Les 675 ans de la Ville de La Roche

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Les 675 ans de la Ville de La Roche
Gilbert .GUSTIN
Les 675 ans de la ville de La Roche
Le mur d’enceinte et le moulin banal de la ville
Le 3 avril 1331, Jean dit l’Aveugle, roi de Bohême et comte de La Roche, confirma et accrut la
franchise de la ville de La Roche-en-Ardenne à condition que les bourgeois la munissent de murailles
et de tours qu’ils devaient entretenir à leurs frais.
De cette muraille, il subsiste encore, derrière l’église, une section assez importante ainsi que les
vestiges d’une tour dite tour Saint-Jean. Afin de mieux évaluer l’importance du mur d’enceinte et sa
situation, nous avons effectué une projection d’un plan français (P. deLaing 1744) sur l’actuel relevé
cadastral (voir pages centrales)
La tour Saint-Jean (N° 2 sur le plan)
1605 : « cortil estant au desus de Gohette proche la tour illecq (en ce lieu là) et dembas à un aultre
cortil appartenant à l’aultel St-Jan (œuvres de loi, 1595-1625 f. 35).
1673 : « un jardin derrier la tour St-Jan au dessus des fossés de cette ville (Plaids 1671-1674).
En 1995, cet ultime témoin de la naissance officielle de notre ville a été restauré et consolidé par les
soins de l’Association de Sauvegarde du Patrimoine (voir photos).
Suite à ce travail, des paramètres techniques très précieux ainsi que des mesures exactes nous sont
livrés, ce qui permet la restitution relativement précise de la globalité du mur d’enceinte de la ville (+800 mètres). Nous apprenons ainsi que l’épaisseur du rempart est de 1,20 m. La tour a un diamètre
extérieur de 6,20 m pour une épaisseur de mur de 1,50 m.
Le premier niveau d’occupation est percé d’une entrée et de quatre meurtrières (archères) voûtées en
arc (trois arcs ont été restaurés). Au second niveau (voir poutre témoin sur la photo) subsistent les
encoignures inférieures de quatre autres meurtrières chevauchant celles du bas. Sur un plan défensif,
cette disposition permet de découvrir tous les points de la circonférence. La hauteur totale maçonnée
devait avoisiner les 9 mètres. A l’instar des six autres tours, celle-ci était couverte d’une toiture
(quelques ardoises encore munies de leurs clous ont été retrouvées lors des fouilles).
La tour Saint-Jean, L’entrée avec l’arc restauré et
la poutre témoin du niveau de l’étage
La tour Saint-Jean, deux des quatre meurtrières au premier
niveau d’occupation, et la poutre témoin du niveau de
l’étage
Revenons maintenant au périmètre du mur d’enceinte. Descendant de l’extrémité nord du château
(point culminant), le rempart traverse la rue Trou Bourbon et remonte vers la tour d’angle située en
Châmont (N° 1 sur le plan). Deux petites parties de ce mur sont toujours visibles. On sait d’après les
archives qu’il existait également une porte (1596 : porte de Gohette) qui devait donner accès aux
escaliers taillés dans le roc situés à droite vers Sainte Marguerite. L’actuel chemin menant au cimetière
n’existait pas encore.
Dessin du Spadois Matieu XROUET (vers 1725)
La tour d’angle de Châmont (N° 1 sur le plan)
Cette tour semblable de par ses dimensions à la tour Saint-Jean empiète partiellement sur l’actuelle
maison en vieilles pierres située au lieu-dit « Thier du Gravier ». Elle permettait de surveiller, vers la
droite, le rempart remontant au château, et sur la gauche, la section rejoignant la tour Saint-Jean
décrite en introduction. Il n’est pas interdit de penser que les fondations de cette tour d’angle (6,20 m
de diamètre) sont toujours en place.
Après la tour Saint-Jean, la muraille rejoint la porte du Gravier (N° 3 sur le plan) située à 33 mètres en
contrebas. Une section de 9 mètres subsiste toujours derrière la maison TRIBOLET et réapparaît dans
la grand’rue entre cette maison et le restaurant LAPAGNE. Contrairement à l’idée reçue, cette partie
encore visible n’est pas le vestige d’une tour, mais bien une coupe du rempart. Ceci se vérifie par sa
largeur de 1,20 m précisément. On peut observer une meurtrière rebouchée (h. 0,50 m) située à une
hauteur de 3,50 m. La hauteur de ce pan de mur est de 5,50 m. Nous verrons que ces mesures sont
importantes pour la suite de notre étude.
La porte du Gravier ou porte à Ourte ou porte Basse (N° 3 sur le plan)
1351 : « La porte el Gravier ». (Œuvres de lois 1331-1371, f. 26).
1435 : « la porte à Ourte » (L.V. f. 33).
1552 : « un cortil situé a Gravier deseur le by au moullin, joindant a bollewar de la ville » (L.V. f.
121).
1657 : « la porte basse » (Œuvres de lois 1626-1668, f. 218).
1784 : « un cortil nommé le baloir situé à la porte du Gravier » (Œuvres de lois 1784-1785, f. 45).
Cette porte, défendue par deux tours dites bolwert ou baloir(s) (probablement d’un diamètre plus
important que la tour Saint-Jean), est protégée par le canal de décharge du moulin (N° 4 sur le plan).
Le ru de Châmont – ou ruisseau de Gohette – vient augmenter le débit d’eau de cette défense à
l’extérieur de la fortification, le tout retournant vers l’Ourthe une soixantaine de mètres en aval. Un
petit pont (mobile ?) enjambe cette dérivation artificielle. Afin de bien s’imprégner du site, il faut
rappeler que la ville s’arrêtait aux remparts. L’actuelle rue Châmont n’existait pas encore. A cet
endroit se trouvaient des prés, jardins (cortils) et plaincenières que traversaient la voie principale vers
Jupille et un sentier menant vers Cielle – ce sentier existe toujours, parallèlement à la route de Cielle,
au-dessus de la mine de plomb. Amorçant un retour à 110-120° vers la ville, le rempart se prolonge
d’une quinzaine de mètres (sur l’actuel parking du quai) puis redescend vers la grosse tour dite des
Bourgeois (N° 5 sur le plan) dressée sur la berge de l’Ourthe. Cette tour a pratiquement le pied dans
l’eau. Cette étrange configuration en coude du rempart n’a d’autres raisons que l’utilisation optimale et
efficace du canal de décharge comme fossé (N° 4 sur le plan).
La tour des Bourgeois (N° 5 sur le plan)
De par ses dimensions, cette imposante tour d’angle (11-12 m de diamètre extérieur pour une hauteur
de 9-10 m hors toiture) est comparable à l’impressionnante tour au Pilier du château. Cette bâtisse a
pour fonction principale de protéger le moulin banal qui y est pratiquement accolé (N° 6 sur le plan).
Elle servait également de prison.
En février 1582, Jacqment de Clerue, porte-enseigne de la ville, et Henri Dodengne sont condamnés à
« tenir prison en la thoure et ferme des bourgeois » durant sept jours pour y avoir « escarmoucé
d’espée et de boixe (bûche) de bois », alors qu’ils étaient de garde à la « porte haulte ».
En mars 1659, on emprisonne dans cette tour plusieurs bourgeois qui ont laissé la porte du pont avec
un seul homme de garde (Justice, Rôles 1657-1660, f.29 v°).
Monsieur L. MARQUET (historien – voir bibliographie) nous rapporte que : « Après la destruction du
Cercle catholique situé à son emplacement, on a vu réapparaître des vestiges qui furent
malheureusement démolis ou ensevelis sous le tarmac d’un parc pour voitures ». Monsieur Jean
STRAPS de La Roche nous a affirmé pour sa part avoir participé à la démolition des fondations d’une
tour aux dimensions impressionnantes.
Le moulin banal (1) et son biez (N° 6 sur le plan)
(1) Banal
: « ce qui était soumis à une redevance au seigneur, tout en étant d’un usage public et
obligatoire : moulin banal, four banal ».
1552 : « un cortil situé à Gravier diseur le by du mollin joindant (…) à bollewar de la ville (L.V. f.21).
Le moulin de la ville était indispensable aux Rochois. Il tournait pratiquement toute l’année car les
moulins actionnés par les affluents de l’Ourthe manquaient d’eau par temps de sécheresse ou de gelée
au point que les meuniers devaient recourir au moulin de la ville.
Le moulin était alimenté par l’eau que retenait une digue de barrage d’une cinquantaine de mètres (N°
7 sur le plan). On remarquera qu’à cet endroit, le mur d’enceinte oblique fortement vers l’intérieur,
donnant ainsi naissance au canal de dérivation (biez d’amont). Ceci explique qu’aujourd’hui encore
l’alignement des maisons situées entre la rue de l’Hospice et la ruelle des Ecoles s’écarte du cours de
l’eau.
Le manuscrit de Sire Servais du Pont (curé de La Roche de 1690 à 1739) nous indique qu’en l’an
1677, les Hollandais en guerre avec Charles II, roi d’Espagne, ont envoyé quelques soldats de la
troupe pour reconnaître s’ils pourroient entrer par-dessous la grille du moulin, lesquels furent
découverts par la sentinelle au Gravier qui, criant « qui va là ? », les obligea de retourner sur leurs pas.
Après une longue polémique, le moulin fut détruit début 1800 et remplacé par un nouveau moulin sur
l’Ourthe, mais au bout de Rompré ; le moulin POIGNEFER.
La « Vieille Porte » et sa tour (N° 8 sur le plan – h,g sur le dessin)
Suivant la boucle de l’Ourthe, le mur d’enceinte rejoint la Vieille Porte et sa tour. La Vieille Porte est
déjà citée en 1339 et les archives parlent également de « la pavée » ou « chaussée » venant du marché
(Place du Marché) et conduisant à celle-ci, ce qui indique l’importance de cette rue qui est
aujourd’hui bien désuète.
1439 : « une maison joindant al halle derier et joindant al rualle alant al vies porte » (L.V. f.32 v°).
1586 : « chesal (…) joindant à la pavée allant al vieille porte (…) et à la eschemence de la ville du
costel de la thour » (Reg. détruit).
« Ce 20 novembre 1551, par Regnault de Vaulx, lieutenant maieur et eschevin et les eschevins de la
Roche en ardenne fut visitée et inventorisée les artilleryes extantes en la toure à la vielle porte, et
furent trovées quattorze harcqbuse à croches, grandes et moyennes, une petite harcqbuse à la main,
deux cortax et huyt chambres » (L.V. f.89 v°).
Grâce à un très beau dessin assez détaillé du Spadois Mathieu Xrouet (vers 1725) qui corrobore le plan
français (1744) dont nous disposons, nous pouvons évaluer, avec une relative précision, l’élévation des
différentes bâtisses. On remarquera la couverture sur le dessus de la porte (g) et que la tour (h) est
rehaussée d’une guette cylindrique élargissant ainsi le champ d’observation. L’absence d’autres tours
pour protéger l’enceinte jusqu’à la tour des Bourgeois (+- 275 m) s’expliquerait par le fait du versant
abrupt de Corumont et par la profondeur de la rivière à cet endroit (dit Harzé goffe). Le tout
constituant une défense suffisante. Rappelons que la hauteur de la muraille avoisine les 9 mètres pour
1,20 m d’épaisseur. On parle cependant en 1429 d’un « chesal en chantereine tenant (…) al rual alant
al postis (porte de derrière) » (L.V. f.16)
1598 : « La ruelle allant au postis dit le postis le Prevost » (Reg. détruit).
Rien n’indique la présence d’une tour pour défendre cette porte.
Sur l’autre rive de l’Ourthe, dans le prolongement de la Vieille Porte, l’actuelle « Ruelle des Chats »
menait vers l’hôpital Saint-Nicolas et les seules voies d’accès de l’époque : la route de Bastogne
(Chemin de Maka), Hives et ce que nous appelons l’ancienne route de Beausaint.
Seul un gué autorisait le passage de l’Ourthe à cet endroit, ce qui était bien incommode voire
impossible lorsque les eaux étaient hautes. Lors du dernier dragage de l’Ourthe, en 2005, a été mis au
jour, au milieu de la rivière, ce qui semble être la fondation d’un ancien pilier situé dans l’axe des deux
ruelles. Il serait opportun, lorsque les eaux seront plus basses, de se pencher sur cette découverte aussi
intéressante qu’inattendue.
La porte au Pont (N° 9 sur le plan)
L’imposant bâtiment constituant le corps de garde (a, b sur le dessin ; +- L 10 m, l 8 m, H 11 m) a été
reconstruit en 1680 : « (…) Le corps de garde de dessus le pont de ceste ville menassoit une ruinne et
cheutte entière et qu’il estoit plus expedient d’y rebastir une neuve que de la rapetasser comme avoit
cy devant esté faict (…) » (compte des deniers de la franche bourgeoisie de La Roche-en-Ardenne
pour l’année 1680).
On apprend aussi qu’en 1446 : « fut fait accense à Johan Lowet par lez segneurs la place de sa maison
exstant sur l’arche du pont de costeit d’amont ensi comme les bondennez (bornes) portent » (L.V. 45
v°)
On remarquera, à l’angle gauche du corps de garde, la petite tour (b) facilitant le guet dans toutes les
directions y compris vers l’encoignure arrière du bâtiment. Toujours vers la gauche, le bâtiment (e) se
trouve à l’emplacement de l’actuel magasin de vêtements THERER-MANIGART. A l’arrière-plan,
l’important bâtiment (f) est la halle, ou maison communale avec son clocheton.
La tour (i) ne peut être que celle de l’église dont les travaux d’agrandissement et d’embellissement ont
été exécutés de 1698 à 1732, grâce aux pierres d’ardoise achetées aux entrepreneurs qui « (…)
faisoient alors escarper le château du côté de Gohette et de Clerue et creuser les fossés du côté de
l’église (…) » (Manuscrit de Sire Servais du Pont, 1732).
A droite de la porte au Pont, le mur d’enceinte se prolonge en oblique sur 25 mètres, jusqu’à la porte
de Clérue (N° 10 sur le plan). Cette configuration oblique permet d’éviter l’inondation. Il faut savoir
que le pont était régulièrement emporté par les crues. Lors des derniers grands travaux effectués en
Clérue en 2003, sont apparues les fondations de ce mur. Ceci nous permet une grande précision dans
la localisation de la tour (d) constituant cette porte.
Cet endroit est aussi appelé « Faubourg de Clérue ».
Une bâtisse est accolée à l’enceinte (c) ce qui expliquerait la présence des deux cheminées.
La porte de Clérue (N° 10 sur le plan)
1430 : « Maison et cortil en Cleruwe a defour (dehors) del porte » (L.V. p. 20).
1596 : « un cortil estant hors de la porte de Clerue, joindant d’en hault au chemin real » (Reg. détruit)
Sortant par cette porte, on pouvait se diriger soit vers Durbuy, Huy et Liège en empruntant la rue
Saint-Quoilin, soit vers Bastogne via la rue des Bateliers et le chemin de Maka, le passage de la rivière
se faisant à gué. Il s’agit en fait d’une des routes les plus importantes et les plus anciennes de
l’Ardenne centrale. Des péages sont attestés à Durbuy en 1243 et à La Roche en 1289. Rappelons que
l’actuelle avenue de Villez n’a été construite qu’après 1843. Lors des travaux effectués en Clérue en
2003, nous avons pu observer des vestiges de fondations des dernières bâtisses du Faubourg de Clérue,
situés au pied de Saint-Quoilin.
Partant de la porte de Clérue, le rempart rejoint enfin les fortifications du château au coin de la grande
terrasse dite de Clérue. Les traces d’une tour (N° 11 sur le plan) qui n’est pas mentionnée sur le plan
français sont toujours visibles dans le jardin de Monsieur FIEUX. Il est probable qu’elle était déjà
détruite lors du tracé du plan français en 1744.
Ainsi donc, depuis plus de quatre siècles, la ville de La Roche et ses habitants furent protégés par ce
haut rempart de schiste gris. Abandonnés sous Joseph II, le château et ses murailles tombèrent en
ruines et furent considérés comme une vulgaire carrière de pierres. Bon nombre des maisons de La
Roche construites au début du 19e siècle empruntèrent leurs matériaux au rempart et à la forteresse. On
peut observer aujourd’hui encore, dans certains vieux murs des habitations et jardins de la ville, des
pierres bleues et jaunes parfaitement taillées. Elles font aussi partie de notre patrimoine.
Interprétation assez précise du plan français de P.de LAING (1744) et du dessin du spadois Mathieu XROUET (vers 1725) D’après les
données technique obtenues lors des fouilles de la tour Saint-Jean en 1995.
Dessin de Francy . SIMON (2006)
BIBLIOGRAPHIE
Léon MARQUET, Histoire du Château féodal de La Roche-en-Ardenne, 1993.
Léon MARQUET, Histoire et Folklore de La Roche-en-Ardenne.
Léon MARQUET, La Voirie ancienne et le Pont de La Roche-en-Ardenne, Bulletin Trimestriel de
l’Institut archéologique du Luxembourg-Arlon, Juillet 2004, N° 1-2.
Jean HANIN, La fin du moulin domanial de La Roche, dans Ardenne et Famenne, 1966.
Léon MARQUET, Un compte des deniers de la franche bourgeoisie de La Roche-en-Ardenne pour
l’année 1680.
Manuscrit de Sire Servais du Pont, curé de La Roche au XVIIIe siècle (1732)
Viollet le DUC, Encyclopédie médiévale, 19e s.
Légendes des photos
(Photo format portrait)
La tour Saint-Jean, l’entrée avec l’arc restauré et la poutre témoin du niveau de l’étage
(Photo format paysage)
La tour Saint-Jean, deux des quatre meurtrières au premier niveau d’occupation, et la poutre témoin du niveau
de l’étage.

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