omnipotence de la parole-texte.

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omnipotence de la parole-texte.
LE SON
Au cinéma, l'image prime et le son n'a pas d'existence propre
• Au cinéma (contrairement au clip), le son a rarement une individualité,
une existence autonome.
C'est pourquoi, dans les rapports entre le son et l'image, il vaut mieux
parler d'harmonie (rapport vertical, simultané, entre les notes, accords)
dissonante, que de contrepoint (rapport horizontal entre deux voix qui se
déroulent).
• Il n'y a pas littéralement de bande-son qui forme une unité : chaque
élément sonore noue avec l'image (y compris l'action, les personnages
etc…) des rapports plus forts qu'avec les autres sons.
==> possibilités peu explorée au montage :
- couper les sons comme les images, en faisant un montage "visible",
accentuant la discontinuité propre au travail cinématographique
(Godard).
- créer des rapports de nature abstraite et structurelle, comme
"quelqu'un écoute quelque chose" /cut/ "cette chose", gros plan.
Mais l'unité spécifiquement cinématographique est visuelle, c'est le plan.
• Il n'y a pas de "point d'écoute" : c'est bien le point de "vue" (ex: gros
plan) qui prime.
• Le son est mental, l'image peut se toucher.
Le son et l'espace
• Il y a au cinéma (écran) une aimantation spatiale du son par l'image.
Spatialisation mentale plus habituelle que la spatialisation réelle (hauts
parleurs).
• Mais l'on peut jouer sur la profondeur (sentiment d'éloignement de la
source).
• Varier l'extension de l'ambiance sonore au cours d'un film, ou d'une
scène.
==> Rear Window : soit la ville et le port résonnait autour de cette cour
dont on ne sort pas, soit recentrage sur l'appart, sans bruits de rue, et à
la fin concentration sur les pas du tueur dans l'escalier.
Problème du Dolby stéréo multi-pistes: pour resserrer l'extension sur un
point dans l'espace, il faut faire taire plusieurs hauts-parleurs.
• Plus le son est vaste, plus les plans sont intimes. Car l'effet de superchamp multipistes (ambiances qui peuvent provenir de hauts-parleurs
situés hors des limites de l'écran) a pour effet d'ôter au plan général son
rôle narratif.
==> Mission, Hair, Blade Runner…
Le travail sur le son est un travail sur le temps
• L'arrivée du son au cinéma :
- Le son a imposé une stabilisation normative de la vitesse de
déroulement du film à la projection (les plans du cinéma muet n'avaient
pas de durée interne exacte).
==> pour "rendre" à l'image son élasticité temporelle initiale, pour sortir
du "temps quotidien", penser à enlever le son (direct en tout cas).
- Le son direct impose à une succession d'images un temps réel,
linéaire, successif (ex : plans de réaction dans une foule : sans le son,
les réactions peuvent être comprises comme simultanées). Il vectorise
le temps (un son a un sens, avec début, milieu, fin, plus qu'une image).
• Perception des mouvements et de vitesse
- Le son implique forcément un déplacement.
Sauf fixité de certains sons artificiels (bruit blanc). Torrents, chutes
d'eau (mais irrégularités --> mouvement).
- La perception auditive est plus rapide que la vision.
Nous n'entendons les sons qu'un peu après que nous les ayons perçus.
==> films de kung-fu : le mouvements rapides sont pointés par des
ponctuations sonores (traces audiovisuelles, moins de confusion).
==> Star Wars : les portes coulissantes font un chuintement
pneumatique très dynamique à l'ouverture. Face au montage image cut
porte fermée/ porte ouverte, le spectateur, par l'enchaînement du son,
croit voir le mouvement d'ouverture.
Ce que l'on entend, c'est ce que l'on n'a pas eu le temps de voir.
Le coup, par exemple.
==> à transgresser, en allant
soit dans la perception réaliste la plus confuse et filante (Capitaine
Conan),
soit dans la manipulation redoublée du réel (Raging Bull : le temps
de voir au ralenti puis d'entendre les coups en réel accentué),
soit dans l'ancrage accentué de la perception visuelle et le
sabordage la perception auditive (ex : ralentis silencieux).
De toute façon, le coup, point d'agrafage, de synchronisation, est ce qui
permet qu'autour de lui, le temps gonfle, plisse, bouffe,se tende, s'étire
etc…
« Un intervalle de temps qui sépare deux sons brefs est toujours estimé
plus court qu’un intervalle de durée identique mais meublé par un son
continu. Les sons nous semblent en général durer plus longtemps que
des signaux lumineux de même durée. Pour notre cerveau, les bruits
« traînent » donc davantage en longueur que les lueurs ou les
flashes… »1
- Fréquences aigües dans les films récents
d'accélération temporelle, de temps présent.
==>
sentiment
- Le "mickey-mousing" : bruiter les trajets rapides avec des trajectoires
musicales (traits montants et descendants), des ponctuations
instrumentales (coups, chutes, portes qui se ferment).
==> Tex Avery
- Vers la trans-sensorialité : les sens sont des canaux plus que des
terres. L'exemple de la perception du rythme : Ridley Scott inverse les
qualités de perception : de grandes nappes sonores larges et
résonnantes avec un fourmillement de la texture visuelle, transposition
de la vélocité sonore dans l'ordre du visuel.
==> Legend : taches de lumières mobiles et chatoyantes d'un sousbois Blade Runner : phares de véhicules volants qui balaient un
appartement, light-show stroboscopique etc…
1
Etienne Klein, « Les tactiques de Chronos », 2004
La représentation sonore
• Autant la caméra est présente plus ou moins discrètement, autant le
micro semble devoir être exclu de la représentation mentale du
spectateur.
==> accentuer les effets "voix de dos" (moins d'aigus, car ils se
propagent de manière plus directionnelle que les graves).
• Le rendu "moderne"
- Une plus grande définition (présence et réalisme) a été rendue possible
par le gain en fréquence aigües.
- La conception des salles nouvelles associé au label THX de Lucas,
c'est du son individuel agrandi : stable, défini en aigus, puissant en
volume, contrasté en dynamique et très peu réverbéré : une grande
puissance sèche.
Contrairement au réel, pas de distortion dans les graves, pas de
vibrations : c'est le pouvoir technique d'isoler et de maîtriser.
• Vrai et vraisemblable sonore
- Le risque du direct : l'intrusion de sons (et d'images) non scénarisés.
- L'effet de réalisme peut être renforcé
==> Alien : jeu sur l'inconfort acoustique (fluctuation du signal,
brouillages, bruits de micro etc…)
- Utilisation du son pour rendre l'expérience sensorielle réelle composite
Ex : une voiture passe en trombe ; comment rendre le déplacement d'air,
la vibration au sol etc… ? Accentuer le son pour rendre la violence et la
soudaineté de la sensation.
- Le son peut être utilisé pour tirer la perception vers la matière et le
concret (un piano désaccordé, une fausse note chantée, certaines
musiques africaines accusent l'origine matérielle du son).
Le son, moyen insidieux de manipulation affective et sémantique
• Les sons s'imposent plus que les images dans la mesure où le
spectateur peut (et sait) encore moins sélectionner dans la bande-son
que dans le cadre (voire dans la salle de cinéma).
• Le renforcement ou au contraire le gommage des indices matérialisant
dans les sons contribuent à créer un univers :
- Certains réalisateurs nous plongent dans l'ici-bas avec des pas
traînants de godasses (Bresson) ou des toux souffrantes et des
respirations pénibles (Tarkovski)
- D'autres nous donnent une perception aérienne subtile en les gommant
:
==> Les Vacances de M. Hulot : le "klonk" de la porte battante du
restaurant est abstrait, dématérialisé
• Le son peut suggérer l'horrible de façon plus impressionnante que si
on l'avait sous les yeux :
==> Andréï Roublev : huile bouillante versée par les Tatars dans la
gorge du prince russe. Bruit de gargarisme affreux (d'autant plus que
juste avant, sa bouche avait maudit ses tortionnaires).
• Un son accidenté et tressaillant, au rythme irrégulier (déroulement
imprévisible), bien défini dans les aigues agacera l'attention, mettra en
alerte.
• Le silence absolu : effet "subjectivant" : on se trouve dans la
subjectivité d'un personnage absorbé par son histoire personnelle".
==> All that Jazz : Infarctus du héros ; Shine : crise en plein concert
• La musique peut être empathique ou indifférente à la situation. Dans
ce cas, cela peut redoubler l'émotion (dégagée par les personnages
etc…).
Un bruit aussi (douche, Psycho) peut continuer, comme si de rien n'était.
• Personnages mystérieux, bavards et cachés :
omnivoyants, onmipotents :
==> Psycho (la mère), 2001, a Space Odyssey (Hal 2000)
Vers un cinéma sensoriel
omniscients,
• Utiliser la capacité de vide : le Dolby stéréo augmente la possibilité
d'un creux, d'un vide dans le son, en même temps qu'il élargit l'espace
susceptible d'être rempli.
• Rendu des sensations (poids, vitesse, résistance, matière, texture)
grâce au Dolby, pour réintroduire un sentiment aigu de la matérialité des
choses.
• On retrouve (cf le cinéma muet) l'importance des bruits ; de fait, la
parole n'est plus centrale mais réinscrite dans un continuum sensoriel
global.
Apprendre de la télévision, radio illustrée (l'image est en plus).
• Le primat du son
- une télévision muette est inconcevable.
- des sons hors-champ (voix) se parlent entre eux en court-circuitant le
visuel.
- des têtes en gros-plan au téléobjectif avec voix lointaines et
indistinctes.
• L'image vidéo est plus proche du temps
- L'image vidéo est mouvement (balayage) car moins d'inertie.
La grâce au cinéma (comédie musicale) se conquiert sur la lourdeur du
dispositif. En vidéo, cette légèreté est déjà donnée, et le problème est
au contraire de donner du poids aux choses.
- Le papillotement visuel des clips et jeux vidéo atteint la rapidité de
l'auditif : ce sont les changements d'alllure de l'image qui deviennent
signifiants.
Ainsi tout ce qui relève du son au cinéma (fines vibrations, fluidité,
mobilité perpétuelle) est déjà dans l'image. D'où, moins de travail sur le
son.
• Du clip au cinéma
- Ce qui ressemble le plus, sur le plan visuel, à la simultanéité
polyphonique du son ou de la musique, c'est la succession rapide
d'images une par une (au lieu de carrément fractionner l'écran, trop
petit).
La mémoire du spectateur fonctionne alors comme un mélangeur idéal
d'impressions visuelles.
- L'usage du mot dans les clips : il se promène librement, entre l'écrit et
l'oral.
La parole
• Pourquoi toujours rechercher à rendre l'intégralité d'un dialogue? Le
monde est mobile et en clair-obscur.
• La classique omnipotence de la parole-texte
- Pourquoi, dès le scénario, constituer la parole des personnages en
action centrale, tout en œuvrant à faire oublier que c'est cette parole qui
structure le film ?
==> Le roman d'un tricheur : omnipotence de la parole-texte.
- Au début du cinéma parlant, on a joué avec une parole-texte
généralisée, en la confant dans l'action à n'importe quel personnage et
à n'importe quel moment
==> M, Le testament du Dr Mabuse
• Le hiatus entre la parole-texte et l'image-concret
Ce sont les cinéastes qui s'intéressent particulièrement à la question du
pouvoir qui créent des contraductions, des vides et des grincements
entre la parole narrtive et l'image
==> The Magnificent Ambersons (Welles), La Lectrice, Voyage en douce
(Deville), Lettre à Freddy Buache (Godard) : ici, texte errant, peu de
rapport direct et synchrone de sens entre le discours et l'image.
• Relativiser la parole : vers un cinéma polyphonique
- Emanation des personnages, la parole n'est plus qu'un aspect d'euxmêmes (au même titre que leur silhouette), pas central pour la mise en
scène et l'action. Le monde n'est pas réduit à la fonction d'incarner un
dialogue.
- Les dialogues ne sont pas totalement intelligibles, les articulations du
texte, les mots importants, les hésitations ne sont pas soulignées (par
le cadrage et le découpage).
- Opposer au sens des mots une vision parallèle ou contradictoire.
- Faire émerger la parole puis la faire sombrer dans une houle de bruits,
musique, conversations…
- La faire proliférer ou ne la faire entendre que rarement.
- Capter deux enregistrements simultanées de la même voix au
tournage : l'un très défini, l'autre moins. Puis, au mixage, passer
subtilement de l'un à l'autre, au gré des besoins : réaliser un clairobscur verbal.
- Polyglottisme ou emploi d'une langue étrangère…
- Faire un gros plan de mot
==> Blackmail (Hitchcock) : la criminelle entend une voisine bavarder
sur le crime et seul le mot "knife" émerge.
- Décentrage : on respecte la clarté et l'intelligibilité du texte, mais rien
n'est centré sur les dialogues (mouvements et jeux des acteurs,
cadrage, découpage…) : ceux-ci vont de leur côté et le reste du sien.
ex : Fellini, Tarkovski, Scorsese (voix off de Goodfellas).
Contre-ex : Godard (chez qui le texte reste le centre de l'attention)

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