restés trop longtemps à l'hôpital psychiatrique" (Pauline G.). L'institut du Val Mandé est très rodé à la rédaction des procédures, des conventions. Ils ont des professionnels formés pour cela. En psychiatrie, c'est le chef de service qui rédige la convention. Il y a souvent un décalage sur le temps d'écriture. "La psychiatrie, c'est long" (Pauline G.). Dans le service de psychiatrie, l'investissement du chef de service n'est pas porté par l'ensemble de son équipe surtout médicale. Ainsi, il a dû revenir sur certains engagements pris lors de rencontres partenariales. Il avait par exemple, donné son accord de principe pour l'organisation de visites à domicile exceptionnelles de l'équipe de psychiatrie au Val Mandé si un résident était en crise. Il a dû se rétracter. Les professionnels du Val Mandé ont apprécié les stages qu'ils ont suivi en service de psychiatrie et notamment la pratique du travail institutionnel. "La psychiatrie, c'est bien mieux que nous, personne ne fait son truc dans - 77 - son coin, c'est des attitudes qui sont réfléchies en équipes. Ils sont vachement solidaires" (Pauline G., rapportant les propos des équipes). Selon le Val Mandé, les services de psychiatrie sont très réticents à propos de la crise et de l'urgence. Demeure l'idée qu'elles peuvent être anticipées pour éviter une hospitalisation. "Il faut une double évaluation pour voir s'il n'y a pas d'autres alternatives, si on veut pas simplement l'hospitaliser parce qu'on ne le supporte pas" (Philippe B.). III.2.3.2 Travailler ensemble sur des situations difficiles Partenariat A Les premières demandes faites par les services de psychiatrie auprès de la cité Saint-Martin ont concerné des patients hospitalisés depuis plusieurs années. "On a basculé sur des sorties d'hôpitaux, de l'hôpital Esquirol de manière un petit peu hard, j'allais dire puisque la première demande du secteur psychiatrique, c'était une femme qui était internée depuis douze ans" (Marc D.). C'est dans le cadre de ces expérimentations que les professionnels ont pu à la fois partager les connaissances qu'ils avaient de leur domaine professionnel et travailler sur des notions qu'ils ne maîtrisaient pas ensemble : le temps, le secret professionnel, l'adhésion au soin. Ça s'est fait "douloureusement" souvent pour des situations complexes. Mais dans les situations où les professionnels de l'hébergement ont eu l'impression d'être en échec, ils ont pu réfléchir ensemble, notamment parfois évaluer qu'ils ont été trop vite dans certaines prises en charge. Dans cette réflexion à propos de prises en charge complexes, la cité Saint-Martin fait référence à la situation d'une dame pour laquelle ils avaient signé une hospitalisation à la demande d'un tiers. Elle se baladait nue dans les couloirs de l'hôtel, avait des tas d'immondices dans sa chambre et un lapin. L'hôtelier n'en pouvait plus. C'était une personne anorexique pour laquelle ils n'avaient plus aucun hôtel à proposer après deux ans d'accueil. La cité Saint-Martin a refusé d'accueillir à nouveau cette personne après son hospitalisation car ces excentricités ne se déroulaient pas uniquement dans une période aiguë mais faisaient partie - 78 - de son fonctionnement. "Chacun a revu sa copie, a parlé de ses peurs (...) mais du coup, on a travaillé en lien très fort parce que justement il y avait eu ses soucis pour l'admission au début de la prise en charge" (Sophie C.). Pouvoir à la fois adapter la prise en charge mais aussi poser les limites inhérentes à un hébergement en hôtel ont permis aux professionnels du partenariat d'affiner les prises en charge et de revoir les protocoles d'accueil au plus proche des besoins des résidents et des exigences de l'accueil hôtelier. Partenariat B Au cours de cette expérimentation du partenariat, on trouve souvent une comptabilisation des prises en charge avec l'impression chez les professionnels d'une collaboration inégale. "On a eu l'impression que de notre côté, on a fait davantage de réalisations concrètes" (Henri B.). Les services de psychiatrie reprennent cette inquiétude à leur compte. "Notre crainte, c'était qu'on reçoive beaucoup leurs patients et que nous, en contrepartie, on voyait qu'il y avait pas beaucoup d'admissions qui se faisaient et donc ça nous paraissait un peu inégal" (Fabienne T.). L'institut du Val Mandé fait référence à deux situations qui n'ont pas été satisfaisantes dans les échanges avec le service de psychiatrie. "Je l'avais adressé, il a été pris en charge deux fois quinze jours sans grand espoir mais simplement parce que l'équipe était épuisée, qu'il y avait des arrêts maladie, que tout le monde hurlait ici pour expliquer que c'était un malade qui ressortait du secteur psychiatrique, ce pourquoi je n'étais pas convaincu" (Henri B.). Les troubles de comportement de ce patient ne se sont pas apaisés suite à ces hospitalisations. Ce constat a exacerbé la crainte pour le service de psychiatrie de se voir confier à nouveau ce résident pour une longue durée. Par la suite, des visites à domicile d'infirmiers du CMP ont été proposées pour ce patient. Elles ont créé une gêne dans le fonctionnement de l'unité du Val Mandé. "Il y avait une infirmière qui venait le voir ici une fois par semaine et nos infirmières à nous, elles disaient, mais nous on sert à quoi ? L'infirmière du CMP disait, moi je viens parce qu'on me demande de venir" (Pauline G.). Ce résident - 79 - est décédé suite à des problèmes somatiques détectés peu après sa deuxième hospitalisation. Les questions des deux organisations sont restées en l'état. Une autre situation n'a pas permis au Val Mandé d'obtenir une réponse favorable à sa demande d'hospitalisation. Il s'agissait d'un patient agité dans un tableau d'opposition majeure à l'institut, pour lequel les problèmes somatiques avaient été écartés suite à une hospitalisation en service de médecine. "Madame P. me dit, on peut pas le prendre parce que c'est un problème médical parce que je lui avais dit, il ne mange pas, il ne boit pas. Ça faisait vingt-quatre heures qu'il était là" (Henri B.). Les deux organisations se trouvent alors confrontées à des avis divergents de la part des médecins respectifs. La psychiatrie se déclare dans l'impossibilité d'organiser une visite pour un résident non connu de leurs services qui aurait permis d'évaluer la nécessité d'une hospitalisation. Elle reste disponible pour un accueil au CMP qui apparaît complexe à mettre en place selon le Val Mandé. "J'ai eu l'impression d'être traité comme n'importe quel psychiatre qui aurait appelé pour solliciter une aide ; il y avait une procédure stricte à laquelle on ne dérogeait pas quel que soit l'interlocuteur" (Henri B.). Le service de psychiatrie fait aussi référence à des difficultés rencontrées lors de demandes d'admission à l'institut du Val Mandé. "Je présente la situation d'un patient à la directrice du foyer de jour (...) trois jours après, j'ai un message sur ma boîte vocale, Madame T. je ne peux plus recevoir votre patient. Vous m'aviez dit que vous m'enverriez un rapport social, mais la commission au foyer de jour est passée et je n'ai pas pu présenter votre dossier. Je prends mon téléphone ; je dis je ne comprends pas très bien, je vous ai rencontrée (...). Vous ne m'avez pas parlé de commission d'admission ni de rapport social. La deuxième chose, elle n'avait pas dit qu'elle avait besoin d'éléments médicaux" (Karine T.). L'interlocutrice a pensé que le Val Mandé ne souhaitait pas s'intéresser au dossier qu'elle présentait. Ces situations accentuent les blocages, les tensions et les représentations portées par les professionnels à l'égard de l'organisation avec laquelle ils sont censés collaborés. Elles font écran aux quelques prises en charge - 80 - ayant conduit à une issue favorable satisfaisante. Elles font obstacle à la fragile communication instaurée au cours des rencontres. "Tant qu'on n'aura pas de liens au niveau de cette convention, on ne va pas s'embarquer à en prendre des compliqués parce qu'on se dit comment on fait quand on n'a pas de psychiatre" (Pauline G.). Actuellement, les antagonismes ont plutôt cristallisé une crise de confiance entre les deux organisations. Travailler ensemble a plutôt contribué à diviser davantage les points de vue. III.2.3.3 Une mise en commun des pratiques professionnelles Ce partage des pratiques va permettre aux organisations de révéler et enrichir les "savoirs" des acteurs mais va également faire apparaître les conflits et les enjeux de pouvoir. Partenariat A Le temps Cette notion a fait l'objet de nombreuses réflexions et revêt deux aspects : Préparer en amont l'installation d'un patient en chambre d'hôtel. "Au départ, il y avait des médecins qui proposaient des gens dans l'urgence, ils nous ont renvoyé le fait que c'étaient des choses qui se préparent" (Martine F.). Cette préparation fait l'objet de rencontres avec l'ensemble de l'équipe qui suit le patient, avec le patient lui-même. Il signe un contrat, dans lequel il s'engage notamment à maintenir son soin en consultation. Prendre le temps nécessaire afin que le patient puisse acquérir des repères à l'hôtel, apprendre à vivre à l'extérieur de l'hôpital, et réfléchir à un projet d'insertion et d'orientation. En effet, au départ, la durée de séjour des patients nouvellement hébergés était identique à celles des autres résidents de la cité Saint-Martin. "Quand on est avec quelqu'un qui n'a pas de troubles psychiatriques, on va essayer de trouver une orientation, on va parler formation, on va parler budget. L'obsession, c'est de trouver une solution adaptée pour la sortie" (Danielle C.). - 81 - Les travailleurs sociaux de la cité Saint-Martin ont adapté leur pratique, ont réussi à la transformer. Ils avaient pour habitude de travailler avec les résidents sur un mois renouvelable ; dorénavant ils sont passés, dans le cadre de la convention, à trois mois renouvelables pour parvenir à dix-huit mois voire deux ans. "Ici, les gens sont de plus en plus imprégnés de la culture psychiatrique mais qui change leur propre culture sociale. Ce n'est pas un changement d'identité, c'est un changement de sa propre pratique parce que ça complémentaire" amène (Marc quelque D.). chose Travailler de dans supplémentaire, le temps de change l'accompagnement social d'une personne. Attendre que le résident soit prêt à initier certaines démarches lui permet de leur donner un sens dans la réalité. "On a trop contaminé les gens de l'urgence à prendre le temps (...) il faut mettre des limites aussi (...) quelquefois la psychose, elle a besoin de limites" (Jocelyne R.). Effectivement, il apparaît que cette notion du temps est tellement intégrée par le service d'accueil d'urgence qu'il leur arrive pour certaines situations de ne plus oser poser les limites du temps. Les soins : l'adhésion aux soins L'expérimentation du partenariat a révélé qu'un des écueils à l'hébergement en chambre d'hôtel est la non adhésion aux soins d'un patient résident. En effet, l'arrêt d'un traitement médicamenteux et du suivi en consultation peut entraîner chez le patient la résurgence des troubles du comportement, des symptômes et mettre ainsi en difficulté son intégration en hôtel. Pour les services de psychiatrie, la compliance aux soins d'un patient est toujours un enjeu fragile, qu'il remet régulièrement en question, soit lorsqu'il va mieux, ou lorsque le bien-être escompté ne vient pas comme il le souhaiterait. La psychose lie l'individu à des soins durant toute sa vie. L'ambivalence à propos d'un soin est inhérente à la maladie psychiatrique et au parcours du patient. Les professionnels de la psychiatrie le savent bien parce qu'ils l'ont expérimentée dans le cadre de leur travail. Pour les professionnels de la cité Saint-Martin, il s'agit d'un apprentissage nouveau et complexe. Ils avaient auparavant l'idée que dans le cadre d'un - 82 - partenariat avec des services de psychiatrie, les résidents qui avaient besoin de soins en bénéficieraient. Par ailleurs, les travailleurs sociaux au cours de leur formation, ont l'idée que l'insertion permet d'acquérir à terme une autonomie. "La psychiatrie nous a enseigné que le soin c'est toute la vie" (Danielle C.). Pour pallier ce risque, la cité Saint-Martin a engagé le patient dans un contrat de soins en lien avec l'hébergement en hôtel. "Il est hébergé avec un contrat de soins, et ça nous permet de travailler tout ce qui peut être déni de la pathologie, tendance à oublier ces médicaments, tendance à éviter les entretiens enfin (...) les personnes n'étaient pas uniquement hébergées mais il y avait tout cet environnement, le souci du respect du contrat de soins" (Jocelyne R.). Le patient est engagé par sa signature au même titre que les partenaires de l'hébergement qui mettent à sa disposition une chambre d'hôtel et un suivi dans le cadre du CMP. Le travail autour de l'adhésion aux soins révèle les limites à l'accueil en hôtel. Cela permet aussi de démystifier la toute-puissance dans laquelle la psychiatrie était mise et ainsi de rapprocher les organisations partenaires autour des situations complexes et de repérer les limites des organisations. Le secret professionnel Au cours de cette expérience, les professionnels revendiquent dans l'ensemble l'importance de partager le secret professionnel lorsque cela est porté par l'intérêt du patient. Cette crainte du partage du secret professionnel (social, médical) est prégnante dans le milieu de la psychiatrie. Rares actuellement sont les professionnels de ce partenariat qui ne trouvent pas intérêt à échanger à propos d'une situation lorsque cela peut soutenir l'insertion du patient. "Les personnes qui sont en précarité sont des personnes qui sont dans la difficulté de maintenir le lien donc on essayait de rendre nos liens à nous partenaires visibles (...) je suis allée dire au travailleur social que je le voyais plus donc j'étais un peu embarrassée mais en même temps je sentais qu'il ne fallait pas lâcher" (Jocelyne R.). Se donner des nouvelles d'un patient, c'est aussi nouer des liens autour de lui, ces liens qu'il a tant de difficulté à maintenir. - 83 - Le partenariat produit d'autres effets sur les pratiques. "On a inventé des choses qui étaient de continuer à suivre les gens lorsqu'ils sont sortis de la convention, pour pouvoir faire leur insertion dans le quartier, l'insertion dans l'hôtel et préparer et se quitter plus longtemps après" (Danielle C.). Les professionnels de la cité Saint-Martin ont maintenu le suivi de certains patients-résidents après la sortie de la convention et de l'hôtel afin que ce passage soit accompagné. "La pratique s'affine, se personnalise au sens de prendre des risques plus importants pour une personne, de faire des choses nouvelles qu'on n'a jamais faites" (Danielle C.). Ils ont initié aussi des changements d'hôtel lorsque les relations résidents hôteliers se dégradaient et ce afin d'éviter de mettre un terme au projet d'hébergement. L'apprentissage s'effectue aussi sur un plan technique. "J'ai appris au niveau technique : les tutelles aux prestations, faire des rapports COTOREP, les colloques sur la psychiatrie, la formation" (Sophie C.). Partenariat B En revanche dans ce partenariat, la mise en commun met en exergue un conflit médical qui a tendance à s'aggraver au fur et à mesure de l'expérimentation. Les pratiques des médecins des deux organisations se vivent dans l'opposition et surtout la crainte de la disqualification. "Il voulait éventuellement s'occuper des patients ici, mais c'était absurde. Moi je suis payé pour m'occuper des patients" (Henri B.). On prête à l'autre organisation des intentions peu honnêtes "Monsieur B. aurait été intéressé de pouvoir intégrer dans son activité de service une surveillance de toute une population fragilisée dans un institut peut-être pour récupérer du personnel" (Henri B.). Les conflits portent sur les soins psychiatriques donnés aux résidents du Val Mandé : quelle prise en charge à mettre en place pour éviter l'urgence et l'hospitalisation ? Quel est le médecin qui évaluera la nécessité d'un séjour à l'hôpital psychiatrique ? "Il y a des tiraillements entre nos psychiatres et ceux d'Esquirol, je crois qu'ils sont en train de marcher sur la même pelouse et tant qu'ils n'auront pas trouvé leur marque, ça va être difficile" (Pauline G.). Apparaissent aussi des rivalités liées aux filières - 84 - médico-sociales ou psychiatriques. "S'il s'agissait d'être en rivalité, ça peut pas être de mon côté parce que si j'avais le goût du pouvoir, je ne serais pas dans une structure médico-sociale" (Henri B.). Cela signifie-t-il que la carrière d'un médecin psychiatre est moins prestigieuse dans un établissement médico-éducatif ou que le pouvoir d'un médecin au sein de ce type d'établissement est davantage dévolu aux directions administratives ? Pourtant, le public des deux organisations s'est rapproché depuis une quinzaine d'années. Le Val Mandé reçoit davantage d'enfants et d'adultes présentant des troubles psychiatriques. "Moi depuis que je suis là, il semble qu'on prenne davantage en charge les patients qui viennent du monde psychiatrique puisque moi, je connais mieux les patients (...) c'est vrai que bien souvent ils sont plus riches, ils ont le langage, ils sont bizarres pour les équipes mais en même temps plus motivants" (Henri B.). Les deux organisations rencontrent des problématiques communes autour d'un manque de place. Les listes d'attente pour les internats de type MAS, foyer de vie sont longues (80 personnes). Seules les ouvertures de structures favorisent les accueils. Dans le cadre de l'ouverture du foyer de vie en 2005, une patiente du service de psychiatrie a été admise. Ce qui apparaît conséquent pour le Val Mandé est insuffisant pour le secteur de psychiatrie, l'analyse restant toujours divergente. L'hôpital psychiatrique a très peu de lits d'hospitalisation à offrir, ce qui crée des résistances à proposer des hospitalisations. Ces différentes situations plus ou moins conflictuelles amènent les deux organisations à attendre un éclaircissement des pratiques et des propositions à partir de la signature des conventions. "Pour pouvoir véritablement organiser un tissu sectoriel en termes de partenariat structuré, moi je crois beaucoup par exemple au principe de partenariat établi par des conventions" (Philippe B.). Mais malgré ces convictions, les acteurs n'arrivent pas à dépasser leurs conflits pour s'engager dans un travail d'écriture. - 85 - III.2.4 Le partenariat et le changement Ces expérimentations ont amené les professionnels à réfléchir sur leur travail et à confronter leurs pratiques. Elles vont avoir pour conséquence une transformation de ces pratiques mais aussi des organisations. Et comme le souligne Marc D., qui rappelle que le travail social ne peut s'inscrire dans l'immobilisme, "il n'y a rien de plus terrible qu'un travailleur social qui pense que les choses ne changent pas. Cela montre une usure importante si on n'a pas la capacité à se dire : il y a du changement à mettre en place". Partenariat A La collaboration entre le SAS de la cité Saint-Martin et les services de psychiatrie a eu des retentissements qui ont dépassé le simple cadre de la convention. L'évolution des pratiques a produit des effets sur l'ensemble de l'activité des professionnels. "Je pense que le regard des gens qui se sont engagés dans la convention a beaucoup plus d'acuité dans l'évaluation des autres personnes qu'ils accueillent hors convention" (Danielle C.). Les professionnels de la cité Saint-Martin estiment avoir une meilleure connaissance des pathologies et des traitements. De fait, ils se sentent en position de rassurer les hôteliers lorsque des conflits mineurs surgissent parce qu'ils pensent mieux évaluer l'état de fragilité des résidents et agir en conséquence. Outre cette meilleure connaissance des pathologies, la cité Saint-Martin bénéficie d'un accès facilité au centre d'accueil et de crise ainsi qu'à la consultation pour l'ensemble des résidents. Auparavant, ces derniers devaient transiter par le CPOA pour obtenir une consultation en urgence ou attendre deux mois sur la liste d'attente du CMP. "Les services de psychiatrie se sont rendus compte qu'avec les personnes en précarité, on ne peut pas toujours fonctionner avec des rendez-vous. C'était inenvisageable il y a cinq ans, maintenant on sait faire" (Jocelyne R.). Dans la salle d'attente du CMP, les infirmiers et les secrétaires se sont habitués à ce que les personnes restent assez longtemps avec leurs affaires personnelles. - 86 - Les services de psychiatrie quant à eux, peuvent obtenir quelques places d'urgence sur d'autres structures de la cité Saint-Martin. Les organisations ont pu dépasser un des grands fantasmes dans l'exercice du partenariat qui réside dans la crainte d'une surcharge de travail en raison de l'arrivée d'un nouveau public. "Les services de psychiatrie se sont aperçus qu'on ne leur adressait pas énormément de gens en consultation (environ 15 par an). La psychologue de la cité Saint-Martin fait très bien le tri. Ce n'est pas une psychiatrisation de la précarité" (Jocelyne R.). Cette expérience leur permet de poser les limites de cette collaboration pour mieux les dépasser en créant ensemble une nouvelle structure d'hébergement. Les limites Quelle que soit la qualité du travail en commun, il apparaît difficile de trouver des solutions de logement après un séjour en hôtel, la perspective étant dans le meilleur des cas un hôtel au mois. En effet, la problématique de l'accès au logement demeure un des écueils pour l'organisation d'une sortie d'hôtel. La cité Saint-Martin soutient les services de psychiatrie dans leurs revendications pour l'ouverture de structures spécialisées pour des patients qui ne peuvent s'insérer en hôtel social. "On n'a pas prévu les structures adéquates où on puisse accepter des gens qui étaient malades avec les sorties d'hôpitaux (...) rien n'a été fait pour une intégration dans la ville progressive. Moi je trouve ça scandaleux, l'idée était bonne au niveau idéologique mais elle était aussi bonne au niveau économique pour les responsables, donc je trouve que c'est un peu fort de café" (Marc D.). Il fait référence à la fermeture des lits d'hôpital conséquente de l'organisation des soins en secteur hospitalier. Cette communauté d'idée est précieuse car elle est portée par les deux organisations. "L'alliance avec le social permet à la psychiatrie de se déstigmatiser" (Marc D.). Il est intéressant que les revendications portées par les soignants soient aussi reprises par les travailleurs sociaux des centres d'hébergement qui sont experts en matière d'insertion. Cela permet d'aller au-delà d'une réflexion sur le soin psychiatrique pour les personnes sans domicile fixe et de poser le cadre de vie indispensable à - 87 - certains patients à la sortie de l'hôpital (ex. : structure de vie spécialisée avec équipe soignante). Le projet Les deux organisations ont monté un projet d'appartements d'insertion. Elles ont déposé auprès de la DDASS une demande de financement. Elles ont obtenu huit logements pour dix personnes. Le projet consiste à accueillir des résidents sur deux ans et à obtenir par la suite leur relogement. Les logements se situent dans une résidence de copropriété. La cité Saint-Martin se chargera de l'accompagnement social, de la gestion des appartements et des contrats de séjour. Les collègues de la psychiatrie œuvreront en direction de l'organisation et du suivi des soins. Les questions et les désaccords portent sur le choix des résidents. Les services de psychiatrie souhaiteraient intégrer des jeunes et leur permettre ainsi de quitter leurs parents. Les professionnels de la cité Saint-Martin, forts de leur expérience dans l'hébergement, évaluent qu'il est difficile de s'autodiscipliner (se lever, ranger, entretenir son logement) quand on vit seul, et encore plus pour un jeune fragile. Les professionnels de la psychiatrie souhaiteraient mettre en place un temps d'évaluation dans le logement ; la cité Saint-Martin précise que les hôtels permettraient de faire ce travail. Tous ces questionnements, qui se nourrissent des expériences de collaboration antérieures, contribuent à la construction du projet. Partenariat B Suite aux réflexions communes autour de la crise et devant l'impossibilité pour la psychiatrie de dépêcher en urgence un médecin psychiatre au Val Mandé en l'absence d'un des leurs, cette organisation a mis en place une conduite à tenir dans ces circonstances. "Le fait d'avoir discuté à maintes reprises, d'avoir des conseils téléphoniques, je prends beaucoup de recul. Ça m'a permis de mettre en place des protocoles, des procédures. On n'attend pas qu'il soit en décompensation" (Pauline G.). Cette réflexion change automatiquement l'évaluation et le regard sur les résidents car elle nécessite un travail sur les pratiques. - 88 - Parallèlement, dans une volonté de favoriser les rencontres entre médecins, une réunion de régulation planifiée au Val Mandé, animée par un médecin psychiatre d'Esquirol a été proposée pour évoquer les situations psychiatriques complexes du Val Mandé. "Inutile de vous dire que quand j'en ai parlé aux psychiatres, ils ont fait des bonds" (Pauline G.). Dans l'ensemble, les changements sont difficiles à initier. Les conflits ont renforcé les résistances et les organisations se referment un peu plus sur elles-mêmes. "L'autre jour, je réfléchissais ; on cherchait un psychiatre pour faire quelques vacations dans une des structures et je me disais, je pourrais peut-être téléphoner à Philippe B., il y a peut-être dans ses connaissances quelqu'un qui cherche. On m'a dit, ce n'est pas la peine, on va se débrouiller, parce que si Esquirol vient s'implanter ici" (Pauline G.). Les résistances font douter les professionnels à propos de leur capacité à travailler avec les autres. "En psychiatrie, on est en permanence sur le fil du rasoir, on risque la régression. La régression, ce serait de revenir à une psychiatrie archaïque par manque de moyens, par défaitisme. C'est compliqué tout ça avec les partenaires (...) lever les réticences, avoir du temps" (Philippe B.). C'est par le biais de l'écriture des avenants à la convention que les organisations misent sur l'éclaircissement et l'avancée de cette collaboration. "Pour pouvoir véritablement organiser un tissu sectoriel en termes de partenariat structuré, moi je crois beaucoup par exemple au partenariat établi par des conventions" (Philippe B.). Même s'il apparaît complexe d'établir les limites du partenariat à l'étape de cette collaboration, il est possible tout de même d'en déceler des marques dans les propos des professionnels. "Ce à quoi je me confronte là et mes collègues aussi, c'est le problème des patients qui ont des troubles tels que ça rend impossible leur intégration dans le médico-social" (Fabienne T.). Ainsi, ces travailleurs sociaux prônent l'ouverture de petites unités psychiatriques de vie pour des patients qui nécessitent un cadre médicalisé pour leur lieu de vie. C'est uniquement dans ce dispositif qu'ils parviennent à quitter l'hôpital lorsque la pathologie entrave trop régulièrement leur quotidien. - 89 - III.3 LE PARTENARIAT : UN ESSAI DE CONCEPTUALISATION Même si chaque expérience est unique, l'approche de ces deux partenariats aide à repérer les alliances, les blocages et certains postulats qui rendent une collaboration possible. Le partenariat trouve son origine dans un contexte, à un moment où les problématiques d'un certain nombre d'individus ne peuvent être traitées par une seule organisation. L'évolution des règlements et des organisations a rendu ces dernières indépendantes. Ainsi, "travailler ensemble" s'impose aux professionnels et c'est peut-être ce caractère obligatoire qui rend la collaboration difficile mais aussi possible. Le partenariat est caractérisé par une forte idéologie chez les travailleurs sociaux. Ils ont intégré cet unique et puissant mode de pensée, porteur d'efficacité rationnelle. L'attrait du terme est aussi lié à son image, image qui légitime une aspiration de cohésion, une fonction de proximité. "Moi, j'ai toujours pensé le travail comme ça ; je ne le peux pas autrement" (Karine T.). La désillusion est le pendant douloureux à cet engouement. Le partenariat n'est pas une finalité. Au-delà des bonnes intentions, il n'est pas simple à mettre en place et ne se montre pas toujours efficace au sens de rendre service aux organisations. Le partenariat est porté par les acteurs. L'impulsion est facilitée lorsque certains intervenants sont fédérateurs, consensuels et qu'ils sont reconnus dans leur propre organisation. Le désir est un des moteurs dans la relation de partenariat, même s'il ne suffit pas à le faire fonctionner. "Le vrai partenariat, ça démarre avec des gens qui ont une réelle envie de travailler ensemble. Il est riche quand il commence comme ça et qu'il se poursuit par des conventions" (Karine T.). C'est l'action organisée qui donne sa substance au partenariat : organisée au sens d'une régularité des rencontres, de mise en place de règles, de protocoles, de bilans. Le cadre de l'action permet aux partenaires de se reconnaître, d'avoir une traçabilité de leur histoire commune et de pourvoir à son évolution. - 90 - Les écrits donnent une légitimité à cette relation. Mais s'ils ne sont pas portés par l'action (au sens d'une réalisation commune), ils figent le partenariat et le plongent dans une impasse. Les situations de blocages sont inhérentes au partenariat. Il génère de grandes inquiétudes car il s'accompagne d'enjeux pour les acteurs et les organisations. C'est dans cette zone d'incertitude que vont s'exprimer le jeu, le conflit, le pouvoir. Ces attributs des acteurs et de la relation partenariale vont être moteurs de création pour l'action organisée ou fonder la destruction du partenariat. Le public n'est pas un partenaire au sens de participer à la construction d'une collaboration. Il est concerné, associé, informé. Il est parfois au centre des négociations. Des pratiques professionnelles qui s'affinent et s'enrichissent, une mutualisation des savoirs et de savoir-faire, des actions, une bienveillance à l'égard de l'autre organisation témoignent d'un fonctionnement en partenariat au sens où ils transforment l'organisation. "Le partenariat ne peut se vivre qu'en altérité c'est-à-dire qu'on se transforme à travers le travail de l'autre et le travail de l'autre est transformé par son propre travail. C'est un peu ça l'idée de base que j'avais d'un partenariat réussi" (Marc D.). A travers cette analyse effectuée sur plusieurs terrains, et après avoir découvert les trois organisations, nous avons cherché, dans le cadre d'entretiens et d'une séance d'observation pour le partenariat A, à appréhender le degré des collaborations. Nous nous sommes appuyés sur les écrits (conventions, protocoles et bilans) et sur les témoignages des professionnels. Nous avons pu situer les différentes phases de mise en place d'un partenariat : se connaître, travailler ensemble, enrichir ses pratiques, créer de nouveaux projets. Le partenariat A s'est mis en place en étant axé sur l'expérimentation. Les responsables s'y sont engagés dès le départ. Il a déjà connu et dépassé des phases de blocage. Il a permis de développer des actions jusqu'à la création d'une structure commune. - 91 - Le partenariat B s'est construit à partir des directions d'établissement et d'orientations réglementaires. Les directeurs ont été absents de l'action. Les professionnels ont été amenés à se familiariser à un projet qu'ils n'avaient pas initié. Ils ont été choisis plus en fonction de leur statut dans l'organisation que de leur réelle motivation. Ces expériences mettent en évidence un certain nombre de limites liées aux difficultés de collaboration et au fait que le partenariat ne répond pas à tous les manques de l'organisation. Dans les deux partenariats, les échanges sont parfois violents, douloureux, les conflits se répercutant au sein des organisations ellesmêmes (exemple : dans le partenariat B, le chef de service et son équipe du CMP s'opposent au sujet de l'organisation de visites médicales au Val Mandé). Une question se pose sur le choix des partenaires. Dans le partenariat A, les structures sont complémentaires dans le sens où les organisations peuvent s'échanger des services. La mise en place du partenariat B renforce les difficultés intrinsèques aux deux organisations, qui ne disposent pas de possibilités d'accueil sur le long terme. - 92 - CONCLUSION Lorsque ce travail de recherche a débuté en 2004, le partenariat m'apparaissait comme une méthode à acquérir et les blocages rencontrés dans les échanges semblaient parfois relever d'un manque de volonté à négocier. Pour appréhender cette réalité, nous nous sommes d'abord penchés sur le contexte d'apparition du partenariat et attelés à la recherche du sens de ce mot. Le partenariat apparaît à un moment particulier de l'histoire de l'action sociale et de ses organisations alors qu'elles perdent une part de leur autonomie. C'est dans ce besoin de l'autre que le partenariat trouve sa source ; mais c'est aussi dans ce moment de vulnérabilité qu'il devient complexe de travailler ensemble. D'où l'émergence de conflits, de blocages dans les rencontres qui ne sont pas signes d'un dysfonctionnement mais plutôt inhérents au partenariat qui navigue dans une "zone d'incertitude". Au sein des organisations, l'assistant social était traditionnellement l'interlocuteur de l'extérieur, celui qui communique avec l'autre (notamment son homologue). C'est lui qui tenait le fil de la relation avec les organisations sociales en ce qui concerne le "travailler ensemble". Dans l'histoire récente du travail social, les travailleurs sociaux ont été face à trois enjeux de changement. Le premier est lié aux lois instaurant la décentralisation et au passage de pans entiers de l'action sociale sous la responsabilité des conseils généraux. Les travailleurs sociaux doivent rendre des comptes à des acteurs politiques. Le deuxième correspond aux politiques de projet et de mesures ciblées (jeunes des cités, sans-abri). Le troisième découle des deux premiers puisque la logique de projet et la logique de contrat se juxtaposent à celle de la relation privilégiée (ex. : bénéficiaires du RMI). Selon François Dubet53, le travail social ne vit que de déséquilibres et de tensions ; si chaque logique s'isole, elle devient destructrice. 53 DUBET F. 2002. Le déclin de l'institution. Paris : Seuil - 93 - L'identification aux théories psychologiques ou sociologiques permet au travailleur social de chercher les clés du sens des pratiques. La sociologie nous renseigne : le partenariat n'est pas un concept. Il est porté par l'action organisée, c'est elle qui le définit et lui donne sens. Ainsi, pour permettre à l'action organisée de voir le jour, le travail en partenariat nécessite la mobilisation d'un nombre diversifié de professionnels qui représentent les singularités de l'organisation. C'est dans le cadre de l'action que les acteurs pluridisciplinaires vont se connaître, s'affronter et développer des pratiques professionnelles complémentaires. En ce sens, le partenariat porte en lui une petite révolution de légitimité par l'action. L'assistant social peut s'y sentir menacé, notamment par la perte de l'exclusivité de sa relation avec les organisations. Dans cette étude, nous avons analysé et comparé deux actions de partenariat dans lesquelles l'hôpital psychiatrique intervient. Le partenariat A est plus ancien et plus abouti dans son fonctionnement. Les interlocuteurs ont enrichi leurs pratiques professionnelles au contact les uns des autres et en direction des usagers. C'est ce que nous avons appelé la culture commune portée par les savoir-faire, savoir-être des acteurs des deux organisations qui se les approprient sans se dissoudre l'une dans l'autre. Ce partenariat a permis la création d'un projet commun aux deux organisations avec l'ouverture d'appartements. Le partenariat B connaît une situation de blocage notamment dans les rapports entre médecins. Les conflits trouvent leur origine dans l'histoire des filières, et se cristallisent autour des espaces de décision des médecins (enjeux de pouvoir). L'implication des cadres a des répercussions différentes dans les deux partenariats, en fonction de leur légitimité au sein de leur propre organisation et de leur capacité à s'engager dans une action de partenariat. Dans le cadre du partenariat A, elle a permis de conférer une légitimité à l'expérimentation et l'a enrichi d'outils d'élaboration. Dans le partenariat B, la mobilisation du chef de psychiatrie n'a pas pu se répercuter sur ses équipes médicales, en raison d'un choix de personnes - 94 - basé davantage en fonction d'un statut que d'une réelle motivation pour cette action. Ces partenariats connaissent aussi des limites. Les partenariats ne peuvent répondre à l'ensemble des problématiques qui se posent aux organisations. Par exemple, pour le partenariat A, l'hôtel social ne peut être la seule solution au déficit de lieux de vie spécialisés pour les patients sortant de l'hôpital psychiatrique. En outre, le partenariat B vit une situation de blocage dont on ne connaît pas l'issue. Certains acteurs se posent des questions relatives à l'énergie dépensée pour se coordonner en comparaison du peu de résultats obtenus. De manière plus générale, le partenariat, au-delà de l'enjeu démocratique, peut devenir progressivement un système comportant une nouvelle bureaucratie avec sa gestion de la complexité, sa norme, ses rapports au pouvoir. Il n'apparaît pas évident que la culture partenariale dominante soit toujours une culture de responsabilisation et de participation réelle des citoyens, fussent-ils associés dans le jeu complexe de la production des politiques publiques. Le travail en partenariat ne modifie pas la place de l'usager ; les actions s'organisent autour de lui pour une meilleure prise en charge en mutualisant les moyens. Pourtant dans le domaine de la psychiatrie, la loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins donne une nouvelle place au patient, notamment dans les droits l'information sur l'état de santé. Même si les droits des personnes atteintes de troubles mentaux sont constamment questionnés au regard de la spécificité des troubles en question, cette loi leur donne une nouvelle place dans l'organisation. Les associations de malades, de familles sont davantage associées, consultées par les équipes de santé. Repenser la place de l'usager peut-il constituer une piste de réflexion pour permettre une nouvelle évolution du partenariat ? Dans les vingt dernières années, les travailleurs sociaux ont été initiés à d'autres pratiques que la relation duale : le travail de groupe en direction des usagers, le travail communautaire dans une démarche citoyenne - 95 - participative. Le travailleur social est un artisan qui déploie ses compétences dans le travail avec l'autre. Le travail en partenariat se situe aux frontières des organisations. Il révèle et innove une certaine transformation des organisations. N'y a-t-il pas une place à penser pour l'usager dans cette transformation inachevée de l'organisation en psychiatrie ? Même si cela ouvre de nouvelles questions sur la représentation des usagers, c'est dans cette réflexion que le partenariat peut trouver un élan de construction avec et autour des organisations existantes. - 96 - BIBLIOGRAPHIE Ouvrages AUTES M. 1999. Les paradoxes du travail social. Paris : Dunod. 313 p. BANTUELLE M., MOREL J., DARIO Y. 1998. Santé Communautaire et promotion de la santé : vol. 1, des concepts et une éthique. Bruxelles : Absl Santé, Communauté, Participation. 38 p. BERNOUX P. 2004. Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations. Paris : Seuil. 312 p. BOUQUET B., GARCETTE C. 2002. Assistance Sociale aujourd'hui. Paris : Vignot Maloine. 197 p. CASTEL R. 1981. La gestion des risques : De l'antipsychiatrie à l'aprèspsychanalyse. Paris : Fayard. 227 p. CASTEL R. 1995. Les métamorphoses de la question sociale. Paris : Fayard. 490 p. 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Institut régional du travail de Lorraine. - 100 - ANNEXES Cité Saint-Martin Institut le Val Mandé Sectorisation adulte Hôpital Esquirol Partenariat A : 75G01 & 75G02 Partenariat B : 94G16 Annexe I : Secteurs géographiques -I- Parcours individuel Quelles sont vos expériences professionnelles dans d'autres institutions ? Vos expériences associatives, personnelles, intéressantes par rapport au partenariat ? Quelle est votre profession ? Votre âge ? Parcours dans l'institution Pouvez-vous me présenter votre travail au sein de l'institution ? (Contexte d'arrivée, travail, évolution du poste) Ancienneté dans l'institution ? Partenariat Pouvez-vous me présenter cette mise en place d'un partenariat ? (Origine, contexte, objectifs, finalités, les acteurs, les usagers) Comment fonctionne-t-il aujourd'hui ? (Règles, acteurs, lieu, fréquence des rencontres, charte) Comment a-t-il évolué ? Si je vous énonce les termes jeu, conflit, pouvoir, qu'est-ce que cela évoque par rapport à votre expérience de partenariat ? Pouvez-vous définir ce qu'est pour vous un partenariat ? (quel sens y donnez-vous ?) Avez-vous l'impression d'appartenir à une institution ou à un partenariat ? (Double casquette, marge de manœuvre, partage du pouvoir) Quelle est la participation des cadres ? Usagers Est-ce que les usagers sont informés de cette expérience de partenariat ? Est-ce que le partenariat vous aide dans vos pratiques ? Comment ? Y a-t-il une évolution du public que vous avez en charge depuis cette expérience de partenariat ? Est-ce que votre regard sur les usagers a changé ? De quelle manière ? Qu'est-ce que vous cherchez dans le partenariat pour l'usager ? (Partager avec d'autres des situations complexes ? Répondre à des problématiques individuelles ? Chercher des réponses collectives ?) l'institution et le changement Avez-vous l'impression de faire évoluer votre institution ? Pourquoi ? Si oui, en quoi ? Est-ce que cette expérience a changé votre perception de l'autre institution ? Comment ? Est-ce que le partenariat vous apparaît comme une solution au problème des usagers ? Comment souhaiteriez-vous voir évoluer le partenariat ? Annexe II : Guide d'entretien - II - NOM : DUBOIS PALACIN Prénom : Catherine Date du Jury : 7-8 Mars 2007 FORMATION : Diplôme Supérieur en Travail Social TITRE : LE PARTENARIAT : UNE TRANSFORMATION DES INSTITUTIONS PSYCHIATRIQUES ENCORE INACHEVEE ? Deux études de cas comparées RESUME : Cette étude traite du partenariat en psychiatrie et de ses effets sur les organisations sociales et psychiatriques à partir du discours des professionnels des deux champs. Elle s'est d'abord attachée au contexte d'apparition du partenariat et au sens de ce mot. Le partenariat est analysé au carrefour de la sectorisation en psychiatrie, de la décentralisation et des nouvelles politiques d'insertion. Il intervient dans une période où la précarité s'est accentuée, où les organisations ne parviennent plus à répondre seules à l'ensemble des problématiques d'un public diversifié. Le partenariat est perçu au départ comme une situation en soi conflictuelle ; l'existence de véritables enjeux est le gage de sa réussite. Il apparaît comme une pratique à construire. C'est l'hypothèse suivante qui structure le mémoire : C'est parce qu'il constitue un choix imposé et qu'il se construit au sein d'une communauté de pratiques que le partenariat, action collective organisée, fonctionne et transforme l'institution psychiatrique. Un échantillon de professionnels participants à deux partenariats a été constitué. Une étude comparative a été menée ; les entretiens ont permis de dégager l'action collective organisée, les règles de fonctionnement et les jeux des acteurs à partir des théories de la sociologie des organisations. Ces partenariats connaissent différentes étapes qui se manifestent par des périodes de blocage ; elles font partie du processus d'élaboration mais mènent parfois à des impasses. Se connaître et partager des pratiques professionnelles amènent dans certaines conditions les acteurs à acquérir des références communes qui transforment ces mêmes pratiques. Les effets de cette transformation sur l'organisation sont analysés. Mots-clés : action collective - coopération - identité professionnelle - insertion - institution organisation - partenariat - psychiatrie - sectorisation - transformation. Nombre de pages : 100 Volume Annexes : 0 Ecole de service social de la CRAMIF 26 rue des peupliers 75013 PARIS