santé publique - Pharmaceutiques
Transcription
santé publique - Pharmaceutiques
perspective 2/02/06 11:35 Page 1 Perspectives SANTÉ PUBLIQUE : QUAND LES LABOS REMPLACENT L’ÉTAT Souffle, obésité, diabète, cancer du sein, ostéoporose : les pathologies chroniques ou à forte prévalence font l’objet de vastes opérations de santé publique. Fait nouveau : l’engagement des industriels dans des campagnes nombreuses et ciblées s’apparente de plus en plus à une « délégation d’action » à l’échelle nationale. Et les patients suivent… —————— l y a tout juste un an, quatre laboratoires pharmaceutiques Altana Pharma, AstraZeneca France, Boehringer Ingelheim France et GlaxoSmithKline – sponsorisaient une première nationale, dénommée « Opération Souffle ». Réalisée à Bourges, cette dernière a permis de sensibiliser l’ensemble de la population et des professionnels de santé à la mesure du souffle. Une opération qui a été minutieusement préparée par un collectif1 réunissant société savante et représentants de malades dans un même élan, celui de la prévention des maladies respiratoires, l’asthme en tête. Un réel succès. L’opération de Bourges a été un réel succès (tous les acteurs locaux se sont pleinement mobilisés) et a mis en évidence la nécessité d’une mesure du souffle généralisée auprès des populations à risque, comme l’acte fondateur d’un dépistage efficace et d’un autre mode de sensibilisation aux méfaits du tabac. Fort de ce premier constat, le laboratoire GSK est passé à la vitesse supérieure. Au mois d’octobre, il a lancé, mais cette fois en solo, une seconde campagne : « Capital Souffle, prenez votre souffle en main »2. L’opération s’est déployée sur la France entière, par étapes, en s’appuyant sur le même collectif d’associations. Elle a reçu, DR I FÉVRIER 2006 _ PHARMACEUTIQUES 65 2/02/06 11:35 Page 55 SANTÉ PUBLIQUE p e r s p e c t i v e s 67 comme la précédente opération menée à Bourges, le soutien de la direction générale de la Santé, qui applaudit l’initiative du leader mondial du respiratoire, et se dispense par là même d’engager une campagne lourde et coûteuse, qui serait financée sur fonds publics. Car la grippe aviaire pointe à l’horizon et l’État ne peut être présent sur tous les terrains, restrictions budgétaires obligent. Ainsi l’Inpes3, chargé de mettre en œuvre L’État pour le compte de l’Éne peut être tat et de ses établissements publics, les présent sur tous les terrains programmes de santé publique arrêtés par le gouvernement, n’inscrit dans son catalogue d’actions de la lutte contre le tabac qu’une invitation lancée aux Français à partager « une bonne résolution pour 2006 »… celle « d’arrêter de fumer ». Le moteur de recherche de son site Internet ignore toujours pour l’heure l’acronyme BPCO. Les cinq partenaires du collectif vont désormais inviter les Français à se préoccuper de leur capital souffle et les médecins à procéder, un Piko (appareil de mesure électronique) en main, à la mesure de ce dernier, comme ils prennent la tension de leurs patients avec régularité. Ces deux campagnes, financées sur fonds privés de l’industrie pharmaceutique, signent sans doute une des opérations de dépistage et de prévention menée sur une pathologie parmi les plus importantes de ces dernières années. Plus largement, elles traduisent l’engagement des entreprises du médicament dans un secteur qu’elles ne peuvent plus ignorer, celui de la santé publique. Faites le 15. Chez Boehringer Ingelheim, partenaire de la première heure de l’« Opération Souffle » précitée, et qui a déjà dans son portefeuille une molécule pour lutter contre la BPCO au stade précoce, commercialisée en France avant cet été, une autre campagne sur la maladie a commencé en janvier chez les généralistes. Avec un temps de retard sur GSK, mais aussi avec d’autres moyens. « Le Medec du mois de mars servira à cet égard de point d’orgue pour une campagne nationale de formation des généralistes », commente Michel Dailly, responsable des relations extérieures du laboratoire allemand. Ce dernier n’en est pas un son coup d’essai sur le terrain de la santé publique : dans un passé récent, il s’est engagé sur les urgences cardiaques avec un « faites le 15 » aussi utile qu’indispensable en cas d’infarctus. Sans compter le soutien apporté à la cause du sida ou encore à celle de parkinson. « Pour faire avancer la santé », sur un registre analogue, le laboratoire Eli Lilly s’est doté, il y a quinze ans, d’un Institut éponyme, visant à soutenir la recherche par l’attribution de bourses, mais aussi à développer des programmes de formations et d’information, tant pour les professionnels de santé que pour les patients. Pour son anniversaire, en octobre dernier, l’Institut Lilly a mobilisé les 25 000 salariés de la filiale française du groupe dans deux actions de solidarité au profit d’associations de malades (France Alzheimer et NRB Vivre le cancer), toutes deux dédiées à l’accompagnement du patient et au soutien de son entourage. Cette opération baptisée « 15 minutes pour 15 ans » a permis de récolter 50 000 euros. « On a senti ici le cœur des collaborateurs de Lilly qui s’engageaient sur le terrain d’une action de santé publique », explique Agnès Viard-Renard, manager en charge du département communication de Lilly France. Les pathologies auxquelles l’Institut apporte son soutien sont nombreuses (neurologie, psychiatrie, cancérologie, diabétologie, ostéopo- Cancer du sein, diabète, VIH : une gamme d’actions ciblées Les exemples d’engagements des laboratoires dans le champ de la santé publique sont légion. Président du directoire de Novartis Pharma, Eric Cornu confirme ainsi celui de son entreprise aux « progrès de la santé publique ». Dans ce cadre, il a lancé en novembre 1999 une opération originale destinée à mieux connaître les familles de cinq générations en France (nées entre 1893 et 2000) et comble un manque, car les organismes d'études démographiques savent peu de choses sur le thème de ces familles « pentagénérationnelles ». En septembre 2002, pour la neuvième édition du mois du cancer du sein destiné à sensibiliser et informer les femmes sur l’importance du dépistage précoce, le laboratoire a lancé une autre étude, dénommée FACE/Novartis, menée auprès des patientes atteintes d’un cancer du sein non métastatique, de leurs conjoints et, pour la première fois, de leurs enfants âgés de plus de 18 ans. « A travers les différentes études de proximologie*, Novartis souhaite participer à une meilleure connaissance des facteurs environnementaux qui président à l'efficacité des soins », commente Patrick Bonduelle, directeur des relations extérieures et responsable du service santé et proximologie du laboratoire. L’américain Abbott, engagé de longue date dans le VIH, accompagne également les patients atteints de diabète avec la mise à disposition de brochures et d’outils pédagogiques (tel « Nutrition, faire ses courses ») créés à leur attention. Il œuvre également à la prévention du VRS (virus respiratoire syncitial ou bronchiolite du nourrisson) et soutient les parents d’enfants prématurés. Egalement sur le terrain du diabète, Sanofi Aventis a lancé en novembre dernier, avec l’AFD, une enquête nationale pour mieux connaître la qualité de vie des diabétiques sous le thème « retenez 7 et soyez en dessous… ». DR perspective * « Trilogie » auprès des parents d'enfants épileptiques, « Compas », auprès des conjoints de patients parkinsoniens, « Pixel », qui explore le rôle direct de l’entourage dans la prise en charge du malade d’Alzheimer ou encore « Codit » réalisée auprès des conjoints de patients en insuffisance rénale chronique terminale. Voir également le site Internet : www.proximologie.com FÉVRIER 2006 _ PHARMACEUTIQUES perspective 2/02/06 11:35 Page 57 SANTÉ PUBLIQUE p e r s p e c t i v e s 69 rose ou urologie) et chaque campagne s’appuie, avec les mêmes rigueur et éthique, sur des partenariats soigneusement construits : « Schiz’ose dire » pour sensibiliser le grand public à la schizophrénie et à sa prise en charge, dépistage du cancer du sein avec l’association « cancer du sein, parlonsen » fondée par Estée Lauder, prise en charge des femmes frappées par la maladie avec l’association « Etincelle », pour ne citer qu’elles. Le tout en se démarquant de toute démarche à visée commerciale, avec, un sein de l’Institut Lilly, un comité d’éthique garant de la transparence et de la bonne conduite des opérations. Acteurs de la chaîne de santé. Pour répondre à ce qui lui semble être depuis longue date une de ses missions, le laboratoire Schering Plough a créé dans ses murs en 1998 un département de santé publique, qui emploie sept responsables de projets à temps plein dans des domaines très variés : évaluation des prises en charge, nouvelles technologies de l’information, relations avec les associations de malades et éducation des patients, relations avec les institutions, ainsi que réseaux de santé et FMC. Partie très tôt et sans doute parmi les premières réellement engagées - sur le terrain de la santé publique, avec une structure ad hoc créée à cet effet, la filiale française du groupe américain s’est dans un premier temps focalisée sur deux urgences, la toxicologie et l’hépatite. « Les pouvoirs publics se sont rapidement rendus compte que les laboratoires n’étaient pas simplement des fournisseurs de produits, mais bien pleinement des acteurs de la chaîne de santé », explique dans ce registre Olivier Mariotte, directeur Économie et Affaires Publiques chez Schering Plough. Une position qu’il continue de revendiquer en menant pour l’heure une vaste opération de re-mobilisation des acteurs de la substitution aux opiacés, lancée en novembre dernier à Paris dans un forum baptisée « Agora » 4 et qui se poursuivra jusqu’en mars prochain dans sept « campus » régionaux, avant de se conclure dans une réunion de synthèse (« Pragma ») à Paris, visant à présenter les solutions retenues par ces mêmes acteurs face aux multiples problèmes que pose aujourd’hui la prise en charge des populations concernées. D’autres laboratoires se sont également dotés sur la période récente d’une « cellule de santé publique », tel le suisse Roche il y a un peu plus de trois ans. L’objectif affiché est d’engager le laboratoire sur le terrain de plus en plus défriché de la pharmaco-épidémiologie et de l’aiguiller sur l’utilité de ses médicaments innovants dans « la vraie vie ». L’époque est aussi aux nouvelles réflexions sur le bon usage des médicaments, sur leur évaluation et à la chasse aux gaspillages sous toutes ses formes. Surtout depuis le décret de 1999 relatif à l’évaluation du médicament sur la santé publique. Roche a répondu par des études (telle l’enquête ObEpi sur l’obésité et le surpoids en France), une approche collective et une stratégie ciblée sur les populations à risque. Ainsi, constatant un soutien insuffisamment efficace des médecins traitants dans la prise en charge de la maladie, Roche s’est lancé dans un vaste programme d’éducation des malades frappés de surpoids, accompagné de consultations de diététiciennes personnalisées et de conseils nutritionnels5. L’engagement du laboratoire - et de sa fondation d’entreprise - sur le terrain de la santé publique trouve encore d’autres illustrations dans les domaines du VIH, mais aussi de la dermatologie et de la grippe (dont actuellement la grippe aviaire avec l’impact que l’on sait). Il est aujourd’hui parfaitement légitime d’accepter que des intervenants privés, y compris les laboratoires pharmaceutiques, soient considérés comme des acteurs contribuant à la santé publique. Les maladies chroniques, étroitement associées au vieillissement de la population, constituent à cet égard un terrain d’action inépuisable pour les industriels du médicament. Car ces derniers sont désormais invités à participer étroitement à la vie de leur médicament. A sa « vraie vie », y compris dans un management aussi utile qu’efficace de ses destinataires, les patients. ■ JEAN-JACQUES CRISTOFARI (1) La SPLF pour les pneumologues de toutes formes d’exercice, du côté des représentants des malades : Asthme et Allergies, l’association BPCO, le CNMR et la FFAAIR (fédération de 40 associations) (2) www.capitalsouffle.fr (3) Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (4) Voir Pharmaceutiques 132, décembre 2005 : « Schering Plough veut remobiliser autour de la toxicomanie » (5) www.roche.fr Le leader mondial du médicament veut « être l’initiateur de solutions nouvelles permettant au corps social de faire face aux enjeux futurs ». Un engagement qu’il confirme parmi neuf autres inscrits dans son manifeste relatif à « la santé d’âge en âge » autour duquel il entend mobiliser nombre de partenaires extérieurs (associations de patients, fédérations de médecins, assurance maladie etc.) tout comme le personnel des différentes divisions de Pfizer France. Lancée en novembre dernier à la Bibliothèque nationale de France, l’opération « vise à sensibiliser tous les acteurs sur les bouleversements démographiques majeurs qui attendent notre pays et faire en sorte que l’allongement de la vie constitue un phénomène positif », confirme Véronique France-Tarif, responsable des relations avec les associations de patients chez Pfizer France. Au-delà des entretiens qui ont présidé au démarrage de l’opération, le laboratoire a entrepris d’accompagner des actions concrètes de santé publique, telle la semaine d’éducation sur la nutrition réalisée à Montrouge en octobre dernier ou encore DR Pfizer et « la santé d’âge en âge » la campagne de prévention du risque cardiovasculaire et de sensibilisation du grand public lancée en 2005 et qui a reçu le prix « prévention et éducation à la santé » du Medec en mars dernier. FÉVRIER 2006 _ PHARMACEUTIQUES