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0123
16 | éclairages
SAMEDI 20 FÉVRIER 2016
Brexit | par serguei
LaHavane, capitale
depuis cinq siècles
LIVRE DU JOUR
paulo a. paranagua
L
a Havane fascine les visiteurs car elle exhibe les
ravages du temps passé avec indolence. Les
changements en cours amènent à presser le pas
avant que le déferlement annoncé de touristes
américains ne la défigure davantage. Pourtant, ce n’est
pas l’histoire du dernier demi­siècle qui marque les traits
de la capitale cubaine. C’est l’accumulation de cinq cents
ans au cœur de la mondialisation, au carrefour de trois
continents, l’Europe, les Amériques et l’Afrique.
L’historien Emmanuel Vincenot remémore cette tra­
jectoire singulière dans un volume sur La Havane d’une
collection consacrée aux grandes villes. L’emplacement
stratégique fait de son port un passage convoité par les
corsaires français ou anglais. Ces fortifications sont les
empreintes les plus anciennes encore visibles. Le tabac et
le sucre assurent ensuite la prospérité durable de la colo­
nie et la splendeur baroque de La Havane, qui lui ont valu
d’être classée dans le patrimoine de l’humanité de
l’Unesco. L’envers de ce décor fastueux est l’esclavage
dans les plantations de canne à sucre. Le trafic négrier
donne à cette précoce globalisation sa dimension tragi­
que, perceptible dans le paysage humain de l’île.
VOCATION COSMOPOLITE
POLITIQUE | CHRONIQUE
par f r ançoi se f re ss oz
Sauve qui peut la gauche
P
lus François Hollande se veut rassem­
bleur, plus Manuel Valls tranche et dé­
coupe. Plus le président de la République
joue les Raminagrobis, plus son premier minis­
tre tente de s’extirper de ses filets.
Ainsi va le couple exécutif, à quinze mois d’un
rendez­vous présidentiel particulièrement ha­
sardeux, où rien n’est encore établi et où tout
prête à supposition. A commencer par cette
phrase, lancée par le premier ministre, lundi
15 février au soir, lors d’une réunion publique à
Corbeil­Essonnes (Essonne) : « Ma voie – à moins
que ce ne soit ma voix – correspond, plus que ja­
mais, à ce dont ce pays a besoin. » Si près de la pré­
sidentielle, il fallait oser clamer « ma voie ».
Manuel Valls a osé, car il est sur la défensive, pris
à revers par le remaniement ministériel du 11 fé­
vrier, qui n’était pas le sien. Un remaniement qui
semble le projeter deux années en arrière, avec le
retour au gouvernement de Jean­Marc Ayrault,
aux affaires étrangères. Et le voilà flanqué de trois
écologistes et d’autant de radicaux de gauche.
Tout ce replâtrage, voulu par François Hollande
dans la foulée du départ de Laurent Fabius, a été
fait pour démontrer que la gauche ne s’est pas ré­
duite comme peau de chagrin, que ses bouts
épars peuvent encore être raccommodés, que le
président sortant a encore une chance de ras­
sembler son camp, alors que les résultats tar­
dent, et qu’une partie de la gauche se sent trahie.
OPÉRATION RAFISTOLAGE
Mais il est la négation de tout ce que M. Valls avait
défendu et obtenu en mars 2014, lorsqu’il avait
conquis Matignon dans la foulée du désastre mu­
nicipal : gouverner sur une ligne claire, en visant
la cohérence et la constance. Alors, le premier mi­
nistre se débat. Il tente de s’extirper de cette opéra­
tion rafistolage que les Français ont jugée sévère­
ment et qui menace de l’entraîner, derrière le pré­
sident, dans les abysses d’impopularité.
De nouveau, Valls fait du Valls. Il assume, brava­
che, sa fermeté sur l’immigration, se revendique
« républicain » et « social­réformiste », défend le
triptyque « sécurité, laïcité, baisse du coût du tra­
vail », qui est sa ligne depuis qu’il est à Matignon. Il
prévient qu’il restera un briseur « de tabous » jus­
qu’à la fin du quinquennat. Ce faisant, le premier
ministre attaque bille en tête la vieille gauche,
tout en prenant soin de se positionner nettement
moins libéral que son très populaire ministre de
l’économie, Emmanuel Macron, qui commence à
lui faire de l’ombre.
Valls veut rester aux avant­postes de la recom­
position de la gauche et, pour tenter de rendre
l’opération irréversible, décrète la sécession : d’un
côté, la gauche qui « assume » ses responsabilités,
de l’autre, celle qui la « fuit ». Deux gauches « irré­
conciliables », martèle­t­il, dans une condamna­
tion sans appel de l’idée qu’une primaire, qui irait
« de Mélenchon à Macron », puisse être organisée
pour sélectionner le candidat en 2017.
Or le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean­
Christophe Cambadélis, n’y est pas hostile. Cer­
tains hollandais non plus, qui y voient un moyen,
pour le président sortant, de se relégitimer.
Du coup, deux stratégies semblent en concur­
rence au sein même du couple exécutif : d’un
côté, le replâtrage, de l’autre, le dépassement. Et
que le meilleur gagne ! 
La Havane conserve sa forte personnalité hispanique,
tout en se découvrant une vocation cosmopolite et les
ambivalences de la proximité avec les Etats­Unis. Ainsi, le
base­ball devient un signe de ralliement pour les indé­
pendantistes, tandis que le football rassemble les Espa­
gnols épris de la « Mère Patrie ». Les Cubains n’en sont pas
à un paradoxe près, puisque le XXe siècle poursuit l’amé­
ricanisation et stimule une modernisation bientôt assi­
milée comme un marqueur d’identité.
La Havane prérévolutionnaire rayonne, invente des
formules radiophoniques ou télévisuelles adoptées dans
toute l’Amérique latine et surtout des formes musicales
exportées partout. L’architecture moderne s’implante
dans les nouveaux quartiers résidentiels, aussi consubs­
tantiels à l’énergie de la ville que la Vieille Havane. Cuba
contribue à l’émergence d’un tourisme de masse, avec le
soutien intéressé de mafieux désireux de blanchir leur
argent dans des activités légales. La nuit havanaise, évo­
quée avec brio dans les œuvres de l’écrivain Guillermo
Cabrera Infante, n’a jamais été aussi intense.
En 1959, l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro a tout bou­
leversé. « C’est comme si les amish s’étaient emparés de
Las Vegas », écrivait un magazine américain cité par
l’auteur. La métropole a été maltraitée, punie, comme si
elle symbolisait tous les travers. Pourtant, la lutte contre
la dictature de Batista avait coûté plus de vies à la résis­
tance urbaine qu’à la guérilla rurale. « Les Cubains n’en
font pas assez ou en font trop », disait le dirigeant indé­
pendantiste Maximo Gomez, fin connaisseur. 
Histoire de La Havane
Emmanuel Vincenot, Fayard,
794 pages, 29 euros
[email protected]
MÉDIATEUR | f ranck nouc h i
Au bonheur des correcteurs
O
n ne sait plus très bien quand com­
mença le pataquès. Disons début
février, lorsque les éditeurs de ma­
nuels scolaires firent connaître,
c’est du moins ce que rapportèrent certains
médias, leur souhait d’appliquer, dès la pro­
chaine rentrée scolaire, les recommandations
proposées en 1990 par le Conseil supérieur de
la langue française, et approuvées ensuite par
l’Académie française (époque Maurice Druon).
Peu importait que cette prétendue réforme
fût facultative, les communiqués de presse fu­
saient, vos lettres et courriels affluaient, la
confusion était à son comble.
Loin du tumulte, dans leur petit bureau du
boulevard Blanqui, les correcteurs du Monde
passaient au peigne fin le rapport « sur les rec­
tifications orthographiques », publié dans
Le Journal officiel du 6 décembre 1990. Le 8 fé­
vrier, par voie de courriel, la rédaction recevait
un ordre de marche signé Marion Hérold, la
« patronne » des correcteurs du journal :
« Pour l’instant, rien ne change pour nous, écri­
vait­elle. Lorsque sortira l’édition du Larousse
2017, nous verrons ce qu’ils ont entériné comme
changements et nous y réfléchirons ensemble. »
Le 4 février, sur leur blog « Langue sauce pi­
quante », Martine Rousseau et Olivier Hou­
dart, deux correcteurs du Monde.fr, s’en
étaient déjà donné à cœur joie : « On pourra
donc écrire “bientot” ou “dégat” sans se faire
taper sur les doigts. Les pervers pourront conti­
nuer à écrire “bientôt” ou “dégât”. Chacun fait
ce qui lui plaît plait. Tout cela ne concerne que
l’écrit puisque, chacun le sait, le flexe [accent
circonflexe] est muet. »
Lucien Jedwab, lui­même ancien chef des
correcteurs du journal, consacrait sa chroni­
que « Revu et… corrigé » de « M Le magazine du
Monde » (daté 13 février) à « l’affaire ». Sous le
titre « Inflexible », il implorait : « Cet accent cir­
conflexe qui a pris la place d’un “s” qu’on ne pro­
nonçait pas, je veux le voir encore sur “île”, rêver
des “isles”, évoquer son équivalent anglais, is­
land – et non pas Islande, cette terre de glace. »
« BATON ROUGE » OU « BÂTON-ROUGE »
Tous secteurs confondus (quotidien, cahiers de
fin de semaine, magazine et site Internet), le
service de la correction du Monde comprend
une vingtaine de personnes, salariées ou pigis­
tes. Responsable de ce que, dans notre jargon,
nous appelons la « marche maison » – c’est­à­
dire la façon dont le journal aménage au mieux
les règles d’orthographe et de typographie –, il
veille au respect des usages et des règles.
Grande consommatrice de dictionnaires,
Marion Hérold en connaît les moindres re­
coins. Saviez­vous par exemple que Le Petit La­
rousse orthographiait il n’y a pas si longtemps
« Baton Rouge » « sans flexe et sans div [trait
d’union] » ? Dans l’édition 2015, cette ville de
Louisiane est devenue « Bâton­Rouge ». De
même, « Detroit » (Michigan) est devenue
« Détroit » ; et « plate­forme », « plateforme »
sans que l’on y prête attention. Comme quoi,
réforme ou non, l’orthographe évolue en dou­
ceur, « naturellement ».
Difficile de résumer le travail des correcteurs
en quelques mots. En schématisant à l’ex­
trême, disons, pour ce qui est du journal, que
les uns travaillent sur le « froid », ces pages qui
sont montées la veille de la parution du jour­
nal, l’après­midi donc. Il s’agira aussi bien des
pages « Débats » que des suppléments tels que
« Le Monde des livres » ou le cahier « Sciences
& médecine ». D’autres se concentrent sur le
« chaud », en d’autres termes les pages d’actua­
lité qui sont éditées le matin en moins de trois
heures. Point important : ils participent au
bouclage de la « une » et relisent les morasses,
c’est­à­dire la version quasi finale de toutes les
pages du journal. Faute de temps suffisant, le
« chaud » n’est lu qu’une fois par la correction
(deux ou trois articles, arrivés in extremis,
échappent même parfois à toute relecture),
alors que le « froid » l’est deux fois.
La question était tentante : le niveau en or­
thographe des journalistes du Monde est­il en
baisse ? Verdict de Marion Hérold : « Même si
certains sont meilleurs que d’autres, ce qui ne
veut évidemment pas dire qu’ils sont de
meilleurs journalistes pour autant, je ne note
pas de dégradation. Cependant, en ce qui
concerne le niveau de langage, je regrette que
la langue parlée, avec ses impropriétés, ait ten­
dance à se substituer à la langue écrite. » En
termes souvent plus crus, vous aussi, chers
lecteurs, vous nous reprochez parfois une uti­
lisation abusive des néologismes. Sans parler
des fautes d’orthographe…
« La vocation d’un journal généraliste
comme Le Monde n’est pas de promouvoir les
réformes de l’orthographe ou d’aller au­devant
des changements et des modernisations de la
langue, comme celles que préconisent les “Rec­
tifications de 1990”, résume Marion Hérold.
Le Monde est un peu le reflet de la société dans
laquelle vivent ses lecteurs : anglicismes, fémi­
nisation des mots et simplifications orthogra­
phiques et grammaticales doivent être intro­
duits en douceur lorsqu’ils apportent un sup­
plément de sens, illustrent une réalité évidente
ou entérinent un usage incontournable. »
Reste enfin ce qui relève d’une forme d’es­
thétique personnelle. Dans sa dernière chro­
nique, mon confrère Benoît Hopquin plaidait
joliment en faveur de cet accent qui trône sur
son prénom : « Qu’on le supprime, notre élé­
gant chapeau chinois, et on nous verra rasler,
tempester, ester en justice, s’il le faut. Voilà mis
les points sur les i. » 
[email protected]
« “LE MONDE” EST UN PEU LE REFLET DE LA SOCIÉTÉ DANS LAQUELLE VIVENT SES LECTEURS »
MARION HÉROLD
chef des correcteurs
au « Monde »