JEAN-FRANÇOIS HEIM

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JEAN-FRANÇOIS HEIM
JEAN-FRANÇOIS HEIM
TABLEAUX - DESSINS - SCULPTURES
LUIGI MIRADORI, DIT IL GENOVESINO
Gênes (?) vers 1605-1610 - Crémone, après le 21 février 1656
Ecole italienne
CUPIDON TIRANT UNE FLÈCHE
Huile sur toile
H. 0,60 m ; L. 0,50 m
DATE : 1651-1654
PROVENANCE :
Probablement collection de Jean et Henriette Lebaudy, France
Collection privée
BIBLIOGRAPHIE :
Marco Tanzi, La Zenobia di Don Álvaro, Milan, 2015 (notre tableau figure sur la couverture
de l’ouvrage).
Ce charmant petit tableau montre Cupidon avec la chair douce et des boucles de
cheveux blondes. Il a des ailes plumetées et porte en bandoulière, sur une ceinture en cuir
verte avec la pointe et la boucle en or, un carquois avec des finitions de cuir. Il tire la flèche
d’Amour sur un très élégant arc à double courbe, avec la poignée d’un intense et précieux
rouge écarlate, attachée avec deux goujons. Pour viser, il a naturellement fermé son œil
gauche.
Par son sujet, sa grande qualité d’exécution et ses caractéristiques stylistiques, ce
tableau est incontestablement un travail original de Luigi Miradori, dit Il Genovesino, le
peintre le plus important actif à Crémone au XVIIe siècle, particulièrement pendant les années
autour de 1650, quand il était l'artiste favori du gouverneur espagnol de la ville, Don Álvaro
de Quiñones.
Il existe une riche bibliographie sur Genovesino - dont la date et le lieu de naissance
restent à préciser - commençant dans les années 1950 par une contribution fondamentale de
Mina Gregori1 ; pour ma part j'ai travaillé sur le peintre dans des circonstances diverses
M. Gregori, Alcuni aspetti del Genovesino, “Paragone”, 1954, 59, p. 7-29 ; “Luigi Miradori detto il
Genovesino”, Il Seicento lombardo, cat. exp., Milan, 1973, Catalogo dei dipinti e delle sculture, p. 67-69 ; La
presenza del Genovesino, in Pittura a Cremona dal Romanico al Settecento, éd. par M. Gregori, Milan 1990, p.
1
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depuis 19872 ; on doit mentionner aussi les études menées plus récemment par Lia Bellingeri,
parmi lesquelles une exposition dans la série Brera mai vista ainsi qu’une monographie utile.3
Dans l’œuvre de Genovesino, les représentations d'enfants sont abondantes. Etant
donné la quantité de répliques autographes et des copies, le sujet de Vanitas par exemple avait
beaucoup de succès : un putto endormi sur un oreiller, se penchant sur un crâne, à côté d'un
sablier, que l’artiste a également gravé sur bois. Il a aussi créé des variantes, comme la
Vanitas de la Pinacoteca di Cremona (inv. 248), qui montre le petit Amour dormant assis sur
un grand livre et s'appuyant contre un crâne dont la bouche laisse apercevoir une grenouille.4
Les représentations d’enfants se retrouvent également dans ses tableaux religieux,
presque toujours chargés de petits anges « planant dans un vol en piqué désorganisé »
(« librati in picchiata scomposta ») comme dans le retable qui est peut-être le plus admiré
dans son œuvre, Le Repos sur la fuite en Égypte dans l'église de Sant'Imerio à Crémone, daté
de 1651, avec un groupe de chérubins potelés indolents, toujours avec un air détendu et
espiègle, proche en effet du Cupidon de notre tableau.5
Un autre retable avec des représentations d’enfants semblables est l'Annonciation
iridescente dans l'église de Santi Fabiano e Sebastiano à San Martino dell'Argine6. Il faut
rappeler qu’une telle morphologie infantile illustre un trait caractéristique du style de
Genovesino, comme l’indiquent les nombreux chérubins dans les deux versions de la Vierge à
l'Enfant avec le bienheureux Félix de Cantalice. L’une d’elles, datée de 1651, est conservée
au musée national de Compiègne et a été découverte en 1960 par Sylvie Béguin7. La seconde
60-63 ; Il Genovesino a Ceremona. La Moltiplicazione dei pani e dei pesci, in Il Genovesino a Cremona, éd. par
I. Iotta, Milan, 1995, p. 15-21.
2
M. Tanzi, “Un ritratto del Genovesino”, Ricerche di storia dell’Arte, 1987, 33, p. 87-90 ; Luigi Moradori, detto
il Genovesino, San Gerolamo, Diana trionfatrice. Arte di Corte nel Piemonte del seicento, cat. exp. édité par M.
Di Macco et G. Romano, Turin, 1989, p. 232-233 ; Genovesino a Castelponzone, “Ricerche di Storia dell’Arte”,
1989, 38, p. 91-95 ; Pietro Martire Neri: due ritratti e qualche precisazione sugli esordi, Il seicento Lombardo,
journée d’étude organisée par M. Gregori et M. Rosci, Turin, 1996, p. 57 ; Luigi Miradori detto il Genovesino, Il
ritratto in Lombardia d Moroni a Ceruti, cat. exp. édité par F. Frangi et A. Morandotti, Milan, 2002, p. 192-195
; Luigi Miradori detto il Genovesino, Collezione Koelliker, Dipinti lombardi del Seicento, édité par F. Frangi et
A. Morandotti, Milan, 2006, p. 118-119 ; Altri aspetti del Genovesino Preface dans L. Bellingeri, Genovesino,
Galantina, 2007, p. 5-7 ; La Zenobia di Don Álvaro, Crémone, 2009.
3
L. Bellingeri, Genovesino rivelato. Un pittore, un committente, un enigma, “Brera mai vista”, Milan, 2004 ;
Genovesino, Galantina, 2007.
4
L. Bellingeri, Genovesino rivelato (...), Milan, 2004, p. 18-19, fig. 6-7 ; L. Bellingeri, Genovesino, 2007, fig.
31.
5
L. Bellingeri, Genovesino rivelato(...), Milan, 2004, fig. 4, 16.
6
Tanzi, in Barocco nella Bassa, op. cit. p. 25, fig. 11.
7
S. Béguin, « Un tableau de Genovesino au Musée de Fontainebleau », La Revue des Arts, 1960, 2, p. 98-100.
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se trouve dans une collection privée parisienne et a été montrée lors de l’exposition Il Seicento
lombardo à Milan en 1973.8
En raison de sa ressemblance avec les œuvres que nous venons de mentionner,
Cupidon tirant une flèche devrait être daté du début des années 1650. Sa comparaison avec
une série de putti et des chérubins dans les tableaux peints juste après nous semble confirmer
cette datation : Le premier de ces tableaux, placé parmi des fleurs dans le bel cadre de l'église
de Santa Maria delle Grazie, ou "dei Frati", de Codogno, est daté de 1652. 9 La coiffure
vaporeuse du chérubin est en pleine harmonie avec celui des anges tenant des rouleaux dans le
retable de 1654 de Saint Nicolas de Bari San et le donateur Martino Rota de la Pinacoteca di
Brera, Milan (Reg. Cron. 2339). 10
Si l’on se tourne vers le tableau Cupidon tirant une flèche, on y remarquera l’heureux
choix de la composition ainsi que sa remarquable qualité, au sommet de la puissance
expressive de Genovesino. En dépit de sa petite taille, le tableau possède des parties où la
suggestion du thème se mêle de façon savante à la virtuosité technique et à l'habileté dans
l'exécution. On doit également souligner, grâce à la peinture équilibrée de l'artiste, la belle
idée de placer le putto dans une sorte de niche créé d'une grande tente rouge, ravivant
immédiatement une série de contrastes par la marbrure différente des couleurs du fonds,
l'éclairage de la chair illuminée à gauche et les deux taches brunes foncées d'une consistance
presque impalpable, avec des touches blanches pour donner un éclairage semblable aux ailes
d'un vrai rapace. Le rendu mou de l'anatomie du chérubin est d'émail et de nacre, l'ombre
tremble, n’oubliant pas encore la leçon du caravagisme, la chair est marquée par des plis
doux. La lumière brille sur les boucles blondes et touche deux particularités de grande classe
qui sont tout à fait caractéristiques du savoir-faire de Genovesino : l'attention portée par
Cupidon à son entreprise, serrant son œil, et l'élégance sublime de la poignée rouge de l'arc,
d’une très belle écarlate.
Comme déjà mentionné, ceci est une œuvre exécutée probablement entre 1651, Le
Repos sur la fuite en Égypte de l'église de Sant'Imerio à Crémone, et 1654, le Saint Nicolas de
Bari San et le donateur Martino Rota de la Pinacoteca di Brera, Milan, à cause des analogies
incontestables avec les putti et les enfants présents dans ces deux tableaux, avec la même
relaxation indolente des membres qui ne trouvent aucune comparaison précise l'un ou l'autre
dans ses tableaux précédents, où la musculature apparaît plus bien faite et ferme, ni dans les
postérieurs, dans lesquels nous voyons une sorte de désarticulation des chérubins qui est
M. Gregori, “Luigi Miradori detto il Genovesino”, Il Seicento lombardo, cat. exp., Milan, 1973, p. 69, n. 187,
fig. 199.
9
Un détail est reproduit dans M. Marubbi, Monumenti e opera d’arte nel basso lodigiano, Soresina, 1987, p. 93.
10
Bellingeri, Genovesino rivelato, cit. fig. 1-2.
8
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presque l'expressionniste : des concordances majeures, évidemment avec le frappant et
toujours trop peu connu cadre de Codogno.11
Finalement, en ce qui concerne le sujet du tableau, sans vouloir trop forcer
l'interprétation, il faut se rappeler que Cupidon est le protagoniste d’un "auto sacramental"
(une forme spécifique de pièce de théâtre religieuse en un acte, qui s'est développée en
Espagne dans la seconde moitié du XVIIe siècle et qui caractérise le théâtre espagnol) :
Psyché et Cupidon par Pedro Calderón de la Barca, le génie de siècle d’or de la littérature
espagnole. Il y a quelques années, j'ai essayé de reconstruire l'histoire des relations entre
l'homme littéraire principal du XVIIe siècle l'Espagne, le gouverneur de Crémone, Don
Álvaro de Quiñones, et Genovesino.12
Le 19 octobre 1641, à Tarragona, Don Álvaro de Quiñones a mentionné les services
fournis par Pedro Calderón de la Barca avec admiration, "muy honrado valiente caballero", se
référant à son temps dans l'armée sous la commande de Conde-Duque de Olivares, Gaspar de
Guzmán y Pimentel pendant la révolte catalane. À son tour, Genovesino peint pour le noble
espagnol, ensemble avec un certain nombre d'autres tableaux enregistrés dans l'inventaire
après-décès du gouverneur, "une reine qui semble être Zenobia amenée [à] la prison", ou la
reine Zenobia de Palmira. J'ai trouvé ce tableau dans une collection privée et je peux
confirmer que l'iconographie dépend précisément du texte d'une comédie par Calderón
exécuté pour la première fois à la cour en 1625 - mais publié seulement en 1636 dans Primera
parte de Comedias, avec son chef-d'œuvre, La vida es sueño (La vie est un songe) – La gran
Cenobia.
J'aurais aimé si, dans ce triangle de relations entre le poète, le gouverneur et le peintre,
il avait été possible d'adapter la petite toile Cupidon tirant une flèche aussi, mais la date de
l’auto sacramental Psyché et Cupidon (1662) est trop tard pour confirmer cette hypothèse. La
référence iconographique est alors la canonique à la mythologie grecque et romaine et la
poésie, selon laquelle Éros, ou Cupidon est le dieu d'amour physique et du désir, représenté
comme un enfant ailé qui avec ses flèches fait tomber amoureux les êtres mortels et
immortels.
Une étiquette fragmentaire, collée sur le dos de la toile, comporte l'inscription "LEBAUDY" : il est alors probable que le tableau a fait partie de la collection de Jean et Henriette
Lebaudy, membres d'une famille d'industriels français qui a construit sa fortune dans la
raffinerie du sucre au XIXe siècle. Jean était un des présidents de l'entreprise Raffinerie
Lebaudy-Sommier et a financé le journal L'Epoque. En plus de la possession d'une grande
Un exemple d’ange “désarticulé” se trouve dans la Santa Lucia de Castelponzone, datée de 1654 ; voir Tanzi
in Barocco nella Basssa, cit. p. 98-99, n. 18.
12
Tanzi, La Zenobia, cit. p. 3-30.
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collection ethnographique, avec sa femme Henriette, en 1962 il a légué à la bibliothèque de
Versailles une prestigieuse collection des livres rares des XVIIe et XVIIIe siècles.13
Marco Tanzi
13
Pour la famille, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_lebaudy ; concernant leur collection, voir J.P.
Lebeuf, “Les collections Sao du Musée Lebaudy (Cabrerets, Lot)”, Journal de la Société des Africanistes, XIII,
1943, p. 183-186.
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