2011 Valeurs Actuelles. Tous droits réservés. - Maitre Jean

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2011 Valeurs Actuelles. Tous droits réservés. - Maitre Jean
SOCIÉTÉ
maîtres
Les
du
Justice Dupond-Moretti, Vergès, Metzner,
Leclerc, Badinter : de grands avocats, à coup
sûr. Mais comment travaillent-ils ? Et quel est
leur secret pour convaincre ?
Deux livres
nous les font
découvrir.
Par G ILLES GAETNER
barreau
L
e monde des avocats a toujours fasciné.Qui ne se souvient des fameux dessins
de Daumier ou de René
Floriot, l’un des plus célèbres avocats du XXe siècle ?
Sous la III e République,
quand l’Ena n’existait pas,
les avocats régnaient en
maîtres au Parlement. Sous
la Ve, ils se sont effacés au profit des
hauts fonctionnaires. Avant de revenir
en force en politique. C’est même une
folie : ne voit-on pas des députés,
les François Hollande, Noël Mamère,
CatherineVautrin,Jean-François Copé,
François-Michel Gonnot, prêter serment ? À deux reprises depuis 1958,un
avocat a succédé à un énarque à la présidence de la République : en 1981,François Mitterrand, à Valéry Giscard d’Estaing ; en 2007, Nicolas Sarkozy, à
Jacques Chirac…
Ce n’est pas un hasard si, depuis
quelques années, des séries télévisées
comme Avocats et Associés connaissent
un franc succès.
Deux livres viennent d’être publiés sur
ceux que l’on appelle les “bavards”. Le
premier,Parcours d’avocat(e)s,a eu l’excellente idée de nous faire découvrir
l’itinéraire de dix grands maîtres
du barreau. Un choix forcément arbitraire puisque la France compte près
de 50 000 avocats. Pourtant, cet
ouvrage écrit par deux auteurs
(Christophe Perrin et Laurence
Gaune) qui ne sont pas journalistes
judiciaires, et donc a priori peu familiers des prétoires, est une réussite. D’abord parce que le récit fait
par les dix avocats s’apparente à une
introspection, à une sorte d’autoanalyse où chacun raconte avec
beaucoup de liberté les dessous
d’un métier qui tantôt fait peur
(ah ! les honoraires), tantôt suscite
une grande admiration. Ensuite,
ce livre, très facile d’accès – tous
les candidats-avocats devraient le
lire–,comporte une partie pédagogique qui traite des définitions juridiques que l’on se doit de savoir… sous
peine de passer pour un inculte.
De toutes ces vies,l’une apparaît totalement atypique : celle d’Éric DupondMoretti,du barreau de Lille,mais dont
la notoriété dépasse largement le nord
de la France.Imposant,voix de stentor,
réputé pour son caractère volcanique,
remarquable orateur,Dupond-Moretti
n’est pas, comme on dit, fils d’archevêque. Tant s’en faut. Ses études, il les
poursuit en travaillant dans des boîtes
de nuit ou des restaurants.
Il a même creusé des caveaux dans les
cimetières… Au bout d’un an de pratique professionnelle,Dupond-Moretti
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s’installe.Modestement.Dès lors,l’avocat lillois ne va cesser d’arpenter la
France, de tribunaux en tribunaux.
C’est évidemment lors de l’affaire
d’Outreau que la France entière découvre sa flamme et son talent, lors de son
audition par la commission d’enquête
parlementaire sur ce drame.Avec force,
il dénoncera la piteuse instruction du
juge Fabrice Burgaud qui conduisit à
l’incarcération pendant de longs mois
de treize innocents.
Autre avocat atypique dont on parle
beaucoup ces temps-ci : Olivier Metzner. Au départ, rien ne prédestinait ce
fils d’agriculteurs de l’Orne à choisir le
barreau.Jusqu’à ce qu’il lise le Procès de
Maxime Lévêque, ex-président du
Crédit Lyonnais, de Jean-Marie Messier, ancien patron emblématique de
Vivendi, et tout récemment de Dominique de Villepin, dont il obtient
en première instance la relaxe dans
l’affaire Clearstream. Ou encore de
Jérôme Kerviel, le trader qui fit perdre
4,9milliardsd’eurosàlaSociétégénérale.
Une compétence multicartes
et une grande pugnacité
Olivier
Metzner,
avocat
de nombreux
patrons,
aujourd’hui
conseil
de Dominique
de Villepin.
Ci-dessous,
Henri Leclerc,
une référence
emblématique
pour de nombreux confrères. Page
de gauche,
Éric DupondMoretti,
l’un des
grands tribuns
du barreau.
PHOTOS : LANCELOT FREDERIC/SIPA - MORIN/IP3 PRESS/MAXPPP - YOAN VALAT/MAXPPP
Avec Gilles-Jean Portejoie, du barreau
deClermont-Ferrand,c’estuntoutautre
avocat que nous découvrons. Certes,
il affiche un point commun avec les
deuxprécédents–uneoriginemodeste.
Certes, il a, comme eux, connu le déclic
qui lui a fait embrasser la carrière :
la légendaire émission de télévision de
Pierre Dumayet, En votre âme et conscience.Lespointscommunss’arrêtentlà,
carM.lebâtonnierPortejoie–ill’aétéen
1987 et en 1988 – affiche une compétencemulticartes.Ilfaitdanslapolitique,
puisqu’il est le défenseur attitré de
Michel Charasse et a également été le
conseil de l’ancien député socialiste des
Vosges,Christian Pierret.Il a occupé un
temps les fonctions de premier adjoint
au maire de Clermont-Ferrand.
Il fait également dans le showbiz puisqu’il fut il y a peu l’avocat de Johnny
Hallyday, soupçonné un temps de viol
avant d’obtenir un non-lieu.Il fut aussi
audébutdesannées2000l’avocatd’Éric
Vigne, accusé d’avoir assassiné par
étouffement son épouse,la célèbre Lolo
Ferrari.Grâce à une formidable pugnacité,Me Portejoieobtiendraunnon-lieu
pour son client en février 2007.
Comment ne pas évoquer le maître,
l’exemple par excellence pour bon
nombre d’avocats ? C’est d’Henri
Leclerc dont il s’agit. Leclerc
le militant. L’avocat des
Le monde des avocats leaders étudiants de Mai 68.
L’infatigable défenseur de la
fascine. Qui ne se souvient liberté
de la presse. L’inédes dessins de Daumier, galable avocat d’assises qui
obtiendra l’acquittement du
ou du célèbre René Floriot ? médecin anesthésiste de Poitiers, Bakari Diallo, accusé
d’avoir entraîné la mort
procédure qu’il est l’un des rares à d’une de ses patientes en sabotant les
détecter. Dans les années 1980, il tuyaux d’anesthésie… Leclerc, qui
change de clientèle,devenant le conseil obtiendra encore l’acquittement de
privilégié des élites qui connaissent Richard Roman accusé d’avoir violé
quelques soucis avec la justice. C’est puis assassiné la petite Céline Jourdan.
ainsi qu’il devient l’avocat de Jean- Leclerc enfin, le fantastique orateur.
Kafka.Jusqu’à ce qu’il fréquente l’école
primaire où il découvre l’injustice…
Voilà en un raccourci presque caricatural les raisons qui le poussent à entrer
dans les années 1970 à la faculté de
droit de Caen.Il prête serment en 1975.
Pas de piston.Pas de maître.Pas de références : le jeune Metzner se débrouille
tout seul. D’abord, il défend quelques
voyous. Grâce à sa parfaite connaissance du code de procédure pénale, il
les sort de prison pour des fautes de
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MORVAN/SIPA
Robert Badinter,
le 17 septembre
1981, demandant
l’abolition
de la peine
de mort
à l’Assemblée.
L’égal d’un Émile Pollak ou d’Albert
Naud, qui fut son premier patron.
L’art oratoire,précisément,le chroniqueur judiciaire de France Info, Matthieu Aron, à la voix si limpide, a eu
l’idée de regrouper les Grandes Plaidoiries des ténors du barreau, et c’est le
second ouvrage.
Personne n’est oublié.Tous les maîtres
du barreau sont cités. De Gisèle Halimi
à Jean-Marc Varaut en passant par
Jacques Isorni, Paul Lombard, Gilbert
Collard, Jean-Yves Le Borgne, Éric
Dupond-Moretti, Jacques Vergès, l’inventeur de la fameuse “défense de
rupture”, et, bien sûr, Robert Badinter
qui, à l’occasion du vote de l’abolition
de la peine de mort, prononcera le
17 septembre 1981 un discours d’anthologieàl’Assembléenationale.Lequel
résonne encore dans les oreilles de tous
les députés présents ce jour-là.Qui peut
avoir oublié ces mots à jamais gravés
dans l’Histoire :« Je vous dirai pourquoi,
plus qu’aucun autre,je puis affirmer qu’il
n’y a pas dans la peine de mort de valeur
dissuasive : sachez bien que dans la foule
qui,autour du palais de justice de Troyes,
criait au passage de Buffet et de Bontems
“À mort Buffet ! À mort Bontems”, se
trouvait un jeune homme qui s’appelait
Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand je l’ai appris, j’ai compris
ce que pouvait signifier, ce jour-là, la
valeur dissuasive de la peine de mort ! »
Étonnantes, ces quelques lignes. Simples.Compréhensibles par tout le monde. Et très démonstratives.
Dans un genre différent – il n’avait
pas la fougue de Badinter –, mais tout
aussi efficaces étaient les plaidoiries de
Jean-MarcVaraut,aujourd’huidisparu.
« Pour plaider, il ne suffit pas de parler
commeonparle.Ilnesuffitpasd’unevoix,
d’un timbre et des choses à dire. Il faut
ordonnersondiscours.»Touteplaidoirie,
disaitVaraut,commenceparl’exordequi
doit donner aux juges l’envie d’écouter.
À cet égard, Jean-Marc Varaut était un
orfèvre. Écoutons-le, cet après-midi du
24mars1998,lorsqu’ilcommenceàplaider pour Maurice Papon : « Ce procès
tardif porte sur des événements, des actions, des abstentions et des instructions
quisesituentau-delàdudemi-siècle.C’est
comme juger en 1848 les acteurs de la
Terreur et le génocide de la Vendée ; en
1926, les communards pour leurs crimes
de1870etlesversaillaispourleursabominablesreprésailles ;en1972,lesexécutions
pour l’exemple de 1917. Comme si l’on
devait juger la complicité des autorités
françaises dans le génocide du Rwanda
en l’an 2052 »… Avec Varaut comme
avec Badinter, la pédagogie demeure
souvent–toujours ? – l’épine dorsale de
la plaidoirie.
“L’homme le plus respecté
peut être victime de la justice”
Jean-Marc Florand,qui connaîtra son
heure de gloire avec l’acquittement de
Patrick Dils, accusé d’avoir tué deux
très jeunes enfants, préfère s’en référer
à l’Histoire. Plus exactement aux citations de magistrats ou aux écrits de
grands anciens, comme ceux de René
Floriot. C’est ce qu’il fait ce 24 avril
2002 lorsqu’il se présente pour Dils
devant la cour d’assises des mineurs
du Rhône en citant des passages des
Erreurs judiciaires : « L’homme le plus
honnête, le plus respecté, peut être
victime de la justice. Vous êtes bon père,
bon époux, bon citoyen et marchez la
tête haute.Vous pensez que vous n’aurez
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jamais aucun compte à rendre aux
magistrats de votre pays. Quelle fatalité
pourrait vous faire passer pour un criminel ? Cette fatalité existe, elle porte un
nom : l’erreur judiciaire. Vous vous
croyez protégé par votre réputation, votre
réussite professionnelle, vos relations et
vous demeurez persuadé que l’erreur
judiciaire ne frappe que les humbles,
les êtres frustes, les malchanceux et la
mauvaise étoile. Rien n’est plus faux, elle
frappe les puissants et les humbles. »
Efficace,cette citation ! Surtout auprès
des jurés populaires d’une juridiction
criminelle.
Comment ne pas terminer une fois
encore par Éric Dupond-Moretti, qui
sait frapper là où ça fait mal. Là où les
jurés, enclins peut-être à ne pas épargner tel ou tel accusé, subitement se
disent : “Ah non, c’est trop, on ne peut
pas faire ça !” C’est sans doute ce qui
s’est passé ce 3 décembre 2008 devant
la cour d’assises du Gard qui jugeait en
appel un ancien international de rugby,
Marc Cécillon. Il avait tué sa femme
alors qu’il avait trois grammes d’alcool
dans le sang.Le cas Cécillon,c’est l’histoire de la dérive d’un homme qui a eu
du mal à assurer sa reconversion après
sa retraite de rugbyman. En première
instance, il a écopé de vingt ans de
réclusion.
Au cours de sa plaidoirie, DupondMoretti tente un coup de poker en
dressant un parallèle avec la mort terrible de Marie Trintignant.Voilà ce qu’il
dit : « Marc Cécillon a commis son crime
sous l’emprise de la passion, à un moment où il n’avait pas le contrôle de ses
actes. Quelle différence avec Bertrand
Cantat qui bat sa femme et qui prend
huit ans ? Cantat, il ne rencontrera pas
Cécillon en prison, il est sorti. La troisième circonstance atténuante, c’est sa
dépression. Mais il la soigne au pastis,
lui ! Ah ! bien sûr, on peut lui reprocher
de ne pas être allé voir un psy ! Mais vous
l’imaginez, vous, cette bestiasse, allez voir
un psy pour lui dire qu’il est devenu une
merde ? » La référence à Cantat sera
payante : Cécillon est condamné à
quatorze ans de réclusion.Six de moins
qu’en première instance.
À lire
Parcours d’avocat(e)s, de Christophe
Perrin et Laurence Gaune, éditions
Le Cavalier bleu, 208 pages. 18 €.
Les Grandes Plaidoiries des ténors
du barreau. Quand les mots peuvent
tout changer, de Matthieu Aron,
Éditions Jacob-Duvernet,
300 pages, 19,90 €.