Le rhumatisme alcaptonurique en Algérie

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Le rhumatisme alcaptonurique en Algérie
Société Française de Rhumatologie
Les Publications sélectionnées
Revue du Rhumatisme 73 (2006) 469-478
A propos de 14 cas dans 11 familles
Ochronotic rheumatismin Algeria : clinical, radiological, biological and molecular studies:
a case study of 14 patients in 11 families
Aicha Ladjouze-Rezig a, Santiago Rodriguez de Cordoba b, Robert Aquaron c,*
a Service de rhumatologie, hôpital Ben-Aknoun, route des Deux-Bassins, 16300 Alger, Algérie
b Departamento de immunologia, centro de investigaciones biologicas, consejo superior de investigaciones biologicas, Madrid, Spain
c Laboratoire de biochimie et biologie moléculaire, faculté de médecine, université de la Méditerranée, 27, boulevard Jean-Moulin,
13385 Marseille, cedex 05, France
* Auteur correspondant.
Adresses e-mail : [email protected] (A. Ladjouze-Rezig),
[email protected] (R. Aquaron).
Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine.
Reçu le 21 juillet 2004 ; accepté le 30 mars 2005
Disponible sur internet le 06 juillet 2005
Résumé
Objectifs
Confirmer le diagnostic de rhumatisme alcaptonurique par le dosage de l’acide homogentisique urinaire chez les 14 sujets examinés. Tenter d’établir une
corrélation génotype–phénotype chez les cinq patients ayant bénéficié d’une étude moléculaire du gène de l’homogentisate 1,2-dioxygénase.
Méthodes
Nous rapportons 14 observations d’alcaptonurie (dix hommes et quatre femmes) dans 11 familles algériennes. La consanguinité est connue dans
seulement trois familles (F = 1/16). Les mutations du gène de l’homogentisate 1,2-dioxygénase ont été identifiées par séquençage de l’ADN génomique.
Résultats
Le diagnostic d’alcaptonurie a toujours été confirmé par le dosage de l’acide homogentisique urinaire. Quatre mutations du gène de l’homogentisate
1,2-dioxygénase ont été mises en évidence : une mutation faux-sens, serine189isoleucine à l’état homozygote chez deux soeurs s’accompagnant d’un
phénotype peu sévère ; une mutation au niveau du site d’excision–épissage de l’intron 1 (IVS1–1G>A)à l’état homozygote chez un homme associée à
un phénotype sévère (décès à l’âge de 61 ans d’une insuffisance rénale) ; une mutation silencieuse, alanine470alanine à l’état hétérozygote chez un
homme avec un phénotype peu sévère ; une délétion de G en position c.819 conduisant à un décalage du cadre de lecture après Gly217 (Gly217fs) puis
à un codon stop en c.850. Cette mutation nouvelle est présente à l’état hétérozygote chez une femme de phénotype peu sévère.
Conclusions
Les deux mutations à l’état homozygote s’accompagnant respectivement d’un phénotype peu sévère et sévère, aucune corrélation génotype–phénotype
n’a pu être établie.
Mots clés : Alcaptonurie ; Acide homogentisique ; Homogentisate 1,2-dioxygénase ; Ochronose ; Rhumatisme alcaptonurique
Keywords: Alkaptonuria; Homogentisate 1,2-dioxygenase; Homogentisic acid; Ochronosis; Ochronotic Arthropathy
L’alcaptonurie est une maladie héréditaire rare qui se transmet suivant le mode autosomique récessif (Mac Kusick OMIM 203 500). Elle se caractérise
biologiquement par la présence d’acide homogentisique (AHG) dans le sang et les urines. Les urines conservées quelques heures au contact de l’oxygène
de l’air prennent une teinte brun-noire caractéristique de l’affection. Ce phénotype particulier permet de réaliser le diagnostic des les premiers jours de
la vie et a été décrit au début du siècle de 1901 a 1908 par Garrod [1–3].
C’est le premier stade de l’affection. L’acide homogentisique est un catabolite normal de la dégradation hépatique de la phénylalanine et de la tyrosine.
La présence d’acide homogentisique dans les urines est due à l’inactivation d’une enzyme, l’homogentisate 1,2-dioxygénase (HGD) causée par des
mutations du gène correspondant [4–6]. Cliniquement, cette affection se caractérise par une ochronose qui représente le deuxième stade évolutif de
l’affection entre 20 et 30 ans : apparition d’une coloration bleuâtre au niveau de la conque des oreilles et d’une coloration brunâtre de la sclère de l’oeil
puis par un rhumatisme dit alcaptonurique ou ochronotique qui représente le troisième stade évolutif entre 40 et 60 ans. Celui-ci touche principalement
les articulations coxofémorales, fémorotibiales et l’ensemble du rachis. Radiologiquement, on observe au niveau du rachis dorsal puis lombaire et
cervical un pincement des disques intervertébraux, des calcifications discales massives et étagées associées à une ostéoporose diffuse donnant une
image en bambou. On peut aussi mettre en évidence une image de vide discal, des ostéophytes exubérants et un pincement de l’interligne articulaire
avec une discrète condensation au niveau des articulations périphériques (hanches, genoux, épaules). L’isolement récent du gène de l’HGD et la
possibilité de mettre en évidence la ou les mutations de ce gène, ont permis de commencer l’étude des corrélations génotype–phénotype [5,6]. Comme
toute maladie autosomique récessive, l’alcaptonurie est plus fréquente dans les familles consanguines comme cela est souvent le cas dans les pays du
Maghreb : 29 % au Maroc, 40 % en Algérie et 49 % en Tunisie [7]. Trois cas d’alcaptonurie chez des sujets algériens ont été décrits en 1959, 1961 et
1992 [8–10]. Dans ce travail, nous rapportons l’étude clinique, radiologique et biologique de 14 sujets algériens appartenant à 11 familles. L’analyse
moléculaire a pu être réalisée chez cinq sujets. Neuf de ces cas ont été brièvement rapportés [11–13].
Alcaptonurie
Ochronose Rhumatisme ochronotique
Radio(D) Mutations gène
Cas Sexe Date
HGD
et
Urines brunes AHG
Oreille OEil Rachis Hanche Genoux Épaules Poignets
âge (ans)
mmol/l
au diagnostic
1
H
1986, 66
P
48
I
P
P
P
P
P
P
P
NR
2
H
1982, 45
P
10
P
P
P
A
P
P
P
P
NR
3
H
1992, 66
P
10
P
P
P
P
P
P
P
P
NR
4
H
1992, 67
P
5
P
P
P
P
P
P
P
P
NR
5B
H
1993, 52
P
5
P
P
P
P
P
P
P
P
A470A/I
6B
H
1993, 18
P
15
A
A
A
A
A
A
A
P
NR
7B
H
1993, 36
P
10
P
P
P
A
A
P
P
P
NR
8
H
1993, 46
P
50
P
P
P
A
P
P
P
P
NR
9C
F
1993, 36
P
10
P
P
P
A
A
P
A
P
S181I/S181I
10
H
1995, 57
P
3
P
P
P
P
P
P
P
P
IVS1–1G>A a
11C F
1998, 23
P
P
P
I
P
A
A
P
A
P
S181I/S181I
12
F
2001, 65
P
20
P
P
P
A
P
P
P
P
Gly217fs/I b
13
F
2002, 63
P
18
P
P
P
P
P
P
P
P
NR
14
H
2002, 54
P
10
P
P
P
P
P
P
P
P
NR
AHG : acide homogentisque ; HGD : homogentisate 1,2 dioxygénase ;A : absent ; B : no 5 est le père du no 6 et le frère du no 7 ; C : no 9 est la soeur du no
11 ;
D : calcifications des disques intervertébraux lombaires ; I : inconnu; NR : non réalisé ; P : présent.
a Homozygote
b fs : frame shift.
1. Méthodes
Ces 14 observations sont résumées brièvement dans le Tableau 1. Seules huit de ces observations (no 1, 2, 5, 9, 10, 12, 13 et 14) seront décrites.
La 1re observation a été réalisée dans le service de gastroentérologie de l’hôpital Nord à Marseille, les 13 suivantes dans le service de rhumatologie de
l’hôpital Ben-Aknoun à Alger.
1.1. 1re observation
M. Na. Hamou, âgé de 66 ans, était hospitalisé en février 1986 pour une cirrhose éthylique
décompensée. Il présentait depuis un mois une ascite avec ictère cutanéomuqueux, une
hépatomégalie de deux travers de doigt, un oedème des membres inférieurs et une asthénie
marquée. C’est fortuitementà l’occasion d’un examen cytobactériologique que l’on remarque des
urines brunes. C’est au cours de sa 3e hospitalisation pour hématémèse sur varices
oesophagiennes que l’on explore ses urines foncées : les recherches d’hémoglobine, de
myoglobine, de mélanine, de porphyrines, de sels et pigments biliaires sont négatives. La
chromatographie sur papier des acides phénoliques met en évidence une tache brune migrant au
niveau de l’acide homogentisique. L’évaluation semiquantitative de cette tache brune est estimée
à 48 mmol/l (valeur normale : 0). Le diagnostic d’alcaptonurie ainsi établi, les radiographies de
l’abdomen sans préparation et du thorax sont réexaminées et mettent en évidence des
calcifications typiques des disques intervertébraux et la présence d’ostéophytes paravertébraux
au niveau lombaire et dorsal. Le patient décède en mai 1986 de sa cirrhose. Il vivait seulà
Marseille et aucun renseignement sur sa famille vivant en Algérie n’a pu être recueilli.
1.2. 2e observation
M. Ch., Sal. Ed., originaire d’El-Oued est suivi pour arthrose dorsolombaire depuis 1982. Son
rachis était douloureux et enraidi avec perte des courbures physiologiques. C’est l’analyse de ses
clichés radiologiques (discopathies étagées avec pincement, calcifications et vide discal) qui nous
a incitésà regarder les oreilles, les yeux et les gencives où les signes d’ochronose ont été mis en
évidence ; conque des oreilles bleutée, tache brune temporale en croissant des sclérotiques,
coloration brunâtre des dents et gencives (Fig. 1A, B et C). Ses urines ont bruni à l’air libre et
l’acide homogentisiqueétait à 10 mmol/l. Le patient est revu en janvier 2004 : aspect bleuté du
voile du palais, son rachis est toujours enraidi et il présente une polyarthropatie (épaules,
genoux, chevilles) avec un souffle d’insuffisance aortique et une hypertension artérielle. Ses
parents sont cousins germains (coefficient de consanguinité F = 1/16).
1.3. 5e observation
M. Ou., Ko., Omar, âgé de 52 ans, originaire et demeurant à Tamanrasset, dans l’extrême sud
algérien est examiné en janvier 1993 pour coxopathie bilatérale évoluant depuis six ans. C’est un
Targui qui présente une ochronose typique (taches grises bleutées au niveau du visage, des
doigts et des ongles, des pieds, des points de pression, de l’abdomen, taches brunes en croissant
siégeant au niveau temporal et nasal des sclérotiques) une atteinte articulaire (hanches, épaules,
mains) et noircissement des urines à l’air. Les images radiographiques montrent un pincement
global de l’interligne glénohumérale de l’épaule droite et une érosion du mur postérieur du
calcanéum gauche sur les tibiotarsiennes de profil ( Fig. 2 ). Il a été traité par prothèse totale de
hanche et se porte actuellement bien malgré ces lésions. Le diagnostic d’alcaptonurie est
confirmé par le dosage de l’AHG urinaire à 15 mmol/l. Ses parents sont cousins germains. La
recherche des mutations du gène de l’HGD amis en évidence une mutation silencieuse située sur
l’exon 14,A470A (c.1388 G>A) à l’état hétérozygote et deux polymorphismes rares
(IVS13+51A/G et IVS3–52A>C) à l’état hétérozygote. Son frère, Omara, no 7 et son fils, El
Kader, no 6 sont aussi alcaptonuriques.
1.4. 9e observation
Mme Fe., épouse He., Samoucha, âgée de 36 ans, originaire de Djidjelli, est examinée en mars
1993 pour des dorsalgies chroniques étiquetées ostéochondrose vertébrale : une ochronose est
notée avec coloration bleuâtre de la conque des oreilles, du nez, du voile du palais et une tache
brunâtre des sclérotiques. Les radiographies mettent en évidence des pincements et calcifications
des disques intervertébraux au niveau dorsal. Ses urines noircissent à l’air. L’AHG urinaire est à
10 mmol/l. La recherche des mutations du gène de l’HGD a mis en évidence une mutation
faux-sens (c.733 G>T) à l’état homozygote située sur l’exon 9, serine189isoleucine (S189I). Les
parents sont cousins germains (F = 1/16). Sa soeur Malika, observation no 11 est aussi atteinte,
soit deux enfants sur quatre.
1.5. 10e observation
M. Sa., Nadir, âgé de 57 ans, originaire de Bouira, est hospitalisé en juin 1995 pour troubles de la
marche et une arthropathie des deux genoux. L’examen clinique a montré un défi-cit moteur des
deux membres inférieurs avec steppage, un syndrome pyramidal des quatre membres, une
raideur sévère du rachis cervicodorsolombaire, une arthropathie des deux genoux avec un
épanchement synovial. Il présente également une ochronose des conques des oreilles, des joues,
du nez et de la sclérotique ainsi que des tophus au niveau des oreilles et une coloration bleue
importante des paumes de la main ( Fig. 3 ). Les urines exposées à l’air brunissent et l’AHG
urinaire est à 3 mmol/l. Dans le liquide synovial clair on note la présence de cristaux d’urate de
sodium et de dépôt noir dûà la polymérisation d’AHG. Sa créatininémie est à 43 mg/l, l’uricémie
à 75 mg/l. Les clichés radiographiques montrent des images caractéristiques : pincement et
calcification discaux étagés et une ostéophytose exubérante sur l’ensemble du rachis avec un
bloc en C2–C3 et D10–D11. La tomodensitométrie (TDM) et l’imagerie par résonance magnétique
(IRM) retrouvent une étroitesse du canal rachidien cervical en particulier par saillie des
ostéophytes postérieurs et des calcifications discales refoulant la moelle épinière de C3à C5. Il
est traité par allopurinol (300 mg/24 heures), paracétamol (2 g/24 heures). Ce patient a subi
une laminectomie de décompression au niveau lombaire puis cervicale (constatation par les
chirurgiens de la coloration bleu noirâtre des disques intervertébraux, des ligaments avec une
compression du fourreau dural) sans résultats sur les signes neurologiques. Son insuffisance
rénale s’aggrave, la peau de son corps devient toute noire et il décède neuf mois après la
dernière intervention en 1999. Il présente une mutation au site d’excision– épissage de l’intron
1(IVS1–1G>A) à l’état homozygote.
Cette observation a été brièvement rapportée [12].
Fig. 1. A) tache brune temporale de la scl
érotique ;
B) coloration bleue de la conque de l’oreille
gauche avec tophus du pavillon et C)
coloration brune des dents et des gencives,
observation no 2.
(Disponible en couleurs sur :
http://www.sciencedirect.com).
Fig. 2. Radiographie montrant une érosion du
mur postérieur du calcanéum gauche
(calcanéite), observation no 5.
Fig. 3. Coloration bleue de la main droite,
observation no 10.
Fig. 4. Radiographie de profil du rachis centrée
sur L1–L4 : grosses calcifications irrégulières,
image de vide des disques intervertébraux,
observation no 13.
1.6. 12e observation
Mme, Ha., Djamila, âgée de 65 ans, originaire de Sétif, est examinée en janvier 2001 pour dorsolombalgies. Elle présente une raideur dorsolombaire
importante, une ochronose des oreilles et des sclérotiques. Les radiographies du rachis permettent de voir des pincements, des calcifications discales et
des ostéophytes étagés. Ses urines noircissent à l’air libre. L’AHG urinaire est à 20 mmol/l. Il n’y a pas de consanguinité dans la famille. Elle présente
une mutation à l’état hétérozygote : une délétion d’une baseGen c.819 qui entraîne un décalage du cadre de lecture après le résidu de glycine 217
(Gly217fs) et conduit à un codon stop en c.850 soit une protéine tronquée inactive de 227 acides aminés. La protéine normale contient 445 acides
aminés.
1.7. 13e observation
Mme Ou., Dénia âgée de 62 ans, originaire de Tiaret, mère de huit enfants, ménopausée à 42 ans, est orientée dans le service en 2002 pour
chondrocalcinose vertébrale. L’examen clinique a montré une anémie sévère, une ochronose siégeant au niveau des oreilles, des mains (lits unguéaux),
des sclérotiques, une hypoacousie, un rachis totalement enraidi en cyphose, une limitation douloureuse des épaules et une hydarthrose des genoux. Les
clichés radiographiques montrent des images associant pincement et calcification des disques à une ostéoporose sévère des vertèbres et des os
périphériques donnant l’aspect des os de verre, un bloc vertébral en L1–L2 ( Fig. 4 ). Les genoux et les épaules présentent aussi des pincements de
l’interligne articulaire et une discrète condensation des surfaces articulaires. L’ostéodensitométrie a montré un t score à –3,3. L’hémoglobine est à 62
g/l, la fonction rénale est normale et l’acide urique à 34 mg/l. Elle recevait 4 mg/jour de méthylprednisolone pour rhumatisme depuis plusieurs années.
La patiente a bénéficié de deux transfusions de sang total, de deux perfusions de 60 mg de pamidronate, et d’un traitement martial ce qui a amélioré
son état. L’AHG est à 18 mmol/l.
1.8. 14e observation
M. Be. Omar agé de 54 ans agronome, originaire et demeurant à Ghardaïa est examiné en 2002 pour polyarthropathie avec atteinte rachidienne évoluant
depuis huit ans. Ce patient a des antécédents de lithiase vésicale, de néphrectomie gauche, de calcification prostatique, d’hypertension artérielle et
d’insuffisance aortique. L’examen clinique met en évidence des signes d’ochronose au niveau des oreilles et des yeux, un rachis douloureux et enraidi,
une arthropathie des épaules, des poignets, des hanches et des genoux avec des images radiographiques caractéristiques du rachis, des images
d’arthrose aux hanches, genoux, épaules et poignets. Les urines noircissent à l’air libre et l’AHG urinaire est à 18 mmol/l. Ce patient a bénéficié d’une
prothèse de hanche ; la tête fémorale enlevée présentait une coloration bleue puis noire après exposition à l’air.
2. Discussion
Ce travail sur l’alcaptonurie et ses complications, ochronose et rhumatisme ochronotique, chez 14 sujets algériens met en évidence diverses
observations intéressantes dont certaines sont comparées avec les données de la littérature, en particulier les aspects moléculaires.
2.1. Age et circonstances du diagnostic
Le diagnostic d’alcaptonurie est souvent porté à un âge tardif, entre 36 et 67 ans dans 12 des 14 cas. Le sujet vient consulter pour des douleurs du
rachis dorsolombaire et la radiographie met en évidence les images caractéristiques de calcifications, de pincements, de vides discaux et parfois de bloc
intervertébral. Un examen attentif met alors en évidence l’ochronose de l’oreille, de l’oeil, de la peau, du voile du palais, des ongles. Le diagnostic est
enfin confirmé par la présence d’AHG dans les urines. Deux cas ont été diagnostiqués plus précocement à l’âge de 18 et 23 ans, car il s’agissait du fils
(7e observation) et d’une soeur (11e observation) de sujets alcaptonuriques. Le diagnostic peut être de découverte à la fois tardive et fortuite comme
dans notre 1re observation chez un sujet age de 66 ans hospitalisé pour un diagnostic de cirrhose alcoolique. C’est l’observation d’une urine brunfoncée
qui fait demander une exploration biologique approfondie de ce pigment. Les recherches classiques de dopa, de mélanine, de porphyrines, de
myoglobine et d’hémoglobine étant négatives, on s’oriente vers la recherche d’acide homogentisique qui est positive. Un autre type de diagnostic fortuit
a été à plusieurs reprises rapporté dans la littérature ancienne et en particulier chez un garçon algérien de 13 ans [8] et des enfants français à l’occasion
de séances de vaccination en milieu scolaire [14,15] ou lors du service militaire [16,17] lorsque l’on recherchait la présence de glucose dans les urines
par ses propriétés réductrices vis-à-vis de la liqueur de Fehling. La présence de sucre urinaire avec une glycémie normale éliminait le diagnostic de
diabète et faisait rechercher la nature de la substance réductrice qui s’avérait être l’AHG. Depuis que la recherche du glucose urinaire est réalisée par
une méthode n’utilisant pas ses propriétés réductrices, cette circonstance de découverte n’existe plus.
2.2. Sex-ratio
Bien que l’alcaptonurie soit une affection de transmission autosomique récessive, on constate une prédominance du sexe masculin dans notre étude, dix
cas sur 14 soit 71 %. De plus, les trois autres cas algériens cités dans la littérature [8–10]étaient également de sexe masculin. Cette prépondérance des
sujets masculins a déjà été rapportée par Garrod [2] en 1902 (28/40 soit 70 %), par Hogben et al. [18] en 1935 (100/151 soit 66 %), par O’brien et al.
[19] en 1963 (314/519 soit 61 %) et par Srsen [20] en 1979 (74/126 soit 59 %). En France, sur les 66 cas d’alcaptonurie colligés, on trouve 38
hommes soit 58% [11]. L’étude de Srsen montre que si l’on sépare les 126 patients d’après l’âge au moment du diagnostic en deux groupes le résultat
est le suivant : de la naissance à 15 ans on trouve 22/47 soit 47 %, après 15 ans on trouve 52/77 soit 68 %. La prépondérance des hommes est en
conséquence due au diagnostic tardif comme cela a été constaté dans le paragraphe précédent.
2.3. Alcaptonurie, goutte et insuffısance rénale
L’association alcaptonurie–goutte et/ou alcaptonurie– insuffisance rénale est retrouvée à plusieurs reprises dans la littérature [11,21–28]. L’insuffisance
rénale est responsable de quelques décès de sujets alcaptonuriques jeunes : 19 ans [23], 28 ans [11] ou plus âgés : 48 ans [9]. À l’autopsie, on trouve
macroscopiquement un cortex granulaire avec une distribution en foyer de pigment noir et microscopiquement un dépôt massif de pigment ochronotique
au niveau des glomérules et des tubules. On observe également une intima grise et une média avec des dépôts de pigment noir dans les artères rénales,
iliaques, fémorales et l’aorte. Il faut rappeler que le rein comme le foie contient de l’HGD et il est capable chez les alcaptonuriques de secréter
directement de l’AHG dans les urines [4]. Le rein est un organe clé dans l’élimination de l’AHG et il n’est pas étonnant de constater son atteinte chez les
alcaptonuriques. Dans l’insuffisance rénale la clairance de l’AHG est diminuée et contribue à sa toxicité. La transplantation rénale est quelquefois
nécessaire [11,25]. La prostate possède également une activité HGD importante en relation avec la présence de calculs prostatiques noirs [6,19]. Nous
avons retrouvé une atteinte rénale chez deux de nos patients : forme grave de rhumatisme ochronotique associée à une goutte qui secondairement a
évolué vers une insuffisance rénale mortelle à l’âge de 61 ans dans l’observation no 10 ; lithiase vésicale, calcifications prostatiques, néphrectomie
gauche dans l’observation no 14.
2.4. Consanguinité
Elle est connue avec certitude dans trois des 11 familles étudiées sous forme de mariages entre cousins germains, coefficient de consanguinité F = 1/16,
observations no 2,5–7 et 9–11). Elle est également retrouvée dans le cas de la famille algérienne étudiée par DePerreti et al. en 1960 [8]. La fréquence
des mariages entre cousins germains ou cousins seconds [19] dans l’alcaptonurie est déjà citée par Garrod [2] en 1902 (3/4) puis par Hogben et al.
[18] en 1935 (12/45). La consanguinité est quelquefois observée sur deux générations comme dans les observations 5, 6 et 7, voire sur trois
générations [29].
2.5. Transmission autosomique récessive
Ce type de transmission se retrouve dans huit familles sur neuf et dans un cas, observation no 6 sous forme pseudodominante. Cette forme qui en fait
correspond à une union entre un sujet alcaptonurique et un sujet normal hétérozygote se rencontre dans les familles consanguines. Quelques cas de
transmission pseudodominante ou transmission directe ont été rapportés dans la littérature sur deux générations au Liban et au Sri Lanka [29,30] et
exceptionnellement sur quatre générations successives en République dominicaine [31–33].
2.6. Mutations du gène de l’homogentisate 1,2-dioxygénase (HGD)
Le gène de l’HGD a été localisé chez l’homme en 1993– 1994 sur le chromosome 3 en 3q21-23 [6,34,35]. Cette caractérisation est issue du travail d’une
équipe madrilène portant sur un champignon ascomycète, Aspergillus nidulans, qui catabolise la tyrosine par une voie métabolique identique à celle de
l’homme [5]. Le gène humain est à présent complètement séquencé. Il est forme de 14 exons et code pour une protéine formée de 445 acides aminés
[36]. Les deux premières mutations du gène de l’HGD responsables de l’alcaptonurie chez l’homme ont été décrites en 1996 par le même groupe dans
deux familles espagnoles [6]. Il s’agissait de deux mutations faux-sens situées respectivement dans les exons 10 (c.855 C>T) et 12 (c.1066 T>G) qui
conduisent à la substitution d’un acide aminé par un autre acide aminé : proline230serine (P230S) et valine300glycine (V300G). Depuis cette date 71
mutations différentes ont été identifiées (Tableaux 2 et 3) chez environ une centaine de patients non apparentés originaires de divers pays : Allemagne,
Espagne, France, Hollande, Indes, Italie, Finlande, Japon, République dominicaine, Royaume uni, Slovaquie, Suisse, Tchéquie, Turquie et USA [37–52].
En dehors de la Slovaquie [43,47,48] où l’alcaptonurie existe avec une fréquence très élevée (1/25 00) [20] et qui présente des mutations spécifiques,
les principales mutations en Europe sont pour 68 % (48/71) des mutations faux-sens (Tableau 2) : les plus fréquentes sont : 28%pour
méthionine368valine (M368V) et 5%pourV330G et P230S. Pour plus de détails la liste des mutations du gène HGD peut être trouvée sur le site
http://www.cib.csic.es/en/index.php . Les autres types de mutations décrites dans le Tableau 3 sont des mutations non-sens (transformation d’un codon
normal en codon stop), des mutations affectant les sites donneurs 5’ GT(+) ou accepteurs 3’ AG (–) d’excision– épissage de la jonction exon–intron, des
insertions ou des délétions d’une base entraînant un décalage du cadre de lecture (fs : frame shift) et formation d’un codon stop prématuré.
Récemment, la structure cristalline de la protéine enzymatique HGD a été caractérisée et a permis de comprendre l’effet de certaines mutations sur la
diminution ou l’abolition de l’activité enzymatique [53]. L’enzyme actif présente une structure quaternaire. C’est un hexamère formé de l’association de
deux trimères. Le site actif contient un ion Fe3+ près
de l’interface entre les deux trimères. Cette structure biologiquement active nécessite de nombreuses liaisons non covalentes entre résidus d’acides
aminés (liaisons hydrogènes, salines, hydrophobes) pour maintenir la structure spatiale du monomère puis du trimère et enfin de l’hexamère. Cela
explique que les mutations faux-sens, responsables de l’alcaptonurie, soient les plus nombreuses (68 %). Les mutations V300G, P230S affectent la
structure spatiale normale du monomère comme la mutation S189I (serine189isoleucine) trouvée à l’état homozygote chez les deux soeurs Fe...
(observations no 9 et 11) et déjà publiée [40].
Le remplacement d’un acide aminé hydrophile, la serine par un acide aminé hydrophobe, l’isoleucine conduit à une molécule qui ne présente que 3,4 %
d’activité résiduelle [53]. Le phénotype de ces deux sujets âgés respectivement de 36 et 23 ans est peu sévère, vraisemblablement en raison de cette
activité résiduelle et/ou de leur jeune âge.
Tableau 2
Mutations faux-sens du gène de l’homogentisate 1,2 dioxygénase
Nom
Changement
d’acide
aminé
Exon
L4S
L25P
E42A
S47 L
R53W
W60G
L61P
Y62P
Y62C
P92T
W97R
W97G
C120W
A122D
A122V
F136Y
E143D
D153G
P158R
Q159H
G161R
E168D
E168K
K171N
Leu4Ser
Leu25Pro
Glu42Ala
Ser47Leu
Arg53Trp
Trp60Gly
Leu61Pro
Tyr62Pro
Tyr62Cys
Pro92Thr
Trp97Arg
Trp97Gly
Cys120Trp
Ala122Asp
Ala122Val
Phe136Tyr
Glu143Asp
Asp153Gly
Pro158Arg
Gln159His
Gly161Arg
Glu168Asp
Glu168Lys
Lys171Asn
1
2
3
3
3
4
4
4
4
4
5
5
6
6
6
6
6
7
8
8
8
8
8
8
a
Changement
de
nucléotidea
c.241
c.292
c.397
c.324
c.345
T>C
A>C
C>T
C>T
T>G
c.352 A>G
c.456
c.527
c.532
c.532
T>G
T>G
C>A
C>T
c.625 A>G
c.648 G>A
c.669 G>A
Références
Nom
Changement
d’acide
aminé
Exon
[49]
[43,45]
[40]
[47]
Non publiée
[41]
[49]
[49]
[41]
[49]
[49]
[40]
[50]
[41]
Non publiée
[49]
[49]
[40]
[49]
[49]
[37,43,47,48]
[49]
[38]
[49]
E178D
V181F
S189I
G198D
I216T
R225L
R225H
F227S
P230S
P230T
K248R
Q258P
G270R
D291E
H292R
V300G
S305F
W322R
R330S
G360R
G362E
M368V
H371R
E401Q
Glu178Asp
Val181Phe
Ser189Ile
Gly198Asp
Ile216Thr
Arg225Lys
Arg225His
Phe227Ser
Pro230Ser
Pro230Thr
Lys248Arg
Gln258Pro
Gly270Arg
Asp291Glu
His292Arg
Val300Gly
Ser305Phe
Trp322Arg
Arg330Ser
Gly360Arg
Gly362Glu
Met368Val
His371Arg
Glu401Gln.
8
8
9
9
9
10
10
10
10
10
10
10
11
11
11
12
12
12
12
13
13
13
13
13
Changement
de
nucléotide
c.708G>T
c.733G>T
c.814T>C
c.841
c.847
c.855
c.855
c.909
G>A
T>C
C>T
C>A
A>G
c.975 G>A
c.1040 C>A
c.1042 A>G
c.1066 T>G
c.1131 T>C
c.1157 G>T
c.1245 G>C
c.1269 A>G
c.1279 A>G
Références
[49]
Non publiée
[40], ce travail
[52]
[40]
[49]
[40,51]
[40]
[6,39,40,43,47]
[41]
[46]
[49]
[40,43,47,48,51]
[41]
Non publiée
[6,40,41,47]
[49]
Non publiée
[42]
[46]
[49]
[40–45]
[42]
[52]
Le changement de nucléotide n’a pas été indique dans les références [49] et [52].
Tableau 3
Mutations du gène de l’homogentisate 1,2 oxydase : anomalies de l’excision–épissage au niveau des sites accepteurs AG(–) ou donneurs gt(+) des
introns ou IVS, intervening sequences, changement du cadre de lecture (fs : frame shift) et mutations non-sens (codon stop)
Nom
Changement
attendu
Exon–intron
Changement
de
nucléotidea
IVS1–1G>A
Défaut d’épissage
Int 1
c.183–1G>A
IVS3–2G>A
IVS5+1G>T
IVS5+1G>A
IVS7+5G>A
IVS7+2T>C
IVS8–2A>C
IVS9–17G>A
IVS9–56G>A
IVS13+1G>T
F10fs
R58fs
L119fs
G152fs
T196fs
G217fs
M339fs
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
Défaut d’épissage
fs après Phe10
fs après Arg58
fs après Leu119
fs après Gly152
fs après Trp196
fs après Gly217
fs après Met339
Int 3
Int 5
Int 5
Int 7
Int 7
Int 8
Int 9
Int 9
Int 13
Ex 2
Ex 3
Ex 6
Ex 7
Ex 9
Ex 10
Ex 13
c.343–2G>A
c.509+1G>T
c.509+1G>A
c.636+5G>A
c.636+2T>C
c.727–2A>C
c.817–17G>A
c.817–56G>A
c.1355+1G>T
c.198GG>ATT
c.342delA
c.524insG
c.621insG
c.754delC
c.819delG
c.1183delT
Références
[41,43,47,48],
ce travail
[49]
[40]
[43,47]
[46]
[49]
[49]
[40]
[40,52]
Non publié
[40]
[40,42,48,51]
[49]
[37,43,46,47,48]
Non publié
ce travail
[49]
P370fs
A407A
L4X
S59X
R145X
R321X
a
fs après Phe370
Nouveau donneur
Leu4stop
Ser59stop
Arg145stop
Arg321stop
Ex
Ex
Ex
Ex
Ex
Ex
13
14
1
3
6
12
c.1278insC
c.1388 G>A
c.178 T>A
c.594A>T
c.1128C>T
[43,47,48]
ce travail
[49]
[49]
[49]
Non publié
Le changement de nucléotide n’a pas été indiqué dans la référence [49] pour S59X.
La mutation IVS1–1G>A, également trouvée à l’état homozygote dans l’observation no 10, affecte le site accepteur normal AG (–) d’excision–épissage
de la jonction intron 1–exon 2 qui est transformée en AA. L’intron n’étant pas reconnu, la biosynthèse de la protéine HGD s’arrête après l’exon 1 et
l’activité enzymatique est nulle. Le phénotype est sévère car ce sujet est décédé d’une insuffisance rénale à l’âge de 61 ans. Cette mutation déjà publiée
[40] a été également retrouvée chez un sujet français originaire du sud de la Pologne à l’état hétérozygote, chez un sujet américain [49], chez deux
sujets tchèques et six sujets slovaques [47,48 ]. La mutation IVS1–1G>A comme les mutations R58fs, P230S et V300G sont associées avec les mêmes
haplotypes et représentent vraisemblablement des mutations relativement anciennes qui se sont répandues en Europe au cours des différentes
migrations. L’observation clinique du sujet français originaire du sud de la Pologne âgé de 81 ans en 1993 mettait en évidence les signes classiques de
rhumatisme ochronotique en particulier une atteinte articulaire importante ayant conduit à un état grabataire mais que l’on peut considérer comme un
phénotype peu sévère en raison de son âge [54]. Dans trois cas slovaques originaires d’une région voisine du sud de la Pologne, cette mutation est
présente à l’état hétérozygote mais sans aucune description clinique [47,48].
La mutation silencieuse A407A (c.1388 G>A) située sur l’exon 14, dernier exon du gène HGD, a été trouvée à l’état hétérozygote dans l’observation no
5. C’est la seule mutation trouvée sur l’exon 14 et elle correspond soit à un polymorphisme soit à une mutation réelle par une anomalie de l’excision–
épissage de l’intron 13. Il n’a pas été possible de démontrer s’il s’agissait d’une mutation réelle. Plusieurs cas de mutations silencieuses responsables
d’une telle anomalie ont été décrits [55] comme celle responsable d’une glycogénose de type V ou maladie de MacArdle, K608K, c.1827 G>A dans le
gène de la myophosphorylase [56]. Chez ce sujet, no 5, on a mis également en évidence deux polymorphismes rares (SNP : single nucleotide
polymorphisme) du gène HGD : IVS3–52A/C et IVS13+51A/G.
La dernière mutation, trouvée à l’état hétérozygote, correspond à une délétion d’une base G en c.819 qui cause un décalage du cadre de lecture après le
résidu de glycine en 217 (Gly217fs), conduit à un codon stop en c.850 et aboutit à une protéine tronquée inactive de 227 acides aminés alors que la
protéine normale possède 445 acides aminés. C’est une nouvelle mutation. La 2e mutation est inconnue et le phénotype est peu sévère. Trois autres
délétions ont été décrites dans la littérature : c.342delA (R58fs) en Finlande, en Slovaquie et en Turquie [42,47,51] sans renseignement sur le
phénotype de ces patients, c.754delC (T196 fs) à l’état homozygote en France chez une femme d’origine portugaise âgée de 36 ans avec un phénotype
sévère (paraplégie de niveau L3 et syndrome de la queue-de-cheval bien qu’il soit difficile d’attribuer ces troubles à l’alcaptonurie) et c.1183delT
(M339fs) chez un sujet américain [49]. Il peut paraître difficile d’établir une relation phénotype–génotype car nous ne connaissons l’état homozygote
que chez deux de nos patients qui possèdent respectivement un phénotype peu sévère (S181I), peut être en relation avec les 3 % d’activité résiduelle
et/ou le jeune âge et un phénotype sévère (IVS1–1G>A) chez un sujet décédé à 60 ans d’une insuffisance rénale. De plus cette affection évoluant par
étapes, la gravité du phénotype est en relation avec l’âge : dès la naissance on observe une élévation du taux de l’acide homogentisique dans le foie,
puis dans la circulation générale et dans tous les tissus, l’élimination se faisant principalement par les reins et les urines. Les urines laissées à l’air libre
brunissent en quelques heures car l’acide homogentisique s’oxyde en 1,4-benzoquinone, pigment brun qui peut lui-même se polymériser et
s’insolubiliser. La quantité d’AHG éliminée dépend de l’apport protéique, en particulier de la quantité de tyrosine présente dans l’alimentation. Le 2e
stade apparaît aux environs de la 3e décennie. Il correspond à l’ochronose due au dépôt de pigment dans certains tissus conjonctifs visiblesà l’oeil nu
comme la coloration bleue de la conque de l’oreille et/ou brun noir de la sclère de l’oeil ou lors d’une intervention chirurgicale : coloration noire du
cartilage articulaire du fémur et du genou ou bleu noire de la valve aortique [57] ou lors d’examens biopsiques sur la peau ou les reins [23]. Le 3e stade
apparaît vers la 4e ou la 5e décade de la vie et correspond au rhumatisme ochronotique résultant de la dégénérescence des disques intervertébraux qui
se calcifient donnant l’image radiologique pathognomonique inversée : disques visibles et corps vertébraux invisibles. Dans deux travaux récents aux
USA et en Italie portant respectivement sur 58 et 9 sujets alcaptonuriques aucune corrélation entre mutations de l’HGD et la sévérité de la maladie n’a
pu être établie [49,52].
Notre étude sur le rhumatisme ochronotique chez 14 sujets algériens est caractérisée par un cas de découverte fortuite à l’âge de 66 ans au cours d’une
hospitalisation pour une cirrhose et de la recherche de la cause d’une urine brunâtre, par un cas de décès à l’âge de 61 ans des suites d’une insuffisance
rénale. Il est fait état de la consanguinité dans seulement trois des 11 familles. Dans deux cas les mutations du gène de l’HGD sont présentes à l’état
homozygote (S189I et IVS1–1G>A) et dans deux autres cas à l’état hétérozygote (A407A et Gly217fs), la deuxième mutation étant inconnue. À notre
connaissance un seul cas d’alcaptonurie a été publié au Maghreb en Tunisie [58] bien que le taux de consanguinité dans ce pays (49 %) soit proche de
celui de l’Algérie (40 %). Il est probable que les cas existent mais que le diagnostic n’est pas réalisé. Bien que l’alcaptonurie soit considérée comme une
maladie peu invalidante mise à part les atteintes articulaires à un âge avancé, il faut garder en mémoire les complications graves et quelquefois
mortelles comme l’atteinte vasculaire et l’insuffisance rénale. Il est donc conseillé de surveiller le coeur et les reins de ces patients à partir de 40 ans.
Remerciements
Les auteurs ont vivement apprécié la coopération de tous les sujets alcaptonuriques au cours de cette étude. Ils remercient très sincèrement les
techniciennes du laboratoire de biologie de l’hôpital d’enfants de la Timone à Marseille pour les dosages d’AHG urinaires et l’équipe du Dr Penalva du
CSIC de Madrid (Beltran-Valero de Barnabé D. et Granadino B.) pour l’identification des mutations du gène de l’HGO chez cinq de nos patients.
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© SFR - A. Ladjouze-Rezig et al. / Revue du Rhumatisme 73 (2006) 469–478