Discours d`inauguration du monument commémorant le centenaire

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Discours d`inauguration du monument commémorant le centenaire
Verrières-le-Buisson
Discours d’inauguration du monument commémorant
le centenaire du génocide arménien
- Samedi 18 avril 2015 -
Mesdames, Messieurs,
Alors que les troupes alliées tentaient en avril 1915 de débarquer à Gallipoli pour ouvrir un
second front et attaquer l'un des points faibles de l'Alliance, les autorités turques déclenchèrent
une opération de répression à l'égard des communautés arméniennes, considérées comme un
ennemi interne.
Le samedi 24 avril 1915, 650 Arméniens habitant Constantinople, appartenant essentiellement
aux élites de cette communauté (intellectuels, journalistes, médecins, avocats, ecclésiastiques,
...) furent enlevés par l'armée turque puis assassinés sur ordre du gouvernement.
L'ordre fut ensuite donné par le pouvoir en Turquie d'organiser des déportations massives vers
l'Est du pays.
D’avril 1915 à juillet 1916, les deux tiers des Arméniens qui vivent alors sur le territoire actuel
de la Turquie périssent au cours de déportations, famines et massacres de grande ampleur.
Les élites de la communauté arménienne furent systématiquement tuées. Les villages vidés de
leurs habitants. Les hommes, pour la plupart fusillés. Les femmes et les enfants, déportés à
travers le désert, épuisés par une marche sans fin, humiliés par les brimades et nombreux sont
ceux qui ne reviendront jamais.
Certes, le peuple arménien avait déjà subi bien des persécutions avant 1915. En 1894 puis en
1896, puis encore en 1909, des massacres de grande ampleur avaient déjà eu lieu.
Jean Jaurès s’en était ému dans un discours magnifique, hélas prémonitoire, à la Chambre des
députés.
Mais à partir du 24 avril 1915, comment appeler ces massacres, sinon un génocide…
Comment appeler autrement en effet une politique qui coûtât la vie à environ un million cinq
cent mille Arméniens d’Anatolie et d’Arménie occidentale. Des centaines de milliers d’autres
sont chassés de Turquie.
Pourtant, que le combat fut rude et long pour que ce terme soit reconnu…
À partir des années 1960, l’une des principales activités de la diaspora arménienne a consisté à
faire rentrer dans le vocabulaire puis dans les mœurs la reconnaissance puis la commémoration
du Génocide Arménien.
Le tout premier parlement national à avoir adopté la résolution sur le Génocide Arménien a été
le parlement uruguayen en 1965, suivi par celui de Chypre en 1975.
Aux Etats-Unis, le génocide n’est toujours pas reconnu de manière fédérale même si 43 des 50
Chambres d’Etats ou leurs gouverneurs l’ont officiellement reconnu à travers des résolutions et
proclamations, majoritairement entre les années 1990 et 2000.
C’est surtout après l’indépendance de l’Arménie en 1991 que de nombreux parlements
nationaux ont voté une résolution reconnaissant et condamnant le Génocide des Arméniens.
Parmi les pays concernés figurent en autres l’Argentine, la Russie, le Canada, la Grèce, le Liban,
la Slovaquie, la Suisse, la Pologne et le Chili. Plusieurs organismes européens ont également fait
de même, ainsi que le Vatican.
Bien tardivement, la patrie des droits de l’homme, la République française l’a officiellement
reconnu, par la loi du 29 janvier 2001, loi qui porte un article unique, court mais dont la portée
est universelle : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».
85 ans après les faits, cette loi a été adoptée par l’ensemble des familles politiques de la
République, parce que la France, même quand elle se divise sur d’autres sujets, se retrouve
toujours dès que les principes fondamentaux sont en jeu.
À partir de la fin des années 70, beaucoup d’intellectuels français ont exigé la reconnaissance du
génocide, de Jean Paul Sartre le premier, à Pierre Vidal-Naquet, d’Emmanuel Lévinas à Paul
Ricoeur en passant par Alain Finkielkraut, Michel Onfray sans parler de ceux de la première
heure comme Serge Klarsfeld ou Henri Leclerc. Impossible de les citer tous.
Aujourd’hui, je pense à tous ceux qui, sont venus ici en France, qui ont débarqué quai de la
Joliette à Marseille, où les premiers rescapés ont été accueillis par la France et sont devenus
Français. Aujourd’hui, c’est plus de 500 000 Français d’origine arménienne, la troisième
communauté arménienne au monde, hors, bien sûr, de l’Arménie.
La France sait ce qu’elle doit aux Arméniens. À ceux de la Résistance, aux entrepreneurs, aux
ouvriers, aux artistes, aux savants, à tous ceux qui ont fait ou font rayonner la France sans rien
oublier de leurs origines arméniennes.
À l’heure où notre pays traverse une crise identitaire aigüe, quel plus bel exemple ?
Être pleinement Français, sans jamais rien oublier du parcours qui vous a conduit à le devenir et
sans renier ce que vous êtes.
Cette cérémonie est justement dédiée à celles qui ont permis ce passage de témoin, à ces femmes
arméniennes victimes du génocide, à celles qui ont disparu, à celle qui ont survécu et transmis la
vie et la mémoire.
Par la plantation de ce chêne d’Arménie, qui lui aussi traversera les générations, la Ville de
Verrières-le-Buisson tenait à leur rendre l’hommage qu’elles méritent et manifester notre
solidarité envers les Arméniens, avec détermination et espérance dans l’avenir, l’espérance dans
la vie.
Vive Verrières et vive la France.

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