La guerre d`Algérie au théâtre

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La guerre d`Algérie au théâtre
La guerre d’Algérie au théâtre
Michel CORVIN
Institut d’Etudes Théâtrales,
Université de Paris III
La guerre d’Algérie est la première guerre que la France ait faite contre
elle-même ou, pour parler plus précisément, que le gouvernement de la Répu blique ait faite contre les Français (sans parler des Algériens, bien sûr !). Ce
fut la guerre du mensonge, de la honte, du déshonneur plus encore que celle de
la violence et du mépris raciste de l’Autre, du moins si l’on veut s’en tenir à la
façon dont le théâtre de langue française, écrit par des Français, en a rendu
compte. Guerre de reconquête coloniale au nom d’une affirmation aussi vaine
que mille fois répétée (« l’Algérie c’est la France »), ce conflit fut une guerre
archaïque faite en plein milieu du XX e siècle alors que la revendication des
peuples à disposer d’eux-mêmes (qu’on songe à l’Allemagne, ou à l’Italie)
date du siècle précédent, voire du Traité de Versailles de 1919. Il est vrai que
l’implantation séculaire, en Algérie, d’un million de pieds-noirs d’origines
très diverses, rendait très délicate la solution humaine et économique du pro blème mais, curieusement, cet aspect essentiel du conflit algérien n’est abor dé par personne sinon, incidemment, par Jean Magnan qui était lui-même
pied-noir.
De la centaine de pièces qui furent écrites sur les « événements » (c’est un
de ces noms hypocrites qui furent longtemps utilisés pour désigner une guerre
qui s’osait pas s’avouer pour telle) je ne retiendrai qu’une dizaine dont la ré daction va de 1957 (les Huissiers de Michel Vinaver) à 1990 (Djurdjura de
François Bourgeat). Plusieurs de ces pièces furent rédigées pendant les opéra tions militaires elles-mêmes, un peu trop tôt même, puisque la bataille d’Al ger qui provoqua un tournant essentiel de la vie politique – l’arrivée au pou voir du général de Gaulle – n’eut lieu qu’en 1958, sans parler des exactions
commises à partir de 1961 par l’OAS, rébellion qui fut à deux doigts de provo -
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MICHEL CORVIN
quer une guerre civile. Outre les Huissiers, les Paravents de Jean Genet fut
composé entre 1954 et 1958 ; la pièce de Xavier Pommeret, Pour des raisons
de cœur est également de 1958, tandis que la pièce de Jean Cau, les Parachutistes, date de 1962. Bien qu’il y ait eu simultanéité entre la rédaction de ces
œuvres et le déroulement des opérations, on ne relève dans les pièces aucune
trace que leurs auteurs aient été mobilisés pendant cette période soit en
France, soit en Algérie. Le seul dont la guerre ait bouleversé sa vie pour l’avoir vécue (et refusée) sur place est Pierre Guyotat dont Tombeau pour cinq
cent mille soldats est un haut le cœur permanent, d’une violence inouïe, devant un débordement de haine dont les premières victimes sont les bourreaux
eux-mêmes. Mais l’œuvre en question, bien qu’elle ait été portée au théâtre
par Vitez en 1981, ne relève pas du théâtre et est donc exclue de cet exposé 1.
Des pièces proprement dites qui prennent la guerre d’Algérie comme sujet
principal, au moins apparent (c’était le cas des Paravents) ont été écrites en
assez grand nombre après les accords d’Evian de 1962 et manifestent, avec un
décalage temporel plus ou moins important d’avec les événements, le souci
d’exploiter cet écart pour prendre de la guerre une vue surplombante qui tient
du bilan. Ce que l’on vérifiera sous la plume de Daniel Lemahieu, auteur de
deux pièces (la Gangrène, 1976 et Djebels, 1983-1988) : son propos est de
montrer l’imbrication profonde de la vie quotidienne des Français, tant dans
leurs préjugés que dans leurs difficultés d’existence quotidienne, avec un
conflit situé apparemment à un autre niveau de questionnement de l’histoire.
De même Tonkin-Alger d’Eugène Durif évoque, en 1988, les bouleversements intimes que provoque l’« appel », en 1957, de jeunes recrues, naïfs pour
la plupart, voire enthousiastes à l’idée de participer à la « pacification » de
l’Algérie. Quant au poème dramatique en éclats qu’est Algérie 54-62, cette
pièce de Jean Magnan, écrite en 1983, indique par son titre même qu’elle est
une plongée dans la mémoire : c’est du bilan d’un homme, au mieux d’une
communauté, qu’il s’agit alors.
Points de vue
L’important pour ce type de pièces n’est pas de savoir à quel genre elles appartiennent mais du point de vue de qui (individus ou groupes) elles sont écrites : savoir que les Huissiers relèvent de la comédie satirique et Pour des raisons de cœur du didactisme moral renseigne moins que d’apprendre que Vinaver voit les choses du petit bout de la lorgnette (politiciens en train de se livrer
à leurs combinaisons partisanes) et Pommeret du côte de la langue de bois,
sentimentale et généreuse mais suspecte de manichéisme dans l’opposition
des purs (les révoltés algériens) et les bornés brutaux (les militaires et les colons français). Il est bon cependant de souligner que la tragédie, telle qu’elle
1. Ainsi que le Retour au désert dont il est abondamment question dans les autres communications.

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