Avant-propos 1. La société dans laquelle nous vivons est un espace

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Avant-propos 1. La société dans laquelle nous vivons est un espace
Avant-propos
1. La société dans laquelle nous vivons est un espace d’echanges d’informations
et de savoirs. Cette société s’inscrit dans un contexte interculturel ancré dans une
tradition intellectuelle européenne issue du siècle des Lumières. L’idée de
perfectibilité exprimée dans ces circonstances, tant dans l’homme que dans la
nature, se réalise pleinement dans les sciences du dix-neuvième siècle et du
vingtième siècle. Autour de ce leitmotiv se structure une culture des sciences qui
se comprend elle-même comme l’aboutissement d’un processus continu
d’optimisation de ce même leitmotiv. Après 1789, en réponse à la prétention
française d’une représentation exclusive au sein du discours scientifique européen,
l’idée de verser dans des débats scientifiques préétablis ne pouvait être acceptée.
Suivant cette position, les sciences ont pu s’organiser dans un cadre international,
prenant ainsi le contre-pied des dynamiques nationales.
2. Au cours du dix-neuvième siècle, tout en redessinant ainsi ses contours
géographiques la culture des sciences se professionalise. Les instituts de
recherche, les programmes d’enseignement ainsi que les médias scientifiques se
développent. Les applications scientifiques prennent une place toujours plus
importante. Oubliant ses référents passés, la culture scientifique acquiert son
autonomie sur la base des nouvelles structures sociales et politiques. Cette
réorganisation renforce la science dans ses fondaments et dans sa volonté
d’unifier la culture scientifique. Pendant le vingtième siècle, les événements
politiques et sociaux ont bouleversé la scène européenne et ébranlé les structures
institutionelles du savoir scientifique. Néanmoins, le trait fondamental de la
culture scientifique, d’inspiration positiviste, a pu être conservé et résister ainsi à
ces mutations. Elle se trouve désormais, par son autoproclamation, libérée de ses
liens historiques. Le savoir du scientifique, même de celui qui a conçu la bombe
atomique ou un gaz toxique, se trouve en tant que produit d'une démarche
objective confronté à la vérité et semble ainsi se détacher du contexte historique
de sa culture scientifique. Cette idée selon laquelle la science est susceptible de
découvrir et de conserver un savoir objectif a transformé de manière absolue
l'idéal scientifique européen. Au-delà de cette représentation, un jugement de
valeur prétextant la construction d'une société multiculturelle est énoncé de
manière explicite. Ce qui peut nous déstabiliser est que la science ainsi
objectivement exprimée ne livre ni compréhension propre ni tradition, à
l'exception peut-être d'éléments traduisant la transmission de courants historiques
et nationaux, nous offrant ainsi un référentiel sur lequel l'ensemble est ordonné.
3. Cependant, la science élaborée suivant cet idéal reste intimement liée à
l'appareil économique et politique d'une société qui fonde notamment son
existence sur le développement et l'ouverture technologique d'une science toujours
plus forte. Tout à fait normalement, les différentes sociétés scientifiques protègent
et défendent les connaissances et le savoir faire de leurs scientifiques contre les
experts d'autres sociétés. Un espace scientifique est à la fois un site de production
et un lieu administratif. Par conséquent, l'espace de communication du savoir est
également politique. Cet état de fait constitue la seule ligne traditionnelle
Annuaire de culture scientifique européenne, vol. 1 (2005)
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Olaf Breidbach, Stefano Poggi
permettant à la communication scientifique d'oeuvrer pour l'autonomie de la
science.
Pour autant, cette esquisse ne renvoie pas une image exclusive des sciences.
En effet, la structure globale de la science a déjà réagi au dix-neuvième siècle et
d'une manière toute particulière dans les sciences de la nature dont l'appareil
nécessitait des modifications structurelles par rapport à une culture du savoir. Ce
ne sont pas seulement les institutions de formation scientifique, les universités qui
se sont constituées au dix-neuvième siècle, ce sont les instituts et lieux de
recherche, c'est le laboratoire et son personnel technique qui ont édifié les
nouvelles structures de la culture scientifique.
4. Cet idéal visant à objectiver et à techniciser le savoir scientifique constitue les
réalités propres à une culture scientifique européenne. La théologie, l'histoire et la
philosophie ont réagi face à ce développement, soit en restructurant leur
organisation interne à l'image des sciences naturelles et techniques, soit en restant
fidèles à leurs concepts – comme éventuellement dans la philosophie du cercle de
Vienne – et elles ont consolidé ainsi un vaste idéal du savoir et des sciences qui a
marqué la culture des sciences à travers l'Europe et en Amérique. Cette évolution
scientifique montre également une importante dynamique dans l'interaction entre
la société et la science. Se pose alors la question des spécificités et des restrictions
nationales inhérentes à l'ensemble de la science européenne.
5. Ainsi s'exprime l'objectif éditorial du nouveau Journal Européen pour la
Culture Scientifique. Il s'agit de reconstituer les étapes et les lignes directrices qui
ont contribué à dessiner les contours d'une culture scientifique en Europe. Cette
nouvelle revue s'intéresse, sur la base de l'étude des interactions géographiques et
disciplinaires, à l'organisation du savoir dans la société. Elle veut comprendre les
interconnections entre les espaces de communication et de production du savoir.
Elle veut explorer le rôle joué par les interprétations nationales ou les perspectives
internationales dans la représentation faite de la culture scientifique pour
finalement contribuer à une meilleure compréhension du contexte de
développement de notre culture des sciences.
Olaf Breidbach et Stefano Poggi
Jena & Florence, octobre 2004

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