Culte du dimanche 12 juillet 2015 au bois des amoureux à Molines

Transcription

Culte du dimanche 12 juillet 2015 au bois des amoureux à Molines
Culte du dimanche 12 juillet 2015
au bois des amoureux à Molines en Queyras
Prédication du pasteur André Leenhard
Genèse 22 :1-19.
J'ai voulu remonter aux fondements de la foi chrétienne. Sur le socle du judaïsme, qui est à
l'évidence sa racine (Jésus était juif), la religion chrétienne a développé une théorie du
sacrifice expiatoire de Jésus qui est teinté, influencé, par la manière dont les Juifs
pratiquaient le sacrifice d'animaux, pour l'expiation des péchés. Dans la suite logique de
cette culture sacrificielle, on trouve dans bien des passages du Nouveau Testament, mais
pas dans tous, cet amalgame entre Jésus, l'agneau de Dieu, et les agneaux sacrifiés pour le
pardon des péchés. Est-ce bien le cœur du message chrétien, ou bien y a-t-il là une
contagion, à cause de la religiosité humaine qui aime ce genre de rites? Allons-nous
accueillir un message de colère de Dieu dont la justice réclame réparation sanglante, ou un
message de bienveillance, d'amour et de pardon?
Remontons aux sources.
Vous connaissez l’histoire d’Abraham. Je vais résumer un épisode et vous me direz si le
résumé correspond à la lecture que vous avez entendue, faite dans la traduction de Louis
Segond.
Abraham, dont la femme Sara avait été longtemps stérile, a obtenu de Dieu un fils, Isaac, le
fils de la promesse, de l'alliance. Et puis, un beau jour, Dieu vient lui demander de lui
immoler ce fils. Abraham commence par obéir à cette demande divine, il se prépare à
égorger Isaac avant de faire brûler son corps sur un autel. Au dernier moment, Dieu arrête
son bras : il voulait juste avoir la preuve de la soumission d’Abraham.
Est-ce que c’est un résumé fidèle ? En tous cas c'est bien ainsi que je l'ai entendu depuis
mon enfance.
Maintenant oubliez d’où vient cette histoire. Oubliez qu'elle est dans la Bible. Vous êtes
n’importe qui, un(e) représentant(e) de cette population moyenne de la France qui est
passée en 2 ou 3 générations de la croyance à l’incroyance, puis à l’inculture presque totale
en matière biblique: vous l’entendez donc pour la première fois. Qu’en pensez-vous ?
- Pour moi, dit un interlocuteur, c’est une pure horreur ! D’accord, ils sont tous les deux
vivants à la fin, père et fils. Mais qu’est-ce qui reste de la liberté d’Abraham avec, au-dessus
de sa tête, un dieu capable de lui demander ne serait-ce qu’une fois une chose pareille ?
Dans quelle perpétuelle menace vivra ce croyant ?
- Pour moi, dit une interlocutrice, je ne comprends pas que cette histoire ait sa place dans la
Bible : il est question d’un homme, d’un dieu, et d’une alliance entre eux. Or, un des premiers
effets de cette alliance, c’est qu’un être humain jusque-là pacifique devient capable de tuer
son enfant. Abraham est présenté comme le croyant exemplaire : or cet épisode fournit le
modèle originel de toutes les dérives fanatiques, de tous les intégrismes. Il ne nous enseigne
pas, il nous endoctrine.
(Une petite remarque personnelle: En fait je découvre à travers ce récit que j'ai tendance à
être croyant d'un dieu auquel on m’a appris à donner raison d’avance. N’est-ce pas d’ailleurs
ainsi que sont construits bien des sermons ? Le pasteur lit un texte de l’un des deux
testaments, et s’évertue coûte que coûte à montrer à travers ce texte une image de Dieu
positive, à délivrer un message. C’est aussi le risque de nos réunions d’étude biblique, si
devant un texte on cherche seulement à s’édifier les uns les autres, sans oser exprimer les
questions fondamentales qu’en réalité il nous pose et qu’on n’ose pas exprimer. André
Gounelle nous racontait récemment qu'il avait invité une fois dans sa paroisse un théologien
à la pensée décapante, qui n'hésitait pas à bousculer les certitudes traditionnelles. Et
pendant la réunion il se disait dans son souci pastoral: "La petite madame unetelle est là,
quel dommage: sa foi est si naïve, si simple, il va la démolir! Ah! si seulement elle n'était pas
venue"… Or après la réunion elle est allée parler longuement avec le conférencier, et lui
disait: "Enfin vous avez abordé les questions que je me pose depuis toujours sans oser en
parler à mon pasteur, de peur de le choquer"…)
Mais revenons aux objections: donc d’après cette histoire Dieu peut tout me demander ? ma
vie, et plus que ma vie : celle que j’ai donnée. Et même s’il me la rend, comment oublieraisje qu’il a été capable de me la demander ? Si un fils -le plus précieux- a pu être l’objet du
sacrifice, tout, un jour, pourra l’être. Où est ici le salut du genre humain ? C’est sa perte
radicale au contraire.
- On est ici, dira encore une autre, dans l’arbitraire pur. Comment l’homme qui croit en ce
dieu traitera-t-il tous les autres, son voisin, son prochain, sans parler de l’étranger, après qu’il
a pu envisager de traiter ainsi son enfant ? Si c’est le chemin pour aller à Dieu, on comprend
que beaucoup s’en soient écartés !
Et les pasteurs, comment s'en tirent-ils? Moi j’ai retrouvé une prédication que j'avais faite à
Mens il y a 50 ans, un sermon où, en parcourant l’histoire d’Abraham, je disais ceci: « …Puis
c’est la grande épreuve : Dieu redemande ce fils. Dieu ne sait-il plus ce qu’est un cœur de
père ? Dieu oublie-t-il la promesse qu’il a faite ? Imagine-t-on demande plus
incompréhensible ? Et pourtant Abraham obéit. Là vraiment nous ne le comprenons plus.
Jamais nous n’aurions pu faire comme lui. Et pourtant c’est lui qui avait raison. Par la foi il
croyait que Dieu pourrait le lui rendre « par une sorte de résurrection » (Hébreux 11 :19). On
croirait qu’il savait déjà que Dieu, lui aussi, sacrifierait son fils. On croirait qu’il se rendait
compte que Dieu lui demandait ce sacrifice, non comme un tyran sanguinaire, mais comme
un père qui passerait un jour par la même épreuve, et jusqu’au bout »… Etc.
Voilà comment je m’en étais tiré, en citant l’épître aux Hébreux. Comme tout le monde, je
mettais en avant la foi d’Abraham. La plupart des croyants acceptent cette cruauté au nom
de la foi, ce qui veut dire sans doute : en renonçant à comprendre.
- Mais, dit encore la précédente, je veux qu’on m’explique en quoi la foi aveugle d’Abraham
est une religion. Si le but de Dieu est seulement de vérifier son emprise sur un homme, où
voyez-vous qu’il s’agisse d’une épreuve de foi ? Cela ne mesure que l’aptitude au fanatisme
de ce pauvre type. Quant à ce dieu, s’il sait d’avance qu’il ne va pas laisser la soumission
aller jusqu’au meurtre, ça ne fait de lui, au mieux, qu’un roi de la manipulation.
Voilà, nous avons fait un peu le tour des objections légitimes des non-croyants, et des
tentatives des religieux (et moi le premier) pour légitimer l’incompréhensible.
Ce que je vais vous dire maintenant est le fruit d’une attention précise exercée par plusieurs
personnes ensemble sur la réalité des textes bibliques, ces textes sur lesquels on se coince
si on dit que ce sont des textes « révélés », où l’on devrait admettre sans discussion le sens
apparent au premier abord. On devrait dire plutôt que ce sont des textes « révélants », qui,
lus avec plus de soin et d’exigence, apportent la vie là où nous acceptions la mort.
D’abord les simples questions de traduction. Grâce aux nombreuses traductions nouvelles
de la Bible, même si nous ne savons pas l'hébreu, nous avons appris à faire attention au
texte original. Ici l’ordre qu’entend Abraham n’est pas, comme traduit Segond : « Offre-le en
holocauste », mais : « Élève-le en élévation », ou comme Chouraqui : « Fais-le monter en
montée ». C’est l’idée d’une élévation vers le dieu, d’une présentation au dieu.
Il y a plusieurs façons de « faire monter », mais Abraham ne voit d’abord qu’une seule
montée possible pour rejoindre le dieu : la culture idolâtre qui l’entourait ne connaissait sans
doute pas d’autre sens au mot « ola », qu’on a traduit par « sacrifice », et pas d’autre moyen
que l’égorgement et le feu d’un holocauste. Abraham entend bien l'appel à une élévation,
mais le traduit par le sacrifice humain.
Et Louis Segond a été aussi prisonnier des présupposés de sa culture chrétienne, qui a tant
insisté sur l'idée de "sacrifice"; il aurait dû traduire simplement par "montée, élévation" au lieu
d’interpréter en mettant "sacrifice", même si cela donnait une expression insolite qui nous
oblige à réfléchir…
Bref, l’essentiel est que, dans le texte, le dieu n’a pas parlé d’égorger. L’esprit d’Abraham est
sans doute d’abord envahi par le souvenir des sacrifices dans sa culture d’origine, mais le
récit montre qu'il finit par s’en libérer. Disons qu’une autre voix lui parvient, d’où qu’elle
vienne, qui fait taire la première.
Ensuite une remarque essentielle. Louis Segond dit tantôt « Dieu », tantôt « l’Éternel ».
L’aviez-vous remarqué ? En français on n’y fait pas bien attention, on se dit que c’est comme
ce qu’on nous avait appris à l’école pour les rédactions, qu’il faut éviter trop de répétitions, et
mettre un mot équivalent… En hébreu cela saute davantage aux yeux : il y a tantôt « Élohim
», tantôt « Yahwé ».
- Élohim, c’est un nom commun, « le dieu », et en plus il est au pluriel ! (comme les idoles ?).
Élohim, c'est le nom divin lié à la notion de justice stricte et de rigueur. Au début de la
Genèse, c'est celui qui crée le monde, de façon solennelle, en 6 jours...
- Yahwé c’est le nom propre de Dieu, imprononçable pour les Juifs (par respect), et construit
sur la racine « être » : je suis celui qui est. C'est le nom divin qui exprime miséricorde, unité,
amour. Dans le second récit de la Genèse, c'est celui qui crée la femme comme vis-à-vis
d'Adam. (Pourquoi ces deux récits juxtaposés, imbriqués ? Sans doute parce que le
rédacteur final, devant deux traditions orales différentes, n’a pas voulu choisir (au nom de
quoi ?) mais les a respectées toutes deux).
Alors vous devinez ? Où dans le récit s’agit-il de l’un, et où de l’autre ?... Celui qui demande
à Abraham de faire monter son fils est appelé Élohim. Celui qui arrête son geste c’est
Yahwé…
L'esprit humain qui a soif de religiosité aime bien les sacrifices. La piété chrétienne a donné
dans ce travers en hypertrophiant dans ce sens la mort de Jésus: le sacrifice propitiatoire
("pour rendre Dieu propice") nécessaire pour que Dieu nous pardonne... C'est allé jusque
dans les petites choses: la pratique, autrefois, de penser que plus on se "sacrifie" et plus ça
a de valeur pour Dieu. Je me rappelle une directrice d'école catholique qui disait, devant
chaque tâche difficile, "mon Dieu je vous l'offre"... Quelqu'un l'avait entendu dire devant un
WC de la cour d'école bouché et débordant : "Mon Dieu je vous l'offre!"
Ceux qui ont approché Dieu de plus près, les prophètes, les psalmistes, ont été persuadés
que Dieu ne voulait nullement des sacrifices d’êtres vivants, pas même d’animaux. Ils l’ont
écrit de différentes façons et leur pensée se trouve reprise dans le Nouveau Testament.
Matthieu, par exemple, cite deux fois le prophète Osée : « C’est la miséricorde que je veux,
pas le sacrifice ». Et il y a bien d'autres textes semblables, j'en ai trouvé au moins une
quarantaine!
La première obéissance d’Abraham, nous pouvons donc la lire maintenant comme une
maladie, une maladie de l’âme dont le diagnostic spirituel est « idolâtrie ». La première fois,
Abraham obéit, non pas même à Élohim (puisque celui-ci ne lui a pas demandé de tuer),
mais à un dieu de son "imaginaire" qui dévore l’homme : il se soumet au dieu de la mort en
voulant lui sacrifier Isaac. Puis il obéit ensuite au Dieu vivant qui, le premier, et le seul parmi
les dieux de ce temps-là, interdit le sacrifice, en arrêtant son geste meurtrier.
Le sens du récit bascule : il ne fait plus l’éloge du sacrifice, mais apparaît au contraire
comme la sortie de l’idolâtrie : maladie mortelle contre laquelle le combat devra être mené à
chaque génération. Ce récit, comme le dit Marie Balmary à qui je dois beaucoup, c'est celui
du sacrifice interdit.
Chacun de nous a son histoire par rapport à Dieu. Chacun(e) est passé(e) d'une foi d'enfant
à une foi d'adulte. Chacun de nous a peut-être expérimenté cela : on peut découvrir que
celui qu’on appelait tout d’abord dieu n’était pas Dieu. On peut arriver vers le vrai Dieu en
ayant cru d'abord à un faux, et devenir peu à peu apte à l’autre rendez-vous. Laisser venir le
sens, non de la tradition ou de la théorie que j'ai dans la tête, mais de l'intérieur même de la
parole qui m'est apportée.
Il n’y a pas lieu de se culpabiliser: c’est un cheminement de vie, comme pour Abraham.
Bonne route!
Amen.
Marie Balmary (Psychanalyste) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Balmary
http://mariebalmary1.blogspot.fr/