Article Le Monde.fr – Pour sortir de la difficulté à affirmer une

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Article Le Monde.fr – Pour sortir de la difficulté à affirmer une
Débat › Quelle politique culturelle pour la France ?
Pour sortir de la difficulté à affirmer une politique
culturelle
LEMONDE.FR | 02.02.12 | 13h24
Quelques rares contributions récentes - livres ou tribunes dans ces colonnes - ont tenté d'ouvrir un débat sur les politiques
culturelles à l'approche des présidentielles. Tentatives timides, frémissements sans suite... À l'heure de la crise et de
l'austérité, le sujet serait-il trop léger pour être considéré, à côté des vrais enjeux que seraient le pouvoir d'achat, les
retraites, ou l'éducation ? Certes non, et nul doute qu'aucun des grands candidats ne défendrait un tel point de vue. Mais il
faut bien admettre qu'en ces temps de focalisation sur la règle d'or et la réduction de la dette, il devienne difficile de…
panser la politique culturelle, et bien plus encore de la penser.
Car la clé du problème est là : penser une politique culturelle est aujourd'hui conceptuellement complexe, principalement
dans son volet de soutien à la création. Deux raisons à cela. La première est que créer est d'abord une démarche de prise
de risque individuelle, et relève d'une dynamique émergente. Si un soutien public peut être considéré, selon les secteurs,
comme une nécessité, il ne doit pas se faire au détriment de cette dynamique. La seconde est que la création, dans
quelque secteur que ce soit, implique toujours une surabondance de projets par rapport à ceux qui trouveront une
audience, cette surabondance implique que les pouvoirs publics ne peuvent pas soutenir tous les projets, ni tous ceux qui
souhaitent devenir artistes.
Les maisons d'édition ne financent pas les quelques millions d'aspirants-écrivains qui leur soumettent des manuscrits
chaque année. Ce serait un puits sans fond, et une situation structurellement intenable. Ces deux caractéristiques
interrogent les fondements de toute politique publique: quel peut être le rôle des pouvoirs publics vis-à-vis d'une
dynamique qui doit rester émergente ? Et comment affecter des ressources structurellement déficitaires par rapport aux
besoins de financement ?
Faute de savoir résoudre ces énigmes dignes du Sphinx, les politiques culturelles ont tendance à être celles du
pansement : substitution d'Hadopi à Dadvsi, puis d'Hadopi 2 à Hadopi 1, aménagement de la chronologie des médias,
mise en place d'un Centre national de la musique sur le modèle de la martingale que le cinéma a semble-t-il trouvé,
instauration d'une taxe sur les revenus de tel nouvel acteur... Ces rustines ne sont jamais inutiles : elles permettent de
continuer à faire quelques tours, jusqu'à la prochaine crevaison. Mais elles ne font pas une politique, qui donnerait du
sens et affirmerait des ambitions.
Mettre en place une politique culturelle à l'ère d'Internet, de la mondialisation, des moyens publics limités, c'est avant tout
comprendre ce que doit être son rôle. C'est considérer que la politique ne s'arrête pas à l'identification de nouvelles
ressources, mais commence lorsqu'est posée la question de la manière dont ces ressources sont mobilisées. Sans cela, le
risque est au mieux celui du puits sans fond, au pire celui des effets contre-productifs. La timidité du débat actuel tient
certainement à cela : le constat que plus l'on colmate, plus de nouvelles brèches apparaissent peut laisser dubitatif.
Pour penser une politique culturelle qui soit ambitieuse, et dans ce cadre la question fondamentale de la manière dont les
ressources sont affectées, un cadre conceptuel fertile est de considérer que la création est la rencontre d'un désir, celui
d'un individu qui a un besoin d'expression, avec un outil de création, composé de moyens, de compétences, de possibilités
de présenter son travail. Le rôle de l'Etat est alors de mettre en place les conditions pour que la création puisse exister,
c'est-à-dire faire en sorte que des désirs naissent, qu'ils puissent trouver facilement les moyens pour s'accomplir et que les
aspirants-créateurs puissent envisager, à un moment donné, de peut-être vivre de leur travail. C'est-à-dire que cette
économie permette une progressivité entre le monde amateur et celui des professionnels reconnus ou des stars. Cela
suppose d'admettre l'idée que tout le monde ne deviendra pas star, et que tout aspirant ne vivra pas forcément de sa
passion.
Dans cette conception, l'Etat accepte… de ne pas se mêler de culture pour devenir le garant d'une fluidité d'un marché
dans lequel des professionnels – éditeurs, producteurs… - soutiennent des projets et des artistes, en espérant en dégager
une rentabilité. C'est le fonctionnement canonique des marchés de la culture, c'est celui dans lequel les investissements
réalisés ne s'accompagnent pas d'un droit de regard et dans lequel la dynamique de la création peut s'exprimer à plein.
Alors que la musique peine à sortir du marasme, alors que le cinéma n'est pas à l'abri d'un tremblement de terre lié aux
évolutions attendues du marché de la télévision, alors que l'industrie française du jeu vidéo est tout à la fois extrêmement
dynamique et très fragile, alors que l'édition entre dans une période périlleuse, il y a aujourd'hui la place pour une politique
culturelle qui voudrait réaffirmer la place de la France. Cessons de la penser uniquement en termes de taxes, et
substituons-lui des catégories tout aussi simples mais sans doute plus justes : le désir, l'outil, le marché.
Thomas Paris, économiste au CNRS, professeur affilié à HEC
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