santé publique - Pharmaceutiques

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santé publique - Pharmaceutiques
perspective
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Perspectives
SANTÉ PUBLIQUE :
QUAND LES LABOS
REMPLACENT L’ÉTAT
Souffle, obésité, diabète, cancer du sein, ostéoporose :
les pathologies chroniques ou à forte prévalence font
l’objet de vastes opérations de santé publique.
Fait nouveau : l’engagement des industriels dans des
campagnes nombreuses et ciblées s’apparente de plus
en plus à une « délégation d’action » à l’échelle nationale.
Et les patients suivent…
——————
l y a tout juste un an, quatre laboratoires pharmaceutiques Altana Pharma, AstraZeneca
France, Boehringer Ingelheim
France et GlaxoSmithKline – sponsorisaient une première nationale, dénommée « Opération Souffle ». Réalisée à Bourges, cette dernière a permis
de sensibiliser l’ensemble de la population et des professionnels de
santé à la mesure du souffle. Une
opération qui a été minutieusement
préparée par un collectif1 réunissant
société savante et représentants de
malades dans un même élan, celui de
la prévention des maladies respiratoires, l’asthme en tête.
Un réel succès. L’opération de
Bourges a été un réel succès (tous les
acteurs locaux se sont pleinement mobilisés) et a mis en évidence la nécessité d’une mesure du souffle généralisée auprès des populations à risque,
comme l’acte fondateur d’un dépistage efficace et d’un autre mode de
sensibilisation aux méfaits du tabac.
Fort de ce premier constat, le laboratoire GSK est passé à la vitesse supérieure. Au mois d’octobre, il a lancé,
mais cette fois en solo, une seconde
campagne : « Capital Souffle, prenez
votre souffle en main »2. L’opération
s’est déployée sur la France entière, par
étapes, en s’appuyant sur le même collectif d’associations. Elle a reçu,
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comme la précédente opération menée à Bourges, le soutien de la direction générale de la Santé, qui applaudit l’initiative du leader mondial du
respiratoire, et se dispense par là
même d’engager une campagne
lourde et coûteuse, qui serait financée
sur fonds publics. Car la grippe
aviaire pointe à l’horizon et l’État ne
peut être présent sur tous les terrains,
restrictions budgétaires obligent.
Ainsi l’Inpes3, chargé
de mettre en œuvre
L’État
pour le compte de l’Éne peut être
tat et de ses établissements publics, les
présent sur
tous les terrains programmes de santé
publique arrêtés par le
gouvernement, n’inscrit dans son catalogue d’actions de la
lutte contre le tabac qu’une invitation
lancée aux Français à partager « une
bonne résolution pour 2006 »… celle
« d’arrêter de fumer ». Le moteur de
recherche de son site Internet ignore
toujours pour l’heure l’acronyme
BPCO. Les cinq partenaires du collectif vont désormais inviter les Français
à se préoccuper de leur capital souffle
et les médecins à procéder, un Piko
(appareil de mesure électronique) en
main, à la mesure de ce dernier,
comme ils prennent la tension de
leurs patients avec régularité. Ces
deux campagnes, financées sur fonds
privés de l’industrie pharmaceutique,
signent sans doute une des opérations de dépistage et de prévention
menée sur une pathologie parmi les
plus importantes de ces dernières années. Plus largement, elles traduisent
l’engagement des entreprises du médicament dans un secteur qu’elles ne
peuvent plus ignorer, celui de la santé
publique.
Faites le 15. Chez Boehringer Ingelheim, partenaire de la première
heure de l’« Opération Souffle » précitée, et qui a déjà dans son portefeuille
une molécule pour lutter contre la
BPCO au stade précoce, commercialisée en France avant cet été, une
autre campagne sur la maladie a
commencé en janvier chez les généralistes. Avec un temps de retard sur
GSK, mais aussi avec d’autres
moyens. « Le Medec du mois de mars
servira à cet égard de point d’orgue
pour une campagne nationale de formation des généralistes », commente
Michel Dailly, responsable des relations extérieures du laboratoire allemand. Ce dernier n’en est pas un son
coup d’essai sur le terrain de la santé
publique : dans un passé récent, il
s’est engagé sur les urgences cardiaques avec un « faites le 15 » aussi
utile qu’indispensable en cas d’infarctus. Sans compter le soutien apporté à la cause du sida ou encore à
celle de parkinson. « Pour faire avancer la santé », sur un registre analogue, le laboratoire Eli Lilly s’est doté,
il y a quinze ans, d’un Institut éponyme, visant à soutenir la recherche
par l’attribution de bourses, mais
aussi à développer des programmes
de formations et d’information, tant
pour les professionnels de santé que
pour les patients. Pour son anniversaire, en octobre dernier, l’Institut
Lilly a mobilisé les 25 000 salariés de
la filiale française du groupe dans
deux actions de solidarité au profit
d’associations de malades (France
Alzheimer et NRB Vivre le cancer),
toutes deux dédiées à l’accompagnement du patient et au soutien de son
entourage. Cette opération baptisée
« 15 minutes pour 15 ans » a permis
de récolter 50 000 euros. « On a senti
ici le cœur des collaborateurs de Lilly
qui s’engageaient sur le terrain d’une
action de santé publique », explique
Agnès Viard-Renard, manager en
charge du département communication de Lilly France.
Les pathologies auxquelles l’Institut apporte son soutien sont nombreuses (neurologie, psychiatrie,
cancérologie, diabétologie, ostéopo-
Cancer du sein, diabète, VIH : une gamme d’actions ciblées
Les exemples d’engagements des
laboratoires dans le champ de la santé
publique sont légion. Président du
directoire de Novartis Pharma, Eric Cornu
confirme ainsi celui de son entreprise aux
« progrès de la santé publique ». Dans ce
cadre, il a lancé en novembre 1999 une
opération originale destinée à mieux
connaître les familles de cinq générations
en France (nées entre 1893 et 2000) et
comble un manque, car les organismes
d'études démographiques savent peu de
choses sur le thème de ces familles
« pentagénérationnelles ». En septembre
2002, pour la neuvième édition du mois
du cancer du sein destiné à sensibiliser et
informer les femmes sur l’importance du
dépistage précoce, le laboratoire a lancé
une autre étude, dénommée
FACE/Novartis, menée auprès des
patientes atteintes d’un cancer du sein
non métastatique, de leurs conjoints et,
pour la première fois, de leurs enfants
âgés de plus de 18 ans. « A travers les
différentes études de proximologie*,
Novartis souhaite participer à une
meilleure connaissance des facteurs
environnementaux qui président à
l'efficacité des soins », commente Patrick
Bonduelle, directeur des relations
extérieures et responsable du service
santé et proximologie du laboratoire.
L’américain Abbott, engagé de longue
date dans le VIH, accompagne également
les patients atteints de diabète avec la
mise à disposition de brochures et d’outils
pédagogiques (tel « Nutrition, faire ses
courses ») créés à leur attention. Il œuvre
également à la prévention du VRS (virus
respiratoire syncitial ou bronchiolite du
nourrisson) et soutient les parents
d’enfants prématurés. Egalement sur le
terrain du diabète, Sanofi Aventis a lancé
en novembre dernier, avec l’AFD, une
enquête nationale pour mieux connaître la
qualité de vie des diabétiques sous le
thème « retenez 7 et soyez en
dessous… ».
DR
perspective
* « Trilogie » auprès des parents d'enfants
épileptiques, « Compas », auprès des conjoints de
patients parkinsoniens, « Pixel », qui explore le rôle
direct de l’entourage dans la prise en charge du
malade d’Alzheimer ou encore « Codit » réalisée
auprès des conjoints de patients en insuffisance
rénale chronique terminale. Voir également le site
Internet : www.proximologie.com
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rose ou urologie) et chaque campagne
s’appuie, avec les mêmes rigueur et
éthique, sur des partenariats soigneusement construits : « Schiz’ose dire »
pour sensibiliser le grand public à la
schizophrénie et à sa prise en charge,
dépistage du cancer du sein avec l’association « cancer du sein, parlonsen » fondée par Estée Lauder, prise
en charge des femmes frappées par
la maladie avec l’association « Etincelle », pour ne citer qu’elles. Le tout
en se démarquant de toute démarche
à visée commerciale, avec, un sein de
l’Institut Lilly, un comité d’éthique garant de la transparence et de la bonne
conduite des opérations.
Acteurs de la chaîne de santé. Pour
répondre à ce qui lui semble être depuis longue date une de ses missions,
le laboratoire Schering Plough a créé
dans ses murs en 1998 un département de santé publique, qui emploie
sept responsables de projets à temps
plein dans des domaines très variés :
évaluation des prises en charge, nouvelles technologies de l’information,
relations avec les associations de malades et éducation des patients, relations avec les institutions, ainsi que réseaux de santé et FMC. Partie très tôt et sans doute parmi les premières
réellement engagées - sur le terrain de
la santé publique, avec une structure
ad hoc créée à cet effet, la filiale française du groupe américain s’est dans
un premier temps focalisée sur deux
urgences, la toxicologie et l’hépatite.
« Les pouvoirs publics se sont rapidement rendus compte que les laboratoires n’étaient pas simplement des
fournisseurs de produits, mais bien
pleinement des acteurs de la chaîne
de santé », explique dans ce registre
Olivier Mariotte, directeur Économie
et Affaires Publiques chez Schering
Plough. Une position qu’il continue
de revendiquer en menant pour
l’heure une vaste opération de re-mobilisation des acteurs de la substitution aux opiacés, lancée en novembre
dernier à Paris dans un forum baptisée « Agora » 4 et qui se poursuivra jusqu’en mars prochain dans sept « campus » régionaux, avant de se conclure
dans une réunion de synthèse
(« Pragma ») à Paris, visant à présenter
les solutions retenues par ces mêmes
acteurs face aux multiples problèmes
que pose aujourd’hui la prise en
charge des populations concernées.
D’autres laboratoires se sont également dotés sur la période récente
d’une « cellule de santé publique »,
tel le suisse Roche il y a un peu plus de
trois ans. L’objectif affiché est d’engager le laboratoire sur le terrain de plus
en plus défriché de la pharmaco-épidémiologie et de l’aiguiller sur l’utilité de ses médicaments innovants
dans « la vraie vie ».
L’époque est aussi aux nouvelles réflexions sur le bon usage des médicaments, sur leur évaluation et à la
chasse aux gaspillages sous toutes ses
formes. Surtout depuis le décret de
1999 relatif à l’évaluation du médicament sur la santé publique. Roche a
répondu par des études (telle l’enquête ObEpi sur l’obésité et le surpoids en France), une approche collective et une stratégie ciblée sur les
populations à risque. Ainsi, constatant
un soutien insuffisamment efficace
des médecins traitants dans la prise
en charge de la maladie, Roche s’est
lancé dans un vaste programme
d’éducation des malades frappés de
surpoids, accompagné de consultations de diététiciennes personnalisées
et de conseils nutritionnels5. L’engagement du laboratoire - et de sa fondation d’entreprise - sur le terrain de
la santé publique trouve encore
d’autres illustrations dans les domaines du VIH, mais aussi de la dermatologie et de la grippe (dont actuellement la grippe aviaire avec l’impact
que l’on sait). Il est aujourd’hui parfaitement légitime d’accepter que des intervenants privés, y compris les laboratoires pharmaceutiques, soient
considérés comme des acteurs contribuant à la santé publique. Les
maladies chroniques, étroitement
associées au vieillissement de la population, constituent à cet égard un
terrain d’action inépuisable pour les
industriels du médicament. Car ces
derniers sont désormais invités à participer étroitement à la vie de leur médicament. A sa « vraie vie », y compris
dans un management aussi utile
qu’efficace de ses destinataires, les
patients. ■
JEAN-JACQUES CRISTOFARI
(1) La SPLF pour les pneumologues de toutes
formes d’exercice, du côté des représentants des
malades : Asthme et Allergies, l’association BPCO,
le CNMR et la FFAAIR (fédération de
40 associations)
(2) www.capitalsouffle.fr
(3) Institut national de prévention et d'éducation
pour la santé
(4) Voir Pharmaceutiques 132, décembre 2005 :
« Schering Plough veut remobiliser autour de la
toxicomanie »
(5) www.roche.fr
Le leader mondial du médicament veut
« être l’initiateur de solutions nouvelles
permettant au corps social de faire face
aux enjeux futurs ». Un engagement qu’il
confirme parmi neuf autres inscrits dans
son manifeste relatif à « la santé d’âge
en âge » autour duquel il entend
mobiliser nombre de partenaires
extérieurs (associations de patients,
fédérations de médecins, assurance
maladie etc.) tout comme le personnel
des différentes divisions de Pfizer
France. Lancée en novembre dernier à la
Bibliothèque nationale de France,
l’opération « vise à sensibiliser tous les
acteurs sur les bouleversements
démographiques majeurs qui
attendent notre pays et faire en
sorte que l’allongement de la vie
constitue un phénomène positif »,
confirme Véronique France-Tarif,
responsable des relations avec les
associations de patients chez Pfizer
France. Au-delà des entretiens qui
ont présidé au démarrage de
l’opération, le laboratoire a entrepris
d’accompagner des actions concrètes de
santé publique, telle la semaine
d’éducation sur la nutrition réalisée à
Montrouge en octobre dernier ou encore
DR
Pfizer et « la santé d’âge en âge »
la campagne de prévention du risque
cardiovasculaire et de sensibilisation
du grand public lancée en 2005 et qui a
reçu le prix « prévention et éducation à
la santé » du Medec en mars dernier.
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