François de Neufville duc de Villeroy

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François de Neufville duc de Villeroy
François de Neufville duc de Villeroy
« Les Villeroy ont en quelque sorte régné sur Lyon.
Le gouvernement de notre cité était pour eux un apanage héréditaire »1.
Le maréchal de Villeroy, personnage influent du
règne de Louis XIV, s’est éteint à Paris dans son hôtel
de Lesdiguières, rue de la Cerisaie, le mardi 18 juillet
1730, à l’âge de 86 ans. Cette nouvelle, événement
marquant de l’été 1730, fut rapidement diffusée dans
le royaume. Aussi la Gazette de France avait publié
l’information dans sa livraison du 22 juillet 1730 : François de Neufville, duc de Villeroy, pair et doyen
des maréchaux de France, chevalier des Ordres du Roi,
général de ses armées, ministre d’État, chef au Conseil
royal des finances, gouverneur de la ville de Lyon, province
de Lyonnais, Forez et Beaujolais, mourut en cette ville le
18 de ce mois [juillet] dans la quatre-vingt septième année
de son âge. Il avait été gouverneur du Roi [Louis XV].
La nouvelle est publiée promptement comme
l’atteste la date de l’article : « France, de Paris, le
22 juillet 1730 ». Fait paradoxal, les Lyonnais et leur
archevêque, François-Paul de Neufville de Villeroy
(1677-1731), fils du défunt, avaient reçu la nouvelle
du décès avant les abonnés de la Gazette de France.
En effet, le courrier de la capitale est arrivé à Lyon, le
vendredi 21 juillet à 7 heures, soit moins de trois jours
après la disparition du maréchal : Le vingt-et-un du mois de juillet dernier, M. le Prévôt
des Marchands [Camille Perrichon] ayant reçu avis de la
mort de Monseigneur le Maréchal de Villeroy, arrivée à
onze heures et demi du matin, fit convoquer sur le champ
le Consulat pour lui apprendre cette triste nouvelle, et pour
convenir des premiers devoirs qu’on aurait à lui rendre.
[…] Ces premières dispositions ainsi arrêtées, on jugea à
propos de faire célébrer dès le lendemain matin un service
dans l’église des Carmélites pour le repos de l’âme de feu
Monseigneur le Maréchal.
Quant aux sœurs carmélites, elles avaient publié,
quelques jours plus tard, un occasionnel pour annoncer
le décès du maréchal de Villeroy aux Lyonnais. Il
s’agit d’une lettre datée du 31 juillet 1730 et signée par
Sœur Élisabeth-Rosalie de Saint-Alexis (1677-1757),
Carmélite de Lyon. Cette missive s’intitule : « Jésus
Maria. Ma Révérende et très honorée Mère » : Nous avons besoin, ma très Révérende Mère, de toute
notre soumission à celui qui nous est marqué par la mort
de Monseigneur le Maréchal duc de Villeroy notre illustre
fondateur, bienfaiteur et véritable père. Toutes ces qualités
nous engagent ma très honorée Mère à vous demander le
secours de vos saintes prières pour nous aider à soutenir
ce rude coup, et à marquer notre juste reconnaissance à cet
(1) H. Morin-Pons, « Les Villeroy », Revue du Lyonnais, 1862, t. 24, p. 7. Voir
G. Cuer, « Les Villeroy et la province de Lyonnais, Forez et Beaujolais (XVIIeXVIIIe siècles) », Chroniques du pays beaujolais, 1993, n° 16, p. 37 : « Le
nom de Villeroy a été plus connu dans cette ville [Lyon] que celui du roi ».
(2) Voir J. Hilairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Éd. de Minuit,
1963, art. « Cerisaie (rue de la) » : « En 1712, le maréchal de Villeroy, qui, gouverneur
du jeune roi Louis XV, y logea ».
(3) Voir M. Francou, Armorial historique des archevêques de Lyon, Lyon, Éd. René
Georges, 2002, pp. 114-115.
(4) Voir le Calendrier historique de la ville de Lyon, Lyon, A. Laurens, « Imprimeur de
Monseigneur le duc de Villeroy », in-12, 1731, p. 58.
(5) J.-J. Grisard, Documents pour servir à l’histoire du couvent des carmélites de NotreDame de la Compassion de Lyon, Lyon, Pitrat, 1887, p. 56.
(6) Ce précieux imprimé (4 p. in-4°) est conservé à la BM de Lyon, cote : 118063.
Tableau de François de Neufville duc de Villeroy,
par A.-F. Carminade
(Source : Wikipedia en français,
article « Fr. de Neufville de Villeroy »)
illustre défunt, dont la grandeur et le mérite ont égalé les
grands emplois où les rares qualités de son esprit l’ont fait
élever.
Le ton de la lettre, empreint d’une profonde piété,
exprime la grande tristesse des religieuses en deuil.
Par ailleurs, la Gazette d’Amsterdam, l’une des feuilles
les plus
lues en Europe, avait publié dans sa livraison
er
du 1 août 1730, « France, de Paris, le 24 juillet », la
nouvelle du décès : Le 21 [juillet], le corps de M. le Maréchal de Villeroy
fut porté en grande pompe dans l’église de Saint-Paul, sa
paroisse [à Paris] où il y eut un service solennel. Il doit être
transporté de-là à Lyon, avec les corps de la feu maréchale
de ce nom qui sont en dépôt dans l’église du Calvaire du
Marais, pour être inhumés dans celle des Carmélites de
Lyon, où est la sépulture de ses ancêtres.
Les feuilles périodiques, parues quelques semaines
après l’événement, avaient rappelé à leurs lecteurs le
décès de l’illustre maréchal. C’est le cas entre autres
du Mercure de France, dans sa livraison de juillet
1730 (pp. 1687-1688), article « Morts, naissances,
mariages » : François de Neufville […] mourut à Paris le 18 juillet,
âgé de 86 ans [et] 3 mois. Il avait épousé en 1662 Marie de
Cossé, fille de Louis de Cossé, duc de Brissac, et de Catherine
de Gondi, dont il a eu le duc de Villeroy, lieutenant général
des armées du Roi, chevalier de ses Ordres et capitaine des
gardes du corps de S. M. gouverneur de la ville de Lyon,
etc. et l’archevêque de Lyon, commandeur des Ordres du
Roi. Le duc de Retz et le duc d’Alincour sont les fils du
duc de Villeroy.
La chapelle des Villeroy est construite à côté
du couvent des Carmélites : Notre-Dame de la
Compassion. Aussi la Mère Madeleine Éléonore de
Jésus de Neufville de Villeroy († 26 avril 1723),
religieuse carmélite, y avait vécu quarante-et-un ans.
Les obsèques du maréchal de Villeroy, fort onéreuses
(17 783 £), avaient eu lieu plusieurs semaines après
son décès, le lundi 4 septembre 173010 : Le quatrième septembre à huit heures du matin, le corps
consulaire en robes violettes, qui est l’habit du deuil du
Consulat quand il fait les honneurs de pareilles cérémonies
se rendit à l’Hôtel de ville, les ex-Consuls s’y rendirent
aussi en robes noires. Ils sortirent dudit Hôtel à neuf heures
du matin pour se rendre dans l’église des Carmélites,
précédés des mandeurs ayant leurs manteaux avec le grand
écusson aux armes de la ville.
Les échevins en exercice, Claude Brossette, ami
intime du défunt maréchal, Charles Palerne, JeanClaude Blanchet et Jean-Pierre Dutreul, étaient présents
aux funérailles. Enfin, les recteurs de l’hôpital général
de la Charité avaient organisé, le 15 septembre 1730,
une cérémonie funèbre pendant laquelle, « la messe de
Requiem de Gilles, fameux musicien, y fut chantée à
grand chœur et symphonie […]. Messieurs de la Ville
y assistèrent en corps avec un très grand nombre de
personnes de distinction »11.
(7) L’approbation de ce volume est signée par J. Hardion, 9 août 1730. Notons que
cette feuille a publié dans la même livraison (« France, nouvelles de la Cour, de Paris »,
p. 1661), une information concernant le remplacement du maréchal de Villeroy. Cette
nouvelle est reprise in-extenso de la Gazette de France, 29 juillet 1730, n° 30, « De
Compiègne, le 27 juillet 1730 ».
(8) Voir le « Discours du Consulat à Madame de Villeroy, religieuse aux Carmélites,
pour lui souhaiter une heureuse année, vendredi 1er janvier 1717, [Lyon], A. Molin, in-4°,
p. 19 [lire p. 1] : « Ce n’est pas assez pour combler de gloire le nom de Villeroy d’avoir
donné à l’État, des généraux d’armées, des maréchaux de France, des gouverneurs de
nos rois, des chefs de Conseils, des primats des Gaules ; ce n’est pas assez, dis-je, que
de grands emplois, que des faveurs continuelles de sa majesté, soient successivement et
en survivance accordés à sa postérité ». Cet occasionnel est conservé à la BM de Lyon,
cote : 111 720.
(9) Extrait des registres des actes consulaires (1730, f° 133 v), cette archive est publiée
par J.-J. Grisard, op. cit., p. 66.
(10) Ibid., p. 78. En effet, « à Lyon, on nomme mandeurs, les sergents de ville ou
huissiers qui marchent devant le prévôt des marchands et les échevins », Dictionnaire
de Trévoux, Paris, Libraires associés, 1771, art. « Mandeur ». Voir la Correspondance
littéraire et anecdotique entre Monsieur de Saint-Fonds et le Président Dugas, éd.
W. Poidebard, Lyon, M. Paquet, 1900, t. II, p. 35 : « J’ai [Dugas] reçu ce matin une lettre
de l’abbé Cavellat. Le corps de M. le Maréchal est parti de Villeroy le 14 et sera dixhuit jours en chemin » ; W. Poidebard, J. Baudrier et L. Galle, Armorial des bibliophiles
de Lyonnais, Forez, Beaujolais et Dombes, Lyon, « Au Siège de la Société », 1907,
p. 458 : « Son corps [Villeroy] parti de Paris le 20 juillet, arriva à Neufville le 25 au
soir, et resta déposé dans la chapelle de la maison de Villeroy, en l’église de ladite ville,
jusqu’au 3 septembre, jour où il fut transporté à Lyon ».
(11) Description de la pompe funèbre de Monseigneur le Maréchal duc de Villeroy, faite
dans l’église de l’Aumône général de la Charité de Lyon, le 15 septembre 1730, Lyon,
A. Degoin, [1731], in-fol°, p. 6. Ce livre est publié en 1731, la date est indiquée en bas
de l’estampe : Décoration funèbre pour le service de M. le Maréchal Duc de Villeroy,
célébré dans l’Église de l’Hôpital de la Charité de Lyon, le 15 septembre 1730, « Daudet
sculp. Lugd. 1731 ». Voir M.-C. Cavallo, G. Chomer, Un Itinéraire baroque à travers
l’Église Saint-Bruno des Chartreux, Catalogue de l’exposition du 4e centenaire de la
fondation de la Chartreuse de Lyon 19-20 octobre 1985, p. 33 : l’estampe est reproduite
avec la date de 1731. Cf. P. Conlon, Le Siècle des Lumières, Genève, Droz, 1984,
t. III, notice 30 : 77 ; A. Vingtrinier, Catalogue de la bibliothèque lyonnaise de M. Coste,
Lyon, L. Perrin, 1853, n° 6211.
Décidément la vie ad patres du maréchal de Villeroy
n’est pas synonyme de repos éternel, puisque le
monastère de Notre-Dame de la Compassion fut démoli
en 1822. Déterrés, les ossements des Villeroy ont été
transférés dans la chapelle Sainte-Philomène12 : Ce n’est qu’en 1822 que s’est opérée la démolition
de l’église des Carmélites. […] Les restes des Villeroy
qu’on retrouva dans les fouilles en furent alors
religieusement extraits et transportés, par ordre de
M. le Maire [Pierre-Thomas Rambaud], dans l’église
des Chartreux, aujourd’hui Saint-Bruno, sous
l’assistance de M. le curé et du clergé de cette
paroisse.
Aujourd’hui, « une plaque rappelle que les restes de
la famille de Villeroy-Neuville ont été transférés dans
cette chapelle »13.
Naissance
Christophe Levantal s’est montré indécis concernant
la date de naissance de François de Neufville14. Est-ce
que le 7 avril 1644 constitue sa date de naissance ou celle
de son baptême15 ? L’enquête s’avère délicate vue la
perte des registres de l’église de Saint-Michel, paroisse
du défunt maréchal. Cependant, les informations
recueillies auprès des contemporains de François de
Neufville fournissent des indications claires. En effet,
la Sœur Élisabeth-Rosalie de Saint-Alexis avait précisé
dans sa lettre que le ministre de Louis XIV « était
âgé de 86 ans depuis le 7 avril 1644 »16. Pour sa
part, Brossette, interlocuteur privilégié du ministre de
Louis XIV, avait noté sur le manuscrit de son « Éloge de
M. le Maréchal de Villeroy », prononcé à l’Académie
de Lyon, le 28 novembre 1730 : « Né à Lyon le 7 avril
1644, mort à Paris le 18 juillet 1730 »17.
Conclusion
Les obsèques de François de Neufville duc de
Villeroy ont rassemblé au-delà de la noblesse lyonnaise,
les habitants de la ville. Figure de proue du règne
de Louis XIV, « le maréchal de Villeroy […] joignit
des mœurs […] douces à une probité non moins
incorruptible », observe Voltaire18. Son avis contraste
avec les commentaires acerbes et souvent critiques de
Saint-Simon, principale source des historiens19.
Samy Ben Messaoud
(12) Archives historiques et statistiques du département du Rhône, Lyon, J.-M. Barret,
1828, p. 13. Voir A. Péricaud, Tablettes chronologiques pour servir à l’histoire de
la ville de Lyon pendant le 19e siècle, Lyon, P. Rusand, 1835, pp. 47-48 : « La belle
église des Carmélites construite aux frais du maréchal de Villeroy, en 1668, fut démolie
en 1822 ». Cf. M. Francou, Armorial historique des archevêques de Lyon, op. cit.,
p. 111 : « Les restes des Villeroy furent transportés, en 1821, à l’église Saint-Bruno ».
(13) M.-C. Cavallo, G. Chomer, op. cit., p. 32.
(14) Voir Ducs et pairs et duchés-pairies laïques à l’époque moderne (1519-1790), Paris,
Éd. Maisonneuve et Larose, 1996, p. 984.
(15) Voir M. Antoine, Le Gouvernement et l’administration sous Louis XV. Dictionnaire
biographique, Paris, Éd. du CNRS, 1978, art. « Villeroy, Fr. » : « Baptisé à Lyon, le
7 avril 1644 ».
(16) « Jésus Maria. Ma Révérende et très honorée Mère », op. cit., p. 3. Cette
information figure aussi dans Le Grand dictionnaire historique de Louis Moreri, éd. abbé
Goujet, Paris, Libraires associés, 1759, in-fol°, art. « Neufville ».
(17) Académie de Lyon, Ms. 124, f° 46.
(18) Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne, Œuvres complètes de Voltaire,
éd. L. Moland, Paris, Garnier, 1879, t. 25, Mélanges/IV, p. 329.
(19) Voir P. Béghain et al., Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Éd. S. Bachès, 2009,
art. « Neuville de Villeroy, famille de ».

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